mercredi 30 janvier 2013



BEGGAR'S OPERA : modeste contribution à l'histoire de la scène lyrique genevoise









"L'opposé est utile, et des choses différentes naît la plus belle harmonie et toutes choses sont engendrées par la discorde."
(Héraclite, Fragments, VIII)






AVERTISSEMENT



Compte tenu des heures, franchement nocturnes, qui sont celles de la  rédaction de ce blog, de la possible consommation de substances  psychotropes par le rédacteur avant la rédaction et de l'obsolescence du  matériel informatique dont il s'obstine à faire usage, il est  inévitable que les textes qui suivent soient émaillés de fautes de  frappes, d'inattention, d'orthographe, de grammaire et de syntaxe. Le  rédacteur prie le lecteur, et plus encore la lectrice, de bien vouloir  l'en excuser. Et de l'en excuser durablement, vu qu'il n'a aucune  intention de se plier bêtement aux rythmes circadiens communs, ni de  signer la temponne, ni de changer de matériel informatique avant que le  sien n'ait définitivement cessé de faire semblant de fonctionner.





Investissements culturels à Genève : Déshabiller Paul pour rhabiller Jean ?

Le Conseil Municipal de Genève a voté il y a trois semaines, à une majorité écrasante (seul le MCG s'y est opposé) une motion demandant de rétablir pour 2015 les travaux de rénovation du Grand Théâtre, que le Conseil administratif envisageait de reporter à 2017. La même droite traditionnelle, augmentée de l'extrême-droite, avait fait accepter un mois auparavant une réduction de 40 millions du volume d'investissements autorisés chaque année. Or les travaux au Grand Théâtre coûteront, au moins, 30 millions et demi de francs. On a donc, en un mois, voté une restriction et heureusement décidé de n'en pas tenir compte...

Année Wagner : Du « navire amiral » au Vaisseau Fantôme ?

Il y avait dans la proposition votée par le Conseil Municipal de Genève un constat explicite et un constat implicite.  Le constat explicite, c'est celui de l'urgence des travaux à effectuer au Grand Théâtre. Elle est incontestable. Le constat implicite, c'est celui de l'absurdité de poser aux investissements autorisés des limites qui obligent à jouer les projets les uns contre les autres, à repousser les uns pour pouvoir réaliser les autres, à en privilégier certains et à en abandonner d'autres, alors que tous ceux qui étaient prévus l'étaient parce qu'ils étaient importants et, pour certains, à la fois urgents et indispensables. Ce constat implicite, les auteurs de la motion acceptée hier par le Conseil Municipal ne le posent pas. Soit parce qu'ils s'y refusent, soit parce qu'ils n'ont pas conscience de ce qu'implique leur proposition. Mais à vrai dire, peu importe : La proposition de rétablir les investissements prévus pour le Grand Théâtre dans le délai où ils étaient prévus permet de mesurer les conséquences directes, concrètes, d'un vote que le même Conseil Municipal qui «  débloque » plus de 30 millions pour l'opéra a produit un mois auparavant, en réduisant de 40 millions de francs le volume d'investissements autorisés chaque année. Or ceux qui demandaient de garantir les investissements en faveur du Grand Théâtre étaient aussi de ceux qui demandaient de réduire l'ensemble des investissements autorisés... Il aurait fallu, pour être crédibles, qu'ils  disent à quels investissements ils proposent de renoncer pour assurer celui qu'ils veulent privilégier, ou alors qu'ils proposent franchement de revenir, au moins partiellement, sur la réduction globale des investissements. Il est vrai qu'ils pouvaient difficilement admettre que cette décision était dangereuse, et que confondre la comptabilité et la politique est un exercice absurde.

