jeudi 16 décembre 2010

Avant-projet de loi sur la culture : qu'en faire ?

Sortir de la guerre de tranchées

Le Parti socialiste, et nous* même, puisqu'il nous* arrive d'être d'accord avec notre* propre parti, avons salué, sans illusions excessives, l'avant-projet de loi sur la culture issu des travaux de la commission d'experts (CELAC). Cet avant-projet exprimait, sur le fond, une position que nous défendons depuis des années, et que défendaient également les milieux culturels regroupés dans le RAAC -dont à notre connaissance nul n'a jamais affirmé qu'il était à lui seul le représentant attitré de toutes celles et ceux qui, à un titre ou un autre, dans un domaine ou un autre, professionnellement ou en amateurs, sont des acteurs culturels. Mais les travaux de la CELAC n'ont rien eu du parcours d'un long fleuve tranquille, et ont plus souvent qu'à leur tour été le théâtre d'une véritable guerre de tranchée entre la Ville et le canton. Le projet qui en est ressorti en porte encore les traces -et le débat qui va s'engager sur l'ultime phase de ce travail, celle du projet de loi qui sera déposé devant le Grand Conseil, n'y échappera pas non plus.
*où l'on s'offre le petit plaisir d'un pluriel de majesté

Et deux siècles et demi après la lettre de Rousseau à d'Alembert...

Que la politique culturelle soit le champ d'un débat politique n'a rien que de très légitime. Que ce débat politique se réduise en un conflit territorial est en revanche assez navrant : la commission chargée de proposer une nouvelle loi sur la culture (CELAC) semble avoir été le théâtre d'un nouvel épisode de la guerre de tranchée que se livrent, sur la politique culturelle, la Ville et le Canton, la première assumant l'essentiel de la charge financière (et de la responsabilité politique) de la politique culturelle de toute la région, le second n'acceptant d'en prendre sa part qu'à la condition que cela lui coûte le moins possible. Cet affrontement tient plus de la guerre tribale que du débat politique : la Ville défend son pré carré, le canton veut agrandir le sien, ni la première, ni le second ne semblent prendre garde à l'impossibilité en laquelle tous deux ainsi se placent de répondre aux trois enjeux de la politique culturelle genevoise : le partage (et non le transfert) des tâches et des charges (le « faire ensemble ») entre toutes les communes et le canton, le respect de la règle « pas de compétence sans charge, pas de charge sans compétence » ; l'ouverture aux communes vaudoises et françaises de la région ; un plus grand engagement, une plus grande responsabilité, une plus grande présence du canton - mais sans que ce renforcement se traduise, dans un jeu à somme nulle, par un affaiblissement de l'engagement, de la responsabilité et de la présence de la Ville. Nous n'avons pas combattu, avec les milieux culturels, un transfert de charge dans un sens pour en accepter un dans l'autre sens, et passer simplement du « qui paie commande » qui résume la situation actuelle, au « je commande, tu paies » en quoi se réduirait l'octroi au canton de compétences légales sans moyens de les concrétiser. Un engagement du canton dans la politique culturelle ne vaudrait que ce que valent les bonnes intentions dont est pavé l'enfer d'un champ culturel administré « d'en haut » si cet engagement se résumait à la production d'ukases tombant sur les communes comme la vérole sur le bas-clergé breton. Une loi sur la culture - ni l'actuelle, ni celle proposée par la CELAC - n'épuise pas le champ de la politique culturelle : une fois le projet de loi accepté, s'il devait l'être, il faudra passer aux choses sérieuses, et affecter les moyens financiers et humains nécessaires pour que le canton devienne un acteur déterminant de la politique culturelle, aux côtés (et non à la place, et moins encore au-dessus) de la Ville et des autres communes. C'est à ce moment-là que l'on pourra juger de la cohérence des engagements pris et mesurer, à l'aune des moyens accordés, de quoi est tissée la belle unanimité rhétorique qui se fait autour du principe d'un engagement culturel accru du canton. En 1758, dans sa « Lettre à M. d'Alembert sur les spectacles », Jean-Jacques disait avoir « fait voir qu'il est absolument impossible qu'un théâtre de comédie se soutienne à Genève par le seul concours des spectateurs. Il faudra donc de deux choses l'une : ou que les riches se cotisent pour le soutenir, charge onéreuse qu'assurément ils ne seront pas d'humeur à supporter longtemps ; ou que l'Etat s'en mêle et le soutienne à ses propres frais ». On en est toujours là, et deux siècles et demi après, il serait temps d'en sortir..

lundi 11 octobre 2010

Musée d'Art et d'Histoire : Sous Nouvel, Gandur...

