mercredi 15 novembre 2017

Saison des intempéries sur le Grand Théâtre


Coitus interruptus

Comme on le sait, le Grand Théâtre prend l'eau. Le 13 octobre dernier, le département municipal de Constructions et de l'Aménagement avait annoncé d'importantes infiltrations d'eau en sous-sol, retardant de quatre mois le chantier de rénovation du bâtiment de la place Neuve, et d'autant le retour de l'Opéra sur son site -ce qui du même coup l'empêche d'ouvrir chez lui sa saison 2018-2019, avec tout ce que cela implique de perturbations de sa programmation (exit, la Tétralogie wagnérienne prévue), de pertes de ressources et de dépenses supplémentaires à sa charge. Le PLR a d'ailleurs sauté sur l'occasion pour exiger (par voie de motion qui ne peut rien exiger, le Conseil administratif en faisant à peu près ce qu'il veut) la nomination d'un expert "indépendant". Et presque en même temps (c'est la saison des intempéries), le Conseil d'Etat annonçait qu'il renonçait à proposer au Grand Conseil que le canton prenne sa part de la "gouvernance" de la principale institution culturelle (hors l'école) de la région.


Le champ culturel n'est pas un jeu de legos, qu'on assemble ou disjoint à sa guise

Au printemps, on semblait proche d'un accord entre les exécutifs du canton et de la Ville de Genève sur la "gouvernance" et le financement du Grand Théâtre. La majorité de la commission des finances du Grand Conseil avait certes préavisé négativement la subvention cantonale de trois millions de francs au Grand Théâtre, mais le Grand Conseil l'avait finalement votée : elle restait de toute façon quatre fois moins importante que celle accordée par la Ville, laquelle se charge en outre des salaires de la moitié du personnel de l'institution, de l'entretien et de la rénovation du bâtiment et de l'équipement technique (au total, la Ville paie chaque année autour de 45 millions de francs pour "son" opéra). Le budget du Grand Théâtre, de 64 millions pour la saison 2017-2018, ne pouvait être équilibré si la subvention cantonale ne lui était pas accordée (elle avait d'ailleurs été inscrite au budget cantonal), alors même que les dépenses artistiques de l'opéra sont couvertes par les recettes des spectacles. La subvention cantonale avait finalement été accordée, mais il y a quelques jours, le Conseil d'Etat annonçait qu'il suspendait la négociation avec la Ville sur la répartition de leurs tâches, charges et responsabilités respectives dans le Grand Théâtre et qu'il se retirait du Conseil de Fondation de l'institution (dont au passage le président du gouvernement cantonal disait toute l'absence d'importance qu'il lui accordait). "Nous renonçons à mettre le pied dans le Grand Théâtre", résumait François Longchamp - à vrai dire, ce n'était pas son pied que la Ville attendait que le canton il y mette, mais un peu de sa tête. Il n'y mettra donc qu'un peu d'argent, sans garantie de pérennité.

Que signifie le coitus interruptus du canton ? D'abord, sans doute, une pression sur la Ville : la participation pérenne du canton à la "gouvernance" et au financement du Grand Théâtre est une garantie de sécurité pour l'institution, dont le déficit structurel, depuis plus de dix ans, est de plusieurs millions, et qui n'est tant bien que mal comblé qu'en prélevant une partie des recettes des spectacles -ce qui réduit les ressources artistiques de l'opéra. Se retirer de la Fondation, et ne pas garantir d'apport durable à son fonctionnement, c'est évidemment la prendre en otage mais c'est aussi exercer sur la Ville, dont dépend l'existence même du Grand Théâtre, une forme de chantage : soit vous faites ce qu'on vous dit de faire, soit vous assumez seuls les conséquences de votre refus de le faire.
Mais c'est aussi prendre le personnel du Grand Théâtre en otage : la majorité de celles et ceux qui y travaillent sont des employés de la Ville, au bénéfice du statut du personnel municipal. Le projet plane depuis des années d'une unification du statut de tout le personnel, non pas en incluant les employés de la Fondation dans le personnel municipal, mais en faisant passer les employés municipaux sous statut de droit privé. Le canton en fait même, explicitement, une condition d'un accord avec la Ville, alors que les personnel et ses syndicats se mobilisent contre "toute forme d'externalisation" de l'emploi dans l'institution.
Enfin, c'est bien dans le cadre, contesté et contestable, de la "répartition des tâches" entre le canton et les communes -ici, la Ville- qu'il faut replacer l'épisode. Négociée, s'agissant du champ culturel, directement entre les exécutifs de la Ville et du canton, sans concertation avec les acteurs culturels, ni avec le personnel des institutions concernées, elle trouve dans le conflit sur le sort du Grand Théâtre ses évidentes limites politiques. Le champ culturel n'est pas un jeu de legos, qu'on assemble ou disjoint à sa guise, ni un terrain vague dont on peut faire ce qu'on veut. Et s'il n'est pas surprenant que ce soit sur le sort de la principale institution culturelle du canton que s'immobilise cette "nouvelle répartition des tâches", c'est sans grands regrets qu'on prendra acte de cet échec. Pour que le canton et la Ville puissent "faire ensemble" une politique culturelle, il faut bien qu'ils le veuillent ensemble, et veuillent à peu près la même chose.
Et qu'ils n'oublient ni l'un, ni l'autre, qu'ils ne sont ni l'un, ni l'autre, les acteurs réels de la culture vivante -et qu'ils n'ont donc pas à prendre en otage le Grand Théâtre et les 300 personnes qui y travaillent.

dimanche 17 septembre 2017

«Pour une politique culturelle cohérente à Genève»



Une évidence à imposer

Une initiative populaire cantonale «Pour une politique culturelle cohérente à Genève» a été lancée par un groupe d'acteurs culturels, le 30 août dernier. Elle  propose d'inscrire dans la constitution genevoise les conditions d’une nouvelle politique culturelle, fondée sur une collaboration active entre les communes, les villes et le canton. Les initiants souhaitent que le canton coordonne, en concertation avec les communes, une politique culturelle dans les domaines de la création artistique (production et diffusion), du patrimoine, de l’accès à la culture et des appuis aux institutions et co-finance la création artistique et les institutions culturelles. Cette initiative s'inscrit, évidemment, dans le débat sur la "nouvelle répartition des tâches", après que le mouvement "Culture Lutte", pour qui les acteurs culturels se sont "fait avoir" par une négociation qui s'est faite"dans leur dos", ait diffusé une lettre ouverte, signée par 400 acteurs et actrices culturels genevois, alertant sur les conséquences du pseudo "désenchevêtrement" des tâches et actions culturelles entre les communes (à commencer par la Ville) et le canton.  Pour les initiants comme pour "Culture Lutte" et comme pour la gauche genevoise, il conviendrait à Genève que la politique culturelle se mène en assumant le  "faire ensemble" plutôt que le "chacun chez soi". Une évidence ? Sans doute. Mais on est à Genève, où les évidences ont parfois quelque peine à s'imposer. Alors si une initiative peut y concourir... Des listes de signatures peuvent être téléchargées sur
http://prenonslinitiative.ch/

Sous la répartition des tâches se niche, précautionneusement, l'épuration culturelle.


Dans une "déclaration conjointe" du 18 novembre 2015, la Ville et le canton annonçaient qu'un "désenchevêtrement" sera effectué dans le champ cuélturel pour les institutions "intermédiaires", l'aide à la création dans les arts de la scène, l'aide à la diffusion et au rayonnement, la politique du livre, les musées et diverses institutions jusque là financées à la fois par la Ville et le canton. Et cette "première phase" du "désenchevêtrement" dans le champ culturel interviendrait "dans le cadre du budget 2017"... Suivait, dans la déclaration, une liste dont on vous fait grâce, sauf à en relever l'incohérence, des bénéficiaires de subventions de la Ville qui seront reprises par le canton, de bénéficiaires de subventions du canton qui seront reprises par la Ville et de bénéficiaires de subventions croisées qui continueront à en être bénéficiaires, les "questions qui fâchent" (le Grand Théâtre, l'OSR, la Bibliothèque de Genève... mais surtout pas le Musée d'Art et d'Histoire...) étant remises à traitement ultérieur. Ces contradictions se retrouvent dans la loi : elle ne transfère pas les "grandes institutions" au canton, puisque la Nouvelle Comédie est remise intégralement à la Ville, que le MAH y reste, et que le sort du Grand Théâtre est pour le moins nébuleux. En ce qui concerne les domaines culturels, la cohérence de la répartition des tâches est tout aussi contestable : le théâtre va à la Ville, le cinéma au canton. La politique du livre passe au canton, les bibliothèques restent à la Ville. Et les conséquences de cette répartition sur la politique culturelle, son contenu, ses choix, pourraient bien se révéler perverses : ainsi, en faisant de la Ville le seul subventionneur du domaine théâtral, on contraint les deux théâtres publics (le Grütli et la Comédie) et les théâtres privés subventionnés, non seulement à ne plus dépendre désormais que d'une seule source de financement stable, mais aussi à devoir financer eux-mêmes les invitations à des compagnies extérieures (étrangères ou non).

