lundi 26 décembre 2011

« Culture et politique à Genève » : après le forum du RAAC

Beaux discours et lourdes menaces

« Paradoxalement, les inquiétudes se manifestent de plus en plus vivement (au sein des milieux culturels) alors que les progrès accomplis sont indéniables » a regretté Charles Beer, lors du dernier Forum du RAAC (Rassemblement des artistes et acteurs culturels genevois). Quelles inquiétudes ? Quels progrès? Le projet de loi sur les arts et la culture témoigne certes d'une belle intention de faire travailler le canton, la Ville, les autres communes et les milieux culturels ensemble, mais cette belle intention pourrait se traduire concrètement par un appauvrissement considérable du soutien public à la culture, faute d'une majorité politique cantonale acquise à un engagement matériel plus fort de la République sur ce terrain, alors que les ressources financière de la Ville risquent de se trouver lourdement amputées par les diverses contre-réformes fiscales concoctées par la droite cantonale, sans que ces ressources perdues soient récupérées par le canton.. Dans ces conditions, on comprend mieux les « inquiétudes » des milieux culturels : les menaces sont directes, et elles pèsent sur tous les acteurs culturels genevois, institutionnels ou non.

De Post Tenebras Lux à Post Lucem Nebulae

Défendant les propositions de la commission d'experts (CELAC) chargée de rédiger un avant-projet de loi sur la culture, projet qui propose de donner au canton la responsabilité du « pilotage » de la politique culturelle sans lui en donner les moyens financiers, Charles Beer avait donné deux exemples qui selon lui « signalent les limites du fonctionnement actuel, avec un pilotage presque exclusif de la Ville de Genève » : les différentes crises au Grand Théâtre et « les remous autour de la nomination du directeur de la Comédie ». Drôles d'exemples : à la Comédie, le pilotage est partagé entre la Ville et le canton (quand il n'abandonne pas le cockpit), et si au Grand Théâtre la Ville est seule pilote, c'est qu'elle assure matériellement l'existence de l'institution, emploie (et paie) la grande majorité des 300 personnes qui y travaillent et y affecte près de 50 millions de francs. La droite municipale réclame la transformation de la Fondation du Grand Théâtre en institution autonome, dont l'autonomie n'empêcherait pas qu'elle soit sur perfusion financière de la Ville, mais priverait la Ville de la possibilité de tout contrôle réel sur l'institution qu'elle paie.
De toute façon, changer le statut du Grand Théâtre ne dépend même pas de la Ville, qui pourtant le paie, mais du Canton, puisque ce statut est voté par le Grand Conseil et a force de loi. Or le Canton n'accorde à l'opéra, pour tout soutien financier, qu'à peine plus d'un millième de ce que la Ville lui accorde. Et sa situation financière est telle qu'il est parfaitement illusoire d'attendre qu'il fasse plus... Sinon, évidemment, donner des ordres sans en assumer financièrement les conséquences.
Nous avons bien des critiques à faire et bien des propositions à présenter, au mode de financement actuel du Grand Théâtre. Mais ces critiques et ces propositions nous les inscrivons dans une volonté de défendre cette institution, comme lieu culturel. Certes, les institutions lyriques, les opéras comme institutions, le Grand Théâtre, donc, sont, historiquement, des institutions bourgeoises, quand elles ne sont pas aristocratiques. Ce ne sont pas les prolétaires genevois qui ont voulu le Grand Théàtre, et ce ne sont pas eux qui en forment aujourd'hui la majorité du public. Mais si l'opéra, comme institution, est bourgeois, l'opéra, comme forme d'expression artistique, ne l'est que dans la mesure où les grandes œuvres du répertoire nous viennent d'un temps où la bourgeoisie était une classe révolutionnaire. Prenez ces grandes oeuvres : la morale bourgeoise y est traînée dans la boue, les bourgeois y sont ridicules quand ils ne sont pas odieux, les héros sont hors-la-loi, dissidents, insoumis, et même lorsque l'opéra se clôt par un happy end, c'est après trois heures de démolition des convenances...
Peu importe, d'ailleurs : Nous ne sommes plus dans les heureuses années soixante du siècle dernier, où nous pouvions nous permettre d'opposer culture bourgeoise et contre-culture et de brandir le Centre autonome contre le Grand Théâtre, ni dans les heureuses années nonante où nous pouvions nous offrir le luxe d'opposer culture institutionnelle et culture alternative. Nous sommes dans un moment où n'importe quel lieu culturel, qu'il soit institutionnel ou alternatif, est à défendre, non contre un autre lieu culturel, mais contre le mercantilisme. Un moment où nous avons à défendre à la fois le Grand Théâtre et l'Usine, le nouveau musée d'ethnographie et la Cave 12. Un moment où nous n'avons pas à choisir entre plusieurs cultures, mais entre la culture et la marchandise. Et nous choisissons la culture, pour ne pas nous résigner à en avoir fini avec la grande ambition culturelle des Lumières, celle d'une culture émancipatrice, de l'égalité des droits acquise par la diffusion des savoirs, de la citoyenneté acquise par leur compréhension, de la liberté conquise par leur usage critique, contre les Ténèbres religieuses, morales, politiques. Pour ne pas nous résigner à passer à Genève de l'orgueilleux Post Tenebras Lux, à un piteux Post lucem nebulae, celui d'un « tout culturel« » qui ne serait qu'un «tout marchand » d'où la politique serait effacée, mise au service des marchands. Ou dite par des bureaucrates.

jeudi 3 novembre 2011

Rénovation du Musée d'Art et d'Histoire (suite, et pas fin) : Etudier TOUS les projets...

Le Conseil administratif de la Ville de Genève propose au Conseil Municipal un nouveau crédit d'étude de 2 millions et demi de francs, s'ajoutant aux trois millions et demi déjà accordés, pour terminer l'examen du projet « Nouvel » d'extension du Bâtiment principal du Musée d'Art et d'Histoire. L'objectif affiché du Conseil administratif est de « disposer d'un projet concret et complet avant de décider du dépôt d'un crédit de construction ». Objectif louable, nul n'ignorant que le Musée a besoin d'être rénové et agrandi. Mais la décision de déposer un crédit de construction pour un ouvrage qui coûtera au minimum 60 millions à la Ville ne devrait pas se prendre sans que les alternatives au seul projet étudié jusqu'à présent soient aussi examinées, sérieusement et sans a-priori...

La crainte du vote populaire comme début de la sagesse politique ?