« Le Courrier » du 11 septembre a mis fort utilement en évidence les intéressants contenus du deal passé en mars dernier entre Jean-Claude Gandur et sa fondation, d'une part, et le Département de la Culture de la Ville de Genève d'autre part, dans le cadre du projet d'agrandissement du Musée d'art et d'histoire (MAH). La Fondation Gandur ferait certes « don » de 20 (voire 40) millions à la ville pour la réalisation du projet Nouvel d'agrandissement du musée, mais ce « don » n'est pas sans contreparties : c'est la Fondation (privée) Gandur, installée pour un siècle, et contre un loyer modeste, dans un musée public, qui déciderait seule du choix de ses pièces exposées au musée, dont elle pourrait à tout moment retirer « un ou plusieurs objets » avec un préavis de trois ou six mois, voire moins, alors que le musée aurait l'obligation de montrer, sur au moins 400 m2, au moins la moitié des 800 pièces de la collection Gandur -des pièces dont la qualité, l'intérêt et la provenance font débat : certaines proviendraient de trafics illicites, et la convention Ville/Gandur n'obligerait en aucune manière la fondation privée à restituer à leur pays d'origine des pièces qui en seraient sorties illégalement; le musée mettrait gratuitement ses collaborateurs à disposition de la fondation pour la mise en place et la surveillance des objets exposés, et mettrait également à disposition de la fondation trois espaces de bureaux, un espace d'archivage, des locaux de réserve et une salle de conférence.

D'un deal l'autre

Recevoir d'une fondation privée 40 millions pour agrandir un musée public, après tout, cela peut se défendre. Mais avec la convention passée entre la Ville et la fondation Gandur, on a comme l'impression de passer du partenariat public-privé au protectorat privé-public, et à quelque chose qui ressemble fort à la mise d'un musée public au service de la collection privée d'un marchand de pétrole : le don, conditionnel et conditionné, de la fondation Gandur à la Ville lui permet de disposer de son propre musée privé dans le Musée public d'Art et d'Histoire : le nouvel espace d'exposition construit dans la cour du musée devrait s'appeler « Espace FGA » (Fondation Gandur pour l'Art), et sur tous les supports de communication du musée (papier à en-tête, publications, site internet, journal du MAH, calendrier, newsletter, e-newsletter) serait mentionné le « partenariat » entre la Ville et la FGA. On n'est clairement plus dans le mécénat, mais dans le sponsoring. Tout n'est cependant pas coulé dans le bronze antique : si la convention entre la Ville et la fondation Gandur a bien été signée en mars dernier, elle ne se concrétisera que si le projet Nouvel d'agrandissement du MAH est accepté par le peuple, tacitement si aucun référendum n'est lancé, ou activement en cas de référendum et de vote populaire. En d'autres termes, au deal entre la Ville et la fondation peut en répondre un autre : si la convention est contestable, et elle l'est sur nombre d'aspects engageant la Ville et son musée à des contreparties excessives au don éventuel de la fondation, cette convention doit être renégociée, en échange d'un soutien au projet Nouvel s'il devait être combattu par référendum. Quant au fond du débat, il devrait porter moins sur la convention elle-même, ou sur le projet Nouvel, ou encore sur la nature et la qualité des collections Gandur, que sur le rôle culturel que l'on entend faire jouer à nos musées publics. Ces musées (mais à Genève moins évidemment qu'en France) sont des héritages de nos révolutions. Il s'agissait alors de donner « au peuple », et pour « élever son âme », accès aux œuvres du passé, puis, plus tard, à celles du présent, dans un but à la fois pédagoqique et catéchique (mais d'un catéchisme politique). En est-on encore là ? Le rôle du musée est-il toujours celui que pose, pour la collection Gandur, la convention entre la Ville et la Fondation : présenter un ensemble « cohérent et significatif de l'époque et du cœur de la collection en question » ? Au fond, le seul objet qu'un musée ne peut se passer d'exposer, c'est le musée lui-même, sa démarche, sa relation à la cité. A Genève, ce n'est pas le Musée d'Art et d'Histoire qui a besoin de la collection Gandur, c'est la collection Gandur qui a besoin d'un musée, et qui pourrait se l'offrir, pour deux ou quatre dizaines de millions, dans un musée déjà existant.

mercredi 29 septembre 2010

Culture alternative à Genève : De la cave au garage à vélos

Après moult tentatives dilatoires, sous les prétextes les plus farfelus, de la droite de renvoyer cette décisions aux calendes grecques, le Conseil municipal de la Ville a voté un crédit d'un million de francs pour l'aménagement d'une salle dans les sous-sols de l'ex-école d'Ingénieurs, afin d'y loger l'association « Cave 12 », selon un accord tripartite entre le canton (propriétaire des lieux), la Ville (qui financera les travaux) et la Cave 12, qui sera maîtresse d'ouvrage desdits travaux. Expulsée du squat Rhino en 2007, la Cave 12, dont le champ d'activité est celui de la musique expérimentale, et dont la réputation, flatteuse, dépasse largement les étroites frontières genevoises, nomadisait depuis trois ans. Le projet accepté par le Conseil municipal (c'est-à-dire sa majorité de gauche, plus l'UDC) la sédentarise. Mais en la faisant passer de la cave d'un squat au garage à vélo d'une école.

