dimanche 9 juin 2013

Loi cantonale sur la culture : obscur éclaircissement...

« La future loi sur la culture votée au prochain Grand Conseil (...) doit aussi éclaircir les rapports de partenariat public entre la Ville et Canton », estimait récemment Sylvie Bonier, en édito de la « Tribune« ». Ouais, ben on sera déjà bien contents si elle ne les obscurcit pas, cette loi, les rapports de partenariat public entre la Ville et le canton. Alors attendre qu'elle les éclaircisse, franchement, relèverait du domaine de la foi aveugle. Et en cela comme en religion, on est franchement athées. Tentant d'expliquer pourquoi la fonction de Conseiller d'Etat n'est plus ce qu'elle était, Pierre-François Unger observait que «  nombre de décisions sont transférées à Berne sans que les moyens de les appliquer nous soient toujours octroyés. Ceux qui décident ne paient plus, et réciproquement ». Il a raison, Unger. Mais en gros, ce qu'il décrit, c'est exactement ce que de fort mauvais esprits soupçonnent le canton de Genève de tenter avec sa nouvelle loi sur la culture : s'arroger le pouvoir de décider en faisant supporter à d'autres (les communes en général  et la Ville en particulier) le coût de ces décisions...

Il est bien court, le chemin de la posture à l'imposture


Le Grand Conseil genevois a donc adopté, en troisième débat, une nouvelle loi sur la culture. Aucune loi ne va par elle-même « faire » une politique culturelle. Elle peut cependant donner des possibilités à  une telle politique. Elle peut aussi  imposer le « faire ensemble » comme une obligation; seule une loi peut d'ailleurs imposer aux communes qui n'ont pas de politique culturelle d'en avoir une. L'enjeu politique de la loi sur la culture est considérable, d'autant qu'il se double d'un enjeu financier atteignant plusieurs centaines de millions de francs par année (sans compter les investissements : ceux consentis, par exemple, par la Ville de Genève pour le seul Grand Théâtre (bâtiments, équipements lourds etc...) se chiffrent aussi, depuis 1945, en centaines de millions.

Si on  devait résumer l'enjeu politique de la loi, ce serait en se demandant si on va, à Genève, passer d'un système gouverné par le principe « qui paie commande » (et donc la Ville commande) à un système gouverné par l'ukaze « je commande, tu paies » (et donc le canton commande et la Ville paie). Car au-delà  des principes exprimés dans la loi, et des possibilités qu'elle offre, tout relèvera de choix politique, et donc du rapport de force entre les différents acteurs politiques -partis, organisations et institutions culturelles, collectivités publiques. Certes, la loi va poser le principe de la «concertation» -mais elle repose aussi sur l'évidence qu'entre ceux qui se concertent, l'un, le canton, a le pouvoir de décider, et pas les autres.
Dans le champ de la politique culturelle, à Genève, deux légitimités se confrontent, deux légitimités que la loi ne réconcilie pas : la légitimité de la loi et celle du terrain. La légitimité de la loi, c'est celle du canton : le pouvoir législatif, c'est lui, et lui seul (sous réserve du droit supérieur) qui le détient. La légitimité du terrain, c'est celle que donne à la Ville le pouvoir considérable de son budget culturel. La Ville, les communes, ne font pas la loi, mais sur le terrain, ce sont elles qui font la politique culturelle genevoise. Or la loi cantonale ne donnera pas de moyens supplémentaires au canton, mais seulement des possibilités et des ambitions, et les moyens ne vont pas suivre au budget cantonal (encore serons-nous heureux s'ils ne sont pas réduits -alors qu'ils n'atteignent actuellement que péniblement le tiers de ceux que la seule Ville consacre à la culture...)

Au départ, au moment de l'institution d'une commission d'experts chargée de « pondre » un avant-projet de loi, l'objectif était d'inventer une méthode de « faire ensemble ». Il s'agissait surtout d'éviter de reproduire, en se contentant de l'inverser, l'exercice tenté en 2007, celui du transfert de la responsabilité de la politique culturelle à  un seul des 46 acteurs institutionnels genevois (en 2007, c'était la Ville; en 2010, la tentation était forte d'opérer ce transfert vers le canton). Or inverser le sens d'une ânerie ne la rend pas moins ânerie que celle dont elle ne serait que le reflet, si on remplaçait le « qui paie commande » par le « je commande, tu paies » qui résume l'intention, à peine cachée, de quelques politiciens cantonaux. On passerait ainsi de l'ambition initiale de « faire ensemble » à un trivial « fais ce que je dis, pas ce que je fais », par lequel, plutôt que servir la politique culturelle, le canton s'en servirait pour régler ses vieux comptes avec la Ville.

Ce n'est pas d'un transfert de compétences dont la politique culturelle genevoise a besoin, mais d'engagements accrus. On ne peut donc se contenter de répartir autrement les moyens existants, ou, pire, des moyens réduits par les « réformes » fiscales annoncées. La volonté exprimée par la loi d'engager, enfin, sérieusement, le canton dans des investissements culturels de grande ampleur, et dans le soutien permanent aux institutions existantes, doit être saluée, mais elle doit aussi s'accompagner d'un engagement matériel cantonal supplémentaire, et important (de l'ordre de plusieurs dizaines de millions de francs en plus par année). Si cette condition  n'était pas remplie, la volonté qu'exprime la loi ne serait qu'une rhétorique hypocrite doublée d'une posture impuissante. Genève n'a besoin ni de l'une, ni de l'autre.
Et nous savons bien que de la posture à l'imposture, le chemin est bien court.