La demande par la Municipalité d'un crédit d'étude supplémentaire pour le projet Nouvel signale bien que ce projet, le seul étudié jusqu'ici, et dont il s'agit de prolonger l'étude, n'est pas un projet abouti. Dans ces conditions, l'étude d'un autre projet, sans abandonner celle du projet Nouvel, relève de l'évidence méthodologique. Un amendement à la proposition du Conseil administratif sera donc soumis au Conseil Municipal. Ce que cet amendement propose, c'est simplement de tenir compte du fait que l'opposition au projet Nouvel lui propose désormais une alternative -le projet présenté par la section genevoise de Patrimoine Suisse. Ce projet alternatif doit être lui aussi étudié, et avec le même sérieux que le projet Nouvel. On pourra, après l'avoir étudié, considérer le projet de Patrimoine Suisse comme insuffisant, ou irrecevable. Mais on ne peut ni refuser, ni accepter valablement un projet qu'on n'a pas étudié. Et cela vaut pour le projet Nouvel comme pour le projet de Patrimoine Suisse. La poursuite de l'étude du projet Nouvel se justifie, l'étude du projet de Patrimoine Suisse aussi, et pour les mêmes raisons. Nous ne partons pas du principe que le projet Nouvel soit intrinsèquement mauvais, ni ne le considérons forcément comme inacceptable. Mais nous partons du principe qu'on ne peut se prononcer sur un projet de cet ampleur que si on en a aussi étudié et débattu les alternatives comme le projet lui-même. Surtout quand celui-ci a déjà été modifié entre le moment où il a été accepté et le moment où l'on demande un crédit d'étude supplémentaire pour en étudier les modifications, ce qui confirme que le projet initial ne tient plus la route, et que si on devait le soumettre au peuple dans son état et son contenu actuels, il serait balayé. Ce projet, établi en 2001, sans réelle mise au concours mais au terme d'un appel d'offre calibré par les services de la Ville pour que l'atelier Nouvel, qui n'avait aucun autre projet à Genève, puisse l'emporter avec ses associés genevois, a été modifié parce qu'il avait besoin de l'être. Et nul, aujourd'hui, ne peut garantir qu'il n'aura pas encore besoin de l'être, ni que les modifications qui pourront encore lui être apportées ne sont pas contenues dans le projet de Patrimoine Suisse, ni que ce projet ne contienne quelques idées qui mériteraient d'être retenues, par exemple celle de l'utilisation de la butte de l'Observatoire, en deuil désormais de son hêtre pourpre, et en vacance d'utilisation. Que le projet Nouvel ait été adopté sans qu'il y ait réellement eu concours fut déjà une erreur. Vouloir aujourd'hui l'imposer sans confrontation avec un autre projet serait une faute : ce serait le plus sûr chemin vers un refus du projet en votation populaire, puisqu'alors, à toutes les oppositions déjà certaines, financière, patrimoniale, architecturale, politique, s'ajouterait l'accusation d'avoir voulu faire passer un projet en force. Partir en votation populaire après avoir refusé d'étudier les alternatives au projet officiel, c'est se garantir d'avoir à passer toute la campagne référendaire à se défendre de l'accusation d'avoir tronqué le débat, d'avoir fermé le jeu, d'avoir voulu imposer un seul projet, en n'étudiant que ce seul projet. Il s'agit donc bien de ne pas porter, sur la rénovation et l'agrandissement du MAH, un regard borgne pour une étude hémiplégique, aboutissant à un refus populaire.

lundi 31 octobre 2011

Budget culturel de la Ville de Genève : C'est pas le moment de mollir...

Vendredi 18 et samedi 19 novembre prochains, le Rassemblement des artistes et acteurs culturels genevois (le RAAC) tiendra son 4ème Forum public sur un thème que l'actualité politique locale a, à grands pas, rattrapé : « culture et politique » . Et précisément, demain mardi, à 16 heures 30, devant l'Hôtel de Ville, un rassemblement est organisé pour protester contre les intentions de la droitunie municipale, du PDC au MCG en passant par le PLR et l'UDC, de ratiboiser de 10 millions le budget culturel de la Ville. Les élagueurs culturels de droite font mine de faire marche arrière ? Peut-être. Mais seulement parce qu'ils n'ont pu perpétrer leur mauvais coup en douce (une pétition lancée contre leur tentative a déjà recueilli plus de 4000 signatures : www.petitions24.net/signatures/pas_de_coupe_dans_le_budget_de_la_culture_a_geneve/). La mobilisation s'impose donc toujours. Le budget de la Ville de Genève, et donc son budget culturel, sera soumis au vote du Conseil Municipal le 11 décembre. D'ici là, il s'agit bien, pour la gauche et pour les milieux culturels, de ne pas baisser la garde. Parce que la droite ne renoncera que si elle y est contrainte, par notre mobilisation, dans et hors du parlement.

A demain, 16 heures 30, devant l'Hôtel-de-Ville...


Rappelons les faits (ou plutôt les hypothèses, restons couverts, secret de fonction oblige -on ne ricane pas, au fond, à gauche) : la droitunie (du PDC au MCG) proclame que le budget culturel, dans son ensemble, est par définition trop lourd (forcément, puisque ce n'est pas elle qui le propose), alors que cela fait cinquante ans que la culture pèse en gros le quart du budget global de la Ville, quelque soit la couleur politique du magistrat ou de la magistrate chargé-e de la culture : libéral (Pierre Bouffard), radicale (Lise Girardin), PDC ( René Emmenegger), Verts Alain Vaissade, Patrice Mugny), socialiste (Sami Kanaan). Cette droitunie proposerait donc, d'abord, une réduction linéaire, à la hache, de 3,4 % de tout le budget de la culture (et des sports ?) de la Ville -laquelle assume la plus grande part de la politique culturelle régionale, avec un budget municipal affectant à cette politique le triple de ce que lui affecte le canton... Ensuite de quoi, et faute d'avoir pu opérer cette première coupe, elle taillerait, cette droitunie, au hasard ou à la tête du client dans les subventions (et les postes). Sans aucun argument (on couperait ainsi, pour le plaisir ou la pulsion, un million dans le fonds général pour le théâtre, que l'on réduirait de plus de la moitié), ou avec des arguments du genre : le Festival international du film sur les droits humains a une «idéologie qui nous déplaît» ? on lui sucre donc 100'000 balles, na ! Il serait inutile (ils ne sont pas en état de le comprendre) de rappeler aux brillants auteurs de ces brillantes propositions qu'une subvention à un théâtre, un cinéma, un orchestre, ce n'est pas seulement une ligne dans un budget, dont on peut faire ce que l'on veut au gré de ses humeurs, de ses calculs politiciens, de ses envies de revanche personnelle ou de son ignorance : une subvention, c'est des moyens de créer, de représenter, de travailler. Ce que l'on coupe quand on coupe une subvention, ce sont des postes de travail et des places de spectacles; ceux que l'on punit, ce ne sont pas les politiciens d'en face, ce sont des actrices et des acteurs, des musiciennes et des musiciens, des cinéastes, des spectatrices et des spectateurs, toutes et tous pris en otages d'un infantile réglement de comptes. Au fond, de quelle conception de la culture témoigne la tentative de la droite genevoise d'en ratiboiser le budget ? Nous en aurions donc fini avec la grande ambition culturelle des Lumières, celle d'une culture émancipatrice, de l'égalité des droits acquise par la diffusion des savoirs, de la citoyenneté acquise par leur compréhension, de la liberté conquise par leur usage critique, contre les Ténèbres religieuses, morales, politiques ? Nous n'en serions plus à Post Tenebras Lux, et serions entrés dans Post lucem nebulae, dans le monde du « tout culturel », le monde de la marchandise, d'où la politique est effacée et la culture mise au service des marchands ? Si l'art est le geste, le mot, l'acte par lequel un individu souverain se met en danger face au monde social qui l'entoure, la culture à laquelle la politique culturelle telle que semble la concevoir la droite genevoise ne serait plus que patrimoine et spectacle -une culture sans art, paradoxalement dépolitisée par des politiciens..

A demain, 16 heures 30, devant l'Hôtel-de-Ville...

vendredi 14 octobre 2011

Budget culturel de la Ville de Genève : En quel état la droite se meuh...

Les commissions spécialisées du Conseil municipal de la Ville de Genève examinent en ce moment les projets de budgets qui les concernent. La Commission municipale des arts et de la culture (Carts) examine donc le budget culturel de la Ville de Genève. Compte tenu de l'importance de ce budget, due à l'importance de la Ville de Genève dans la politique culturelle de toute la région (la Ville en est depuis un siècle et demi le premier acteur public, le premier contributeur et le premier soutien), on est en droit d'attendre des élues et élus municipaux siégeant au sein de la Carts qu'ils fassent leur boulot avec tout le sérieux qui s'impose, et avec le souci de défendre à la fois l'engagement culturel de la Ville auprès des artistes et les prestations que les différents lieux culturels genevois offrent à la population. Mais l'attendre de toutes et tous, c'est méconnaître l'état en lequel se meut (ou se meuh...) désormais la droite municipale genevoise...