Gens du voyage artistique

La culture alternative sort d'une cave pour entrer dans un garage à vélo : cela n'a sans doute rien de glorieux pour une ville qui, naguère, offrait de cette culture des marges et de l'expérimentation l'une des plus larges palettes en Europe, mais c'est le début d'un début. Ou peut-être, pour paraphraser Churchill : « pas encore le début de la fin, mais déjà la fin du début »... Le Conseil municipal de Genève avait fait le choix politique, le choix de principe, d'aider les acteurs culturels dits « alternatifs », ou à tout le moins expérimentaux, chassés des lieux qu'ils occupaient par le prurit épurateur qui s'était emparé de Genève à l'époque de la chasse aux squatters, à retrouver, cette fois légalement, des lieux où agir et créer. Le projet qui était soumis au Conseil municipal, avec ses défauts (il en avait, et ne pouvait pas ne pas en avoir, dès lors qu'il était le résultat d'une négociation entre trois partenaires), est une concrétisation de ce choix politique. C'est ce choix que la gauche défendait, parce qu'il s'imposait comme essentiel, même à l'examen des défauts du projet. La « Cave 12 » avait, aux yeux de la droite (sauf, curieusement, à ceux de l'UDC, qui le lui pardonnait) un défaut définitif, irréfragable : elle avait été squatteuse, crime imprescriptible, puisque commis contre la propriété privée dans une société qui l'a sacralisée. Le PS, les Verts et « A gauche Toute ! » ne se faisaient pas un devoir de relogier d'ex-squatteurs pour maintenir la paix sociale, ces trois forces se faisaient un devoir d'aider à maintenir à Genève l'éventail le plus large possible d'acteurs culturels. Ce choix, le projet de relogement de la « Cave 12 » permet de le concrétiser. Refuser ce projet, c'était bien pour la droite genevoise faire payer à l'association, et à l'association seule, les difficultés d'une négociation entre deux collectivités publiques et une association. C'était prendre cette association en otage. puisqu'elle seule ferait les frais d'un refus. Il est vrai qu'il ne s'agit pas d'une grosse institution, qu'elle ne pèse pas des dizaines ou des centaines d'emplois, ne coûte pas des millions ou des dizaines de millions, et qu'on peut donc s'y attaquer sans risque. La Cave 12 nomadise depuis trois ans. Elle attend depuis un an d'être sédentarisée. Ces gens du voyage artistique ont besoin d'un lieu pour travailler, le projet voté par le Conseil municipal le lui offre : ici, aujourd'hui, on pourra se permettre de trouver assez ironique que ce soit la droite qui fasse tout pour que cette association reste nomade, et que ce soit la gauche qui lui donne les moyens de se sédentariser. Un Hortefeux, un Besson, un Sarkozy y perdraient leur romani.

vendredi 3 septembre 2010

Un musée ? Non : un miroir...

Musée d'ethnographie de Genève
Un musée ? Non : un miroir...

Le Conseil administratif genevois a revu et corrigé le projet d'agrandissement du Musée d'ethographie, combattu par un référendum populaire parce qu'il implique l'abattage de 31 arbres dans la cour du musée. Au projet initial ont été ajoutés un jardin public, des pelouses, des fleurs, un plan d'eau, des jeux pour les enfants, une terrasse de bistrot, tout cela sans attenter au préau de l'école voisine et sans dépasser le budget initial de 63,2 millions (sans quoi il aurait fallu déposer un nouveau projet, certainement lui aussi combattu par référendum, puisque c'est le sort de tous les projets muséaux à Genève depuis des lustres). On abattra donc des arbres, mais pour en replanter plus qu'on en aura abattus. Ce sont les beautés de la démocratie directe : un référendum, et la végétation pousse (ou repousse) dans la cour des musées. Un référendum de plus, ce serait carrément la jungle. Cela dit, ce que le débat, et demain, 26 septembre, le vote sur le projet d'agrandissement du Musée genevois d'ethnographie, mettent en évidence est bien qu'un tel musée n'est pas le lieu où « notre société » regarde les sociétés des autres, mais d'abord celui où elle se regarde elle-même, telle qu'elle est, pour ce qu'elle vaut. « Citoyens aux urnes pour 31 arbres », titre «20 Minutes». Pour 31 arbres (remplacés 41 autres) vraiment ? Ou pour dire ce que nous sommes prêts à payer pour savoir qui nous sommes ?

