jeudi 29 octobre 2015

Un modèle que la droite genevoise exècre : Haro sur l'Usine !


    

On a donc passé (comme cela nous arrive au moins une fois par année) quatre heures, mardi et mercredi, au Conseil Municipal, à entendre la droite et l'extrême droite de cet auguste assemblée exhaler son allergie à l'Usine, à ce qu'elle représente et à ce qu'elle revendique, à son fonctionnement et à son public. Prétexte de ce défouloir : d'abord, l'opposition de l'Usine, centre culturel, à la prétention des services du Conseiller d'Etat Maudet de la traiter comme cinq débits de boissons devant chacun obtenir une autorisation; ensuite, l'expression de cette opposition par une manifestation, dimanche dernier, lors de laquelle des déprédations (essentiellement des tags, mais aucune violence physique) furent commises; enfin, le soutien apporté à l'Usine par le Conseil administratif (de gauche) que la droite locale (élargie, distendue, dilatée) incapable de s'y renforcer, tient désormais presque en la même exécration que l'Usine elle-même) : « Nous ne souhaitons pas voir saucissonner ce lieu qui fonctionne comme une structure unique, un modèle d'autogestion (qui) permet des interactions entre les différentes entités qui le composent ». Et si c'était précisément à ce modèle qu'en a la droite genevoise (dont certains membres, naguère, du temps où il y avait à Genève une droite intelligente -o tempora, o mores- furent pourtant à l'origine de la reconnaissance officielle de la spécificité de l'Usine) ?


La liberté est incontrôlable, ou n'est pas. Comme l'Usine ? Comme l'Usine...

On devrait se féliciter de ce que l'Usine intéresse à ce point la droite et l'extrême-droite du Conseil Municipal de la Ville de Genève qu'elle s'en prenne à elle rituellement, au moins une fois par année. Se féliciter même qu'elle puisse obséder certains. Parce que cet intérêt, sinon cette obsession, l'Usine les mérite. Par sa programmation, par son fonctionnement, par son rôle dans le paysage culturel genevois. Las ! Ce n'est pas cette programmation, ce fonctionnement, ce rôle qui intéresse, qui obsède, la droite à propos de l'Usine. C'est la bibine et les tags. Ce qui se fait à l'Usine, la droite s'en fout, c'est ce qui s'y boit qui la mobilise. Peu importent le théâtre, le cinéma, la musique, la galerie, les ateliers de l'Usine, l'accueil d'activités expressives pour les handicapés : hier soir, il était évident que pour la droite et l'extrême-droite municipales, l'Usine n'était rien de plus qu'un débit de boisson faisant concurrence aux honnêtes tenanciers des autres débits de boissons et un repaire de sauvageons lâchant sur la ville apeurée des hordes de barbares incendiaires se livrant à des exactions sanglantes. Bon, faudrait peut-être arrêter le crack, là...

Que pour la droite et la droite de la droite genevoises, l'Usine ne soit que de la bière et des tags, cela en dit plus sur sa conception des lieux culturels, de leur pluralisme, de leur fonctionnement, de leur rôle -et  du rôle de la Ville dans leur maintien, que tous les discours qu'elle peut nous tenir par ailleurs sur le Grand Théâtre, la Nouvelle Comédie ou la Maison de la Danse. El il nous vient une étrange nostalgie : celle d'une droite disparue, capable non seulement de tenir un discours culturel mais aussi de mener une politique culturelle soucieuse du pluralisme des formes, des disciplines et des lieux. Mais si le mot « nostalgie » est l'un des plus beaux de la langue française, la nostalgie elle-même est fort mauvaise conseillère politique et il nous faut bien faire avec la droite qu'on a, quelque regret que l'on puisse ressentir de sa décadence culturelle.
Cette « droite qu'on a »  veut, à la traîne de Pierre Maudet et de ses services, appliquer à un lieu culturel une loi sur les débits de boissons -mais combien de débits de boisson proposent du théâtre, du cinéma, de la musique, une galerie, un atelier sérigraphie ?  L'Usine, dans la réalité de cette ville, dans son paysage culturel, c'est plus de 80 événements par mois, de toutes natures, dans toutes les disciplines et par toutes les formes d'expression artistiques. L'Usine, dans la réalité de cette ville, dans son paysage culturel, ce sont plus de 5000 spectateurs par semaine, pour du théâtre, du cinéma, de la musique, des arts plastiques, des performances.
Enfin, il convient de faire justice du reproche fait à l'Usine de son "ingratitude" à l'égard de la collectivité publique qui la soutient et la subventionne. Faire justice de ce reproche, c'est admettre qu'un lieu culturel, des acteurs culturels, n'ont aucune gratitude à devoir à quelque autorité que ce soit, et que toute politique culturelle publique doit accepter que ceux qui en bénéficient crachent dans la soupe qu'on leur sert, qu'ils sont un peu là pour cela, et que cela fait partie de leur rôle.