Les initiants de "pour une politique culturelle cohérente à Genève" ne sont certes pas opposés à un désenchevêtrement, là où il y a quelque chose à "désenchevêtrer", ils sont opposés au "désenchevêtrement" dont a accouché la "nouvelle répartition des tâches" mise en oeuvre entre le canton et la Ville. L'enjeu, finalement, est assez clair : il s'agit d'éviter que la Ville et les autres communes menant réellement une politique culturelle se retrouvent seules ou presque à assumer le soutien à la création, pendant que l'effort du canton se concentre sur les grandes institutions (et encore, pas toutes : le fonctionnement de la Nouvelle Comédie sera entièrement à la charge de la Ville, et une majorité de droite de la commission du Grand Conseil refuse le projet du Conseil d'Etat d'accorder une modeste subvention cantonale au Grand Théâtre). Il s'agit aussi d'affirmer la nécessaire complémentarité entre les diverses sources de financement publiques, ce que d'ailleurs la loi cantonale sur la culture recommande. Certes, comme l'a relevé Sami Kanaan dans une réponse à la lettre ouverte de "Culture Lutte", la nouvelle répartition des tâches (LRT) en matière culturelle, si elle s'inscrit "dans un contexte politique particulièrement difficile pour la culture", avec des offensives constantes de la droite cantonale et de la droite municipale contre les budgets et contre les projets culturels (ainsi le PLR municipal a-t-il refusé d'entrer en matière sur l'installation d'un Pavillon de la Danse contemporaine...), mais, ajoute-t-il, "elle n'en est pas la source". Elle en est plutôt, en effet, le produit, et l'expression.

Dans ces conditions, et dans le rapport de force politique qui règne à Genève (surtout au niveau cantonal), c'est sans doute à tort que l'on prend les grandes institutions culturelles comme l'enjeu principal du débat. En réalité, le Grand Théâtre, la Nouvelle Comédie, l'OSR, le MAH, n'ont pas grand chose à craindre : nul ne se risquera à les mettre en réel danger -on se contentera de les mettre en difficultés, sans d'ailleurs que cela procède d'une stratégie délibérée : l'incompétence, l'inconsistance et l'inconstance y suffisent. Il en va tout autrement de la culture émergente, expérimentale : sur celle-là, ses lieux, ses acteurs, ses créateurs, et son public, pèse la menace d'une "rationalisation" administrative et technocratique sans projet culturel, mais avec, toujours, à droite, une sorte d'arrière-pensée : concentrons-nous sur les lieux de prestige (ou "d'excellence") et laissons tomber ses agitateurs et ces agitatrices dont le public n'a aucun intérêt électoral.

Sous la répartition des tâches se niche, précautionneusement, l'épuration culturelle.

samedi 8 juillet 2017

Appel : LE CINEMA "LE PLAZA" NE DOIT PAS ETRE DETRUIT





Vous trouverez ci-dessous (et sur https://www.fichier-pdf.fr/2017/07/06/appel-plaza/) le texte d'un appel à soutenir l'initiative populaire  pour sauver le cinéma "Le Plaza", menacé, pour de pures raisons de "rentabilité" financière, d'être détruit et remplacé par un centre commercial.

Nous vous invitons à signer cet appel en le renvoyant à son expéditeur (
pascal.holenweg@infomaniak.ch), et vous en remercions par avance.

Ensemble, nous pouvons faire reculer la loi du fric.

     

Appel : LE CINEMA "LE PLAZA" NE DOIT PAS ETRE DETRUIT
et nous soutenons donc l'initiative populaire législative
"Le Plaza ne doit pas mourir"


C'est, ou c'était (mais il peut-et doit-renaître) le plus beau cinéma genevois : "Le Plaza", à Chantepoulet. Aujourd'hui, le projet de ses propriétaire (qui n'ont jamais eu la moindre intention de reprendre son exploitation comme salle de cinéma, après que le groupe Metrociné l'ait abandonnée) est de le détruire pour y reconstruire à la place un centre commercial, et sous le centre commercial un parking (et sur le centre commercial, histoire de diluer un peu les objectifs purement financiers de l'exercice, des "logements pour étudiants" qu'on pourrait d'ailleurs parfaitement créer au-dessus du cinéma sans l'avoir détruit). Ce projet a obtenu l'autorisation de construire -et donc celle de détruire la salle- qui lui était nécessaire. Il l'a obtenue malgré toutes ses tares (à commencer par celle de nécessiter, pour pouvoir être autorisé, une dérogation générale à quasiment toutes les lois qu'un projet de ce genre est supposé respecter). Sous réserve du sort qui sera réservé à une opposition déposée contre cette autorisation de démolir et de construire, et compte tenu de la passivité, de la résignation et de l'inertie des autorités cantonales et municipales dans ce dossier*, il ne reste donc que la voix populaire qui puisse être assez forte pour sauver le Plaza et en faire le centre d'un véritable "quartier du cinéma". C'est cette voix que nous sollicitons, par une initiative proposant l'expropriation, pour cause d'utilité publique et au bénéfice de la Ville de Genève, de la société propriétaire de la salle.

Comme le rappelle le directeur de la Cinémathèque suisse, Frédéric Maire, "Se retirer du monde, dans le noir et en silence, avec des inconnus autour (de soi), (en se concentrant) pendant deux heures sur une seule activité, où le corps et la pensée ne sont pas divisés : seule la fascination du cinéma peut réaliser cela". C'est le "miracle du cinéma". Et il ne se produira jamais dans un centre commercial.
Et c'est ainsi qu'à Genève, se battre pour sauver une salle aussi emblématique (et aussi belle) que celle du Plaza, c'est se battre pour sauver le lieu d'un miracle.

Comme nous, soutenez et signez l'initiative populaire législative
"Le Plaza ne doit pas mourir"

Nom, prénom            ........................................................................................
Fonction, qualité       ........................................................................................

Des feuilles de signatures sont téléchargeables sur
https://www.facebook.com/PlazaCitta/

Pour plus d'informations et d'éléments de débat :
Groupe Facebook "Le Plaza ne doit pas être démoli"
http://fb.me/PlazaCitta
dialoguez sur http://m.me/PlazaCitta


samedi 17 juin 2017

L'Opéra otage


Partage ou répartition des tâches culturelles ?

Une majorité (PLR, UDC, MCG) de la commission des Finances du Grand Conseil s'est opposée à l'octroi en 2017 et 2018 d'une subvention cantonale au Grand Théâtre. Cette subvention devait engager le canton dans une participation pérenne au budget de l'Opéra, actuellement assumé, s'agissant des collectivités publiques, essentiellement par la Ville de Genève mais aussi, pour le complément, par les communes (via un fonds de l'Association des communes genevoises). Cette participation financière devait s'accompagner d'une entrée du canton dans le Conseil de fondation de l'institution. Bref, on allait peut-être s'engager dans un véritable partage (et non seulement une répartition) des tâches, et dans la concrétisation d'un principe de "faire ensemble", mais dont, apparemment, une majorité de députés cantonaux ne veulent pas. Et surtout, dont ils ne comprennent pas l'enjeu, pas plus qu'ils ne comprennent les enjeux de politique culturelle -ni même ne s'y intéressent. Avant d'espérer "boucler" le dossier de la répartition des tâches entre le canton, la Ville et les communes dans le domaine culturel, ne conviendrait-il pas d'ouvrir un programme d'alphabétisation des députés du Grand Conseil sur les enjeux de la politique culturelle ? A en juger par les débats, ou leur absence, au parlement cantonal  sur ces enjeux, un tel programme semble s'imposer d'urgence -à tel point qu'à comparer ces débats au parlement cantonal avec ceux, réguliers et parfois acharnés qu'on s'offre au parlement municipal, notre modestie foncière d'élus locaux s'en trouve douloureusement atteinte.




