samedi 17 juin 2017

L'Opéra otage


Partage ou répartition des tâches culturelles ?

Une majorité (PLR, UDC, MCG) de la commission des Finances du Grand Conseil s'est opposée à l'octroi en 2017 et 2018 d'une subvention cantonale au Grand Théâtre. Cette subvention devait engager le canton dans une participation pérenne au budget de l'Opéra, actuellement assumé, s'agissant des collectivités publiques, essentiellement par la Ville de Genève mais aussi, pour le complément, par les communes (via un fonds de l'Association des communes genevoises). Cette participation financière devait s'accompagner d'une entrée du canton dans le Conseil de fondation de l'institution. Bref, on allait peut-être s'engager dans un véritable partage (et non seulement une répartition) des tâches, et dans la concrétisation d'un principe de "faire ensemble", mais dont, apparemment, une majorité de députés cantonaux ne veulent pas. Et surtout, dont ils ne comprennent pas l'enjeu, pas plus qu'ils ne comprennent les enjeux de politique culturelle -ni même ne s'y intéressent. Avant d'espérer "boucler" le dossier de la répartition des tâches entre le canton, la Ville et les communes dans le domaine culturel, ne conviendrait-il pas d'ouvrir un programme d'alphabétisation des députés du Grand Conseil sur les enjeux de la politique culturelle ? A en juger par les débats, ou leur absence, au parlement cantonal  sur ces enjeux, un tel programme semble s'imposer d'urgence -à tel point qu'à comparer ces débats au parlement cantonal avec ceux, réguliers et parfois acharnés qu'on s'offre au parlement municipal, notre modestie foncière d'élus locaux s'en trouve douloureusement atteinte.




Dulcis in fundo

En novembre 2013, les deux magistrats en charge de l'essentiel de la politique culturelle genevoise, le Conseiller d'Etat Charles Beer et le Conseiller administratif Sami Kanaan, affirmaient de concert leur volonté de  faire travailler le canton et la Ville ensemble dans le champ culturel (six mois avant, une nouvelle loi cantonale sur la culture avait été adoptée par le Grand Conseil -mais cette loi n'avait pas pour objectif un hypothétique "désenchevêtrement"). En novembre 2015, le Conseil d'Etat et le Conseil administratif publiaient une "déclaration conjointe" redéfinissant "les compétences respectives du canton et de la Ville dans le domaine de la culture". Première traduction concrète ?  Pour arracher le soutien du PLR cantonal au financement du projet de Nouvelle Comédie, la Ville a dû prendre totalement, et seule, à sa charge le fonctionnement de la Nouvelle Comédie (et du Poche : le canton désertant la Fondation d'Art Dramatique qui chapeaute les deux théâtres). Deuxième épisode : la commission des finances du Grand Conseil refuse le partage des responsabilités sur le Grand Théâtre. Fini le "faire ensemble" et les responsabilités partagées : on se partage les institutions comme on se partagerait des territoires, avec pour mot d'ordre "chacun chez soi".

Le Grand Théâtre, l'Orchestre de la Suisse romande, la Bibliothèque de Genève, le Musée d'Art et d'Histoire : ces quatre institutions culturelles, dont le rôle et le rayonnement dépassent largement les limites de la Ville (mais également celles du canton) sont municipales. Doivent elles devenir cantonales, puisqu'en réalité elles sont régionales ? Et le canton est-il prêt à en assumer totalement la charge ?  Le canton, en tout cas, ne veut pas du musée. De son côté, si la Ville de Genève n'a aucune intention de "fermer les portes" du Grand Théâtre au canton -elle plaide depuis des années pour qu'il prenne sa part de la charge que représente l'opéra-, elle n'a pas non plus l'intention de devenir la concierge d'une institution dont le canton deviendrait maître.  Le canton assumerait-il toute la charge du Grand Théâtre, ou la partagerait-il avec la commune ? Parce que si la Ville, qui année après année assume les 45 millions (voire plus, si on y ajoute les investissements -la Ville s'apprête d'ailleurs à remettre quelques millions dans la rénovation du bâtiment de la place Neuve -la Ville, seule) de charge financière que représente le Grand Théâtre, est disposée à partager non seulement cette charge, mais aussi la responsabilité de l'institution -autrement dit : le pouvoir sur l'institution, dans une "gouvernance partagée", elle n'est pas prête à ce que ce partage la confine à un rôle aussi subalterne que coûteux, à ce qu'elle continue à payer le bâtiment, son entretien, sa rénovation, et les équipements, et le personnel, pendant que le canton ne se chargerait que de la subvention d'exploitation, qui représente moins du quart du coût total de l'opéra.