Comment peut-on être Persan ?
Au rythme de nos voyages, « chacun d'entre nous est un petit ethnographe qui s'ignore et chacun d'entre nous constitue même son petit musée d'ethnographie », écrit le directeur du Musée d'ethnographie de Genève. Boris Wastiau, dans le dépliant distribué pour convaincre le peuple municipal souverain de soutenir le projet d'agrandissement de son musée. Chacun de nous, il est vrai, est un peu ethnographe. Mais chacun de nous est aussi objet d'ethnographie : les humains ne sont pas des arbres, et leurs villes ne sont pas des forêts : nos racines, celles de nos cités, de nos sociétés, de nos Etats, sont culturelles, et multiculturelles de toute évidence et de tout temps. Or depuis des décennies, tous les projets de nouveau musée d'ethnographie se sont heurtés à des oppositions qui ont renvoyé aux archives les études faites sur eux et au néant les millions dépensées pour elles. A chaque fois, le même discours dilatoire a été tenu : un nouveau musée d'ethnographie ? d'accord. Mais pas comme ça. Ou pas là. Pas à la place Sturm, pas au chemin de l'Impératrice, pas au boulevard Carl-Vogt. Pas s'il faut couper des arbres (même si on replante d'autres), pas si on supprime des places de parking... Pour sortir de cette fatalité qui à Genève comme en d'autres lieux, pèse sur les projets culturels, et les rend fragiles à la coalition d'oppositions disparates s'additionnant pour composer une majorité (la Maison de la Danse y a succombé), on joue désormais la carte de l'humilité, la culture devant, décidément, forcément, et surtout logiquement si l'on s'en tient à la logique de la marchandise, se « la jouer discrète » et laisser le somptuaire, le grandiose -bref, l'immodeste, aux grands temples de la consommation et de la finance -aux centres commerciaux, aux sièges des grandes entreprises... Comme s'il devait être désormais de règle dans une démocratie qu'une institution culturelle n'ait pas, ou plus, à se montrer, ou qu'elle n'ait à se montrer que sans se faire remarquer. Quand on applique aux musées les critères des fortifications souterraines du Réduit National, c'est sur la place de la culture, plus que sur les goûts architecturaux, que cela interroge, même si de bonnes explications peuvent être données de ce minimalisme cryptophile : le manque de place dans les villes, la nécessité de préserver les objets et les œuvres de la lumière du jour, la possibilité de contourner les oppositions « esthétiques », mais aussi le souci de faire de la muséologie, et non d'un « geste architectural » narcissique le centre et la justification d'un projet de musée. Ce dernier souci est sans doute légitime, mais sa traduction dans le corps de la ville ne peut avoir pour seule raison que celle de ne pas déplaire, en un temps où tout lieu culturel, même le plus institutionnel, même un musée, devient objectivement un espace de résistance au mercantilisme, un espace de subversion des idées reçues -un espace commun, contre les lieux communs.

dimanche 11 juillet 2010

« Art Basel » : Le lard de l'art

« Art Basel » : Le lard de l'art

Mercredi s'ouvre la 41ème édition de la plus importante foire artistique au monde : « Art Basel ». Deux guerres mondiales et, entre-deux, une crise économique mondiale ont permis à la Suisse, grâce à sa neutralité, sa stabilité politique, la force de sa monnaie, son secret bancaire et à quelques autres facilités (ses ports-francs, par exemple) de prendre sur le « marché de l'art » une place comparable à celle qu'elle a prise dans le système financier. La Suisse est donc l'un des centres du commerce de l'art, puisque l'art, comme tout le reste dans une société marchande, est un commerce -non plus un commerce avec l'indicible, mais plus trivialement, un commerce avec des commerçants... « Art Basel », où les ventes vont se chiffrer en dizaines de millions de francs, est une foire, ce qui dit déjà presque tout d'un moment où l'art est réduit à son lard -l'argent qu'on peut en tirer et celui qu'on peut y investir, et de la place que fait, ou que laisse, à la création artistique le dispositif idéologique en lequel nous nous mouvons, et duquel nous tentons, malaisément, de nous extraire.


E Viva Pinoncelli !

Le gigantesque équarrissage marchand de tout ce qui peut se créer pour peu que cela se vende, ce qui permet, entre autres illusions, à John Armleder de se prendre pour Marcel Duchamp et au Mamco pour autre chose qu'une annexe du Rotary, aboutit à ce que tout se vaut, puisque ne vaut qu'en valeur d'échange, et ne vaut plus rien d'autre que ce qu'on le paie. Warhol avait réduit l’ « art » à une image médiatique infiniment reproductible, et fort logiquement baptisé son atelier du nom de Factory (usine) disant ainsi on ne peut mieux ce que cela produit. Après trois siècles d’invention, la culture bourgeoisie aboutit ainsi à un néant fait de sa propre caricature, et du bégaiement de quelques unes des révoltes culturelles qui se dressèrent contre elle. Duchamp avait clos le cycle de l’art moderne il y a trois quarts de siècle ans -ses épigones branchés n’ont plus fait un pas en avant, sauf, comme Pinoncelli, à le prendre au mot en pissant dans un urinoir de porcelaine signé par le maître, ce qui lui valut d’être condamné pour « dégradation d’une œuvre d’art » - cet art dont l'auteur de l’œuvre avait proclamé la mort.. Pour autant, s’il n’y a plus d’ « art » possible dans la culture bourgeoise ou en accord avec elle, le « marché de l’art » en tiendra lieu, qui se porte fort bien, Art Basel en témoignant année après année. Mais si marché il y a, c’est un marché dont l’Etat est le garant, les appareils culturels d’Etat les gardiens et les subventions d'Etat la nourriture. De la défense de l’ « art contemporain » arrivé là où son néant le portait, vit tout un peuple grouillant d’apparatchiki divers, autour desquels, non moins grouillants, s’agitent galeristes et collectionneurs privés. Les happy few se pâment ou se grattent devant une nullité empaquetée de discours, tout ce petit monde vivant des étranges épousailles de l’incompétence et du snobisme en encensant de pseudo-créateurs « faisant de l’art » comme on fait des affaires. Mais l’insondable vulgarité marchande de la culture bourgeoise ne saurait signifier autre chose qu’une espérance. Hégel : « La frivolité et l’ennui qui envahissent ce qui subsiste encore, le pressentiment vague d’un inconnu, sont les signes annonciateurs de quelque chose d’autre, qui est en marche » (préface à la Phénoménologie de l’Esprit). Ce « quelque chose d'autre » ne viendra pas du « dedans » de la culture, d’où ne vient plus rien sinon la répétition, la réduction et la caricature de ce qui fut. Le «quelque chose d’autre qui est en marche» est en marche ailleurs, hors de cette « culture » où les peintres peignent pour des peintres l'impossibilité de continuer à peindre, où les écrivains écrivent pour des écrivains des livres sur la douleur d’écrire, où les musiciens composent pour d’autres musiciens des musiques faites d’échantillons d’autres musiques. On ne révolutionne sans doute pas l’art contemporain en pissant dans la Fountain de Duchamp, mais cette miction nous dit tout de même l’essentiel de ce qu’il y a à dire de l’histoire artistique de ce dernier siècle de la civilisation bourgeoise : qu’elle est close, qu’on peut tirer la chasse, s’essuyer et passer à autre chose, dès lors qu'on aura enfin cessé de prendre des enculeurs de mouche pour des séducteurs priapiques.

