mercredi 6 novembre 2013

Budget culturel de la Ville de Genève : La faim et les moyens

La Ville de Genève prévoit d'allouer, et sans doute allouera, un peu plus de 60 millions de francs de subventions monétaires à la culture, soit en gros un petit vingtième de son budget global. A ces subventions monétaires s'ajoutent des subventions « en nature » (gratuités de services, de loyers etc...). 91 acteurs culturels privés ou publics vont ainsi recevoir une allocation budgétaire. Qu'est-ce que cela dit de la politique culturelle de la Ville ? Pas grand chose, si ce n'est que l'entier du « tissu culturel » genevois est ainsi irrigué par les fonds municipaux, et que cet « arrosage » que d'aucuns se plaisent à dénoncer (sans pour autant aller jusqu'à en soustraire les bénéficiaires qui leurs conviennent) garantit le pluralisme de l'offre et des contenus culturels. Presque tout le monde reçoit un peu de cette manne, et personne n'en reçoit autant qu'il voudrait. Mais c'est précisément la rançon du pluralisme :  la faim de culture est plus grande que les moyens disponibles pour la satisfaire.

« Quand j'entend le mot culture, je sors mon boulier »

Un article de la Tribune de Genève a fait quelque bruissements dans le landernau politique et culturel de Piogre.  L'article portait sur les subventions allouées par la municipalité genevoise à la culture : La Ville de Genève consacre, en gros, 250 millions de francs au « domaine de la culture », sur un budget annuel de 1,1 milliard. La èmecégiste Delphine Perella Gabus, transfuge de l'Entente par frustration de carrière, et brièvement candidate au Conseil d'Etat, en a fait un caca nerveux sur le blog de Sami Kanaan, et on a entendu des élus de la droite municipale faire chorus en quelques lieux où l'on débat de ces choses :  « Vous distribuez allègrement et joyeusement les deniers publics à qui mieux mieux ! Non mais franchement, quelle honte! (...)  Nous manquons de crèches, de logements et j'en passe. En prime vous engagez des EdS payés par le canton pour des postes dont la ville a besoin »... Un concentré d'âneries : si la Ville dépense 250 millions pour la culture, c'est que le canton, plombé d'une majorité de comptables analphabètes (dont le MCG), est incapable de traduire dans ses budgets ses grands déclamations. Et si on manque de crèches, c'est que la même majorité (dont le MCG) refuse le financement nécessaire pour créer celles qui manquent. La Ville de Genève, elle, fait son boulot dans ce domaine. Et même un peu plus, pour compenser l'inactivité (volontaire) de ses supposés «partenaires». Quant aux  EdS, le département de la culture (Sami Kanaan, donc) les transforme les uns après les autres en postes statutaires  et le Conseil Administratif a décidé d'en faire autant de tous les postes d'EdS dont il a hérité. Mais c'est le MCG qui a amené à la droite traditionnelle les voix qui lui manquaient au Conseil Municipal pour refuser la semaine dernière d'accentuer cette décision du Conseil Administratif et pour maintenir les EdS le plus longtemps possible en place : pensez, une main d'oeuvre bon marché à qui on fait faire à moitié prix le même travail que les employés de la Ville, on va pas cracher dessus quand on n'a pour seul critère, s'agissant de politique culturelle comme de tout autre champ politique, celui de l'équilibre des budgets, pour seul instrument culturel une calculette. Et pour seul horizon, celui de la commune de Genève, quand sa politique culturelle irrigue toute la région.

Dans la répartition actuelle (qui date tout de même de plus d'un siècle) des tâches entre le canton et la Ville, c'est cette dernière qui se retrouve en charge de l'essentiel de l'effort culturel public (hors l'école). Une commune de moins de 200'000 habitants assume cette tâche pour une région d'un million d'habitants. Une nouvelle loi cantonale sur la culture devait remédier à ce déséquilibre, mais aucun moyen supplémentaire n'étant accordé au canton pour mener une politique culturelle digne de ce nom, la situation ne va pas changer avant des années -et ce n'est pas la nouvelle configuration du parlement cantonal qui va améliorer les choses (mot d'ordre de la majorité : « quand j'entend le mot culture, je sors mon boulier »).
Résultat : quand un projet culturel d'envergure, celui de la Nouvelle Comédie, est prêt à être réalisé, seule la Ville est réellement prête à y mettre sa part. Mais en l'absence d'engagements crédibles du canton, et parce que l'« enveloppe » accordée aux investissements municipaux de la Ville a été réduite par le Conseil Municipal, ce projet risque d'être reporté de deux ans. Et renchéri de ce fait, puisque les coûts de construction vont augmenter et qu'il faudra maintenir la vieille Comédie en état de fonctionner deux ans de plus. Parce que la volonté du partenaire cantonal est défaillante, quand elle n'est pas purement rhétorique, le partenaire municipal devrait soit attendre qu'elle se réveille, soit renoncer ? On se battra au contraire pour que ce projet (comme celui du Pavillon de la Danse) soit rétabli dans son calendrier initial -mais on sait déjà qu'il, faudra pour cela se battre contre tous ceux pour qui une politique culturelle n'est qu'une cerise sur le gâteau, un luxe. Et même contre ces acteurs culturels pour qui un nouvel acteur culturel n'est qu'un concurrent ou un prédateur sur un espace qu'ils entendent garder pour eux-mêmes. Comme si une Nouvelle Comédie nuisait au Théâtre de Carouge...

Alors on se battra. Pour que l'effort culturel de la Ville se Genève se maintienne, et se renforce. Pour toute la culture, et tous les lieux culturels. Pour le Grand Théâtre et l'Usine, l'Orchestre de la Suisse Romande et la Cave 12, la Nouvelle Comédie et les théâtreux indépendants. Et ce combat, nous savons déjà que nous ne pouvons le gagner que si les acteurs de la culture à Genève se mobilisent aussi pour le mener. Comme le relevait amèrement dans la Tribune de Genève de samedi dernier le président MCG de la commission municipale des arts et de la culture, lorsqu'il y a deux ans quelques élus de droite ont tenté de couper à la hache dans les lignes budgétaires, le lendemain les milieux culturels étaient dans la rue, et la droite reculait.
La peur du manifestant est bien le début de la sagesse. Et la rue un lieu du combat culturel.