Dulcis in fundo

En novembre 2013, les deux magistrats en charge de l'essentiel de la politique culturelle genevoise, le Conseiller d'Etat Charles Beer et le Conseiller administratif Sami Kanaan, affirmaient de concert leur volonté de  faire travailler le canton et la Ville ensemble dans le champ culturel (six mois avant, une nouvelle loi cantonale sur la culture avait été adoptée par le Grand Conseil -mais cette loi n'avait pas pour objectif un hypothétique "désenchevêtrement"). En novembre 2015, le Conseil d'Etat et le Conseil administratif publiaient une "déclaration conjointe" redéfinissant "les compétences respectives du canton et de la Ville dans le domaine de la culture". Première traduction concrète ?  Pour arracher le soutien du PLR cantonal au financement du projet de Nouvelle Comédie, la Ville a dû prendre totalement, et seule, à sa charge le fonctionnement de la Nouvelle Comédie (et du Poche : le canton désertant la Fondation d'Art Dramatique qui chapeaute les deux théâtres). Deuxième épisode : la commission des finances du Grand Conseil refuse le partage des responsabilités sur le Grand Théâtre. Fini le "faire ensemble" et les responsabilités partagées : on se partage les institutions comme on se partagerait des territoires, avec pour mot d'ordre "chacun chez soi".

Le Grand Théâtre, l'Orchestre de la Suisse romande, la Bibliothèque de Genève, le Musée d'Art et d'Histoire : ces quatre institutions culturelles, dont le rôle et le rayonnement dépassent largement les limites de la Ville (mais également celles du canton) sont municipales. Doivent elles devenir cantonales, puisqu'en réalité elles sont régionales ? Et le canton est-il prêt à en assumer totalement la charge ?  Le canton, en tout cas, ne veut pas du musée. De son côté, si la Ville de Genève n'a aucune intention de "fermer les portes" du Grand Théâtre au canton -elle plaide depuis des années pour qu'il prenne sa part de la charge que représente l'opéra-, elle n'a pas non plus l'intention de devenir la concierge d'une institution dont le canton deviendrait maître.  Le canton assumerait-il toute la charge du Grand Théâtre, ou la partagerait-il avec la commune ? Parce que si la Ville, qui année après année assume les 45 millions (voire plus, si on y ajoute les investissements -la Ville s'apprête d'ailleurs à remettre quelques millions dans la rénovation du bâtiment de la place Neuve -la Ville, seule) de charge financière que représente le Grand Théâtre, est disposée à partager non seulement cette charge, mais aussi la responsabilité de l'institution -autrement dit : le pouvoir sur l'institution, dans une "gouvernance partagée", elle n'est pas prête à ce que ce partage la confine à un rôle aussi subalterne que coûteux, à ce qu'elle continue à payer le bâtiment, son entretien, sa rénovation, et les équipements, et le personnel, pendant que le canton ne se chargerait que de la subvention d'exploitation, qui représente moins du quart du coût total de l'opéra.

Avec le Grand Théâtre, on touche donc aux limites d'une "répartition des tâches" conçue comme un partage de territoire. Et on s'achemine vers un solide conflit, non pas tant entre la Ville et le canton, mais entre ceux qui considèrent que la politique culturelle est un enjeu considérable et ceux qui s'en foutent ou n'y comprennent rien, mais ont tout de même un pouvoir de nuisance, puisque de décision. Et à la faveur de ce conflit, on pourrait fort bien s'en offrir un autre : avec le personnel de la principale institution culturelle de toute la région (l'école mise à part). Si une institution ou une administration passe de la Ville au canton, le statut de son personnel change. Et plus encore si le canton "privatise" ce statut après avoir repris l'institution. Actuellement, plus de 150 employés de la fonction publique municipale sont affectés au Grand Théâtre. Le canton n'a aucune intention d'en faire des employés de sa propre fonction publique. Par qui seront-ils employés, à quelles conditions, sous quel statut si le canton reprend l'institution ? Et (dulcis in fundo) après quel conflit social ?

On suggérera donc, à tout hasard, à la nouvelle direction du Grand Théâtre de commander à quelque compositeur notable de notre temps une adaptation lyrique de "La Grève" d'Eisenstein : elle pourrait se révéler idoine pour l'ouverture d'une saison à venir.

vendredi 16 juin 2017

SAUVER LE PLAZA : UN ENJEU CULTUREL



SAUVER LE PLAZA, UN ENJEU CULTUREL

Nombre de salles de cinéma ont fermé à Genève ces quinze dernières années. Pour en maintenir plusieurs au centre-ville, et les maintenir en tant que cinémas indépendants, la Ville a accordé pour quatre d'entre elles, sur décision du Conseil Municipal, une subvention d'un peu moins de 4 millions de francs, en sus de son engagement dans les deux salles du Grütli et de son soutien au Spoutnik. Cet effort doit se poursuivre: il est pour nous inacceptable de transformer un espace culturel en centre commercial, même si on le fait surplomber de logements étudiants (qu'on peut d'ailleurs parfaitement installer au-dessus d'une salle de cinéma maintenue).
Il serait en outre totalement absurde que la collectivité publique accorde chaque année une aide de plusieurs millions de francs (2,5 millions rien que pour CinéForum) à la production de films sans se préoccuper du maintien de lieux où voir les fils ainsi produits -surtout si ces lieux ont, outre leur rôle culturel, une valeur patrimoniale majeure, comme le Plaza.

Les salles de cinéma genevoises accueillent chaque année 1,5 million de spectateurs (en chiffres cumulés). On n'est donc pas dans le cadre d'une demande culturelle marginale.

Inauguré en 1952, le Plaza était le plus grand cinéma genevois, avec ses 1250 places initiales. Il est fermé depuis onze ans, "faute de public" selon ses actuels propriétaires. Après onze ans d'inexploitation, la salle a besoin d'être réadaptée (en respectant sa conception) aux attentes actuelles du public.

Il est en effet difficilement concevable que le Plaza soit totalement converti en théâtre ou en salle de concert. En revanche. il est parfaitement concevable qu'il ne soit pas seulement une salle de cinéma, à l'exemple de l'ex-"Manhattan", devenu Auditorium Arditi...Cette salle ne se prête en effet pas à un autre usage que celui d'une salle de cinéma, ou éventuellement, et restrictivement, de spectacle. Il est surtout (et tel est le sens du projet que nous défendons) parfaitement concevable de faire du Plaza le lieu central d'un véritable "quartier du cinéma", au centre-ville, et à deux pas de la gare principale.


UN PROJET CULTUREL

Que faire du Plaza ? On peut en en élargir la fonction, le rôle, la place, sans attenter ni à son histoire, ni à sa configuration architecturale. Le sauvetage de l'ex-Manhattan, oeuvre lui aussi de Marc-Joseph Saugey, devenu l'Auditorium Arditi-Wilsdorf, prouve qu'il est possible de réaffecter au cinéma une salle de cinéma  patrimoniale, en respectant son architecture tout en la rénovant et en la rééquipant -et en élargissant sa fonction. Il est possible de le faire, comme il est possible d'installer dans cette salle, sans l'altérer, l'appareillage technique et les éléments de conforts attendus par le public le plus exigeant.
Le Plaza a toutes les qualités nécessaires à un projet culturel : il est au centre ville, accessible facilement par transports publics, à deux pas de la gare et des quais, et entouré d'un espace qui peut être requalifié, et dans lequel des activités en lien avec la sienne -le cinéma- peuvent être proposées, de telle manière qu'il redevienne un lieu de socialisation, de sorties, de visites. La ville de Genève n'abrite plus aucune grande salle de cinéma prestigieuse  : soit elles ont disparu, comme le Rialto, soit elles sont été réaffectées, comme le Paris-Manhattan ou l'Alhambra. Une salle comme le Plaza pourrait accueillir des manifestations publiques importantes, comme le prix du cinéma suisse.
Un cinéma n'est pas seulement un lieu de projection : c'est un espace social -et c'est peut-être de l'avoir oublié que des salles ont périclité. La programmation joue ici un rôle déterminant : plus l'offre est large, plus le public est large, et plus facilement une partie de ce public se rendra dans une salle non seulement pour y voir un film, mais aussi pour tout ce que la salle peut, autour du film, à son propos ou son prétexte ou non, proposer. Car autour d'un film, on peut proposer des événement, des spectacles, des expositions, des prolongements au film et des accompagnement du film -et des spectateurs... Et il faut donner à un nouveau public l'envie de se déplacer vers la salle de cinéma, et à un ancien public l'envie d'y revenir. L'aménagement matériel du lieu joue ici un rôle important : plus il sera chaleureux, convivial et confortable, (et plus l'accueil, la réception du public y sera de qualité, plus il sera qualitativement supérieur aux multiplexes, plus le public aura envie de s'y rendre -de se rendre en un lieu qui ne sera pas seulement une salle de projection, mais aussi un café-restaurant, une librairie, un espace d'exposition -pas seulement un lieu de spectacle, mais aussi un lieu de rencontres, dans ce qui n'est pas seulement un lieu que l'on peut investir pour en faire le coeur d'un "quartier du cinéma", mais qui est aussi une oeuvre d'art.


