mercredi 29 juin 2016

Musée d'Art et d'Histoire de Genève : Da capo..


On est toujours plus intelligent après une défaite qu'avant, c'est bien connu depuis Marignan. Ou alors, quand on se rengorge d'avoir été déjà vachement plus intelligent que les autres avant la défaite, en l'annonçant et en prédisant ses causes, on se la joue modeste.  On va donc à Genève, pour la rénovation et l'extension (ou non, ou l'éclatement) du Musée d'Art et d'Histoire, faire les choses, poser les actes, entamer les réflexion, dans le bon ordre logique -commencer par le commencement, en somme. Commencer par se poser la question à laquelle sera donnée une réponse qui va déterminer la suite : quel musée voulons-nous ? Pour faire quoi, dire quoi, raconter quoi ? assumer quel rôle, assurer quelles missions ? Déterminer le contenu d'abord, et lui adapter un contenant. Le contenant existant (le bâtiment actuel) ou un autre, sans en préjuger. Le débat, là, est un débat de fond -et les oppositions qui vont le structurer, des oppositions de fond, non sur l'architecture, le patrimoine, le coût, mais sur la nature et le projet culturel du musée. Les oppositions plus spécifiques (les mêmes que celles qui, en s’additionnant, ont coulé le projet Nouvel il y a six mois), viendront après, forcément, mais on aura au moins, à défaut d'avoir fait du passé table rase, entamé un nouveau processus sans le bâcler, et  en sachant où l'on veut qu'il nous mène...

Ne pas se contenter de rénover : réinventer

"Recentrer le débat sur le MAH en tant que musée, donc sur son identité, ses missions, ses collections et ses outils, afin de développer un futur projet sur des bases solides et partagées" : c'est ainsi que la Ville de Genève résume la logique de sa relance d'un nouveau projet pour son principal musée, après le refus, net sans être écrasant, du projet Nouvel-Jucker, le 28 février dernier -un refus qui était le résultat d'oppositions spécifiques, additionnées les unes aux autres, mais aussi, avoue la Ville, d'une procédure où les étapes nécessaires à l'appropriation du projet par la population ont été, les unes inversées, les autres bâclées. On en tire les conséquences, et on se donne le temps et les moyens politiques et conceptuels "d'élaborer sans a priori un projet culturel" digne du MAH, de ses collections, de son importance (c'est tout de même l'un des plus grands musées de Suisse) et de ses ambitions. On l'a assez souhaité, et assez souvent dit et écrit ici qu'on le souhaitait, pour aujourd'hui le saluer. En toute humilité, bien sûr.

On va donc commencer par réfléchir à ce qu'on veut, avant de faire des plans et de boucler des budgets. Et pour cela, la Ville a nommé une commission externe, indépendante, co-présidée par l'ancien directeur des Musées d'ethnographie de Genève et de Neuchâtel, Jacques Hainard, et par le directeur du Musée de la Croix-Rouge, Roger Mayou, et composée de la directrice du Kunstmuseum de Lucerne, Fanni Fetzer, de la conservatrice du département d'Histoire du Rijksmuseum d'Amsterdam, Martine Gosselink, de la directrice du Musée des confluences de Lyon, Hélène Lafont-Couturier et du président-directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez. Cette commission va consulter pendant un an les milieux universitaires, patrimoniaux, architecturaux, associatifs et politiques. Elle présentera au Conseil administratif plusieurs scenarii, dont le Conseil administratif retiendra un pour présenter, en 2018, un projet muséal, à partir duquel un concours d'architecture sera lancé. D'ores et déjà, le Département municipal de la culture (et du sport) assure que "chacun et chacune" pourra "s'associer à cette démarche" de réinvention du MAH. Que demander de plus ? De l'imagination, de l'audace (encore de l'audace, toujours de l'audace), du non-conformisme, de la liberté à l'égard des héritages trop pesants.  Pour que l'exercice ne se contraigne pas à une simple rénovation (avec ou sans extension) de l'existant, mais accouche d'une véritable réinvention.

Peut-on à Genéve inventer une politique muséale, inventer un nouveau type de musée, un nouveau rôle aux musées, que ceux (patrimonial, pédagogique, scientifique) qui ont été donné aux grands musées publics lors de leur création, et que ceux qu'ils se sont mis à jouer ensuite, en suscitant ce constat ironique des situationnistes, en 1966 : ? "C'est justement l'époque qui a fabriqué le plus grand vide culturel qui doit entreprendre d'introduire le musée dans la vie quotidienne pour y meubler tautologiquement le même vide" (Internationale Situationniste, mars 1966) ? On peut -pardon : on doit en tout cas essayer cette réinvention d'un musée, plutôt que se contenter de sa rénovation.. La leçon des urnes du 28 février aura ainsi porté des fruits moins amers que ceux d'une défaite subie sans que jamais le débat précédant le vote ait porté sur ce qui importe : la réponse à la question "un grand musée, pour quoi en faire ?".

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