Avec le Grand Théâtre, on touche donc aux limites d'une "répartition des tâches" conçue comme un partage de territoire. Et on s'achemine vers un solide conflit, non pas tant entre la Ville et le canton, mais entre ceux qui considèrent que la politique culturelle est un enjeu considérable et ceux qui s'en foutent ou n'y comprennent rien, mais ont tout de même un pouvoir de nuisance, puisque de décision. Et à la faveur de ce conflit, on pourrait fort bien s'en offrir un autre : avec le personnel de la principale institution culturelle de toute la région (l'école mise à part). Si une institution ou une administration passe de la Ville au canton, le statut de son personnel change. Et plus encore si le canton "privatise" ce statut après avoir repris l'institution. Actuellement, plus de 150 employés de la fonction publique municipale sont affectés au Grand Théâtre. Le canton n'a aucune intention d'en faire des employés de sa propre fonction publique. Par qui seront-ils employés, à quelles conditions, sous quel statut si le canton reprend l'institution ? Et (dulcis in fundo) après quel conflit social ?

On suggérera donc, à tout hasard, à la nouvelle direction du Grand Théâtre de commander à quelque compositeur notable de notre temps une adaptation lyrique de "La Grève" d'Eisenstein : elle pourrait se révéler idoine pour l'ouverture d'une saison à venir.

vendredi 16 juin 2017

SAUVER LE PLAZA : UN ENJEU CULTUREL



SAUVER LE PLAZA, UN ENJEU CULTUREL

Nombre de salles de cinéma ont fermé à Genève ces quinze dernières années. Pour en maintenir plusieurs au centre-ville, et les maintenir en tant que cinémas indépendants, la Ville a accordé pour quatre d'entre elles, sur décision du Conseil Municipal, une subvention d'un peu moins de 4 millions de francs, en sus de son engagement dans les deux salles du Grütli et de son soutien au Spoutnik. Cet effort doit se poursuivre: il est pour nous inacceptable de transformer un espace culturel en centre commercial, même si on le fait surplomber de logements étudiants (qu'on peut d'ailleurs parfaitement installer au-dessus d'une salle de cinéma maintenue).
Il serait en outre totalement absurde que la collectivité publique accorde chaque année une aide de plusieurs millions de francs (2,5 millions rien que pour CinéForum) à la production de films sans se préoccuper du maintien de lieux où voir les fils ainsi produits -surtout si ces lieux ont, outre leur rôle culturel, une valeur patrimoniale majeure, comme le Plaza.

Les salles de cinéma genevoises accueillent chaque année 1,5 million de spectateurs (en chiffres cumulés). On n'est donc pas dans le cadre d'une demande culturelle marginale.

Inauguré en 1952, le Plaza était le plus grand cinéma genevois, avec ses 1250 places initiales. Il est fermé depuis onze ans, "faute de public" selon ses actuels propriétaires. Après onze ans d'inexploitation, la salle a besoin d'être réadaptée (en respectant sa conception) aux attentes actuelles du public.

Il est en effet difficilement concevable que le Plaza soit totalement converti en théâtre ou en salle de concert. En revanche. il est parfaitement concevable qu'il ne soit pas seulement une salle de cinéma, à l'exemple de l'ex-"Manhattan", devenu Auditorium Arditi...Cette salle ne se prête en effet pas à un autre usage que celui d'une salle de cinéma, ou éventuellement, et restrictivement, de spectacle. Il est surtout (et tel est le sens du projet que nous défendons) parfaitement concevable de faire du Plaza le lieu central d'un véritable "quartier du cinéma", au centre-ville, et à deux pas de la gare principale.