Des feuilles de signatures pour l'initiative "Le Plaza ne doit pas mourir"  sont téléchargeables sur http://www.fichier-pdf.fr/2017/05/24/initiative-populaire-cantonale-lEgislative-formulEe-plaza/

mardi 6 juin 2017

SAUVER LE PLAZA : UN ENJEU PATRIMONIAL ET ARCHITECTURAL


"Il est important de rappeler l'intérêt que représente le Plaza construit au début des années cinquante. La conception hardie de sa structure avec ses grandes fermes en aluminium, la galerie intermédiaire du foyer qui, pendant l'entracte, avant et après la représentation peut s'ouvrir d'un côté de la salle, assurent à cet ensemble une qualité spatiale remarquable que l'on découvre également en arrivant dans le lobby."
 Robert Frei, in Le Cinéma Manhattan à Genève, révélation d'un espace, Association pour la sauvegarde du cinéma Manhattan et NLDA, Nouvelle librairie d'architecture, Genève, 1992, p. 42

C'est un vrai chef d'oeuvre que nous voulons sauver, en le ressuscitant et en en faisant le coeur d'un lieu culturel nouveau, voué essentiellement (mais non exclusivement) au cinéma.

Le bâtiment abritant la salle du Plaza, construit par le même architecte que la salle, Marc-André Saugey, a été classé en 2004, malgré l'opposition du propriétaire. Il a été classé parce qu'il est exemplaire de l'innovation architecturale de l'époque, et qu'il le reste après les rénovations qui y ont été effectuées en 1997. Hélas, le Conseil d'Etat a retiré la salle de cette mesure de protection en s'appuyant sur une "expertise" sur la rentabilité de la salle, expertise rendue par l'ancien exploitant Frank Stell, qui a bien entendu émis un rapport défavorable puisqu'il avait renoncé à l'exploitation de la salle précisément parce qu'elle ne lui rapportait pas assez. La salle n'est donc pas classée alors qu'elle est aussi exemplaire que le bâtiment qui l'abrite et qui, lui, est classé. Cette contradiction inexplicable autrement que par la soumission au seul argument du profit financier, menace aujourd'hui le Plaza de destruction pure et simple.

L'état de la salle est préoccupant, mais rien n'est irrémédiable. Elle a d'ailleurs été rénovée en 1997, sans atteinte à son enveloppe, et en 2004, après le rachat du bâtiment par la SA Mont-Blanc Centre, ses façades, ses toitures, ses colonnes, son chauffage, sa climatisation et ses ascenseurs ont été complètement rénovés.

"La construction du cinéma Plaza a été une extraordinaire aventure; c'est probablement une des oeuvres dans lesquelles Saugey et moi avons investi la meilleure part de notre potentiel en créativité, en ingéniosité et en témérité. Dans notre fascination pour une construction en aluminium, nous avons entraîné M. Maurice Cosanday, alors directeur des ateliers de construction Zwahlen & Mayr à Lausanne et jeune professeur à l'EPFL. M. Cosanday s'est enthousiasmé pour notre projet et nous a beaucoup encouragés. Il n'y a pas lieu d'exposer ici les détails de la construction de ce cinéma ni les problèmes techniques que j'ai dû résoudre. Mais il est intéressant de savoir par quelles réflexions successives Saugey, ses collaborateurs et moi-même avons mis au point le projet définitif.
Dans un premier temps j'ai proposé une voûte mince en béton. Pour Saugey un tel projet était dépassé et manquait d'originalité, car cela revenait selon lui à construire deux fois le plafond de la salle, d'abord en bois pour le coffrage, ensuite en béton pour le couvrir. J'ai alors imaginé une structure en acier avec un plafond en plâtre suspendu. Au fur et à mesure que le projet s'affinait, Saugey posait des exigences architecturales et décoratives toujours plus strictes. La charpente métallique devait être non seulement la structure porteuse de la toiture, mais aussi l'architecture plastique et décorative de la salle; nous avons étudié de très nombreuses variantes, mais Saugey n'était jamais satisfait.
Un jour j'ai eu l'idée de remplacer l'acier par le métal léger; la charpente du Plaza devint une charpente en aluminium. C'est alors que débuta ma plus belle aventure avec Saugey. Comme toute entreprise humaine, elle a commencé dans la passion de la découverte de technologies nouvelles, s'est poursuivie dans l'obstination à surmonter les obstacles techniques et financiers, pour se terminer dans l'improvisation des modes de faire. L'idée d'une charpente en aluminium a eu un attrait magique sur tous ceux qui travaillaient à la construction du Plaza. Elle est aussi devenue le levier qui a promu le métal léger dans la construction du bâtiment à Genève. Le Plaza a été une grande réussite tant sur le plan technique qu'architectural; il a fait l'objet de plusieurs publications dans les revues professionnelles. De nombreux architectes étrangers l'ont visité et ont consulté Saugey. "

Pierre Froidevaux, Le Cinéma Manhattan à Genève, révélation d'un espace, Association pour la sauvegarde du cinéma Manhattan et NLDA, Nouvelle librairie d'architecture, Genève, 1992, p. 27

Des feuilles de signatures pour l'initiative "Le Plaza ne doit pas mourir" sont téléchargeables sur
http://www.fichier-pdf.fr/2017/05/24/initiative-populaire-cantonale-lEgislative-formulEe-plaza/

Plus d'infos : Groupe Facebook "Le Plaza ne doit pas être démoli"
http://fb.me/PlazaCitta

vendredi 2 juin 2017

Lancement d'une initiative populaire "Le Plaza ne doit pas mourir"



C'est un vrai chef d'oeuvre que nous voulons sauver, en le ressuscitant et en en faisant le coeur d'un lieu culturel nouveau, voué essentiellement (mais non exclusivement) au cinéma : le Plaza, que ses propriétaires veulent démolir pour installer à sa place... un centre commercial de plus. Compte tenu de la limitation formelle des possibilités données aux citoyens et aux citoyennes de faire opposition à une autorisation de démolir et de construire, même s'agissant d'un élément dont la valeur patrimoniale est reconnue, et compte tenu de la passivité, de la résignation et de l'inertie des autorités cantonales et municipales dans ce dossier, il ne reste donc que la voix populaire qui puisse être assez forte pour sauver le Plaza. C'est cette voix que nous sollicitons, par une initiative populaire législative proposant l'expropriation, pour cause d'utilité publique et au bénéfice de la Ville de Genève, de la société propriétaire de la salle.
L'initiative devra obtenir 7524 signatures valables, dans un délai de quatre mois à dater du 1er juin.
Des feuilles de signatures sont téléchargeables sur

www.fichier-pdf.fr/2017/05/24/initiative-populaire-cantonale-lEgislative-formulEe-plaza/www.fichier-pdf.fr/2017/05/24/initiative-populaire-cantonale-lEgislative-formulEe-plaza/

Le déclassement du Plaza : un précédent calamiteux

Le projet des propriétaire du Plaza de le détruire pour y reconstruire à sa place un centre commercial, et sous le centre commercial un parking (et sur le centre commercial, des « logements pour étudiants »  histoire de diluer un peu les objectifs purement financiers de l'exercice) a obtenu l'autorisation de construire -et donc celle de détruire la salle- qui lui était nécessaire. Il l'a obtenue malgré toutes ses tares (à commencer par celle de nécessiter, pour pouvoir être autorisé, une dérogation générale à quasiment toutes les lois qu'un projet de ce genre est supposé respecter), après des années de procédures, puisque le Conseil d'Etat a eu l'étrange idée de « déclasser » une salle classée et intégrée dans un ensemble architectural classé. Un précédent calamiteux pour la défense du patrimoine architectural. C'est un vrai chef d'oeuvre que nous voulons sauver, en le ressuscitant et en en faisant le coeur d'un lieu culturel nouveau, voué essentiellement (mais non exclusivement) au cinéma.