Petit exercice budgétaire d'obscurantisme culturel


Or donc, comme il se sait désormais (ou commence à se savoir), les représentant-e-s de la droite municipale, tous partis confondus du PDC au MCG, se sont attaqués, à la hache, au budget culturel de la Ville de Genève. Ils et elles ont d'abord proposé une réduction linéaire, arbitraire et aveugle de l'ensemble du budget 2012, pour le ramener mécaniquement au niveau de celui de 2011. Cette proposition ayant été refusée en raison de son imbécilité, la droite s'est mise à tailler au hasard dans les propositions du Conseil administratif, en ne donnant généralement aucun argument pour justifier ces coupes (ainsi de celle d'un million de francs dans le fonds général pour le théâtre, ramenant ses disponibilités à moins de la moitié de celles de 2011), ou ne donnant que des arguments où la sottise le dispute au sectarisme : ainsi de la suppression de 100'000 francs au Festival international des droits humains, « dont l'idéologie nous déplaît ». Dans cet exercice d'obscurantisme culturel, les représentant-e-s du PDC et du PLR se sont servilement alignés sur ceux de l'UDC et du MCG, dont on n'attendait d'ailleurs rien de plus, si on attendait encore, sans doute naïvement, de la part de la droite démocratique autre chose que cette nouvelle manifestation de déliquescence intellectuelle et de décadence politique. Il convient évidemment de dénoncer, comme le PS vient de le faire dans un communiqué, la participation du PDC et du PLR à ce qui apparaît comme une entreprise de sabordage de la politique culturelle de la Ville de Genève. Et même si l'on peut encore se trouver disposé à témoigner aux radelibes et aux démo-chrétiens un peu de la compassion que doit susciter l'état dans lequel leurs deux partis se trouvent, il convient aussi d’appeler les milieux culturels, les artistes, les créateurs genevois, à faire preuve de la plus grande vigilance dans les deux mois à venir, afin de vouer à l'échec les tentatives de la droite et de l'extrême-droite genevoise de réduire l'engagement culturel de la Ville de Genève à quelques opérations touristiques. Et dans l'immédiat, on peut (ça mange pas de pain, et ça peut aider à la mobilisation) signer la pétition lancée par le Syndicat Suisse Romand du Spectacle pour « permettre à « Genève ville de culture » de rester une réalité et pas un slogan du passé ! » :


www.petitions24.net/pas_de_coupe_dans_le_budget_de_la_culture_a_geneve

mardi 11 octobre 2011

Rénovation du Musée d'Art et d'Histoire (suite, et pas fin) : Etudier TOUS les projets...

Le Conseil administratif de la Ville de Genève propose au Conseil Municipal un nouveau crédit d'étude de 2 millions et demi de francs, s'ajoutant aux trois millions et demi déjà accordés, pour terminer l'examen du projet « Nouvel » d'extension du Bâtiment principal du Musée d'Art et d'Histoire. L'objectif affiché du Conseil administratif est de « disposer d'un projet concret et complet avant de décider du dépôt d'un crédit de construction ». Objectif louable, nul n'ignorant que le Musée a besoin d'être rénové et agrandi. Mais la décision de déposer un crédit de construction pour un ouvrage qui coûtera au minimum 60 millions à la Ville ne devrait pas se prendre sans que les alternatives au seul projet étudié jusqu'à présent soient aussi examinées, sérieusement et sans a-priori...

La crainte du vote populaire comme début de la sagesse politique ?


La demande par la Municipalité d'un crédit d'étude supplémentaire pour le projet Nouvel signale bien que ce projet, le seul étudié jusqu'ici, et dont il s'agit de prolonger l'étude, n'est pas un projet abouti. Dans ces conditions, l'étude d'un autre projet, sans abandonner celle du projet Nouvel, relève de l'évidence méthodologique. Un amendement à la proposition du Conseil administratif sera donc soumis au Conseil Municipal. Ce que cet amendement propose, c'est simplement de tenir compte du fait que l'opposition au projet Nouvel lui propose désormais une alternative -le projet présenté par la section genevoise de Patrimoine Suisse. Ce projet alternatif doit être lui aussi étudié, et avec le même sérieux que le projet Nouvel. On pourra, après l'avoir étudié, considérer le projet de Patrimoine Suisse comme insuffisant, ou irrecevable. Mais on ne peut ni refuser, ni accepter valablement un projet qu'on n'a pas étudié. Et cela vaut pour le projet Nouvel comme pour le projet de Patrimoine Suisse. La poursuite de l'étude du projet Nouvel se justifie, l'étude du projet de Patrimoine Suisse aussi, et pour les mêmes raisons. Nous ne partons pas du principe que le projet Nouvel soit intrinsèquement mauvais, ni ne le considérons forcément comme inacceptable. Mais nous partons du principe qu'on ne peut se prononcer sur un projet de cet ampleur que si on en a aussi étudié et débattu les alternatives comme le projet lui-même. Surtout quand celui-ci a déjà été modifié entre le moment où il a été accepté et le moment où l'on demande un crédit d'étude supplémentaire pour en étudier les modifications, ce qui confirme que le projet initial ne tient plus la route, et que si on devait le soumettre au peuple dans son état et son contenu actuels, il serait balayé. Ce projet, établi en 2001, sans réelle mise au concours mais au terme d'un appel d'offre calibré par les services de la Ville pour que l'atelier Nouvel, qui n'avait aucun autre projet à Genève, puisse l'emporter avec ses associés genevois, a été modifié parce qu'il avait besoin de l'être. Et nul, aujourd'hui, ne peut garantir qu'il n'aura pas encore besoin de l'être, ni que les modifications qui pourront encore lui être apportées ne sont pas contenues dans le projet de Patrimoine Suisse, ni que ce projet ne contienne quelques idées qui mériteraient d'être retenues, par exemple celle de l'utilisation de la butte de l'Observatoire, en deuil désormais de son hêtre pourpre, et en vacance d'utilisation. Que le projet Nouvel ait été adopté sans qu'il y ait réellement eu concours fut déjà une erreur. Vouloir aujourd'hui l'imposer sans confrontation avec un autre projet serait une faute : ce serait le plus sûr chemin vers un refus du projet en votation populaire, puisqu'alors, à toutes les oppositions déjà certaines, financière, patrimoniale, architecturale, politique, s'ajouterait l'accusation d'avoir voulu faire passer un projet en force. Partir en votation populaire après avoir refusé d'étudier les alternatives au projet officiel, c'est se garantir d'avoir à passer toute la campagne référendaire à se défendre de l'accusation d'avoir tronqué le débat, d'avoir fermé le jeu, d'avoir voulu imposer un seul projet, en n'étudiant que ce seul projet. Il s'agit donc bien de ne pas porter, sur la rénovation et l'agrandissement du MAH, un regard borgne pour une étude hémiplégique, aboutissant à un refus populaire.

lundi 3 octobre 2011

Projet d'agrandissement du Musée d'Art et d'Histoire :Echec et MAH ?

Le Conseil administratif de la Ville de Genève présente au Conseil municipal, la semaine prochaine (et aujourd'hui aux media, lors d'une conférence de presse) une demande de crédit d'étude complémentaire de deux millions et demi (après celui de 3 millions et demi voté en 2007) pour le projet « Nouvel » d'agrandissement du Musée d'Art et d'Histoire -mais seulement pour ce projet, modifié (deuxième entrée publique, plate-forme élévatrice, deux niveaux supplémentaires nouveaux espaces pour les collections d'horlogerie, émaillerie, bijouterie, miniatures, instruments anciens de musique, jardin des sculptures sur le promenade de l'Observatoire) et dont le coût estimé à été revu à la hausse de plus de 50 % (il passe de 80 à 127 millions). Or ce projet a désormais une alternative... dont on ne saura ce qu'elle vaut que si on consent à l'étudier aussi...