UN PROJET CULTUREL

Que faire du Plaza ? On peut en en élargir la fonction, le rôle, la place, sans attenter ni à son histoire, ni à sa configuration architecturale. Le sauvetage de l'ex-Manhattan, oeuvre lui aussi de Marc-Joseph Saugey, devenu l'Auditorium Arditi-Wilsdorf, prouve qu'il est possible de réaffecter au cinéma une salle de cinéma  patrimoniale, en respectant son architecture tout en la rénovant et en la rééquipant -et en élargissant sa fonction. Il est possible de le faire, comme il est possible d'installer dans cette salle, sans l'altérer, l'appareillage technique et les éléments de conforts attendus par le public le plus exigeant.
Le Plaza a toutes les qualités nécessaires à un projet culturel : il est au centre ville, accessible facilement par transports publics, à deux pas de la gare et des quais, et entouré d'un espace qui peut être requalifié, et dans lequel des activités en lien avec la sienne -le cinéma- peuvent être proposées, de telle manière qu'il redevienne un lieu de socialisation, de sorties, de visites. La ville de Genève n'abrite plus aucune grande salle de cinéma prestigieuse  : soit elles ont disparu, comme le Rialto, soit elles sont été réaffectées, comme le Paris-Manhattan ou l'Alhambra. Une salle comme le Plaza pourrait accueillir des manifestations publiques importantes, comme le prix du cinéma suisse.
Un cinéma n'est pas seulement un lieu de projection : c'est un espace social -et c'est peut-être de l'avoir oublié que des salles ont périclité. La programmation joue ici un rôle déterminant : plus l'offre est large, plus le public est large, et plus facilement une partie de ce public se rendra dans une salle non seulement pour y voir un film, mais aussi pour tout ce que la salle peut, autour du film, à son propos ou son prétexte ou non, proposer. Car autour d'un film, on peut proposer des événement, des spectacles, des expositions, des prolongements au film et des accompagnement du film -et des spectateurs... Et il faut donner à un nouveau public l'envie de se déplacer vers la salle de cinéma, et à un ancien public l'envie d'y revenir. L'aménagement matériel du lieu joue ici un rôle important : plus il sera chaleureux, convivial et confortable, (et plus l'accueil, la réception du public y sera de qualité, plus il sera qualitativement supérieur aux multiplexes, plus le public aura envie de s'y rendre -de se rendre en un lieu qui ne sera pas seulement une salle de projection, mais aussi un café-restaurant, une librairie, un espace d'exposition -pas seulement un lieu de spectacle, mais aussi un lieu de rencontres, dans ce qui n'est pas seulement un lieu que l'on peut investir pour en faire le coeur d'un "quartier du cinéma", mais qui est aussi une oeuvre d'art.


Des feuilles de signatures pour l'initiative "Le Plaza ne doit pas mourir"  sont téléchargeables sur http://www.fichier-pdf.fr/2017/05/24/initiative-populaire-cantonale-lEgislative-formulEe-plaza/

mardi 6 juin 2017

SAUVER LE PLAZA : UN ENJEU PATRIMONIAL ET ARCHITECTURAL


"Il est important de rappeler l'intérêt que représente le Plaza construit au début des années cinquante. La conception hardie de sa structure avec ses grandes fermes en aluminium, la galerie intermédiaire du foyer qui, pendant l'entracte, avant et après la représentation peut s'ouvrir d'un côté de la salle, assurent à cet ensemble une qualité spatiale remarquable que l'on découvre également en arrivant dans le lobby."
 Robert Frei, in Le Cinéma Manhattan à Genève, révélation d'un espace, Association pour la sauvegarde du cinéma Manhattan et NLDA, Nouvelle librairie d'architecture, Genève, 1992, p. 42

C'est un vrai chef d'oeuvre que nous voulons sauver, en le ressuscitant et en en faisant le coeur d'un lieu culturel nouveau, voué essentiellement (mais non exclusivement) au cinéma.

