mercredi 29 septembre 2010

Culture alternative à Genève : De la cave au garage à vélos

Après moult tentatives dilatoires, sous les prétextes les plus farfelus, de la droite de renvoyer cette décisions aux calendes grecques, le Conseil municipal de la Ville a voté un crédit d'un million de francs pour l'aménagement d'une salle dans les sous-sols de l'ex-école d'Ingénieurs, afin d'y loger l'association « Cave 12 », selon un accord tripartite entre le canton (propriétaire des lieux), la Ville (qui financera les travaux) et la Cave 12, qui sera maîtresse d'ouvrage desdits travaux. Expulsée du squat Rhino en 2007, la Cave 12, dont le champ d'activité est celui de la musique expérimentale, et dont la réputation, flatteuse, dépasse largement les étroites frontières genevoises, nomadisait depuis trois ans. Le projet accepté par le Conseil municipal (c'est-à-dire sa majorité de gauche, plus l'UDC) la sédentarise. Mais en la faisant passer de la cave d'un squat au garage à vélo d'une école.

Gens du voyage artistique

La culture alternative sort d'une cave pour entrer dans un garage à vélo : cela n'a sans doute rien de glorieux pour une ville qui, naguère, offrait de cette culture des marges et de l'expérimentation l'une des plus larges palettes en Europe, mais c'est le début d'un début. Ou peut-être, pour paraphraser Churchill : « pas encore le début de la fin, mais déjà la fin du début »... Le Conseil municipal de Genève avait fait le choix politique, le choix de principe, d'aider les acteurs culturels dits « alternatifs », ou à tout le moins expérimentaux, chassés des lieux qu'ils occupaient par le prurit épurateur qui s'était emparé de Genève à l'époque de la chasse aux squatters, à retrouver, cette fois légalement, des lieux où agir et créer. Le projet qui était soumis au Conseil municipal, avec ses défauts (il en avait, et ne pouvait pas ne pas en avoir, dès lors qu'il était le résultat d'une négociation entre trois partenaires), est une concrétisation de ce choix politique. C'est ce choix que la gauche défendait, parce qu'il s'imposait comme essentiel, même à l'examen des défauts du projet. La « Cave 12 » avait, aux yeux de la droite (sauf, curieusement, à ceux de l'UDC, qui le lui pardonnait) un défaut définitif, irréfragable : elle avait été squatteuse, crime imprescriptible, puisque commis contre la propriété privée dans une société qui l'a sacralisée. Le PS, les Verts et « A gauche Toute ! » ne se faisaient pas un devoir de relogier d'ex-squatteurs pour maintenir la paix sociale, ces trois forces se faisaient un devoir d'aider à maintenir à Genève l'éventail le plus large possible d'acteurs culturels. Ce choix, le projet de relogement de la « Cave 12 » permet de le concrétiser. Refuser ce projet, c'était bien pour la droite genevoise faire payer à l'association, et à l'association seule, les difficultés d'une négociation entre deux collectivités publiques et une association. C'était prendre cette association en otage. puisqu'elle seule ferait les frais d'un refus. Il est vrai qu'il ne s'agit pas d'une grosse institution, qu'elle ne pèse pas des dizaines ou des centaines d'emplois, ne coûte pas des millions ou des dizaines de millions, et qu'on peut donc s'y attaquer sans risque. La Cave 12 nomadise depuis trois ans. Elle attend depuis un an d'être sédentarisée. Ces gens du voyage artistique ont besoin d'un lieu pour travailler, le projet voté par le Conseil municipal le lui offre : ici, aujourd'hui, on pourra se permettre de trouver assez ironique que ce soit la droite qui fasse tout pour que cette association reste nomade, et que ce soit la gauche qui lui donne les moyens de se sédentariser. Un Hortefeux, un Besson, un Sarkozy y perdraient leur romani.

vendredi 3 septembre 2010

Un musée ? Non : un miroir...

Musée d'ethnographie de Genève
Un musée ? Non : un miroir...