denak ala inor ez, dena ala ezer ez ?*


S'agissant du Musée d'Art et d'Histoire de Genève, le seul point qui fasse consensus est la nécessité de la rénovation et de l'agrandissement de son bâtiment principal. De sa rénovation, parce qu'après tout, le but d'un musée n'est pas de se transformer lui-même en objet de musée après s'être en partie effondré sur la tête de ses visiteurs. De son agrandissement, parce qu'une partie considérable de ses collections ne peut être exposée faute de place, et qu'un Musée est autre chose qu'un garde-meuble artistique. Mais au-delà de cette unanimité sur la rénovation et l'agrandissement du MAH pointent les doutes, les divergences, les oppositions. Jusqu'à il y a quelques mois, le seul projet en lice pour un nouveau musée était celui de Jean Nouvel (ou plutôt de son atelier), choisi par la Ville au terme d'une procédure dont on dire par euphémisme qu'elle n'a pas laissé grande place au pluralisme des projets. Et puis les choses ont changé : Un autre projet est aujourd'hui présenté par Patrimoine Suisse-Genève, qui envisage de creuser sous la butte de l'Observatoire pour y installer une extension du musée -extension à laquelle Patrimoine Suisse, qui combat le projet Nouvel, n'est donc pas opposée, si elle l'est à un projet à qui elle reproche de « bourrer » la cour intérieure du bâtiment de 1910, d'attenter à sa valeur patrimoniale et à l'esthétique du quartier, de faire disparaître l'apport de lumière naturelle dans les salles d'exposition et de hausser, du fait de l'implantation d'un restaurant panoramique en surélévation, le bâtiment au-dessus des toitures voisines (ce qui semble d'ailleurs illégal). Patrimoine Suisse-Genève considère que son projet, au contraire du projet Nouvel, préserve la cohérence du bâtiment actuel (inspiré du Petit Palais parisien), non sans en augmenter les surfaces plus encore que le projet Nouvel, qui prévoit certes la construire cinq niveaux supplémentaires dans la cour du musée, maisen consomme pour le musée privé que la fondation Gandur veut (ou voudrait, ou voulait, puisque la contestable convention qu'elle avait signée avec la Ville, c'est-à-dire Patrice Mugny, a été modifiée pour s'appliquer quelle que soit le projet finalement retenu) installer dans le musée public en échange de sa participation au financement du projet Nouvel. Patrimoine Suisse-Genève annonce qu'elle lancera un référendum contre le projet Nouvel si celui-ci était adopté par le Conseil Municipal. Si elle veut éviter de partir perdante dans un vote référendaire, la Ville devrait au moins, comme la demande lui en sera faite au Conseil Municipal, d'accepter d'étudier aussi le projet de Patrimoine Suisse. Car on le sait : tout projet culturel d'envergure (et le projet d'agrandissement du MAH en est un) est combattu (et le projet Nouvel le sera) pour une foultitude de raisons possibles et cumulables : pour des arbres que l'on couperait, pour un coût jugé excessif, pour un impact jugé négatif sur l'environnement, ou pour des raisons esthétiques, ou encore pour des raisons politiques : la Maison de la Danse à Lancy, le projet d'implantation du Musée d'ethnographie sur la place Sturm ont succombé à de telles oppositions -et si le Conseil Municipal de la Ville, ou le Conseil administratif, refusaient a priori d'étudier un projet alternatif au projet Nouvel, à toutes ces oppositions possibles s'ajouterait une accusation : celle d'avoir délibérément fermé le débat et de tenter de forcer la main de la Municipalité, voire des citoyens, en n'ayant étudié qu'un seul et unique projet quand au moins un autre a déjà été présenté. Le plus sûr moyen de couler un projet culturel est sans doute de le présenter comme le seul possible, le seul acceptable, le seul concevable, le pékin de base ne détestant rien tant que le fait accompli. Le « tout ou rien » auquel l'auteur de ces lignes est pourtant attaché dans bien des domaines, ou des postures, est la pire des stratégies concevables pour faire admettre à un Souverain populaire la nécessité d'un investissement de plusieurs dizaines de millions pour un musée qui en a besoin, mais qui pourrait bien en être privé par maladresse, ou par arrogance. Il serait bon que le Conseil Municipal et le Conseil administratif de la Ville de Genève s'en rendent compte, et que les mécènes privés qui se sont engagés à participer au financement du projet Nouvel, l'admettent.


* En basque : « Tout ou rien, tous ou personne »

mardi 30 août 2011

Brèves

L'ancienne directrice de la Comédie, Anne Bisang (ou plutôt son association) va recevoir de la Ville et de l'Etat une subvention de 200'000 francs, à la condition que les productions qu'elle assurera (la subvention est accordée pour le montage de deux spectacles) soient représentées à Genève. Le Conseil d'Etat explique que cette aide s'inscrira «dans la volonté de l'Etat de permettre aux compagnies actives à Genève de mettre sur pied des créations théâtrales et de contribuer à leur rayonnement ». Ce type de subventions est, à Genève, une nouveauté, qui fait grincer quelques dents de droite, vu qu'Anne Bisang est de gauche (le PDC et l'UDC agitent les grelots et veulent intervenir au Conseil Municipal pour « geler » le projet), et mérite quelques réglages pour éviter que s'y installe l'arbitraire et l'inégalité de traitement, mais a priori, on ne voit pas de raison de s'y opposer, d'autant que la subvention serait partagée entre le canton et la Ville et qu'on a toujours demandé que le canton se les secoue pour s'engager un peu plus activement dans le soutien à la culture, aux côtés (et non pas contre) la Ville.

samedi 9 juillet 2011

Au prétexte d'un changement de ministre de la Culture...

Moi artiste, toi gestionnaire ?

Quel qu'aurait pu être soit le résultat de l'élection de la Municipalité genevoise, et à quelque résultat qu'aurait pu aboutir ensuite la répartition des responsabilités entre les élue-s à l'exécutif de la Ville, Genève avait le 1er juin un nouveau ou une nouvelle ministre de la Culture, puisque en cette étrange République, la politique culturelle est, de facto, déterminée par la Commune -qui y consacre près du quart de son budget. C'est le prétexte à imaginer ce que pourrait être l'adresse d'un artiste à son ou sa ministre. Un artiste imaginaire, bien sûr, quoique masculin comme celui qui l'imagine, et une ministre qu'on connaît désormais : le socialiste Sami Kanaan.

Faire payer le monde tel qu’il est pour qu’il s’entende dire comment il devrait être ?