Le bâtiment abritant la salle du Plaza, construit par le même architecte que la salle, Marc-André Saugey, a été classé en 2004, malgré l'opposition du propriétaire. Il a été classé parce qu'il est exemplaire de l'innovation architecturale de l'époque, et qu'il le reste après les rénovations qui y ont été effectuées en 1997. Hélas, le Conseil d'Etat a retiré la salle de cette mesure de protection en s'appuyant sur une "expertise" sur la rentabilité de la salle, expertise rendue par l'ancien exploitant Frank Stell, qui a bien entendu émis un rapport défavorable puisqu'il avait renoncé à l'exploitation de la salle précisément parce qu'elle ne lui rapportait pas assez. La salle n'est donc pas classée alors qu'elle est aussi exemplaire que le bâtiment qui l'abrite et qui, lui, est classé. Cette contradiction inexplicable autrement que par la soumission au seul argument du profit financier, menace aujourd'hui le Plaza de destruction pure et simple.

L'état de la salle est préoccupant, mais rien n'est irrémédiable. Elle a d'ailleurs été rénovée en 1997, sans atteinte à son enveloppe, et en 2004, après le rachat du bâtiment par la SA Mont-Blanc Centre, ses façades, ses toitures, ses colonnes, son chauffage, sa climatisation et ses ascenseurs ont été complètement rénovés.

"La construction du cinéma Plaza a été une extraordinaire aventure; c'est probablement une des oeuvres dans lesquelles Saugey et moi avons investi la meilleure part de notre potentiel en créativité, en ingéniosité et en témérité. Dans notre fascination pour une construction en aluminium, nous avons entraîné M. Maurice Cosanday, alors directeur des ateliers de construction Zwahlen & Mayr à Lausanne et jeune professeur à l'EPFL. M. Cosanday s'est enthousiasmé pour notre projet et nous a beaucoup encouragés. Il n'y a pas lieu d'exposer ici les détails de la construction de ce cinéma ni les problèmes techniques que j'ai dû résoudre. Mais il est intéressant de savoir par quelles réflexions successives Saugey, ses collaborateurs et moi-même avons mis au point le projet définitif.
Dans un premier temps j'ai proposé une voûte mince en béton. Pour Saugey un tel projet était dépassé et manquait d'originalité, car cela revenait selon lui à construire deux fois le plafond de la salle, d'abord en bois pour le coffrage, ensuite en béton pour le couvrir. J'ai alors imaginé une structure en acier avec un plafond en plâtre suspendu. Au fur et à mesure que le projet s'affinait, Saugey posait des exigences architecturales et décoratives toujours plus strictes. La charpente métallique devait être non seulement la structure porteuse de la toiture, mais aussi l'architecture plastique et décorative de la salle; nous avons étudié de très nombreuses variantes, mais Saugey n'était jamais satisfait.
Un jour j'ai eu l'idée de remplacer l'acier par le métal léger; la charpente du Plaza devint une charpente en aluminium. C'est alors que débuta ma plus belle aventure avec Saugey. Comme toute entreprise humaine, elle a commencé dans la passion de la découverte de technologies nouvelles, s'est poursuivie dans l'obstination à surmonter les obstacles techniques et financiers, pour se terminer dans l'improvisation des modes de faire. L'idée d'une charpente en aluminium a eu un attrait magique sur tous ceux qui travaillaient à la construction du Plaza. Elle est aussi devenue le levier qui a promu le métal léger dans la construction du bâtiment à Genève. Le Plaza a été une grande réussite tant sur le plan technique qu'architectural; il a fait l'objet de plusieurs publications dans les revues professionnelles. De nombreux architectes étrangers l'ont visité et ont consulté Saugey. "

Pierre Froidevaux, Le Cinéma Manhattan à Genève, révélation d'un espace, Association pour la sauvegarde du cinéma Manhattan et NLDA, Nouvelle librairie d'architecture, Genève, 1992, p. 27

