mercredi 5 décembre 2007

Institutions culturelles : partager les charges, partager le pouvoir

Deux millions et demi supplémentaires pour son budget courant, un million de garantie de déficit pour le budget suivant, la succession assurée de sa direction générale : le Grand Théâtre termine bien l'année. Il a traversé une crise interne dont l'issue renvoie à un " bon usage des crises " en révélant l'obsolescence de sa structure institutionnelle, de ses pratiques sociales et de sa structure financière. Si indispensable qu'il paraisse, l'apport financier supplémentaire accordé par la Ville n'est cependant, dans le meilleur des cas, qu'une réponse à court terme, faisant perdurer une situation malsaine pour la Ville, le Grand Théâtre et le " tissu " culturel genevois.
Le GTG pèse près de 45 millions annuels dans le budget de la Ville, qui assure les deux tiers de son financement. Les recettes des spectacles couvrant annuellement leurs coûts directs, la Ville se paie un opéra qui se paie ses spectacles, mais l'institution comme le genre coûtent cher et coûteront de plus en plus cher, la première pour être maintenue, le second pour être représenté.
Comme il y a quelque chose d'absurde à " asseoir " sur le seul financement (et sous le seul contrôle) municipal un opéra capable de se déplacer et de se représenter jusqu'à Mexico, qu'il n'y a pas d' " opéra bon marché " et que le GTG ne peut être à la fois un théâtre municipal du XXe siècle et un opéra international du XXIe siècle, il faudra bien qu'il fasse, ou qu'on lui fasse faire, le pas menant de l'un à l'autre.
Genève a un Opéra non parce qu'elle y est tenue, mais parce qu'elle y tient. Le " besoin " d'opéra n'est pas un besoin vital, c'est un choix culturel parfaitement volontariste, mais qui à Genève ne repose toujours que sur la seule volonté de la seule municipalité de la Ville, qui ne peut continuer à supporter seule l'essentiel de la charge financière de la plus " grosse " institution culturelle de la région (hors l'école) -pas plus que le Grand Théâtre ne peut continuer à dépendre de la seule source municipale. Si rien n'est changé à la structure du financement public du Grand Théâtre, l'alternative restera donc celle à laquelle depuis des années la Cité est confrontée : Le GTG a besoin d'argent ? La Ville doit payer, ou le Grand Théâtre se réduire à son foyer et à une programmation convenue -rien avant Mozart, rien après Puccini, du Savary plutôt que du Py. Et plus (du tout) de Ballet. On ne pourrait affaiblir plus sûrement la capacité du Grand Théâtre à jouer le rôle qu'on en attend de lui, et donc la légitimité de l'effort financier qu'on lui consent.
C'est en refusant d'admettre la nécessité de diversifier les sources de financement public que l'on met le plus gravement en danger l'institution que l'on affirme par ailleurs vouloir préserver : Une institution culturelle, si importante soit-elle, est toujours fragilisée par sa dépendance à l'égard d'une source de financement hégémonique, et cela vaut pour le Grand Théâtre comme pour toute institution culturelle.
Le problème du partage, entre les collectivités publiques, de la charge financière et de la gestion des institutions culturelles, se pose donc bien en termes politiques : il s'agit moins de soulager la Ville d'une part de l'effort considérable qu'elle consent pour les grandes institutions culturelles que de définir, toutes communes ensemble, et le canton avec elles, une politique culturelle qui ne se réduise ni à une politique du patrimoine, ni à une course après les modes marchandes, et qui admette cette évidence que les ressources consacrées à une institution culturelle ne peuvent plus l'être à une autre, ni à la culture non institutionnelle.
Au partage de la charge financière des institutions culturelles, et du pouvoir sur ces institutions, nul n'a à perdre, sinon ceux (dont nous nous plaisons à croire que Genève est préservée) pour qui le champ culturel serait moins un champ de création qu'un champ de pouvoir, un étal de souk ou une parure sociale.