Le Conseil administratif genevois a revu et corrigé le projet d'agrandissement du Musée d'ethographie, combattu par un référendum populaire parce qu'il implique l'abattage de 31 arbres dans la cour du musée. Au projet initial ont été ajoutés un jardin public, des pelouses, des fleurs, un plan d'eau, des jeux pour les enfants, une terrasse de bistrot, tout cela sans attenter au préau de l'école voisine et sans dépasser le budget initial de 63,2 millions (sans quoi il aurait fallu déposer un nouveau projet, certainement lui aussi combattu par référendum, puisque c'est le sort de tous les projets muséaux à Genève depuis des lustres). On abattra donc des arbres, mais pour en replanter plus qu'on en aura abattus. Ce sont les beautés de la démocratie directe : un référendum, et la végétation pousse (ou repousse) dans la cour des musées. Un référendum de plus, ce serait carrément la jungle. Cela dit, ce que le débat, et demain, 26 septembre, le vote sur le projet d'agrandissement du Musée genevois d'ethnographie, mettent en évidence est bien qu'un tel musée n'est pas le lieu où « notre société » regarde les sociétés des autres, mais d'abord celui où elle se regarde elle-même, telle qu'elle est, pour ce qu'elle vaut. « Citoyens aux urnes pour 31 arbres », titre «20 Minutes». Pour 31 arbres (remplacés 41 autres) vraiment ? Ou pour dire ce que nous sommes prêts à payer pour savoir qui nous sommes ?

Comment peut-on être Persan ?
Au rythme de nos voyages, « chacun d'entre nous est un petit ethnographe qui s'ignore et chacun d'entre nous constitue même son petit musée d'ethnographie », écrit le directeur du Musée d'ethnographie de Genève. Boris Wastiau, dans le dépliant distribué pour convaincre le peuple municipal souverain de soutenir le projet d'agrandissement de son musée. Chacun de nous, il est vrai, est un peu ethnographe. Mais chacun de nous est aussi objet d'ethnographie : les humains ne sont pas des arbres, et leurs villes ne sont pas des forêts : nos racines, celles de nos cités, de nos sociétés, de nos Etats, sont culturelles, et multiculturelles de toute évidence et de tout temps. Or depuis des décennies, tous les projets de nouveau musée d'ethnographie se sont heurtés à des oppositions qui ont renvoyé aux archives les études faites sur eux et au néant les millions dépensées pour elles. A chaque fois, le même discours dilatoire a été tenu : un nouveau musée d'ethnographie ? d'accord. Mais pas comme ça. Ou pas là. Pas à la place Sturm, pas au chemin de l'Impératrice, pas au boulevard Carl-Vogt. Pas s'il faut couper des arbres (même si on replante d'autres), pas si on supprime des places de parking... Pour sortir de cette fatalité qui à Genève comme en d'autres lieux, pèse sur les projets culturels, et les rend fragiles à la coalition d'oppositions disparates s'additionnant pour composer une majorité (la Maison de la Danse y a succombé), on joue désormais la carte de l'humilité, la culture devant, décidément, forcément, et surtout logiquement si l'on s'en tient à la logique de la marchandise, se « la jouer discrète » et laisser le somptuaire, le grandiose -bref, l'immodeste, aux grands temples de la consommation et de la finance -aux centres commerciaux, aux sièges des grandes entreprises... Comme s'il devait être désormais de règle dans une démocratie qu'une institution culturelle n'ait pas, ou plus, à se montrer, ou qu'elle n'ait à se montrer que sans se faire remarquer. Quand on applique aux musées les critères des fortifications souterraines du Réduit National, c'est sur la place de la culture, plus que sur les goûts architecturaux, que cela interroge, même si de bonnes explications peuvent être données de ce minimalisme cryptophile : le manque de place dans les villes, la nécessité de préserver les objets et les œuvres de la lumière du jour, la possibilité de contourner les oppositions « esthétiques », mais aussi le souci de faire de la muséologie, et non d'un « geste architectural » narcissique le centre et la justification d'un projet de musée. Ce dernier souci est sans doute légitime, mais sa traduction dans le corps de la ville ne peut avoir pour seule raison que celle de ne pas déplaire, en un temps où tout lieu culturel, même le plus institutionnel, même un musée, devient objectivement un espace de résistance au mercantilisme, un espace de subversion des idées reçues -un espace commun, contre les lieux communs.