jeudi 24 juin 2010

La Fondation du Grand Théâtre a besoin de sous.

La Fondation du Grand Théâtre a besoin de sous. Elle a d'ailleurs constamment besoin de sous, puisqu'elle souffre d'un manque structurel de financement : il lui manque chaque année autour de deux millions de francs pour être sûre de pouvoir équilibrer son budget, même sans faire des conneries dans ses prévisions. Comme pour la saison en cours, elle en a fait, des conneries dans ses prévisions budgétaires, c'est de deux millions et demi dont elle a besoin, la Fondation du Grand Théâtre. Elle pensait pouvoir bénéficier de 870'000 francs que la Ville de Genève avait inscrits sur son budget pour les lui attribuer mais qu'elle n'avait pas dépensés (il s'agissait du coût salarial de postes fixes, restés finalement vacants). Le Conseil administratif (sauf Sandrine Salerno) était d'accord, et a donc demandé au bailli cantonal l'autorisation d'utiliser ce « non-dépensé » pour boucher une partie du trou budgétaire de l'Opéra. Las ! Le Conseil d'Etat a refusé. Motif : ça va à l'encontre des règles comptables. Et donc, le Grand Théâtre va devoir, ou bien se passer de ces 870'000 francs, ou bien puiser dans son fonds de réserve après avoir bouclé la saison sur un déficit, ou bien reporter ce déficit sur la saison suivante (et la plomber), ou bien, enfin, demander au Conseil administratif de proposer au Conseil municipal un crédit extraordinaire pour accorder une rallonge à l'institution. Le problème, c'est que le Conseil administratif, pas sûr du tout de disposer d'une majorité au Conseil municipal pour faire passer cette rallonge (c'est d'ailleurs une nouveauté, puisqu'habituellement, quand le Grand Théâtre demande, la majorité du Conseil raque, tout en promettant que « c'est la dernière fois »...), voulait précisément éviter d'en passer par son parlement. Damned ! c'est raté ! Quoique... la majorité qui se dessinait pour refuser d'accorder une fois de plus au Grand Théâtre une subvention extraordinaire (ou une garantie de déficit, ce qui revient au même quand le déficit est certain), ne se dessinait que dans les déclarations des uns et des autres. Au pied du mur de l'opéra, c'est marrant, les héroïques résistances politiques ont jusqu'à présent eu une curieuse tendance à l'effritement. Surtout à droite, mais pas seulement.

mardi 1 juin 2010

Drôle de comédie à la Comédie : « Main basse sur la culture », le remake...

« Nous n’avons cédé ni au copinage ni à l’arbitraire », a déclaré Bernard Paillard, président de la Fondation d’art dramatique (FAD) lors d’une conférence de presse visant à répondre aux critiques dont elle est l’objet dans le processus de nomination du nouveau directeur de la Comédie de Genève. Critiques provenant du canton, par la voix du Conseiller d'Etat Charles Beer, qui s’est désolidarisé du processus en retirant sa représentante de la commission de sélection des candidats. Bouderie après laquelle chacun est monté sur son grand cheval, comme si la nomination du successeur d'Anne Bisang était l'enjeu réel de l'épisode, quand il devrait être évident qu'on est toujours, ou une fois de plus, dans un débat biaisé sur la répartition des charges, des compétences et des pouvoirs dans la politique culturelle des collectivités genevoises. La Comédie n'est qu'un prétexte et la nomination de son futur directeur qu'une opportunité pour les deux grands partenaires publics de la culture genevoise, la Ville et le canton (par ordre d'importance réelle sur le terrain) de montrer leurs muscles. Piètre spectacle, dans lequel la couleur (politique) du maillot des deux culturistes cultureux n'a que l'importance d'une anecdote.