« Moi, je suis l’artiste. Le créateur. Il en fallait bien un, je suis là. Vous, vous êtes les politiques. Les gestionnaires de la culture. Les gestionnaires des institutions culturelles. Il semble qu’il en faille aussi, puisque vous êtes là. Avons-nous quelque chose à nous dire ? Nous avons en tous cas quelque chose à faire ensemble, et on appelle cela de la culture. Il arrive même que l’on prétende appeler cela de la création culturelle. Je pourrais sans doute le faire sans vous. Vous ne pourriez pas le faire sans moi -ou alors, il vous faudrait le faire vous-même, mais l’artiste, alors ce serait vous. Seriez-vous en manque d’un gestionnaire ? Seriez-vous à sa recherche ? Sans nous, les institutions culturelles, les lieux de cultures, ne seraient que des coquilles vides, des lieux morts, de lourdes machines tournant à vide pour ne rien produire, ni même ne rien reproduire. Mais sans ces institutions, sans ces lieux, c’est-à-dire sans vous, qui nous verrait, nous écouterait, nous jugerait ? Il nous faut un lieu où parler, il vous faut peupler les lieux dont vous disposez, faire que ces lieux soient habités, hantés, qu’y résonnent d’autres bruits que ceux de leur administration. Sans ces lieux, nous sommes sans écho ; sans nous, ces lieux sont sans bruit. Nous sommes inaudibles sans vous, vous êtes inutiles sans nous. Cela veut-il dire que nous sommes faits pour nous comprendre ? N’en demandons pas trop, camarades gestionnaires. Nous sommes faits pour travailler ensemble, et c’est déjà beaucoup exiger -de nous, comme de vous. Moi, je suis l’artiste. Et l’artiste est par nature ingrat. Il ne remercie pas, l’artiste. Il serait même assez habitué à cracher dans la soupe, l’artiste. Mais s’il ne le faisait pas, quel goût aurait-elle ? En aurait-elle même un, sinon celui du brouet de la culture officielle ? Vous, vous êtes les gestionnaires. Mais pas les gestionnaires de la culture officielle : les gestionnaires des institutions culturelles, des lieux culturels, et ce n’est pas la même chose. Et si ce n’est pas la même chose, c’est parce que dans ces lieux, par ces institutions, il nous est permis à nous, les artistes, de vous témoigner de notre ingratitude. C’est cette ingratitude qui permet à ces lieux d’être vivants, à ces institutions d’être autre chose que des archives. Moi, je suis l’artiste. Vous, vous êtes les gestionnaires. Je suis la marge, vous êtes la page. Ce que vous aurez à gérez, et à subventionner, est ce qu’il y a de moins gérable, et de moins rentable. C’est ce qui toujours échappera à la gestion. C’est ce qui ne deviendra rentable qu’en disparaissant : c’est la création, c’est la vie. C’est du vent. Une institution culturelle, après tout, est-ce autre chose que le moyen de pomper du fric pour en faire du vent ? Et gérer cette institution, est-ce faire autre chose qu’organiser cet heureux racket qui nous permettra dire qu’un autre monde est possible, grâce à l’argent du monde réel, et de faire payer le monde tel qu’il est pour qu’il s’entende dire comment il devrait être ? Vous allez être des gestionnaires de vent. Nous sommes bien devenus des partenaires, nous qui rêvions d’être des démiurges, ou des ermites, ou des oiseaux -de cette sorte d’oiseaux qui s’imaginent que leurs ailes de géants les empêchent de marcher, mais qui sont bien contents, tout de même, de se poser dans un théâtre subventionné, un musée officiel, un opera public, qui sans ces étranges oiseaux ne seraient que des volières vides. C’est moi l’artiste. Celui qui est là pour vous dire que la culture, les institutions culturelles, les lieux culturels, ce ne sont toujours que des hommes et des femmes incommodes, ingrats, insatisfaits, revendicatifs, bref : ingérables, qui les peuplent. Et que si vous espériez pouvoir les peupler autrement, il faudra, camarades gestionnaire, en rabattre de vos espérances, ou ne plus gérer que du patrimoine. C’est à nous que vous aurez affaire, si vous ne voulez pas n’avoir affaire qu’à des archives. C’est nous qui feront vivre vos institutions, les feront résonner, les feront créer. Y ferons ce qu’il ne faut pas faire. Y dirons ce qu’il faut taire. Y montrerons ce qui devrait rester cacher. Gestionnaires du vent, vous serez aussi gestionnaires de la liberté -et elle aussi est ingérable. Je suis l’artiste, et l’artiste est ingrat. Il ne vous remerciera pas. Il ne vous félicitera pas. Il ne vous dira même pas qu’il a besoin de vous. Il n’était là que pour vous prévenir : en plus du public, en plus des mécènes, en plus des sponsors, en plus des autres politiciens, vous aurez affaire à lui. Et il est bien le seul dont vous ne pourrez vous passer. »

mercredi 1 juin 2011

Une politique sociale : la politique culturelle

A propos d'un passage de témoins

Dans une semaine, la Ville de Genève aura une nouvelle « ministre des Affaires sociales », et un nouveau « ministre de la Culture » : la Verte Esther Alder succèdera au socialiste Manuel Tornare à la tête du dicastère de la « cohésion sociale » , le socialiste Sami Kanaan au Vert Patrice Mugny à la tête du dicastère de la Culture (et des sports...). Et si ce passage de témoin, entre magistrats de gauche, pouvait être l'occasion d'une mise en cohérence de deux actions politiques qui trop souvent s'ignorent, ou du moins se mènent parallèlement sans jamais réellement se rejoindre ? Que la politique culturelle soit, aussi, une politique sociale devrait, pour la gauche, tomber sous le sens, mais les fonctionnement institutionnels ont des raisons que la raison politique subit comme des entraves


La culture contre l'exclusion sociale


Que la Ville de Genève soit la première responsable de la politique culturelle à Genève a pour conséquence logique que les principales institutions culturelles de la région sont concentrées en Ville, et même, pour un grand nombre d’entre elles, au centre même de la Ville. Les quartiers périphériques sont aussi des quartiers désertés par l’institutionnalité culturelle, surtout s’ils ne font pas partie de la commune-centre (la Ville), alors que la présence d’un « grand » lieu culturel dans ces quartiers serait un atout incontestable dans la lutte contre l’exclusion sociale. Le tissu culturel régional, c’est-à-dire l’ensemble des lieux et acteurs culturels publics et pérennes, dotés d’une programmation autonome et formant l’infrastructure culturelle régionale, ainsi que les intervenants culturels non-instiutionnels, pourrait, et devrait, être un point d’appui essentiel de la lutte contre l’exclusion sociale. Il ne peut cependant jouer ce rôle que si son « maillage » recouvre l’ensemble des quartiers, que si les institutions et les intervenants culturels s’adressent à l’ensemble de la population et non à une seule partie d’entre elle, et que si les quartiers socialement les plus fragiles ne sont pas exclus du maillage des institutions culturelles proprement dites, leur absence dans les quartiers défavorisés socialement et urbanistiquement ajoutant à leur défaveur (on précisera cependant que parce qu'elle est la seule institution culturelle présente dans tous les quartiers, qu'elle est ouverte par définition et par obligation légale à tous les milieux sociaux, qu’elle est un lieu de « brassage » social et qu’elle est fondée sur le choix volontariste de la mixité sociale, l’école publique obligatoire est le premier lieu culturel de lutte contre l’exclusion sociale). La première des conditions d'un usage de la politique culturelle comme politique sociale serait donc de cesser de concentrer les moyens disponibles sur les seules grandes institutions existantes et de concentrer celles-ci en Ville, mais de rassembler pour le financement de ces institutions des moyens actuellement épars, dans le cadre d'une politique d’implantation d’institutions culturelles dans des quartiers et des communes qui en sont dépourvus. Que l’essentiel de la vie culturelle genevoise soit pris en charge par la Ville n’est pas en soi absurde, et relève même, outre de l’héritage, d’une certaine logique, cette commune étant la commune-centre de la région, celle qui définit la région et autour de laquelle la région est organisée. Mais l’ « essentiel » ne doit pas être la totalité, ni le réflexe de centralisation géographique un automatisme. Que la charge matérielle du soutien aux institutions culturelle repose pour l’essentiel sur un seul « porteur », la Ville de Genève, fait courir un risque aussi grave que celui de la fragilisation de ces institutions par cette dépendance : le risque, accru par la « droitisation » du Conseil Municipal de la Ville, de l’abandon de la culture non institutionnelle, de la « culture pauvre », des cultures de l’immigration, de la culture alternative, de la culture d’expérimentation. Or pour les groupes sociaux fragilisés, la participation à cette culture-là est précisément celle qui, dans un premier temps au moins, est la mieux, et parfois la seule, à même de maintenir un lieu social -d’autant qu’elle est souvent faite d’emprunts à la culture de ces milieux eux-mêmes. Et puis, plus fondamentalement, il y a ceci : la création culturelle est créatrice du lien social, qu’elle exprime en même temps qu’elle en invente les nouveaux codes, et en conteste les anciens. Qu’attend la collectivité d’une politique culturelle : qu’elle exprime et pérennise le lien social existant, dans ses codes existants, ou qu’elle exprime la recherche d’un lieu nouveau et l’invention de codes nouveaux ? Qu’elle expose le patrimoine et se contente de cette exposition, par ailleurs indispensable et constitutive de toute politique culturelle, ou accepte d’y ajouter l’exposition, la mise en scène sociale, des contenus culturels non (encore) reconnus comme tels ?

jeudi 28 avril 2011

La politique culturelle, grande absente du débat électoral genevois

Silence sur la culture dans la ville des mots ?

Tout à Genève, à commencer par Genève elle-même, a procédé de l’échange et de la parole. L’histoire ici n’a pas laissé ces alluvions, ces dépôts matériels empilés les uns sur les autres, siècle après siècle, règne sur règne, et sur quoi se fondent les villes illustres d’Europe. Genève n’est pas moins porteuse d’histoire qu’elles, mais son histoire n’est pas dite par des pierres : elle l’est par des mots. Or sur sa politique culturelle, le débat électoral semble n'avoir rien eu à dire, et sur la politique culturelle, un silence s'est fait, dans la Ville des mots.