Des feuilles de signatures pour l'initiative "Le Plaza ne doit pas mourir" sont téléchargeables sur
http://www.fichier-pdf.fr/2017/05/24/initiative-populaire-cantonale-lEgislative-formulEe-plaza/

Plus d'infos : Groupe Facebook "Le Plaza ne doit pas être démoli"
http://fb.me/PlazaCitta

vendredi 2 juin 2017

Lancement d'une initiative populaire "Le Plaza ne doit pas mourir"



C'est un vrai chef d'oeuvre que nous voulons sauver, en le ressuscitant et en en faisant le coeur d'un lieu culturel nouveau, voué essentiellement (mais non exclusivement) au cinéma : le Plaza, que ses propriétaires veulent démolir pour installer à sa place... un centre commercial de plus. Compte tenu de la limitation formelle des possibilités données aux citoyens et aux citoyennes de faire opposition à une autorisation de démolir et de construire, même s'agissant d'un élément dont la valeur patrimoniale est reconnue, et compte tenu de la passivité, de la résignation et de l'inertie des autorités cantonales et municipales dans ce dossier, il ne reste donc que la voix populaire qui puisse être assez forte pour sauver le Plaza. C'est cette voix que nous sollicitons, par une initiative populaire législative proposant l'expropriation, pour cause d'utilité publique et au bénéfice de la Ville de Genève, de la société propriétaire de la salle.
L'initiative devra obtenir 7524 signatures valables, dans un délai de quatre mois à dater du 1er juin.
Des feuilles de signatures sont téléchargeables sur

www.fichier-pdf.fr/2017/05/24/initiative-populaire-cantonale-lEgislative-formulEe-plaza/www.fichier-pdf.fr/2017/05/24/initiative-populaire-cantonale-lEgislative-formulEe-plaza/

Le déclassement du Plaza : un précédent calamiteux

Le projet des propriétaire du Plaza de le détruire pour y reconstruire à sa place un centre commercial, et sous le centre commercial un parking (et sur le centre commercial, des « logements pour étudiants »  histoire de diluer un peu les objectifs purement financiers de l'exercice) a obtenu l'autorisation de construire -et donc celle de détruire la salle- qui lui était nécessaire. Il l'a obtenue malgré toutes ses tares (à commencer par celle de nécessiter, pour pouvoir être autorisé, une dérogation générale à quasiment toutes les lois qu'un projet de ce genre est supposé respecter), après des années de procédures, puisque le Conseil d'Etat a eu l'étrange idée de « déclasser » une salle classée et intégrée dans un ensemble architectural classé. Un précédent calamiteux pour la défense du patrimoine architectural. C'est un vrai chef d'oeuvre que nous voulons sauver, en le ressuscitant et en en faisant le coeur d'un lieu culturel nouveau, voué essentiellement (mais non exclusivement) au cinéma.

Le bâtiment abritant la salle du Plaza, construit par le même architecte que la salle, Marc-André Saugey, a été classé en 2004, malgré l'opposition du propriétaire. Il a été classé parce qu'il est exemplaire de l'innovation architecturale de l'époque, et qu'il le reste après les rénovations qui y ont été effectuées en 1997. Hélas, le Conseil d'Etat a retiré la salle de cette mesure de protection en s'appuyant sur une "expertise" sur la rentabilité de la salle, expertise rendue par l'ancien exploitant Frank Stell, qui a bien entendu émis un rapport défavorable puisqu'il avait renoncé à l'exploitation de la salle précisément parce qu'elle ne lui rapportait pas assez. La salle n'est donc pas classée alors qu'elle est aussi exemplaire que le bâtiment qui l'abrite et qui, lui, est classé. Cette contradiction inexplicable autrement que par la soumission au seul argument du profit financier, menace aujourd'hui le Plaza de destruction pure et simple.

L'état de la salle est préoccupant, mais rien n'est irrémédiable. Elle a d'ailleurs été rénovée en 1997, sans atteinte à son enveloppe, et en 2004, après le rachat du bâtiment par la SA Mont-Blanc Centre, ses façades, ses toitures, ses colonnes, son chauffage, sa climatisation et ses ascenseurs ont été complètement rénovés.