Mauvaise pièce

« Lorsqu'un Conseiller d'Etat confond le fonctionnement démocratique d'une fondation avec un service de l'Etat à ses ordres » : ainsi était titré le dossier de presse diffusé par la Fondation d'Art Dramatique (FAD), répliquant à Charles Beer accusant la Fondation de dysfonctionnements divers et variés. Admettons donc que le fonctionnement d'une fondation puisse être démocratique, ce qui n'est pas toujours d'une évidence lumineuse. Admettons aussi, avec Patrice Mugny, le « bon fonctionnement de la FAD », en se disant qu'après tout, il n'est au moins pas plus mauvais que celui d'autres fondations culturelles de droit public... Admettons... mais surtout, essayons de démêler l'écheveau d'accusations, de procès d'intentions et de dénonciations publiques qui masque l'enjeu de ce qui se passe à la Comédie. Le Président de la FAD, Bernard Paillard, se demande si « le Conseiller d'Etat ne cherche pas à paraître comme le seul arbitre légitime de la politique culturelle »... drôle d'arbitre, alors, qui sortirait du terrain au moment du match... On se retrouve ainsi dans un remake, mais à fronts inversés, de la pièce jouée il y a quelques années lors de la tentative de transférer la responsabilité de la politique culturelle genevoise à la presque seule Ville de Genève. La pièce, « Main basse sur la culture », avait eu un beau succès public et politique : On y avait applaudi Patrice Mugny dans le rôle du méchant, Charles Beer dans le rôle du Chevalier blanc, et le RAAC en choeur antique. Ils étaient d'ailleurs très bons tous les deux, Patrice et Charles, chacun dans son rôle. Et les voilà, les deux même, échangeant leurs rmasques pour nous rejouer la pièce à rôles inversés. Mais la pièce commence à lasser. Et quelques unes des scènes de sa dernière version sentent le bâclage : si le fonctionnement de la Fondation d'Art Dramatique est si chaotique que le Conseiller d'Etat le dit, pourquoi ne pas avoir proposé de le réformer, puisqu'il s'agit d'une fondation de droit public dont les statuts sont votés par le Grand Conseil, à qui le Conseil d'Etat peut faire toutes les propositions qu'il veut ? La question ne se pose d'ailleurs pas pour la seule FAD, elle se pose aussi pour le Grand Théâtre, dont les statuts vont fêter bientôt leur demi-siècle... Le canton arbitre de la culture ? Mais qui se veut arbitre ne peut pas en même temps être joueur... La République n'a pas a priori dans le champ culturel (ni dans aucun autre) une légitimité plus forte que la Commune. Elle a la légitimité d'une partenaire de la Ville. Ni d'une cheffe, ni d'une subordonnée : d'une égale en charges, et en responsabilités. Nous avons assez déploré l'absence de la République, ou la modestie de sa présence, dans le champ culturel, et salué une volonté nouvelle d'y être présente avec des moyens accrus pour pouvoir en attendre des projets lisibles dont on puisse débattre, plutôt qu'une bouderie à la Comédie ou une absence au Grand Théâtre.

mercredi 26 mai 2010

Grand Théâtre : Du bon usage des crises

Le Conseil administratif de la Ville a donc demandé au Conseil d'Etat, qu'on voit mal l'accepter, une dérogation à la loi pour pouvoir prélever 870'000 francs dans le «non-dépensé» du budget 2009, et les accorder au Grand Théâtre qui, pour avoir présenté un budget aux recettes surévaluées, se retrouve avec un manque de financement de deux millions et demi. L'opération n'est pas seulement douteuse d'un point de vue formel, elle l'est surtout d'un point de vue politique. La plus lourdement subventionnée de toutes les institutions culturelles du canton, et la seule à bénéficier, année après année, en sus de sa subvention, d'une prise en charge directe par la Ville de la plus grande partie de son coût, doit pouvoir assumer seule ses erreurs de prévision. Et le canton, qui clame -à juste titre, d'ailleurs- sa volonté de prendre dans la politique culturelle la part qui devrait être la sienne, pourrait, enfin, commencer à financer, un peu, encore marginalement, un Opéra dont l'existence même ne dépend actuellement que de la seule Ville de Genève. Il y a un bon usage des crises : comme la précédente crise qu'a traversée le Grand Théâtre, entre 2007 et 2009, avait permis d'entamer enfin une réforme de l'institution, le dernier épisode d'une crise structurelle de financement du GTG devrait être l'occasion de réformer ce financement, au lieu que de persister à le bricoler de subventions extraordinaires en garanties de déficit, toutes à la charge de la Ville.

