dimanche 5 février 2012

Le projet de loi cantonale sur la culture a été déposé : Une tutelle sans moyens ?

Le Conseil d'Etat a déposé devant le Grand Conseil le projet de loi cantonale sur la culture, issu (en partie) des travaux d'une commission d'experts indépendants (la CELAC), dont le projet de loi reprend une grande partie des suggestions : renforcement de l'implication du canton dans la politique culturelle (mais sans lui en donner les moyens financiers), redéfinition des compétences et des charges entre le canton, la Ville et les autres communes, concertation avec les milieux culturels, prévoyance sociale pour les artistes, « cantonalisation » de certaines (mais pas toutes : les plus prestigieuses politiquement) grandes institutions culturelles, création d'un Conseil de la Culture... De bonnes intentions à saluer, pour ce qu'elles valent. Mais aussi de gros dangers, à identifier, pour y échapper... A commencer par le danger d'une tutelle cantonale sans moyens, et d'autant plus pesante qu'elle sera sans contre-poids.

Le cagibi et la villa de maître


Si elle est acceptée, d'abord par le Grand Conseil, puis, éventuellement (en cas de référendum) par le peuple, la loi aujourd'hui proposée remplacera celle de 1996. Mais quelle loi sortira des cogitations parlementaires ? Celle qui leur est proposée, ou celle à laquelle elles la réduiront ? Les intentions des auteurs de la loi (la Commission d'experts, d'abord, le DIP, ensuite) sont excellentes -et nous avons assez souvent exprimé les nôtres pour nous contenter de relever que nombre d'entre elles sont contenues dans la projet. Mais cette loi cantonale, qui répond à une mobilisation des milieux culturels face à une tentative, en 2007, de désengager totalement le canton du champ culturel (hors l'école), porte en germe une calamité inverse de celle dont la menace avait précisément incité à la phosphorescence législative : au désengagement du canton pourrait ainsi succéder un désengagement de la Ville -mais, à la différence du premier, un désengagement imposé, non plus volontaire (ce qui n'atténuerait d'ailleurs en rien ses effets dévastateurs sur le tissu culturel local et régional). Un danger d'autant plus menaçant que si le projet de loi confie des compétences au canton, il ne lui en donne aucun moyen : il n'a ainsi même pas retenu la proposition de la commission d'experts de fixer à 2 % de son budget les ressources que le canton affecterait à la politique culturelle (même dans ce cas, d'ailleurs, l'effort financier hypothétique du canton n'atteindrait que les deux tiers de l'effort réel actuel de la Ville), et ne prévoit aucune clef de répartition des efforts financiers respectifs du canton, de la Ville et des communes.


Certes, la question des moyens, financiers et humains, ne résume pas la réalité d'une politique culturelle. Mais sans moyens, cette politique n'est, au mieux, qu'un discours sur la culture, et au pire une tutelle sur le champ culturel. Qui veut, aujourd'hui, visualiser, symboliquement, l'extraordinaire disparité des moyens dont disposent, respectivement, la Ville et le canton de Genève pour mener une politique culturelle n'a qu'à se rendre successivement au Service cantonal de la culture et au Département municipal de la Culture : c'est passer d'un cagibi à une villa de maître. Mais aussi d'un budget de quelques dizaines de millions à un budget de plusieurs centaines de millions.

L'histoire et la situation de Genève ont fait de la Ville, berceau de la République (au point d'avoir été pendant 250 ans la République à elle toute seule) et commune-centre d'une région qui se définit autour d'elle et par elle, l'actrice principale, voire la metteuse en scène, de la politique culturelle régionale. Elle y met le plus de moyens financiers et humains, elle dispose pour cela du meilleur réseau, du plus fort appareil administratif et du plus grand réservoir de compétences. En fait, de toutes les grandes institutions culturelles, seule l'école lui échappe. Cette situation ne peut être simplement inversée, mais elle peut, et elle doit, être corrigée. Et le mode de cette correction, c'est le partenariat, le partage, le «faire ensemble», pas la Régence (quoique, les petits soupers...) ou la tutelle. Surtout si la Régence est sans moyen et la tutelle sans ressource. Parce qu'alors, on se retrouverait dans le pire des paysage politico-culturels : celui du parasitisme autoritaire de la politique culturelle par une tripotée de petits chefs disposant d'un pouvoir sans responsabilité matérielle, et surtout sans contre-pouvoir : précisément ce que les milieux culturels voulaient éviter en 2007...