Un enjeu urbanistique


Le plan d'utilisation des sols pose comme principe le maintien de l'affectation initiale des surfaces faisant l'objet d'une rénovation ou d'un changement de propriétaire, sauf s'il est avéré que ce maintien est impossible pour des raisons financières.

Les lieux d'animation, dont les cinémas, doivent donc conserver "en règle générale leur catégorie d'activité en cours d'exploitation". Autrement dit : ce qui est un cinéma doit rester un cinéma, ou à tout le moins une salle de spectacle, à moins de prouver qu'il est impossible de la rentabiliser. D'où les efforts considérables déployés par les propriétaires actuels pour le prouver, avec l'aide de l'ancien exploitant - certains considérant d'ailleurs que la première cause du défaut de rentabilité de la salle était une programmation médiocre, dont quelques uns se demandaient malignement (les gens sont méchants) si elle ne l'était pas volontairement...

Un enjeu culturel

Les salles de cinéma genevoises accueillent chaque année 1,5 million de spectateurs (en chiffres cumulés). On n'est donc pas dans le cadre d'une demande culturelle marginale. Pourtant, nombre de salles de cinéma ont fermé à Genève ces quinze dernières années. Pour en maintenir plusieurs au centre-ville, et les maintenir en tant que cinémas indépendants, la Ville a accordé pour quatre d'entre elles, sur décision du Conseil Municipal, une subvention d'un peu moins de 4 millions de francs, en sus de son engagement dans les deux salles du Grütli et de son soutien au Spoutnik. Cet effort doit se poursuivre: il est pour nous inacceptable de transformer un espace culturel en centre commercial, même si on le fait surplomber de logements étudiants (qu'on peut d'ailleurs parfaitement installer au-dessus d'une salle de cinéma maintenue). Il serait en outre totalement absurde que la collectivité publique accorde chaque année une aide de plusieurs millions de francs (2,5 millions rien que pour CinéForum) à la production de films sans se préoccuper du maintien de lieux où voir les films ainsi produits -surtout si ces lieux ont, outre leur rôle culturel, une valeur patrimoniale majeure, comme le Plaza.

Inauguré en 1952, le Plaza était le plus grand cinéma genevois, avec ses 1250 places initiales. Il est fermé depuis onze ans, "faute de public" selon ses actuels propriétaires. Après onze ans d'inexploitation, la salle a besoin d'être réadaptée (en respectant sa conception) aux attentes actuelles du public. Il est en effet difficilement concevable que le Plaza soit  converti en théâtre ou en salle de concert. En revanche. il est parfaitement concevable qu'il ne soit pas seulement une salle de cinéma, à l'exemple de l'ex-"Manhattan", devenu Auditorium Arditi...Il est surtout parfaitement concevable de faire du Plaza le lieu central d'un véritable "quartier du cinéma", au centre-ville, et à deux pas de la gare principale.