Beggar's Opera

Ce que la précédente crise traversée par le Grand Théâtre avait illustré était l'état absolu d'obsolescence de sa structure institutionnelle et professionnelle : des statuts dépassés, des règlements poussiéreux, des pratiques folkloriques, des relations féodales entre chefferie et personnel.... Ce qu'illustre le dernier épisode de la crise de financement du GTG est un même état d'obsolescence : celui de la structure de son financement (outre la persistance d'un réflexe d'omertà qui semble s'être traduit d'abord par la punition infligée à une cadre du Grand Théâtre coupable d'avoir soulevé le lièvre de la surévaluation des recettes, ensuite par une décision du Conseil de fondation de ne pas informer sur la crise financière pour ne pas gâcher le lancement de la saison à venir, enfin par l'absence d'information donnée à leurs partis par les représentant du Conseil municipal au Conseil de fondation). Ce ne sont là que péripéties subalternes, l'enjeu est ailleurs : il est dans l'opportunité d'utiliser ce nouvel épisode pour redéfinir le financement de l'institution Mais on ne pourra de cette crise faire ce bon usage qu'en rompant avec la mauvaise habitude qui consiste pour la Ville, chaque fois que le Grand Théâtre manque d'argent, à lui donner ce qu'il réclame, en promettant haut et fort que « c'est la dernière fois qu'on cède ! » pour mieux se préparer à céder une fois encore, et en assortissant ce soutien de conditions dont le caractère impératif s'estompe au fur et à mesure que le temps passe. Aujourd'hui, la Ville affecte 45 millions et demi de francs au Grand Théâtre (le canton... 900 fois moins). Une participation du canton au financement du Grand Théâtre permettrait d'abord à la Ville d'affecter ce qu'elle n'aurait plus à assumer pour l'opéra à d'autres champs culturels que celui d'une institution. et ensuite de prendre au sérieux les intentions de l'avant-projet de loi sur la culture. La charge de l'exploitation de l'opéra devrait donc être au moins être partagée entre la Commune et la République. Même si le canton prenait à sa charge la totalité de la subvention d'exploitation du GTG, il n'assumerait encore que le tiers de la charge financière totale de l'institution, la Ville continuant à supporter presque tout le reste, à commencer par les salaires de la moitié du personnel, l'entretien du bâtiment, la rénovation des équipements, etc... Quand le canton affirme sa volonté d'être celui qui « définit et met en oeuvre la politique culturelle cantonale », fût-ce « en concertation avec la Ville et les autres communes », cette volonté devrait l'engager à un peu plus que ce discours. Pour l'y inciter, sans doute faudra-t-il que le Conseil municipal commence par refuser toute subvention extraordinaire au Grand-Théâtre, puis décide, souverainement, de réduire la subvention ordinaire à la moitié de ce qu'elle est actuellement, charge au canton d'assumer l'autre moitié, la Ville continuant cependant d'assumer le coût (autour de 30 millions par an) de l'existence de l'institution et des salaires du personnel qu'elle y affecte déjà, et de celui encore employé par la fondation et qui devrait passer sous statut de la fonction publique municipale.

jeudi 20 mai 2010

Usine, Grand Théâtre, rôle du canton : La politique culturelle genevoise dans tous ses états

Le Conseil administratif « sucre » 200'000 francs à l'Usine pour la punir d'avoir toléré un concert dans un espace non insonorisé, il manque deux millions et demi de francs au Grand Théâtre* pour boucler sa saison, et le canton veut prendre la main (mais au moindre frais possible) sur la politique culturelle : quels rapports entre ces trois informations ? celui d'illustrer, chacune à leur manière, les incohérences de la politique culturelle genevoise. Une incohérence qui ne date pas d'hier : en 1758, dans sa « Lettre à M. d'Alembert sur les spectacles » , Jean-Jacques écrivait avoir « fait voir qu'il est absolument impossible qu'un théâtre de comédie se soutienne à Genève par le seul concours des spectateurs. Il faudra donc de deux choses l'une : ou que les riches se cotisent pour le soutenir, charge onéreuse qu'assurément ils ne seront pas d'humeur à supporter longtemps ; ou que l'Etat s'en mêle et le soutienne à ses propres frais ». On en est toujours là -il suffit d'étendre l'exemple donné par le Citoyen de Genève à l'ensemble du champ culturel genevois.

Pour ceux que cela intéresse, le rapport complet (saison 2008-2009, au format PDF) du représentant (jusqu'au 31 août 2009) du PS au Conseil de fondation du Grand Théâtre peut être téléchargé à l'adresse