« La liberté de l'art, son indépendance vis-à-vis de ce que l'on exige de lui, se fonde dans l'idée d'une société libre et anticipe en un certain sens sa réalisation » (Theodor Adorno)

Genève a la discrétion hautaine, l’orgueilleuse modestie de ses vieux prédicateurs. On n’y trouvera pas de grands monuments, pas de grands ensembles architecturaux, pas de chefs d’oeuvres picturaux ou sculpturaux. On y trouvera d’abord l’air du temps, de tous les temps vécus par la ville ; air où flottent encore la parole de Calvin et les rêves de Rousseau, les imprécations de Voltaire et l’égocentrisme d’Amiel -mais des mots, d’abord, et des mots, surtout. Des mots, parlés et écrits, Genève en est née. Elle est certes ville d’échanges économiques, lieu de passages de populations, lieu de négociations politiques ; elle est surtout ville d’échanges d’idées, de passages de paroles, et surtout de paroles écrites. Ville de marchands devenue République de pasteurs et d’imprimeurs, cité de diplomates et de conspirateurs, refuge de potentats chassés de leurs trônes par des révolutionnaires qui souvent avant eux avaient ici trouvé le même refuge... Ville où l’on achète et vend, parle et écrit, négocie et proclame, et pourtant ville fermée : ville de tractations souterraines, de paroles secrètes, de contacts clandestins, abritant dans une parfaite neutralité les fonds des révolutionnaires et les rapines des potentats, les économies des victimes et les placements des bourreaux. Mais ville, toujours, de mots plus grands qu’elle. Ce qu’est encore cette ville dit ce qu’y fut, et ce qu’y reste essentiellement la culture : une forêt de mots écrits. Genève s’est longtemps méfiée du théâtre, dont les mots sont dits, et plus encore de la danse, qui se passe de mots. Elle n’a longtemps vu dans la musique que ce qu’y apportait le chant : de la parole, encore et toujours -et celle de la Bible, d’abord. Mais si elle tarda à accueillir la théâtre, la danse, la musique, elle eut dès qu’elle put, imprimeurs, libraires, bibliothèques, écoles -et la République calvinienne fut sans doute le premier Etat d’Europe à imposer l’instruction publique et obligatoire, et en une génération, à alphabétiser toute sa population. Il fallait pouvoir lire la Bible ; on lira ensuite bien autre chose, et ayant lu, on écrira, bien, beaucoup, et sur tout. La culture à Genève est d’abord une culture littéraire par quoi tout passait et tout devait passer. Le reste est venu de surcroît, et parfois en y mettant bien longtemps : la République n’eut pas de théâtre pendant 150 ans, pas de ballet pendant 250 ans, pas de véritable orchestre symphonique avant Ernest Ansermet. Ville de mots et de chiffres, ville kabbalistique où les chiffres cachent des mots et les mots se mesurent en chiffres, Genève parle, écrit, compte, échange -elle ne dépense ni ne se dépense sans que quelque chose ne l’y force. On n’aime pas l’inutile, l’ostentatoire, le somptuaire. On croit ne jamais parler qu’à bon escient, ne jamais dépenser que ce qu’il faut. On finit par ne plus parler que pour redire que ce qui déjà fut dit, et par n’avoir de politique culturelle que celle du patrimoine et des grandes institutions productrices de représentation culturelle. Avez-vous beaucoup entendu parler de culture, pendant cette campagne électorale qui s'achève ? Est-ce parce que l'on nous serine que nous sommes entrée dans la « société de l'image » que les mots seraient devenus inutiles, quand on n'a jamais réussi à dire un projet politique, une ambition politique, un rêve de République autrement que par eux, et que le silence sur la culture ne peut signer qu'une absence de culture politique ?

lundi 28 mars 2011

Musée d'Art et d'Histoire, Fondation Gandur, collections, laboratoire :Que la lumière soit !

En mars dernier, le Conseil administratif, au nom de la Ville de Genève, a conclu, pour financer le projet « Nouvel » d'agrandissement du Musée d'Art et d'Histoire (le coût initial du projet était de 80 millions, il est aujourd'hui de 110 millions, le temps passant il continuera de grimper ), une convention engageant la Ville pour un siècle avec une fondation privée créée trois mois auparavant, la Fondation Gandur pour l'art, dont l'acte de fondation stipule que ses buts peuvent être modifiés par le fondateur, et qui, en échange de sa participation financière éventuelle au projet Nouvel (s'il se réalise installerait son propre musée privé dans le musée public Deux mois plus tard, il était annoncé que le Service de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance du canton de Genève n'était plus l'autorité de surveillance de la fondation avec laquelle la Ville de Genève venait de s'engager pour un siècle mais et que cette surveillance était passée au Département fédéral de l'Intérieur. De quoi s'interroger, non ?

Ajouter des oppositions évitables aux oppositions inévitables ?

Qu'est-ce, au juste, que la Fondation Gandur pour l'Art ? Avec qui au juste la Ville de Genève a-t-elle conclu une convention l'engageant pour un siècle à collaborer avec une fondation privée, et à l'héberger dans une sorte de petit musée privé dans le musée public, en échange d'une éventuelle participation à l'agrandissement du Musée d'Art et d'Histoire selon le projet Nouvel, ? On conviendra que ces questions sont assez pertinentes, et qu'il est assez légitime que des Conseillères municipales et des conseillers municipaux se les posent -et les posent à la Fondation. Il s'en trouve cependant, de ces conseillères et conseillers, pour refuser de les poser, et de se les poser. La Commission du Conseil municipal qui étudiait le convention passée entre la Ville de Genève et la Fondation Gandur ayant courageusement refusé d'auditionner celle-ci, la question suivante a été posée oralement, en séance plénière du Conseil municipal au Conseil administratif : Le Conseil administratif peut-il nous dire qui est aujourd'hui l'autorité de surveillance de la Fondation Gandur et nous assurer que désormais, les Conseillères et Conseillers municipaux désireux de savoir avec qui, précisément, la Ville conclut des conventions pour un siècle, pourront recevoir les informations utiles à leur appréciation de ces conventions,au fur et à mesure que ces informations pourront leur être données, même si telle ou telle commission du Conseil Municipal refuse d'en savoir plus, ou si les conseillères et conseillers municipaux animés d'une saine curiosité devront demander à la Cour des Comptes de se saisir du dossier ? La réponse du Conseil administratif a été, en substance la suivante : On ne sait pas vraiment qui est l'autorité de surveillance de la fondation, le service cantonal de surveillance des fondations est persuadé l'être encore alors que la Feuille officielle suisse du commerce a annoncé qu'il ne l'était plus; quant aux conventions conclues par le Département de la Culture avec des fondations privées, si elles ne sont pas disponibles sur le site internet du DAC, il les y mettra. Nous restait-il d'autre moyen d'en savoir plus sur la Fondation Gandur que celui de suggérer à la Cour des Comptes de se saisir du dossier ? c'est désormais chose faite, parallèlement au dépôt d'une motion demandant une « réelle visibilité de l'enrichissement des collections municipales », la liste des objets donnés ou déposés au MAH et des expertises réalisées par le laboratoire scientifique du musée, laboratoire menacé de fermeture et d'externalisation au moins partielles. Le directeur du musée perçoit, dans ces démarches, de la « malveillance à l'égard du musée ». Et si ce n'était au contraire que de la bienveillance, celle que l'on doit à la mission de service public d'une institution centrale du maillage culturel genevois -de la bienveillance à son égard, et à l'égard du critère de transparence, tant en ce qui concerne les collections du musée que la convention passée avec la Fondation Gandur ? Nous voulons en savoir plus, pour savoir ce que nous avons à soutenir, à enrichir, à agrandir. Rien ne menacerait plus le projet d'agrandissement du MAH que des doutes sur les conditions dans lesquelles il se réaliserait. Ce projet sera combattu par référendum. Dans un vote référendaire, les oppositions s'additionnent : l'opposition patrimoniale au projet Nouvel, l'opposition financière à son coût, l'opposition culturelle à sa démarche, l'opposition obsidionale à tout projet culturel... il n'est pas indispensable d'y ajouter une opposition fondée sur une exigence non remplie de transparence. Cette opposition-là est évitable, mais il semble que la droite municipale, et ses alliés d'occasion, ne veuillent pas l'éviter, et on se demande pourquoi.