Le bâtiment abritant la salle du Plaza, construit par le même architecte que la salle, Marc-André Saugey, a été classé en 2004, malgré l'opposition du propriétaire. Il a été classé parce qu'il est exemplaire de l'innovation architecturale de l'époque, et qu'il le reste après les rénovations qui y ont été effectuées en 1997. Hélas, le Conseil d'Etat a retiré la salle de cette mesure de protection en s'appuyant sur une "expertise" sur la rentabilité de la salle, expertise rendue par l'ancien exploitant Frank Stell, qui a bien entendu émis un rapport défavorable puisqu'il avait renoncé à l'exploitation de la salle précisément parce qu'elle ne lui rapportait pas assez. La salle n'est donc pas classée alors qu'elle est aussi exemplaire que le bâtiment qui l'abrite et qui, lui, est classé. Cette contradiction inexplicable autrement que par la soumission au seul argument du profit financier, menace aujourd'hui le Plaza de destruction pure et simple.

L'état de la salle est préoccupant, mais rien n'est irrémédiable. Elle a d'ailleurs été rénovée en 1997, sans atteinte à son enveloppe, et en 2004, après le rachat du bâtiment par la SA Mont-Blanc Centre, ses façades, ses toitures, ses colonnes, son chauffage, sa climatisation et ses ascenseurs ont été complètement rénovés.

Un enjeu urbanistique


Le plan d'utilisation des sols pose comme principe le maintien de l'affectation initiale des surfaces faisant l'objet d'une rénovation ou d'un changement de propriétaire, sauf s'il est avéré que ce maintien est impossible pour des raisons financières.

Les lieux d'animation, dont les cinémas, doivent donc conserver "en règle générale leur catégorie d'activité en cours d'exploitation". Autrement dit : ce qui est un cinéma doit rester un cinéma, ou à tout le moins une salle de spectacle, à moins de prouver qu'il est impossible de la rentabiliser. D'où les efforts considérables déployés par les propriétaires actuels pour le prouver, avec l'aide de l'ancien exploitant - certains considérant d'ailleurs que la première cause du défaut de rentabilité de la salle était une programmation médiocre, dont quelques uns se demandaient malignement (les gens sont méchants) si elle ne l'était pas volontairement...

Un enjeu culturel

Les salles de cinéma genevoises accueillent chaque année 1,5 million de spectateurs (en chiffres cumulés). On n'est donc pas dans le cadre d'une demande culturelle marginale. Pourtant, nombre de salles de cinéma ont fermé à Genève ces quinze dernières années. Pour en maintenir plusieurs au centre-ville, et les maintenir en tant que cinémas indépendants, la Ville a accordé pour quatre d'entre elles, sur décision du Conseil Municipal, une subvention d'un peu moins de 4 millions de francs, en sus de son engagement dans les deux salles du Grütli et de son soutien au Spoutnik. Cet effort doit se poursuivre: il est pour nous inacceptable de transformer un espace culturel en centre commercial, même si on le fait surplomber de logements étudiants (qu'on peut d'ailleurs parfaitement installer au-dessus d'une salle de cinéma maintenue). Il serait en outre totalement absurde que la collectivité publique accorde chaque année une aide de plusieurs millions de francs (2,5 millions rien que pour CinéForum) à la production de films sans se préoccuper du maintien de lieux où voir les films ainsi produits -surtout si ces lieux ont, outre leur rôle culturel, une valeur patrimoniale majeure, comme le Plaza.

Inauguré en 1952, le Plaza était le plus grand cinéma genevois, avec ses 1250 places initiales. Il est fermé depuis onze ans, "faute de public" selon ses actuels propriétaires. Après onze ans d'inexploitation, la salle a besoin d'être réadaptée (en respectant sa conception) aux attentes actuelles du public. Il est en effet difficilement concevable que le Plaza soit  converti en théâtre ou en salle de concert. En revanche. il est parfaitement concevable qu'il ne soit pas seulement une salle de cinéma, à l'exemple de l'ex-"Manhattan", devenu Auditorium Arditi...Il est surtout parfaitement concevable de faire du Plaza le lieu central d'un véritable "quartier du cinéma", au centre-ville, et à deux pas de la gare principale.

Un projet culturel

Que faire du Plaza ? On peut en en élargir la fonction, le rôle, la place, sans attenter ni à son histoire, ni à sa configuration architecturale. Le sauvetage de l'ex-Manhattan, oeuvre lui aussi de Marc-Joseph Saugey, devenu l'Auditorium Arditi-Wilsdorf, prouve qu'il est possible de réaffecter au cinéma une salle de cinéma  patrimoniale, en respectant son architecture tout en la rénovant et en la rééquipant -et en élargissant sa fonction. Il est possible de le faire, comme il est possible d'installer dans cette salle, sans l'altérer, l'appareillage technique et les éléments de conforts attendus par le public le plus exigeant.
Le Plaza a toutes les qualités nécessaires à un projet culturel : il est au centre ville, accessible facilement par transports publics, à deux pas de la gare et des quais, et entouré d'un espace qui peut être requalifié, et dans lequel des activités en lien avec la sienne -le cinéma- peuvent être proposées, de telle manière qu'il redevienne un lieu de socialisation, de sorties, de visites. La ville de Genève n'abrite plus aucune grande salle de cinéma prestigieuse  : soit elles ont disparu, comme le Rialto, soit elles sont été réaffectées, comme le Paris-Manhattan ou l'Alhambra. Une salle comme le Plaza pourrait accueillir des manifestations publiques importantes, comme le prix du cinéma suisse.
Un cinéma n'est pas seulement un lieu de projection : c'est un espace social -et c'est peut-être de l'avoir oublié que des salles ont périclité. La programmation joue ici un rôle déterminant : plus l'offre est large, plus le public est large, et plus facilement une partie de ce public se rendra dans une salle non seulement pour y voir un film, mais aussi pour tout ce que la salle peut, autour du film, à son propos ou son prétexte ou non, proposer. Car autour d'un film, on peut proposer des événement, des spectacles, des expositions, des prolongements au film et des accompagnement du film -et des spectateurs... Et il faut donner à un nouveau public l'envie de se déplacer vers la salle de cinéma, et à un ancien public l'envie d'y revenir. L'aménagement matériel du lieu joue ici un rôle important : plus il sera chaleureux, convivial et confortable, (et plus l'accueil, la réception du public y sera de qualité), plus il sera qualitativement supérieur aux multiplexes, plus le public aura envie de s'y rendre -de se rendre en un lieu qui ne sera pas seulement une salle de projection, mais aussi un café-restaurant, une librairie, un espace d'exposition -pas seulement un lieu de spectacle, mais aussi un lieu de rencontres, dans ce qui est une oeuvre d'art.

Etat des choses

L'initiative populaire que nous lançons est aussi une réponse à la passivité, pour ne pas dire la complicité, des autorités cantonales et municipales face à la volonté des propriétaires du Plaza de transformer cette salle de cinéma en centre commercial -comme si Genève en manquait.
Les propriétaires du bâtiment (la SA Mont-Blanc Centre), n'ont jamais eu l'intention d'y maintenir la salle de cinéma, même rénovée : ils veulent la démolir pour en faire un centre commercial, avec des logements pour étudiants dans les étages supérieurs. Ils ont déposé une demande d'autorisation de démolir la salle, autorisation qu'ils ont obtenue, ainsi que celle de construire leur projet.

La Ville de Genève avait délivré un préavis négatif à l'autorisation de démolir. Le canton n'en a pas tenu compte, la Ville a renoncé à combattre la démolition et ne s'est donc pas opposée au projet de construction.

Par ailleurs, sans attendre d'obtenir l'autorisation de démolition, et à plus forte raison sans attendre que cette autorisation puisse prendre effet puisqu'aucune autorisation de construire n'avait encore été délivrée, il semble que les propriétaires aient tenté, voire commencé, de vider la salle de son mobilier (notamment de ses sièges, de ses équipements intérieurs et de son matériel de projection).

Une pétition signée par 1756 personnes s'opposant à la démolition du Plaza et demandant le maintien du cinéma a été déposée à l'intention du Conseil Administratif et du Conseil Municipal. La Commission des pétitions a reçu les pétitionnaires, mais aucun rapport n'a été rendu au Conseil municipal, qui ne s'est donc pas prononcé sur cet objet.