L'acteur culturel, l'agitateur culturel qu'il est forcément, est ingrat. Il ne remercie pas. Il ne félicite pas. Mais il est bien le seul dont les décideurs d'une politique culturelle ne peuvent se passer. La culture, les institutions culturelles, les lieux culturels, ce ne sont toujours que les hommes et des femmes incommodes, ingrats, insatisfaits,  revendicatifs, bref : ingérables, qui les peuplent. C’est à ces incommodes que les collectivités publiques ont affaire, si elles ne veulent pas n’avoir affaire qu’à des archives. Ce sont ces incommodes qui font vivre, raisonner, créer les lieux où s'invente la culture vivante, quoi que l'on pense, aime ou déteste de ce qui s'y invente. Ce sont ces incommodes qui en ces lieux  font ce qu’il n'y faut pas faire. Y disent ce qu’il faut taire. Y montrent ce qui devrait rester caché. Un vieux philosophe du nom d’Adorno le disait : « La liberté de l'art, son indépendance vis-à-vis de ce que l'on exige de lui, se fonde dans l'idée d'une société libre et anticipe en un certain sens sa réalisation ».

Gestionnaires des lieux de la création, les collectivités publiques se retrouvent gestionnaires de la liberté -et elle est incontrôlable, ou n'est pas.
Comme l'Usine ? Comme l'Usine.

 




mercredi 7 octobre 2015

Brèves


Dans un courrier de lectrice à la «Tribune de Genève», paru le 26 septembre, la présidente de la Fondation pour l'agrandissement du Musée d'art et d'histoire, Martine Brunschwig-Graf, s'en prend aux opposants à cet agrandissement, qui, sous la plume du Conseiller municipal Tobias Schnebli, s'en étaient, eux, pris au  partenaire  de la Ville dans ce projet, le milliardaire Jean-Claude Gandur, que Martine Brunschwig-Graf qualifie au passage de « mécène ». La présidente de la Famah donne comme exemple d'un beau mécénat dont la Ville de Genève a bien profité celui du duc de Brunswick, qui a légué à la Ville sa fortune à la condition qu'on lui érige un mausolée là précisément où il le voulait. Résultat : une espèce de boursouflure néo-gothique genre Disneyland, qui ne suscite plus d'indignation esthétique que parce qu'elle ne suscite plus que la rigolade. Ben si c'est comme ça que les partisans du projet Nouvel veulent convaincre les habitants de la Ville de voter en faveur de ce projet fin février prochain, les opposants peuvent dormir tranquille...

On ne vous resservira pas ici notre réaction à l'opposition du PLR, de l'UDC et du MCG au projet de «Nouvelle Comédie». Mais entre le discours « anticulturel » des uns (faut arrêter de soutenir la culture, c'est le sport qu'il faut soutenir), le discours comptable des autres (« les caisses sont vides » -dans un canton dont les caisses reçoivent chaque année dans les huit milliards de francs ?), le prétexte  (la nouvelle répartition des tâches), on fait tout de même observer (innocemment) que ceux qui ne veulent pas que le canton paie pour la Nouvelle Comédie sont les mêmes que ceux exigent qu'il paient pour le Stade de la Praille -qui ne programme rien, tombe en morceau comme la Comédie actuelle mais au contraire de la Comédie actuelle (et de la future Nouvelle Comédie) reste désespérément vide à au moins 85 % même lorsque le Servette FC y joue... alors bon, on demande pas à ces gougnafiers de s'intéresser au théâtre (cette forme obsolète d'expression, comme disait l'un d'eux -qui le disait d'ailleurs aussi du cinéma), on leur demande seulement un soupçon de miette de cohérence...

mardi 6 octobre 2015

Anciennes pitreries et Nouvelle Comédie : Quand le PLR surjoue Tartuffe


   

Par neuf voix (PLR, UDC, MCG) contre six (la gauche et le PDC), la commission des travaux du Grand Conseil a décidé d'inviter le parlement genevois à refuser d'entrer en matière sur le crédit proposé par le Conseil d'Etat pour compléter celui que la Ville de Genève, par un vote largement majoritaire de son Conseil Municipal , à accordé au projet de "Nouvelle Comédie". Les explications données par le PLR pour justifier le vote de ses commissaires (l'opposition du MCG et de l'UDC étant déjà connue et, s'agissant d'un projet culturel, relève du réflexe pavlovien) sont d'une assez monumentale tartufferie : le PLR a d'abord voulu ajourner le vote, alors que tous les éléments du projet set tous les critères d'un prononcement, quel qu'il soit, sont connus  sont connus depuis des mois. Il a ensuite expliqué qu'il fallait attendre les premiers résultats de la réforme de la répartition des compétences entre les communes (et, s'agissant de la culture, surtout de la Ville) et le canton, réforme qui n'aboutira pas (si elle aboutit...) avant 2017 alors que le chantier de la Nouvelle Comédie devrait s'ouvrir en 2016, si on veut éviter que les coûts prennent l'ascenseur. Il a enfin, par la voix du député Zweifel, considéré que la Ville pouvait tout payer toute seule (alors que le PLR de la Ville ne cesse de clamer que la Ville est au bord du gouffre financier), et conclu en apothéose tartuffière, par la voix du président du parti, Alexandre de Senarclens, que ce n'était "pas de gaieté de coeur" que le PLR s'apprêtait à couler le projet en rendant impossible son financement paritaire entre la Ville et le canton...