samedi 15 janvier 2011

Brèves

La droite traditionnelle de la Ville de Genève (libéraux, radicaux, démo-chrétiens) a trouvé une porte ouverte à enfoncer : le statut du Grand Théâtre. Dont elle fait mine de se préoccuper, dans une motion déposée au Conseil Municipal -mais qui ne sera pas traitée avant des mois, alors que la Fondation du Grand Théâtre doit elle-même rendre un rapport, élaboré par l'ancien Conseiller d'Etat Guy Olivier Segond, sur les trois termes de l'alternative qui s'offre à la Ville : un statu quo amélioré (le GTG reste une Fondation de droit public), l'« autonomisation » (réclamée par la droite), et la gestion directe (l'opéra devient une institution municipale comme les grands musées). La droite municipale réclame la transformation de la Fondation du Grand Théâtre en institution autonome, dont « l'autonomie » n'empêcherait pas qu'elle soit sous perfusion financière de la Ville, qui lui consacre déjà entre 40 et 50 millions par année, mais priverait la Ville de la possibilité de tout contrôle réel sur l'institution qu'elle paie. Dans tous les cas, changer le statut du Grand Théâtre ne dépend même pas de la Ville, qui pourtant assure matériellement l'existence de l'institution, mais du Canton, puisque ce statut est voté par le Grand Conseil et a force de loi. Or le Canton n'accorde àl'opéra, pour tout soutien financier, que 50'000 francs, soit àpeine plus d'un millième de ce que la Ville lui accorde. On est donc dans l'intéressante situation où c'est celui qui ne paie pas qui commande, et celui qui paie qui doit se débrouiller pour trouver une solution aux incohérences du statut de l'institution -dont la majorité du personnel est, et sera de plus en plus, du personnel municipal, sous statut de la fonction publique municipale. Amusant, non ? Ben oui, ce sont les charmes discrets de la politique culturelle àla genevoise...

Alors que le projet de budget cantonal genevois proposé par le Conseil d'Etat contenait une (modeste) augmentation de deux millions de francs des fonds affectés au soutien àla culture, dont 400'000 francs destinés àla future Fondation romande du cinéma, la majorité de droite de la commission des Finances du Grand Conseil a proposé de supprimer ces augmentations. Le 17 décembre, le Grand Conseil pourrait suivre cet avis, la majorité politique étant la même en commission en en plénière. Ce qui donnerait un premier signal clair sur la réalité de la volonté affirmée par àpeu près tout le monde, après la remise du rapport de la commission d'experts créée pour plancher sur une nouvelle loi cantonale sur la culture (CELAC), d'un engagement plus fort du canton dans la politique culturelle, notamment par rapport àl'engagement déterminant de la Ville de Genève. Un signal clair : celui d'en rester au verbiage, et de n'assumer aucune charge matérielle supplémentaire. Un refus de la participation cantonale à la Fondation romande du cinéma, créée en partenariat avec d'autres cantons et avec les villes de Genève et Lausanne, dirait encore plus clairement ce que valent les discours de la droite genevoise sur le soutien àla culture : rien

« Le Courrier » de mardi nous l'apprend (sans d'ailleurs vraiment nous l'apprendre, parce qu'à vrai dire, on s'en doutait un peu, beaucoup) : l'extension et la rénovation du Musée d'Art et d'Histoire, liées au projet Nouvel, coûtera bien plus cher que prévu : autour des 100 millions, voire plus, au lieu des 80 millions prévus. Explications du directeur du MAH : l'intégration au MAH des pièces des anciens Musée de l'Horlogerie et Musée des Instruments anciens de musique s'ajoute au renchérissement des coûts de construction. Qui devrait payer les vingt millions (ou plus) de surcoûts ? La Ville et les donateurs privés devaient se partager la facture de 80 millions. Soit 40 millions pour la Ville, et 40 millions pour les privés, dont 20 millions garantis par la Fondation de Jean-Claude Gandur, en échange d'une convention qui lui accorde une part des nouveaux espaces du musée pour sa collection et ses bureaux, et charge la Ville de la presque totalité des dépenses liées à l'exposition des pièces de cette collection. Donc s'il faut trouver 20 millions supplémentaires, est-ce que la Ville devra en allonger dix et les privés également dix ? De toute façon, y'a pas de raison de paniquer : il est assez vraisemblable, pour user d'un euphémisme, qu'un référendum sera lancé contre le projet, que ce référendum aboutira, que le peuple devra voter -et s'il se confirme que la convention passée avec la Fondation Gandur revient àloger (et à payer) le musée privé du négociant en pétrole dans le musée public en échange de 20 millions, il est tout aussi vraisemblable que la gauche soutiendra le référendum et appellera à voter « non » au projet Nouvel. Qui ne coûterait donc rien du tout, puisqu'il ne se ferait pas.

On a lu ça, dans la prise de position de la «Conférence des villes (suisses) en matière culturelle », dont Genève fait évidemment partie :
« Bien que les villes aient conscience de la précarité des conditions financières et témoignent de la compréhension pour la politique financière prudente qui en résulte, nous déplorons la stagnation actuelle du volume des crédits destinés à l’encouragement de la culture et le fait que la Confédération ne veuille pas intensifier son engagement après l’entrée en vigueur de la LEC. Il n’existe aucune marge de manœuvre qui permettrait de poursuivre le développement des mesures d’encouragement sans entraîner de compensation budgétaire interne ainsi que l’étiolement des activités promotionnelles. La même remarque s’applique aux nouvelles tâches légales comme la formation musicale. Dans un cadre budgétaire constant, il devient inéluctable de déterminer des priorités dans les différentes mesures. Outre les tâches fixées dans la loi, telles l’encouragement du cinéma et la protection du patrimoine historique, il serait généralement souhaitable que la Confédération intensifie son engagement notamment dans les échanges internationaux ainsi que dans le soutien aux activités et institutions des villes d’importance nationale et / ou qui bénéficient d’un rayonnement international ».
Bon, ben c'est bien dit tout ça, on l'emballe et on livre tel quel au canton de Genève, y'a pas grand chose à changer pour que ça corresponde à ce que les villes genevoises auraient à dire au canton en matière de ressources financières allouées à la culture. Et là, c'est pas une Genferei de plus : simplement une déclinaison locale de l'inertie fédérale.

Une convention quadriennale de subventionnement a été signée en juin 2010 entre la Ville de Genève, le canton et l'Association pour la danse contemporaine (ADC). Elle accorde à l'ADC une subvention de la Ville de 773'200 francs, plus 40'000 francs pour la participation de l'ADC à la Fête de la Musique, et une subvention cantonale de 200'000 francs en 2010, 320'000 francs en 2011, 370'000 francs en 2012 et 400'000 francs en 2013. On progresse donc dans le partage des soutiens financiers à la culture entre la Ville et le canton. On progresse, mais prudemment. A petits pas soigneusement comptés : en 2013, la subvention cantonale n'atteindra toujours pas la moitié de la subvention municipale...

mardi 11 janvier 2011

Financement de la politique culturelle genevoise :La Ville raque, le canton glande

Aujourd'hui, une semaine après celui de la Commune, le parlement de la République se plonge dans les délices de l'examen du budget. Il y passera sans doute moins de temps, même si l'extrême-droite menace de parasiter le débat en s'accrochant au micro et en multipliant les amendements (comme le fit d'ailleurs la droite traditionnelle municipale, en sachant pertinemment l'inutilité de l'exercice puisqu'il était établi que le budget de la Municipalité de gauche serait voté par la majorité de gauche...). La préparation du projet de budget cantonal, en commission, a été marquée par une offensive de la droite, refusant, dans au moins trois domaines sensibles et prioritaires (l'hôpital, la mobilité et la culture) les modestes efforts supplémentaires proposés par le gouvernement. S'agissant de la culture, ce refus initial de la droite d'accorder deux misérables millions de plus (dont 900'000 francs afin de créer la Fondation romande pour le cinéma) illustre on ne peut mieux, et on ne peut plus clairement, la vacuité, ou l'hypocrisie, ou les deux à la fois, du discours tenu par la droite sur la nécessité d'un « plus fort engagement du canton », aux côtés de la Ville. Ou face à elle. Qui a encore accru son effort budgétaire en faveur de la culture, quand le canton mégote sur le sien.