Une motion reprenant les termes de la pétition a également été déposée au Conseil municipal. Renvoyée pour étude à la Commission des Arts & de la Culture, elle a été soutenue par celle-ci, mais là encore, aucun rapport n'a été rendu au Conseil municipal, ni, par voie de conséquence, été inscrit à son ordre du jour.

L'initiative populaire législative « Le Plaza ne doit pas mourir » peut sembler être le combat du pot de terre contre le pot de fer, tant les moyens des opposants à la démolition paraissent dérisoires face à ceux des démolisseurs.
Mais c'est le combat de la toile contre le fric, du cinéma contre le souk, de la culture contre la marchandise.

Pourquoi sauver le Plaza ?
D'abord, parce que c'est nécessaire;
Ensuite, parce que c'est légitime;
Enfin, parce que c'est possible...

... pour que ne disparaisse pas une salle de cinéma de plus, et que l'une des plus belles salles de cinéma de Suisse ne soit pas transformée en un souk de plus pour de pures raisons de rentabilité financière.

lundi 15 mai 2017

Des musées, pourquoi ? y faire quoi, et leur faire dire quoi ?


Exposition, colloque et statistiques sur les musées : Des musées, pourquoi ? y faire quoi, et leur faire dire quoi ?

Du 11 mai au 20 août se tiendra au MAH une exposition sur le thème des "Musées du XXIe siècle - visions, ambitions, défis", avec, les 1er et 2 juin, un colloque consacré à l'avenir des musées (programme :
www.mah-geneve.ch) dont débattront architectes, sociologues, directeurs de musées et muséologues. "Musées du XXIe siècle", au pluriel. Au pluriel aussi, "visions, ambitions, défis". L'exposition passe en revue seize musées, choisis au sein de 200 nouveaux musées, déjà réalisés ou en projet. Le pluriel s'impose, parce que LE  musée du XXIe siècle n'existe pas, ni comme référence unique, ni comme Idealtype. Mais LES musées du XXIe siècle, eux, existent, différents, voire contradictoires dans leurs projets, leurs rôles, leur matérialité. Quant aux musées des siècles précédents, la première statistique suisse sur ce qu'ils représentent, quantitativement, en fait les premiers lieux et les premières institutions culturelles du pays, loin devant les lieux de concerts et de spectacles musicaux, les salles de cinéma, les théâtres. Exposition, colloque et statistiques ont de quoi nourrir les débats genevois sur l'avenir du Musée d'Art et d'Histoire -et les nourrir avec une interrogation judicieuse, comme première question à se poser : un "grand musée" pour y faire quoi, et pour dire quoi ?

Etre autre chose (et plus) qu'un musée sans cesser d'être un musée : vaste programme...

Dans la présentation du colloque des 1er et 2 juin sur le thème "Musées du XXIe siècle", ses organisateurs évoquent "la décomposition, du moins partielle, d'une forme de modèle classique et immuable de musée", celle, précisément, dont le Musée d'Art et d'Histoire de Genève témoigne -et qui a commencé à être mise à mal dans les années septante, avec notamment l'ouverture de Beaubourg : le musée, désormais, est un centre culturel, plus seulement le lieu d'exposition d'un patrimoine. Mais, écrivent aussi les organisateurs du colloque, si l'ancien modèle "tend aujourd'hui à disparaître, aucun archétype nouveau n'est venu s'y substituer, tout au moins de manière stabilisée, et le musée du XXIe siècle semble devoir encore être défini". Or la première question qui se pose pourrait bien être de savoir si LE musée du XXIe siècle doit être "défini", s'il doit y en avoir un archétype, ou si précisément l'absence d'un tel archétype n'offre pas la possibilité d'inventer quelque chose de réellement nouveau, qui ne corresponde pas à un modèle mais à une situation et un moment précis. Par exemple, Genève, aujourd'hui...

Trois rapports doivent contribuer à dessiner l'avenir du Musée d'Art et d'Histoire genevois : celui, d'abord, de la commission (externe et indépendante) d'experts nommés par Sami Kanaan, et présidée par Jacques Hainard et Roger Mayou, chargée d'étudier un nouveau projet muséal. Elle devrait livrer un premier rapport en juin ou juillet, et présenter plusieurs scenarii à Sami Kanaan : pas des projets architecturaux, mais des projets muséaux. On a enfin mis les boeufs avant la charrue, enfin commencé par le commencement, le contenu avant le contenant -la réflexion sur l'identité et le rôle du musée avant de se demander si on va ou non séparer l'art et l'histoire, construire ou non un nouveau musée (dans le PAV, par exemple), investir ou non le bâtiment de l'école des Beaux Arts. "Action Patrimoine Vivant", qui s'était opposée (victorieusement) au projet Nouvel-Jucker de rénovation et d'extension du bâtiment historique, va également rendre, à peu près en même temps que la commission d'experts, un rapport sur les attentes à l'égard du musée. Et l'architete Daniel Rinaldi, de Patrimoine Suisse (également dans le camp des opposants au projet Nouvel-Jucker) rendra à l'automne un rapport sur le "contenant" du musée -le bâtiment Camoletti et ses extensions possibles- et son contenu matériel (les expositions). A ces trois rapports pourraient s'en ajouter un quatrième, rétrospectif celui-là, si la Cour des Comptes acquiesce à la demande que lui fait la Commission des Finances d'examiner les modalités d'attribution par la Ville à Jean Nouvel et à ses associés genevois du mandat de rénovation du musée.  Ajoutons à  cela deux propositions déposées au Conseil municipal de la Ville, l'une demandant le limogeage de l'actuel directeur du MAH, Jean-Yves Marin (qui quittera de toute façon son poste l'année prochaine, ce qui limite considérablement l'intérêt d'une motion en la faisant plutôt tenir du règlement de compte), et l'autre proposant la création d'une Fondation du MAH, à l'image de celle du Grand Théâtre (cette proposition mérite d'être étudiée, mais sans illusion sur la portée réelle du changement qu'elle suggère). Bref, si vous avez aimé les débats des années dernières sur le MAH, vous allez adorer les débats qui s'annoncent. Du moins offriront-ils peut-être l'occasion d'une réflexion collective sur le projet muséal, le rôle du musée, sa place dans la Cité, son identité culturelle.

Dans un éditorial de la revue du Musée d'Ethnographie de Genève ("Totem" N° 68), son directeur, Boris Wastiau, assignait aux musées la mission de promouvoir les "valeurs humanistes d'ouverture sur autrui et de tolérance", y compris à l'égard de "valeurs différentes, voire opposées aux nôtres, dans les limites du respect de la personne humaine". Promouvoir des valeurs humanistes en tolérant des valeurs anti-humanistes, dans le respect de la différence et de la personne humaine. Fait-on plus consensuel, plus œcuménique ? Tout le monde peut en effet s'y retrouver : les libertaires et les fascistes, les athées et les intégristes, les individualistes et les totalitaires... et pour faire quoi, pour dire quoi, pour voir quoi ? Pour développer la connaissance, répond Wastiau, car c'est l'ignorance qui "engendre la peur et le rejet" alors que "la connaissance nous fait évoluer vers une prise de conscience et un regain  de confiance"... vieille illusion, cependant : Goebbels n'était ni un analphabète, ni un imbécile. Alors quoi ? Que faire de nos musées, si on ne se contente pas d'en faire les cathédrales de la tolérance à tout, y compris à ceux qui ne tolèrent qu'eux-mêmes ? Etre autre chose (et plus) qu'un musée sans cesser d'être un musée : vaste programme...

vendredi 24 mars 2017

Musée d'Art et d'Histoire de Genève : Scories, répliques et règlements de comptes


Musée d'Art et d'Histoire de Genève : Scories, répliques et règlements de comptes

Vingt ans après l'attribution du mandat de rénovation du Musée d'Art et d'Histoire, et un an après le refus en votation du projet issu de ce mandat, on continue à Genève à s'agiter autour du MAH. A s'agiter bruyamment, mais aussi à réfléchir, plus discrètement. La Commission des Finances du Conseil municipal de la Ville de Genève invite la Cour des Comptes à analyser la légalité de l''attribution en 1998 du projet de rénovation (mais pas encore d'extension) du Musée d'Art et d'Histoire, projet refusé en votation populaire il y a un an. Un soupçon d'illégalité de la procédure d'appel d'offres plane, et le coût du projet est passé de 10 millions de francs (mais pour une rénovation sans extension) au moment de l'attribution du mandat à 137 millions au moment de l'acceptation du projet par le Conseil municipal. Dans le même temps que la démarche de la Commission des finances auprès de la Cour des Comptes, deux propositions politiques sont tombées dans l'ordre du jour du parlement de la Ville : l'une d'"Ensemble à Gauche", qui veut la tête du directeur actuel du musée, l'autre de l'UDC, qui veut qu'une fondation du musée se substitue à l'actuelle gestion directe par la commune. Et pendant que les élus municipaux  s'agitent, la commission d'experts nommée par le Conseil administratif pour élaborer des propositions de contenu muséal, d'identité et de fonction culturelles et dessiner le cadre d'un projet concret pour le MAH, annonce qu'elle livrera ses premiers travaux en juin prochain. Elle aura d'ici là auditionné toutes celles et tous ceux qui ont quelque chose à dire sur cet enjeu et ce dossier, qu'elles et ils aient été partisans ou adversaires du projet refusé en vote populaire.


