Leux commissions municipales des travaux et de la
culture ont, ensemble, auditionné le Conseil
administratif, les représentants de la Fondation d'Art Dramatique
et de l'Association pour une nouvelle Comédie, après qu'ait été
déposée une motion de l'Alternative demandant à la Municipalité,
comme cela fut fait à propos de la rénovation-extension du Musée
d'Art et d'Histoire, de préciser les enjeux, les contenus et les
ambitions culturelles du projet de « Nouvelle Comédie » dans le
quartier de la Gare des Eaux-Vives (future gare du CEVA), projet
pour lequel le Conseil administratif sollicite un crédit net de
plus de 52 millions de francs (sur un total de plus de 98
millions, dont à déduire une participation cantonale proposée par
le Conseil d'Etat, mais qui dépend d'un vote du Grand Conseil).
Enjeu de taille : avec ce projet, la Comédie de Genève ne change
pas seulement de lieu, mais surtout d'ambition, d'échelle et de
rôle.
« On ne souffre point de Comédie à Genève...»
La Comédie de Genève, inaugurée en 1913, fait bien son âge. Elle
le faisait déjà en 1987, constatait Matthias Langhoff dans un
remarquable rapport, et les quelques mesures de rénovation
partielles accordées depuis n'ont pas permis de remédier à ses
défauts structurels: un cadre et un plancher de scène inadaptés,
une scène trop petite, une visibilité et une acoustique
aléatoires, des installations scéniques et une machinerie
vétustes, des décors malaisément accessibles, des espaces
d'accueil (loges, foyer), des lieux de répétition et des ateliers
en nombre et en espace insuffisants... La transformation, à la
faveur de la réalisation du CEVA, de tout le quartier de la gare
des Eaux-Vives, avec plusieurs centaines de nouveaux logements,
une école, une crèche, des équipements sportifs, des espaces
publics libérés de la circulation automobile, offrait
l'opportunité d'implanter une nouvelle Comédie, succédant à
l'ancienne. En 2009, le projet de l'Atelier FRES et de «
Changement à vue » était retenu : deux salles de spectacles, des
ateliers, des salles de répétition, un café-restaurant, une
librairie -bref, une véritable « Maison du Théâtre », une «
fabrique pour les arts de la scène », une « ruche ») ouverte non
seulement aux moments des spectacles mais pendant tout le temps où
un public lui serait disponible. C'est le projet de La Nouvelle
Comédie, devisé à 98 millions de francs, dont 52,62 millions à la
charge de la Ville et 45 millions à la charge du canton.
C'est beaucoup, 98 millions ? c'est beaucoup moins que le coût
total de la rénovation-extension proposée du Musée d'Art et
d'Histoire, et c'est un coût assumé par les seules collectivités
publiques. Il y a bien, un partenariat, mais pas un partenariat
public-privé : un partenariat public-public. entre la Ville et le
canton (pour autant que le Grand Conseil y consente). Si le
financement du projet est accepté par le Conseil Municipal de la
Ville et par le Grand Conseil, le chantier pourrait démarrer début
2016 et la Nouvelle Comédie ouvrir ses portes en 2018.
Changement d'échelle changement de rôle : on ne propose pas
seulement de donner des moyens, des espaces, du personnel
supplémentaire à la Comédie de Genève, on propose de changer sa
place dans le tissu culturel genevois et la place du théâtre dans
la cité. La Comédie comme institution publique deviendrait ce que
le Grand Théâtre est pour l'art lyrique, l'OSR pour la musique
symphonique ou ce que rêve d'être le Musée d'Art et d'Histoire :
une institution de référence pour tout un art, toutes celles et
tous ceux qui y oeuvrent, toute une forme d'expression.
On ne construit pas un supermarché, on construit un théâtre.
A d'Alembert qui regrette qu'« On ne souffre point de Comédie à
Genève», et presse la parvulissime République de se doter d'un
théâtre et d'une troupe, Rousseau répond « Vous serez surement le
premier Philosophe qui jamais ait excité un peuple libre, une
petite Ville, et un Etat pauvre, à se charger d'un spectacle
public », mais ce que Jean-Jacques abhorre, ce n'est pas le
théâtre en tant que tel, c'est le spectacle qui se donne devant un
public qui n'en est ni le sujet, ni l'objet; ni l'auteur, ni
l'acteur : «n'adoptons point ces Spectacles exclusifs qui
renferment tristement un petit nombre de gens dans un antre
obscur; qui les tiennent craintifs et immobiles dans le silence et
l'inaction ». Pour le Citoyen de Genève, le théâtre devrait être
à Genève une fête (« Quoi ! ne faut-il donc aucun Spectacle dans
une République ? Au contraire, il en faut beaucoup. C'est dans les
Républiques qu'ils sont nés, c'est dans leur sein qu'on les voit
briller avec un véritable air de fête »). Le théâtre peut
cependant être autre chose, être ce qu'il était à Athènes (ou ce
que des metteurs en scène comme José Lillo en font déjà à Genève)
: le moment où la Cité dit elle-même à elle-même ce qu'elle fut,
ce qu'elle est ou veut être, ses fautes et ses gloires, ses
courages et ses lâchetés.
Si la Nouvelle Comédie pouvait jouer ce rôle irremplaçable, cela
suffirait à la justifier et à justifier l'investissement que la
Ville prévoit de lui consentir.