Les travaux à effectuer au Grand Théâtre sont urgents pour permettre à l'opéra de fonctionner et pour assurer à celles et ceux qui y travaillent des conditions de travail et de sécurité dignes du statut de leur employeur -la Ville, ou la Fondation. Mais il est inacceptable de jouer les urgences les unes contre les autres, le Grand Théâtre contre le Pavillon de la Danse, le Pavillon de la Danse contre le BAC et le BAC contre Saint-Gervais. Ce qui était demandé au Conseil Municipal, c'est de déshabiller les uns pour pouvoir habiller l'autre. Mais si on nous disait qui habiller, le Grand Théâtre, qui en effet en a un besoin urgent, on ne nous disait pas qui déshabiller :  le pavillon de la danse ? la Nouvelle Comédie ?  le Musée d'Art et d'Histoire ? Le Musée d'ethno ? Saint-Gervais ? La Maison Tavel ? le Bâtiment d'art contemporain ?
Faire une politique culturelle digne de ce nom dans une Ville comme Genève, c'est, pour le moins, en entretenir, voire en créer, les lieux. Le Conseil Municipal sait, puisqu'il a les chiffres, les listes, les détails en main, que cela coûterait 150 millions. Il fait semblant aujourd'hui de croire que cela peut n'en coûter que 110, et qu'on peut faire tenir dans ces 110 millions ce qu'on avait déjà beaucoup de peine à faire tenir dans 150 millions. Il ignore délibérément que reporter certains investissements nécessaires est soit impossible, soit dangereux, soit coûteux (le report des travaux au Grand Théâtre coûterait quatre millions...), voire à la fois dangereux et coûteux.  L'exemple des travaux proposés à la Bibliothèque de Genève aurait pourtant déjà dû lui faire comprendre que dans ces domaines, dire « non » aujourd'hui revient à dire « oui et plus cher » demain...

Le Conseil Municipal avait deux attitudes possibles : avoir le courage et la cohérence élémentaires d'admettre qu'il s'est trompé en coupant 40 millions dans les possibilités d'investissements, et les rétablir au niveau de ce qui est nécessaire, ou se lancer dans un marchandage de souk dressant les projets les uns contre les autres, et faisant payer aux uns l'urgence accordée aux autres. C'est cette attitude qu'il a choisie. On en prend acte, mais il y a dans ce Conseil des élues et des élus, et des groupes, qui n'entendent pas renoncer à ce que la Ville se donne les moyens de ses responsabilités et de ses ambitions culturelles, et le débat que nous avons eu hier sur le Grand Théâtre, nous l'aurons séance après séance, pendant toute l'année, pour d'autres institutions à soutenir, d'autres lieux à créer, d'autres investissements qu'il faudra rétablir. Parce que si le Grand Théâtre est la principale institution culturelle de la région, il n'est pas tout le tissu culturel genevois à lui seul, et que les investissements que l'on doit y consentir, et que nous voulons y consentir, ne sont pas les seuls à être urgents, ni les seuls à être indispensables, ni les seuls à être légitimes. Et donc, pas les seuls à devoir être rétablis.

mercredi 9 janvier 2013

Budget de la Ville de Genève : Le poids (légitime) de la culture



En adoptant, mi-décembre, à un pas de course de fond plutôt que celui du marathon habituel, le budget de la Ville de Genève, le Conseil municipal a adopté le budget culturel de la Commune. C'est-à-dire le plus important de ses budgets spécifiques, et le plus important budget culturel de la région. Et peut-être même (mais on n'a pas vérifié avec toute la rigueur scientifique qu'on nous connaît) le plus important de toutes les municipalités de Suisse. Un acte politique déterminant, donc. Mais un acte politique contraint par la responsabilité que la répartition des tâches régnant à Genève impose à la commune (elle pourrait certes s'y soustraire, mais ce serait, de sa part, parfaitement irresponsable, dans tous les sens du terme) et par les limites posées par la doxa politique régnante : celle de l'équilibre budgétaire et de la modestie des ambitions. Limites qui, très concrètement, empêchent la politique culturelle genevoise de se déployer comme elle devrait.

Politique culturelle genevoise : la Ville ou le désert...