Il faut donc que le musée raconte une histoire -mais laquelle ?

Définir les besoins, élaborer un contenu (un programme muséal) puis un projet en fonction de ces besoins et de ces contenus : la méthode choisie, après l'échec du projet Nouvel-Jucker de rénovation-extension du MAH, par la Ville, est la bonne -à dire vrai, c'est même la seule qui, à Genève, puisse aboutir à quelque chose qui en vaille l'effort politique et l'investissement financier : Construire un nouveau musée, plus ambitieux que le bâtiment Camoletti rénové, et le construire dans un autre quartier, par exemple dans le secteur du PAV ? Séparer le musée d'art du musée d'histoire ? S'étendre dans le quartier actuel pour un faire un "pôle muséal" en récupérant le vieux bâtiment des Beaux-Arts, y articuler le MAH "central" avec ses "filiales" (Estampes, horlogerie, instruments de musique) ? Tout doit être ouvert, et en vérité, tout est ouvert. Et c'est bien ainsi, pour autant qu'on ait répondu à la question du contenu avant de répondre à celle du contenant.

Autant dire qu'on se contrefout, ici, de savoir s'il y a vingt ans, la procédure d'appel d'offres était régulière ou non, de savoir si le directeur actuel restera directeur jusqu'à l'année prochaine ou sera remplacé dans six mois, et de savoir si le MAH continuera à être une administration municipale ou deviendra une fondation de droit public -la Ville continuant de toute façon à en assumer la charge financière, puisque le MAH, qui avait pourtant toutes les caractéristiques d'une institution d'importance au moins cantonale, restera une institution municipale au terme du marchandage dit de "répartition des tâches" culturelles entre le canton et la Ville de Genève : le canton s'est en effet bien gardé de proposer de reprendre le musée à son compte -sa gourmandise le porte plutôt vers le Grand Théâtre.

Le projet de rénovation et d'extension du Musée d'Art et d'Histoire aurait du obliger le musée et la Ville à s'interroger sur le rôle même du musé, à profiter de l'occasion pour changer de musée. Changer d'ère, sortir du temps du réformisme culturel né à la sortie de la Guerre Mondiale, et que dans les années soixante incarnèrent à merveille en France un ministre comme André Malraux, des acteurs culturels comme Jean Vilar ou Henri Langlois, un projet comme le Centre Beaubourg (devenu Centre Pompidou)... Sortir de ce temps où la mission d'un musée est de conserver (mission patrimoniale), donner à voir et expliquer (mission pédagogique), étudier (mission scientifique), et où la mesure de sa capacité à remplir cette mission est sa fréquentation, la consommation que "le public" en fait, mesure qui, lorsqu'on la privilégie, arase, écrase, aplanit les contenus jusqu'à les rendre à la fois interchangeables et hiérarchisables : il y a plus de public pour voir la Joconde que pour voir L'Homme qui Marche ? La Joconde vaut donc mieux que L'Homme qui marche...

Le MAH a été initialement conçu, et fonctionne depuis plus d'un siècle, comme un musée "encyclopédique", et sa direction, ne faisait pas mystère de son intention de rester dans le cadre de cette conception... Mais une encyclopédie repose, avant même que d'être un "rassemblement symbolique d'objets", sur un projet culturel, voire explicitement politique, qui détermine à la fois l'ordre systématique de ce qu'elle présente (le système n'est pas donné par la nécessité de l'ordre, c'est l'ordre qui est déterminé par un système préalablement conçu) et la logique qu'on veut en tirer : Diderot, d'Alembert, d'Holbach, savent où ils veulent aller avant même d'avoir écrit le premier mot du premier article de leur Encyclopédie, et celle-ci est un instrument de leur projet politique...

Il faut donc que le musée raconte une histoire, et pas une histoire qui n'ait de sens que pour le musée : une histoire qui en ait pour les visiteurs -pour chacun-e d'entre elles et eux. Cette histoire doit partir de la leur, parce qu'il faut bien l'avouer : on s'en fout un peu, du contexte historique, culturel, religieux, de "la Pêche Miraculeuse", on se demande plutôt : qu'est-ce qu'elle nous dit de nous, aujourd'hui ? Si le feuilleton du MAH pouvait aboutir à cette "repensée" du musée par la Ville qui s'en dote, il n'aurait pas été vain.

(Du 11 mai au 20 août, le Musée d'Art et d'Histoire de Genève accueille une exposition sur le thème "Musées du XXIe siècle : ambitions, visions, défis")

mardi 21 février 2017

Quand le public retrouve les salles : Le "miracle du cinéma "


Intéressant entretien, dans le journal patronal "Entreprise Romande", avec la présidente du Groupement des cinémas indépendants genevois, Patricia Dumont, par ailleurs patronne du cinéma "Bio" de Carouge, sauvé par une intervention militante, relayée par la Ville. Le Groupement rassemble tous les cinémas indépendants de Genève, c'est-à-dire en fait tous les cinémas genevois (y compris ceux du Grütli) sauf les salles Pathé.
Première bonne nouvelle donnée par Patricia Dumont : l'année 2016 a été une bonne année pour le 7ème Art à Genève, et en particulier pour les salles indépendantes : les Scala, par exemple, ont franchi la barre des 100'000 spectateurs pour la première fois depuis 14 ans. Et 2016 a aussi été l'année lors de laquelle le Conseil municipal a accepté la proposition du Conseil administratif de soutenir, pour 3,46 millions de francs, la rénovation de quatre salles indépendantes (le City-la rénovation a été faite, le cinéma a rouvert-, les Scala, le Lux et le Nord-Sud). Ce soutien n'est pas une subvention aux exploitants, qui tournent depuis toujours sans subvention, parce que le public genevois est cinéphile, et fidèle à ses salles indépendantes, mais une aide à la mise à niveau matérielle des lieux de projection. Cette mise à niveau était indispensable, et les salles qui en ont bénéficié restent des salles privées. Mais surtout, il répond à un mouvement qui se constate ailleurs, celui d'un retour parfois massif du public dans les salles de cinéma. Malgré les coassements des oiseaux de mauvaise augure.


Se battre pour sauver, même contre ses propriétaires, le lieu d'un miracle.

Or donc, le public revient dans les salles de cinéma, alors que de
toutes parts (y compris au Conseil municipal de la Ville de Genève, dans
les rangs de ceux qui, à droite, s'opposaient à ce que la Ville soutienne les cinémas indépendants) était annoncée la mort du cinéma en salles, tué par le DVD, la vidéo à la demande et le téléchargement. Eh bien non, le cinéma en salle fait mieux que survivre : il reprend des forces. A Genève, comme on vient de le signaler. Et ailleurs, aussi : en France, les salles de cinéma auront comptabilisé plus de 200 millions d'entrées en 2016, un record depuis 1966... Depuis le début des années septante, la taille des salles a été réduite, le nombre d'écrans augmenté, le confort (fauteuils, gradins) amélioré. Fin 2015, il y avait 2000 salles de cinémas en France : un record européen. Le cinéma est souvent l'unique lieu culturel dans les villages ou les banlieues. C'est d'ailleurs dans les salles des petites villes que la fréquentation augmente, tandis qu'elle diminue dans les grands multiplexes parisiens.
Le succès du cinéma en salle tient aussi à la diversité de l'offre (plus de 600 nouveaux films en 2016, et des films de tous les pays), et à un encadrement légal qui la préserve : les exploitants des salles sont tenus de les maintenir deux semaines au moins à l'écran. Le cinéma est ainsi resté la "sortie culturelle" préférée des Français : c'est la moins chère, la moins intimidante, la plus proche. C'est aussi celle dont le public est socialement le plus mélangé.