Un projet culturel

Que faire du Plaza ? On peut en en élargir la fonction, le rôle, la place, sans attenter ni à son histoire, ni à sa configuration architecturale. Le sauvetage de l'ex-Manhattan, oeuvre lui aussi de Marc-Joseph Saugey, devenu l'Auditorium Arditi-Wilsdorf, prouve qu'il est possible de réaffecter au cinéma une salle de cinéma  patrimoniale, en respectant son architecture tout en la rénovant et en la rééquipant -et en élargissant sa fonction. Il est possible de le faire, comme il est possible d'installer dans cette salle, sans l'altérer, l'appareillage technique et les éléments de conforts attendus par le public le plus exigeant.
Le Plaza a toutes les qualités nécessaires à un projet culturel : il est au centre ville, accessible facilement par transports publics, à deux pas de la gare et des quais, et entouré d'un espace qui peut être requalifié, et dans lequel des activités en lien avec la sienne -le cinéma- peuvent être proposées, de telle manière qu'il redevienne un lieu de socialisation, de sorties, de visites. La ville de Genève n'abrite plus aucune grande salle de cinéma prestigieuse  : soit elles ont disparu, comme le Rialto, soit elles sont été réaffectées, comme le Paris-Manhattan ou l'Alhambra. Une salle comme le Plaza pourrait accueillir des manifestations publiques importantes, comme le prix du cinéma suisse.
Un cinéma n'est pas seulement un lieu de projection : c'est un espace social -et c'est peut-être de l'avoir oublié que des salles ont périclité. La programmation joue ici un rôle déterminant : plus l'offre est large, plus le public est large, et plus facilement une partie de ce public se rendra dans une salle non seulement pour y voir un film, mais aussi pour tout ce que la salle peut, autour du film, à son propos ou son prétexte ou non, proposer. Car autour d'un film, on peut proposer des événement, des spectacles, des expositions, des prolongements au film et des accompagnement du film -et des spectateurs... Et il faut donner à un nouveau public l'envie de se déplacer vers la salle de cinéma, et à un ancien public l'envie d'y revenir. L'aménagement matériel du lieu joue ici un rôle important : plus il sera chaleureux, convivial et confortable, (et plus l'accueil, la réception du public y sera de qualité), plus il sera qualitativement supérieur aux multiplexes, plus le public aura envie de s'y rendre -de se rendre en un lieu qui ne sera pas seulement une salle de projection, mais aussi un café-restaurant, une librairie, un espace d'exposition -pas seulement un lieu de spectacle, mais aussi un lieu de rencontres, dans ce qui est une oeuvre d'art.

Etat des choses

L'initiative populaire que nous lançons est aussi une réponse à la passivité, pour ne pas dire la complicité, des autorités cantonales et municipales face à la volonté des propriétaires du Plaza de transformer cette salle de cinéma en centre commercial -comme si Genève en manquait.
Les propriétaires du bâtiment (la SA Mont-Blanc Centre), n'ont jamais eu l'intention d'y maintenir la salle de cinéma, même rénovée : ils veulent la démolir pour en faire un centre commercial, avec des logements pour étudiants dans les étages supérieurs. Ils ont déposé une demande d'autorisation de démolir la salle, autorisation qu'ils ont obtenue, ainsi que celle de construire leur projet.

La Ville de Genève avait délivré un préavis négatif à l'autorisation de démolir. Le canton n'en a pas tenu compte, la Ville a renoncé à combattre la démolition et ne s'est donc pas opposée au projet de construction.

Par ailleurs, sans attendre d'obtenir l'autorisation de démolition, et à plus forte raison sans attendre que cette autorisation puisse prendre effet puisqu'aucune autorisation de construire n'avait encore été délivrée, il semble que les propriétaires aient tenté, voire commencé, de vider la salle de son mobilier (notamment de ses sièges, de ses équipements intérieurs et de son matériel de projection).

Une pétition signée par 1756 personnes s'opposant à la démolition du Plaza et demandant le maintien du cinéma a été déposée à l'intention du Conseil Administratif et du Conseil Municipal. La Commission des pétitions a reçu les pétitionnaires, mais aucun rapport n'a été rendu au Conseil municipal, qui ne s'est donc pas prononcé sur cet objet.

Une motion reprenant les termes de la pétition a également été déposée au Conseil municipal. Renvoyée pour étude à la Commission des Arts & de la Culture, elle a été soutenue par celle-ci, mais là encore, aucun rapport n'a été rendu au Conseil municipal, ni, par voie de conséquence, été inscrit à son ordre du jour.

L'initiative populaire législative « Le Plaza ne doit pas mourir » peut sembler être le combat du pot de terre contre le pot de fer, tant les moyens des opposants à la démolition paraissent dérisoires face à ceux des démolisseurs.
Mais c'est le combat de la toile contre le fric, du cinéma contre le souk, de la culture contre la marchandise.

Pourquoi sauver le Plaza ?
D'abord, parce que c'est nécessaire;
Ensuite, parce que c'est légitime;
Enfin, parce que c'est possible...

... pour que ne disparaisse pas une salle de cinéma de plus, et que l'une des plus belles salles de cinéma de Suisse ne soit pas transformée en un souk de plus pour de pures raisons de rentabilité financière.