Faire passer le budget. Et trépasser les ambitions culturelles ?

A ce qu'il semble, un accord a été trouvé entre partis «gouvernementaux» (hors l'extrême-droite, il n'y a d'ailleurs plus que cela au Grand Conseil, dès lors que ni les socialistes ni, et encore moins, les Verts n'arrivent à se concevoir comme partis d'opposition, puisqu'ils sont supposés être représentés au Conseil d'Etat) pour «faire passer» le budget au parlement. On remarquera au passage l'étrangeté de l'expression, dont on se souviendra qu'elle résumait la fonction des « faiseuses d'ange » au temps, pas si ancien (et que d'aucuns regrettent), où l'avortement était un crime. Bref, libéraux, radicaux, démo-chrétiens, socialistes et Verts pourraient, demain, s'être mis d'accord sur la récupération en plénières d'allocations budgétaires rabotées en commission : quatre millions de plus pour l'hôpital cantonal, entre cinq et six postes de plus pour la Direction générale de la mobilité, et deux millions de plus pour la culture... deux petits, tout petits millions. Une paille, qui contraste avec la poutre des ambitions de l'avant.-projet de loi sur la culture, qui propose que le 1 % du budget cantonal soit affecté au renforcement de la présence et de l'action de la République dans un champ où jusqu'à présent il lui a fort convenu de laisser s'ébrouer la Commune. Car si Genève, au sens le plus restrictif, c'est 46 espaces institutionnels : 45 communes, et le canton, sur le terrain de la politique culturelle, de ces 46 acteurs, 35 sont absents, 10 sont présents (dont le canton), un est omniprésent (la Ville). Le cadre légal, et constitutionnel, de la politique culturel devrait permettre de rompre ce face-à -face de la Ville et du canton, face à face d'ailleurs marqué par l'extraordinaire inégalité des moyens consacrés à la culture : la Ville y consacre le cinquième de son budget, soit 230 millions (en gros), le canton un demi-pourcent du sien, soit environ 30 millions (si l'on ne tient pas compte des écoles d'art). Les bonnes intentions et les belles proclamations d'un projet de loi sont une chose. Par quoi elles se traduisent en est une autre. Le projet de loi est plein de promesses -il reste à les tenir. On ne se contentera donc pas d'un simple transfert de moyens d'un budget municipal à un budget cantonal. On attend des actes, qui ne soient pas des ukazes - des actes qui élargissent le champ culturel plutôt que l'administrer d'« en haut ». Ces actes ne viennent pas, et rien, aujourd'hui, n'indique qu'ils vont venir, sauf à considérer comme une grande victoire le rétablissement de deux modestes, humbles, misérables, millions de dépenses culturelles cantonales supplémentaires. S'en contenter serait se contenter de bien peu. Mais au moins ce misérabilisme fixe-t-il l'étiage de la cohérence politique de la droite cantonale. Et de la combattivité de la gauche. Il est vrai qu'au parlement, il n'en est plus que « gouvernementale ». Mais dans un gouvernement de droite.

samedi 1 janvier 2011

Statut du Grand Théâtre : De l'« autonomie » comme camouflage

La droite traditionnelle de la Ville de Genève (libéraux, radicaux, démo-chrétiens) a trouvé une porte ouverte à enfoncer : le statut du Grand Théâtre. Qu'elle fait mine de vouloir réformer, dans une motion déposée au Conseil Municipal alors que la Fondation du Grand Théâtre doit elle-même rendre un rapport, élaboré par l'ancien Conseiller d'Etat Guy Olivier Segond, sur les trois termes de l'alternative qui s'offre à la Ville : un statu quo amélioré (le GTG reste une Fondation de droit public), l'« autonomisation » (réclamée par la droite), et la gestion directe (l'opéra devient une institution municipale comme les grands musées), dont on ne cachera pas plus longtemps qu'elle a notre préférence, d'autant que dès l'année prochaine, la quasi totalité du personnel « non artistique » du GTG fera partie de la fonction publique municipale. Du Grand Théâtre, il s'agit de partager la charge financière, non de la camoufler derrière une « autonomie » factice.

Le charme discret de la bourgeoisie

La droite municipale réclame donc la transformation de la Fondation du Grand Théâtre en institution autonome, dont l'autonomie n'empêcherait pas qu'elle soit sur perfusion financière de la Ville, qui lui consacre déjà entre 40 et 50 millions par année, mais priverait la Ville de la possibilité de tout contrôle réel sur l'institution qu'elle paie. Or changer le statut du Grand Théâtre ne dépend même pas de la Ville, qui pourtant assure matériellement l'existence de l'institution, et y affectera dès l'année prochaine près de 200 fonctionnaires municipaux, mais du Canton, puisque ce statut est voté par le Grand Conseil et a force de loi. Le Canton n'accorde pourtant à l'opéra, pour tout soutien financier, que 50'000 misérables francs, soit à peine plus d'un millième de ce que la Ville lui accorde. On est donc dans l'intéressante situation où celui qui ne paie pas, commande, et où c'est à celui qui paie de se débrouiller pour trouver une solution aux incohérences du statut de l'institution. Ce sont les charmes discrets de la politique culturelle à la genevoise... Les charmes discrets de la bourgeoisie ? Si les opéras comme institutions, le Grand Théâtre, donc, sont historiquement des institutions bourgeoises, quand elles ne sont pas aristocratiques (ce ne sont pas les prolétaires genevois qui ont voulu le Grand Théàtre, et ce ne sont pas eux qui en forment aujourd'hui la majorité du public), l'opéra, comme forme d'expression artistique, n'est bourgeois que dans la mesure où les grandes œuvres du répertoire nous viennent d'un temps où la bourgeoisie était une classe révolutionnaire. Voyez, entendez, ce que nous racontent et nous présentent ces grandes oeuvres, du Couronnement de Popée à Lulu : la morale bourgeoise y est traînée dans la boue, les personnages bourgeois sont ridicules quand ils ne sont pas odieux, les héros sont hors-la-loi, dissidents, insoumis, et quand l'exposé des turpitudes bourgeoises se clôt par un happy end convenu, à la Cosi fan tutte, c'est après trois heures de démolition des convenances... Nous n'avons cessé et ne cesserons dedénoncer l'invraisemblable structure du financement du Grand Théâtre, l'absurdité de faire reposer la principale institution culturelle de la région sur le seul financement communal. Mais cette critique, nous l'inscrivons dans une volonté de défendre cette institution, comme lieu culturel qui ne tient debout que par la volonté politique d'une collectivité publique. La nostalgie n'est plus ce qu'elle était : nous ne sommes plus dans les heureuses années 60' et 70' du siècle dernier, où nous pouvions nous permettre d'opposer culture bourgeoise et contre-culture et de brandir le Centre autonome contre le Grand Théâtre, ni dans les heureuses années nonante où nous pouvions nous offrir le luxe d'opposer culture institutionnelle et culture alternative. Nous sommes dans un moment où n'importe quel lieu culturel, qu'il soit institutionnel ou alternatif, patrimonial ou émergent, est à défendre, non contre un autre lieu culturel, mais contre le mercantilisme. Un moment où nous avons à défendre à la fois le Grand Théâtre et l'Usine, le nouveau musée d'ethnographie et la Cave 12. Un moment où nous avons à choisir entre les lieux culturels, même institutionnels, et les supermarchés. Un moment où nous n'avons pas à choisir entre plusieurs cultures, mais entre la culture et la marchandise. Et contrairement à la majorité politique du Grand Conseil, nous choisissons la culture.