Le budget culturel de la Ville de Genève est celui sur lequel repose l'essentiel du tissu culturel de toute la région : sans l'effort que la Ville consacre à sa politique culturelle, sans les ressources financières qu'elle y affecte, il n'y aurait plus à Genève plus ni opéra, ni orchestre symphonique de niveau international, ni musées publics, ni bibliothèques publiques, ni théâtres publics (hors celui de Carouge), plus beaucoup de théâtres privés, et plus de ballet permanent. Un presque désert culturel, en somme. S'agissant du budget de la culture -le plus important, financièrement parlant, avec ses 250 millions de francs par an, des champs politiques couverts par la Ville, et le seul où elle est première non seulement de toutes les communes mais également (et de loin) par rapport au canton, nous avons dit, en commission, notre satisfaction de voir les engagements culturels de la municipalité maintenus, même si le département de la culture a du lui-même réduire ses ambitions initiales, mais nous avons dit aussi notre regret que cette continuité ne puisse matériellement s'accompagner pas de choix nouveaux. Le cadre budgétaire général l'empêche, et même si ce cadre n'est ni taillé dans le marbre ni coulé dans le bronze, il reste étroit parce qu'on s'acharne à faire prévaloir des critères comptables sur les critères politique -en l’occurrence, ceux de la politique culturelle. Cette contrainte pèse en particulier sur les investissements (d'autant que la commission des Finances, puis le Conseil Municipal, en a réduit le volume), mais aussi sur les dépenses et les subventions courantes.

On est donc contraints de pratiquer ce que la droite définit, pour la dévaluer, comme une « politique de l'arrosoir » (tout le monde reçoit, mais personne ne reçoit suffisamment), condition du pluralisme culturel. A cette politique, que nous soutenons même (ou surtout) lorsqu'elle a mauvaise presse, s'oppose celle de choix exclusifs qualifiés de « priorités » : quelques uns reçoivent tout ce dont ils ont besoin, les autres ne reçoivent rien. C'est user de l'arme financière pour promouvoir une culture officielle. Et de toute évidence, ce sont les grandes institutions qui capteront les ressources disponibles, ne serait-ce que parce qu'elles coûtent cher à faire exister même sans aucune programmation et sans aucune activité. D'où l'utilité, la nécessité même, de ce que le budget de la Ville de Genève appelle les «fonds généraux», qui permettent précisément de mobiliser et d'affecter les ressources nécessaires au maintien d'un maillage culturel ne reposant pas uniquement sur les institutions pérennes disposant de grosses subventions également pérennes (le seul Grand Théâtre consomme le quart des charges de toutes les institutions culturelles, le Musée d'Art et d'Histoire le cinquième), mais aussi sur des dizaines d'acteurs plus récents, plus précaires, souvent associatifs, et qui disparaîtraient purement et simplement si la collectivité publique ne les soutenait plus. Les domaines du théâtre, de la danse, du livre disposent de tels fonds -et s'il n'était pas opportun de les « regonfler » dans le cadre du débat budgétaire, comme le proposait le groupe « Ensemble à gauche », il sera nécessaire de le faire en cours d'année, d'autant qu'au regard des moyens affectés aux institutions culturelle pérennes (160 millions de francs), ceux affectés à ces fonds généraux sont fort modestes (moins de 3 %). Or ce ne sont pas seulement des lieux qui en vivent, de la création qu'ils rendent possibles, des spectacles qu'ils permettent : ce sont aussi des emplois, des salaires, des compétences qu'ils maintiennent.

Enfin, il va bien falloir qu'on se prononce clairement sur le partage des responsabilités et des charges entre collectivités publiques -et plus précisément, entre la Ville et le canton de Genève. Or le partage des charges avec le canton relève de l'espérance illusoire : vu l'état de son budget et l'incertitude des prévisions sur les budgets à venir, il ne faut rien attendre du canton, du moins rien attendre en termes de soutien matériel. En revanche, on peut en attendre des volontés politiques de s'impliquer davantage dans le champ culturel -mais que valent ces volontés si elles ne se traduisent pas trivialement en millions de francs -disons plutôt : en dizaines de millions de francs ? Elle ne vaudraient alors que ce que vaut une volonté de prise de contrôle sans volonté d'en assumer les responsabilités matérielles.
Une volonté bureaucratique, pas une politique culturelle.