La culture coûte tro cher ? Essayez l'inculture...

  Le PLR s'apprête donc à rejoindre l'UDC et le MCG dans le refus du financement cantonal du projet de Nouvelle Comédie, la Ville de Genève ayant, elle, accepté sa part (équivalente à celle du canton) dans ce financement. Si l'opposition du PLR au financement du projet de nouvelle Comédie fait basculer la majorité parlementaire dans le refus de ce financement, soutenu par la gauche et le PDC et déjà combattu par l'UDC et le MCG, le projet est-t-il condamné ? non. D'abord, parce que la moitié de son financement est déjà acquise par la décision du Conseil Municipal de la Ville de Genève de voter les crédits nécessaires, et qu'aucun référendum municipal n'a été lancé contre cette décision. Ensuite, parce qu'une initiative populaire pourrait suppléer au refus du Grand  Conseil si, dès son lancement, elle est portée par une large mobilisation de la "société civile", et soutenue par un large front politique, autour de la gauche et du PDC. Enfin, parce qu'au Conseil Municipal, la levée de la conditionnalité du crédit municipal par le vote du Grand Conseil est aussi envisageable, comme d'ailleurs un crédit additionnel, mais là encore, la gauche à elle-seule ne suffira pas à l'obtenir. Rien, en tout cas, ne sera obtenu pour la Nouvelle Comédie sans une forte mobilisation de cette part de la "société civile" pour qui la culture n'est pas la cerise sur le gâteau, mais la pâte même du gâteau -l'étoffe dont sont tissées nos sociétés, et dont le théâtre dévoile la trame.

Reste donc, en attendant, à tenter de convaincre une majorité du Grand Conseil de soutenir la proposition du Conseil d'Etat : l'accord de la gauche est acquis. Celui du PDC semble l'être aussi, en principe (mais connaissant l'animal, on n'en sera sûr qu'après le vote). Et le PLR est divisé. Y'aura-t-il au sein de ce parti suffisamment de députés et de députées capables de réfléchir et de voter par eux-mêmes (en bons libéraux, si ce qualificatif a encore un sens), en fonction du projet qui leur est soumis et non des ordres reçus de leurs chefs, sous-chefs et caporaux ?

Au fond, en sabordant le financement du projet de Nouvelle Comédie, c'est aussi la Loi cantonale sur la Culture et la réforme de la répartition des tâches que le PLR saborde : la loi, en réduisant l'ambition du canton de prendre sa part de la politique culturelle à un discours sans engagement réel, et la réforme, utilisée d'ailleurs comme prétexte pour ne pas accepter de financer la "fabrique de théâtre", en campant sur la situation actuelle qui voit la Ville prendre à sa charge la plus grande part du financement des grandes institutions culturelles. Le projet de Nouvelle Comédie, c'est le test de légitimation de la nouvelle Loi cantonale sur la culture, et de vérification de la réalité des discours tenus sur la nouvelle répartition des tâches entre le canton  et les communes, et en particulier entre le canton et la Ville, dans un domaine -la politique culturelle- où la présence du canton tient de la figuration hallebardière. Couler à la fois la Nouvelle Comédie, la Loi sur la Culture et la nouvelle répartition des tâches ? Beau travail, les gars... "Vous trouvez que la culture coûte trop cher ? Essayez l'inculture"... et votez PLR.

La Nouvelle Comédie, ce n'est pas l'actuelle Comédie déplacée et agrandie, c'est une "fabrique de théâtre" comme Genève n'en a jamais connue -une institution culturelle centrale, dans un quartier nouveau. Ce projet  est le projet culturel le plus important de ces vingt dernières années, et pour les vingt années à venir : ce n'est pas, comme pour le projet MAH+, un projet de rénovation et d'extension d'une institution existante, on est bien au-delà d'une simple (mais coûteuse) "nouvelle salle" : on est dans un projet de nouvelle institution culturelle, avec une nouvelle ambition et un nouveau cahier des charges.  Et c'est sans doute bien ce qui effraie le plus la droite. Ce projet ne se heurte à aucune opposition "patrimoniale" (c'est un projet ex nihilo), aucune opposition à la nature d'un financement privé (il n'y a pas de Gandur à l'horizon) : restent une opposition financière (faut faire des zéconomies), une opposition corporatiste (incarnée par le PLR Frederic Hohl, dont l'argumentation d'organisateur de spectacle et d'"événements" se résume en gros à "moi, ce théâtre, j'en n'ai pas besoin"), et une opposition culturelle (ou inculturelle ?) : le théâtre qui se fera à la Nouvelle Comédie n'intéresse que quelques centaines d'întellos de gauche, de toute façon, le théâtre est une forme d'expression obsolète, et c'est dans le sport qu'il faut investir, pas dans la culture.
Il est vrai que jamais un Hohl de gare ne sera un foyer de théâtre...