"Se retirer du monde, dans le noir et en silence, avec des inconnus autour (de soi), (en se concentrant) pendant deux heures sur une seule activité, où le corps et la pensée ne sont pas divisés : seule la fascination du cinéma peut réaliser cela", même pour des "jeunes (qui) ont pris l'habitude de regarder plusieurs écrans en même temps, et sans tenir en place", explique le directeur de la Cinémathèque Suisse, Frédéric Maire. C'est le "miracle du cinéma". Or même les miracles ont besoin de lieux pour se produire. Et celui-là ne se produira jamais dans un centre commercial (pour citer un exemple au hasard).
Et c'est ainsi qu'à Genève, se battre pour sauver une salle aussi emblématique (et aussi belle) que celle du Plaza*, c'est se battre pour sauver, même contre ses propriétaires, le lieu d'un miracle.

C'est par là que sa se passe : https://www.facebook.com/groups/1447065642251760/?ref=bookmarks

mardi 24 janvier 2017

Sauver le "Plaza" : c'est pas fini


Reclasser ou exproprier ?

Le cinéma "Le Plaza" n'a pas encore été démoli, mais le projet de ses propriétaire reste de le détruire pour le remplacer par un centre commercial, et sous le centre commercial un parking (et sur le centre commercial, des "logements pour étudiants" histoire de masquer un peu les objectifs purement financiers de l'exercice). Ce projet est à l'examen au Département cantonal de l'Aménagement (le DAL), à qui chacun-e peut encore adresser ses observations. Et même si le projet, malgré toutes ses tares (à commencer par celle de nécessiter, pour pouvoir être autorisé, une dérogation générale à quasiment toutes les lois qu'un projet de ce genre est supposé respecter) devait finalement être accepté, il sera encore temps de faire recours, pour autant qu'on en ait la capacité juridique, contre cette autorisation de démolir pour dénaturer. Pendant quoi, il nous faut également intervenir partout où cela peut avoir un effet, afin que la salle, dont la valeur patrimoniale a été reconnue même par les jugements qui la déclassaient, soit "reclassée", et que l'exigence de la maintenir devienne incontournable. Cette exigence suppose un projet culturel pour cette salle. S'ajoutant à la valeur patrimoniale du Plaza, seul un tel projet peut justifier l'intervention de la Ville et du canton. Mais pour que cette intervention se fasse, il n'est que deux moyens possibles : soit le reclassement de ce qui n'a été déclassé qu'au prétexte de la non-rentabilité de la salle, soit l'expropriation pour utilité publique. Cette expropriation peut être décidée par le parlement cantonal, mais aussi, par voie d'initiative législative, par le peuple. A tout cela, on y travaille.


Le "miracle du cinéma" a besoin d'un lieu


Que faire du cinéma "Le Plaza" : rien qu'un cinéma, rénové, ou plus qu'un cinéma ? On peut en effet élargir la fonction, le rôle, la place d'une salle sans attenter ni à son histoire, ni à sa configuration architecturale. Le sauvetage de l'ex-Manhattan, œuvre lui aussi de Marc-Joseph Saugey, devenu l'Auditorium Arditi-Wilsdorf, prouve qu'il est possible de réaffecter au cinéma une salle de cinéma emblématique, et patrimoniale, en respectant son architecture tout en la rénovant et en la rééquipant. L'Auditorium sert toujours de salle de cinéma, mais pas seulement. Il peut être loué, et modulé : l'écran est amovible, les sièges peuvent être installés et désinstallés au gré des besoins. Le sauvetage de la salle a été rendu possible par une mobilisation citoyenne contre un projet de la démolir pour faire place à un centre commercial, ce qui ne peut que nous rappeler la menace pesant sur le Plaza, et les moyens de la repousser. La salle du "Manhattan" sera classée en 1993 grâce à cette mobilisation, et à l'intervention de la commission fédérale des monuments historiques. La Fondation Arditi rachètera la salle, qui se liera à l'Université, et sera finalement remise au canton.

L'histoire du cinéma comme forme d'expression est inséparable de celle des lieux où il se projette, autrement dit "de la construction, de la transformation, du déplacement ou de la disparition de ses salles". Mais le cinéma comme lieu peut, et désormais doit sans doute, ne pas être seulement un lieu de projection : il peut aussi être (ou redevenir) un lieu où le public prend part active, et non seulement spectatrice, à tout ce qui entoure et contextualise la projection d'un film. Le cinéma comme lieu est aussi un lieu de débat, de socialisation, de culturation autour du cinéma comme expression -autour et à propos d'un film, de son sujet, d'un acteur ou d'une actrice, d'un metteur ou d'une metteuse en scène, d'une "école" cinématographique (comme on dit une "école" picturale, musicale ou littéraire).

Reste que la salle de cinéma est essentielle à la réception du cinéma comme forme d'expression : regarder un film dans une salle est autre chose que le regarder chez soi sur sa télévision ou son ordinateur (ou pire, son smartphone). L'expérience de la salle est une expérience collective en même temps qu'elle est solitaire, sociale en même temps qu'elle est individualiste. Et elle est d'autant plus prégnante que la salle a une histoire, qu'elle a vécu et qu'on y a vécu*.

"Les salles qui peuvent vivre fonctionnent surtout dans des lieux où il y a de la vie autour", observe Frédéric Maire. Le Plaza est précisément dans l'un de ces lieux, au centre-ville, à deux pas de la gare principale, dans une des rues les plus fréquentées d'un quartier animé. Un cinéma n'est plus seulement (à supposer même qu'il ait jamais été que cela) un lieu de projection : comme un théâtre, c'est un espace social -et c'est peut-être de l'avoir oublié que des salles ont périclité. La programmation joue ici un rôle déterminant : plus l'offre est large, plus le public est large, et plus facilement une partie de ce public se rendra dans une salle non seulement pour y voir un film, mais aussi pour tout ce que la salle peut, autour du film, à son propos ou son prétexte ou non, proposer.

Il n'y a pas "un" public de cinéma, mais plusieurs. Les salles qui programmes des blockbusters et les salles qui programment des fils d'auteurs ne touchent pas le même public, si une part de leur public respectif est partagée entre elles. De même, un grand multiplexe et une salle de quartier ne touchent pas non plus le même public : les Scala n'ont pas le même public que Balexert (et on ne parle pas là de la quantité des spectateurs), et leur public n'a pas avec eux la même relation : il y a une relation affective à une salle à la programmation acérée, qu'on ne retrouvera pas avec un multiplexe.

"Se retirer du monde, dans le noir et en silence, avec des inconnus autour (de soi), (en se concentrant) pendant deux heures sur une seule activité, où le corps et la pensée ne sont pas divisés : seule la fascination du cinéma peut réaliser cela", même pour des "jeunes (qui) ont pris l'habitude de regarder plusieurs écrans en même temps, et sans tenir en place". C'est le "miracle du cinéma" (il le partage cependant avec le théâtre) Mais même les miracles ont besoin de lieux pour se produire. Et celui-là ne se produira jamais dans un centre commercial.
Sauver le Plaza, c'est sauver un lieu de ce miracle.

* En France, les salles de cinéma auront comptabilisé plus de 200 millions d'entrées en 2016, un record depuis 1966... Depuis le début des années septante, la taille des salles a été réduite, le nombre d'écrans augmenté, le confort (fauteuils, gradins) amélioré. Fin 2015, il y avait 2000 salles de cinémas en France : un record européen. Le cinéma est souvent l'unique lieu culturel dans les villages ou les banlieues. C'est d'ailleurs dans les salles des petites villes que la fréquentation augmente, tandis qu'elle diominue dans les grands multiplexes parisiens. Le succès du cinéma en salle tient aussi à la diversité de l'offre (plus de 600 nouveaux films en 2016, et des films de tous les pays), et à un encadrement légal qui la préserve : les exploitants des salles sont tenus de les maintenir deux semaines au moins à l'écran. Le cinéma est donc la "sortie culturelle" préférée des Français : c'est la moins chère, la moins intimidante, la plus proche. C'est aussi celle dont le public est socialement le plus mélangé.