Incohérences

En quelques jours, trois informations (on vous fera grâce de la polémique sur la procédure de choix dans la successeur d'Anne Bisang à la Comédie) ont illustré l'état de profonde incohérence de la politique culturelle à Genève. Première incohérence : la Ville qui soutient depuis près de vingt ans l'Usine, ultime bastion de la culture alternative à Genève, se livre contre elle à une assez médiocre opération punitive. Deuxième incohérence: le Grand Théâtre, pour avoir comme d'habitude depuis au moins dix ans surestimé le taux d'occupation de ses salles et donc les recettes de ses spectacles, se retrouve avec un manque de financement de deux millions et demi. Et la majorité du Conseil administratif est prête, en contournant le Conseil municipal, à puiser dans un « non-dépensé » de l'exercice budgétaire précédent pour accorder à l'Opéra ce qui lui manque. Car, contrairement à l'Usine, le Grand Théâtre est une vache sacrée : quand la vache meugle, le fidèle s'alarme. Quand le Grand Théâtre demande, la Ville accorde. Quand au Conseil municipal quelques nihilistes s'avisaient de contester les demandes du Grand Théâtre, ils et elles restaient structurellement minoritaires. A entendre les réactions de conseillers municipaux de tous les partis (sauf l'UDC), une majorité pourrait cependant, cette fois, se dessiner au Conseil municipal pour refuser d'accorder au Grand Théâtre plus que ce qui lui a déjà été accordé -et qui est considérable : l'institution coûte plus de 45 millions par année à la seule Ville de Genève. Ce qui nous amène à la troisième incohérence : celle d'un canton qui, à fort juste titre, revendique le rôle qui doit être celui de toute République dans la politique culturelle, mais ne participe au financement de la principale institution culturelle de la région que par une aumône de 50'000 francs par an. Près de 1000 fois moins que la Ville. D'une commission d'experts est sorti il y a quelques jours un projet de loi qui affirme de bons et solides principes auxquels on voit mal les socialistes, par exemple, s'opposer, puisque ces principes sont ceux que le PS défend depuis des années s'agissant de la politique culturelle, quoi qu'il en soit des divergences qui apparaîtront, dans les conditions, les critères et les modalités de leur mise en oeuvre. D'entre ces principes, il y a celui d'un engagement fort du canton dans le champ culturel. Mais que vaut un tel engagement s'il ne s'appuie que sur une loi, c'est-à-dire des mots, et qu'il ne se traduit pas par un engagement matériel, trivialement financier -à moins qu'en fait de « leadership » culturel, celui que revendique le canton ne se traduise finalement que par un ukase aux communes : « je décide, vous payez » ? Il serait pourtant assez simple pour le canton de démentir par avance cette funeste hypothèse : en accordant lui-même au Grand Théâtre le soutien financier additionnel qu'il demande, au lieu que d'attendre de la Ville qu'une fois de plus, elle paie... Après tout, un tel geste, manifesterait assez clairement que des actes simples peuvent suivre les belles paroles.

dimanche 7 février 2010

Politique culturelle genevoise : Ote-toi de là que je m'y mette ?

Depuis le début de l'année, les cantons voisins de Zurich contribuent au financement de la politique culturelle zurichoise, dont ils profitent sans, jusque-là, en assumer le coût : Schwytz, Zoug, Uri, Lucerne et Argovie ont signé avec Zurich une convention portant notamment sur les grandes institutions culturelles d'importance régionale (le Grand Théâtre, l'Opéra, le KKL de Lucerne), auxquelles Zurich consacrait 100 millions de francs par année sans qu'il y ait de raison pour que seuls les contribuables zurichois financent une offre culturelle dont les habitants des cantons voisins profitent aussi -et dont ces cantons faisaient d'ailleurs, et font toujours, un argument de campagne promotionnelle pour attirer de riches contribuables et de juteuses entreprises. Et à Genève, où la situation est grosso modo la même, à ceci près que ce n'est pas le canton qui casque pour les autres, mais la Ville ? Ben, à Genève, on réfléchit...

Tais-toi et RAAC...
A Genève, donc, on réfléchit à la politique culturelle : la Constituante y réfléchit et une commission d'experts créée en mai de l'année dernière par le canton prépare pour fin avril ou début mai prochain un avant-projet de loi avec l'objectif fort louable de « doter Genève d'une vision cantonale et régionale des arts et de la culture » en « repensant les conditions cadre de la culture dans le canton »... Tout cela serait fort bien s'il ne se sussurrait dans quelques arrière-salles que cette « repensée des conditions cadre » aurait une fâcheuse tendance à ne fonctionner que dans un sens, que cette « vision cantonale et régionale » aurait quelque difficulté à regarder ailleurs que vers la concentration des compétences sans partage des charges, et qu'on pourrait bien nous proposer une sorte de gouvernance culturelle par le haut, sans frais pour qui décide et sans pouvoir pour qui paie. Bref : un exercice du même genre, mais en sens inverse, que celui qui avait été tenté il y a quelques années (refiler la politique culturelle à la Ville) et qui avait suscité une levée de boucliers. Autrement dit : que le canton prenne tous les pouvoirs de décision et laisse les communes en général et la Ville en particulier exécuter... et surtout payer. Là où il devrait s'agir de renforcer l'action culturelle de toutes les collectivités publiques, la concertation entre elles et le partage entre elles des charges financières de la politique culturelle, on se retrouverait dans un cadre où une collectivité (cantonale) décide pour toutes les autres. Le Grand Théâtre, par exemple, serait peut-être cantonalisé... mais pas son financement, la Ville continuant d'y consacrer chaque année des dizaines de millions de francs. Passer du principe « qui paie commande » au principe « tais-toi et paie », c'est passer d'une ânerie à une autre, sur un terrain, la culture, où rien n'est plus absurde et stérile que la concentration du pouvoir de décision. Quelque chose nous dit que nous pourrions être à nouveau amenés à tenter d'expliquer aux « politiques », y compris aux nôtres, que « politique culturelle » et « main basse sur la culture » ne sont pas synonymes.