jeudi 3 mars 2016

MAH : Du bon usage d'un refus


Da capo !

Par 54,3 % des votants (on avait parié sur une proportion encore plus forte), le peuple municipal de Genève a donc refusé le projet de rénovation et d'extension du Musée d'Art et d'Histoire. Le vote n'était que municipal -aurait-il été cantonal que le "oui" aurait peut-être gagné (comme il a gagné dans les arrondissements de droite de la Ville), encore qu'on ne puisse en jurer. Pas plus qu'on ne puisse jurer, même si on en est persuadé, que si la rénovation et l'extension du musée avaient été dissociées au lieu que d'être liées dans un seul vote, la rénovation aurait été acceptée -peut-être même sans vote populaire, parce que sans référendum. Reste que refus il y a eu. Et qu'il y en a un bon usage possible : il rouvre le débat que l'acceptation du projet aurait fermée, avant même qu'il ait réellement commencé. Non le débat sur le coût du projet, l'odeur de l'argent privé qui contribuait à le financer, ni même le débat patrimonial, mais le débat sur le rôle du musée, sa place dans le dispositif culturel genevois. Et même le débat sur un nouveau musée, ailleurs. Parce que le musée ne doit pas être prisonnier de son bâtiment et que peu nous importe au fond le sort du bâtiment Camoletti : il n'est pas le musée, mais son enveloppe...


  "(...) le ciment victorieux au sein duquel sera ficelée la prestigieuse clé de voûte qui ouvrira à deux battants la porte d'un avenir radieux"

Musée d'Art et d'Histoire de Genève, on repart à zéro  : après le refus populaire du projet qu'il défendait (plutôt comme on défend un héritage que comme on défend une cause à laquelle on croit), le Conseil administratif de la Ville de Genève reprend la main, et annonce qu'il présentera d'ici juin une "feuille de route" pour relancer des études et des consultations sur un nouveau projet. Dont on ne connait évidemment encore rien (sera-t-il de rénovation seule, de rénovation et d'extension, d'un nouveau musée ?), mais dont on sait déjà qu'il coûtera plus cher à la Ville, s'il se réalise, que celui qui vient d'être refusé -autant dire que l'argument financier qui, largement évoqué par les opposants au projet refusé dimanche, a sans doute été déterminant dans ce refus, pourra refaire surface dès qu'une décision devra être prise (par le Conseil municipal, voire le peuple). Après le refus collatéral (comme on le dit d'un dommage...) de la rénovation du musée actuel, puisqu'elle était liée au projet d'extension, chaque jour qui passe passe sur le musée, aggrave sa dégradation, augmente le coût de sa rénovation, et même, à défaut de rénovation, celui de son entretien (la Ville en est propriétaire, elle a le devoir de l'entretenir, et l'obligation de le mettre aux normes)

Reste que, comme l'affirment à raison les deux Conseillers administratifs en charge du dossier, Sami Kanaan et Rémy Pagani, la rénovation seule n'a pas de sens assez fort pour justifier un investissement lourd (qu'ils estiment à 80 millions),  qu'on peut avoir une autre ambition que "maintenir un musée dans sa conception de 1910", que l'extension est plus que problématique (où se ferait-elle ? sous la butte de l'Observatoire, voire à sa place, arasée ? Le référendum chauffe déjà... dans les bâtiments des Casemates ? Ils sont aussi obsolètes que ceux du MAH actuel). Et qu'il conviendrait donc de commencer à penser non plus un musée agrandi, mais carrément, un nouveau musée. Financé uniquement avec de l'argent public, et conçu pour concrétiser un concept culturel lui préexistant -ça tombe bien : il en existe un, désormais, le fameux "projet scientifique et culturel". Il vaut ce qu'il vaut, il est arrivé bien tard, alors que le projet matériel -architectural, financier- était bouclé, mais au moins il existe, et peut être mis en discussion publique, de telle manière que ce soient, enfin, les missions du musée qui définissent son architecture, et plus son architecture qui contraignent ses missions

Imaginer un nouveau projet, étudier, consulter, chiffrer, proposer des crédit, les faire accepter par le parlement municipal, voire par le peuple, cela prendra du temps, évidemment. Dix ans, quinze ans, vingt-cinq ans ? En tous cas le temps d'un débat sérieux, approfondi, sur ce qui importe. Et pas seulement le temps de couler, comme amphigourisait Pierre Dac, "le ciment victorieux au sein duquel sera ficelée la prestigieuse clé de voûte qui ouvrira à deux battants la porte d'un avenir radieux".

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