lundi 19 septembre 2016

"TOUCHEZ PAS AU PLAZA" : le projet culturel


Du Plaza au Barrio (del Cine)

On a déjà à plusieurs reprises soutenu ici le mouvement ("Touchez pas au Plaza" :
https://www.facebook.com/groups/1447065642251760/)  qui s'est créé pour sauver la salle de cinéma "Le Plaza" de la démolition projetée par son propriétaire. Il y a à cette volonté de maintenir cette salle, la plus belle de Genève, des motivations patrimoniales. Mais il y a aussi une volonté culturelle. Le choix de maintenir ou non la salle du Plaza renvoie en effet à un critère d'utilité publique : l'utilité publique du projet des propriétaires l'emporte-t-elle sur celle du projet des défenseurs de la salle, comme lieu culturel ouvert au public ? la motivation du propriétaire est financière, et son critère est celui de la rentabilité : il considère que la salle n'est pas rentable, que la rentabilité des autres éléments de l'ensemble "Mont-Blanc Centre" ne doit pas être prise en compte pour compenser la non rentabilité de la salle de cinéma, seul élément déclassé (pour des motifs financiers) de l'ensemble créé par l'architecte Saugey, et qu'il a donc lui, le propriétaire, un droit fondamental à se débarrasser de la salle, alors que nous considérons, nous, qu'il y a une utilité publique évidente à la maintenir en tant que lieu culturel plutôt qu'en un centre commercial de plus.

" Retrouver le plaisir de voir des films dans ces espaces chargés d'histoire" (Frédéric Maire, directeur de la Cinémathèque Suisse)

Le projet culturel qui justifie, en sus de la défense d'un patrimoine architectural unique, le maintien du Plaza et son reclassement, en cohérence avec l'ensemble architectural (classé) auquel il appartient, est celui d'un "quartier du cinéma", organisé autour de la salle, et combinant programmation, caractère du lieu, qualité de l’accueil et des infrastructures et requalification des espaces alentour.  Il s'agit, en créant un quartier culturel, de créer un lieu de rencontres donnant ou redonnant au public  l’envie de le fréquenter : "on se rend compte que le public a envie de retrouver le plaisir de voir des films dans ces espaces chargés d'histoire", écrit, à propos du Plaza, le Directeur de la Cinémathèque suisse, Frédéric Maire. Le Plaza est idéalement situé pour un tel projet,  au coeur d’un quartier, proche de la gare, dans lequel les possibilités de requalification des activités sont nombreuses, et nombreuses aussi  les possibilités d' interactions entre les différents espaces du complexe, jusqu’à ce jour totalement indépendants les uns des autres, une salle d’exposition, des locaux administratifs, la réactivation de la brasserie et du bar glacier existants, autour d'une salle devenant  la salle de prestige de la ville.

La qualité spatiale de la salle du "Plaza", sa situation, son plein-pied avec le trottoir, en font non seulement un élément spatial sans pareil, mais aussi un élément idéal comme élément central d'un "quartier du cinéma", où le cinéma ne serait d'ailleurs pas exclusif, et qui pourrait être un lieu de rencontres et d'usages multiples, adaptable aux évolutions de la demande (et en particulier aux évolutions technologiques). La salle, en effet, fait partie d'un ensemble cohérent (et classé), dont il fut absurde, et dangereux, de sortir un élément dont on reconnaît la qualité patrimoniale, mais qu'on déclasse -qu'on prive de protection contre sa démolition, pour la seule raison que son propriétaire n'arrive pas à le rentabiliser

Le projet culturel d'un "quartier du cinéma" est, avec la volonté de maintenir parce qu'elle  le mérite en tant que telle la salle du Plaza, l'élément essentiel du caractère d'utilité public du maintien de la salle et de refus de sa démolition.  Dès lors qu'il y a utilité publique à la maintenir, la volonté du propriétaire de s'en débarrasser parce qu'elle n'est pas rentable passe au second plan. Et ce qui passe au premier plan, c'est, en tant que projet d'utilité publique, le projet culturel que portent les défenseurs de la salle. Ce projet culturel et le reclassement de la salle du Plaza (déclassée pour pouvoir être démolie) sont ainsi  des conditions réciproques : les autorités ne reclasseront la salle que si un projet solide leur est présenté pour son utilisation (et cela vaut à plus forte raison pour le peuple, s'il devait être consulté), et la réalisation de ce projet suppose le reclassement de la salle. Ce reclassement dépend d'une décision du Conseil d'Etat. On n'attend donc du gouvernement genevois qu'il fasse un choix de préférence  : empêcher la démolition d'une salle unique pour la remplacer par un centre commercial de plus.
Et dans ce choix,  si l'existence d'un véritable projet culturel pour la salle sera déterminant, c'est parce qu'on ne se bat pas seulement pour la beauté d'une salle : on se bat aussi pour qu'il s'y passe quelque chose, qui ne ne passe pas ailleurs.
Et ne se passera jamais dans un centre commercial.


mercredi 29 juin 2016

Musée d'Art et d'Histoire de Genève : Da capo..


On est toujours plus intelligent après une défaite qu'avant, c'est bien connu depuis Marignan. Ou alors, quand on se rengorge d'avoir été déjà vachement plus intelligent que les autres avant la défaite, en l'annonçant et en prédisant ses causes, on se la joue modeste.  On va donc à Genève, pour la rénovation et l'extension (ou non, ou l'éclatement) du Musée d'Art et d'Histoire, faire les choses, poser les actes, entamer les réflexion, dans le bon ordre logique -commencer par le commencement, en somme. Commencer par se poser la question à laquelle sera donnée une réponse qui va déterminer la suite : quel musée voulons-nous ? Pour faire quoi, dire quoi, raconter quoi ? assumer quel rôle, assurer quelles missions ? Déterminer le contenu d'abord, et lui adapter un contenant. Le contenant existant (le bâtiment actuel) ou un autre, sans en préjuger. Le débat, là, est un débat de fond -et les oppositions qui vont le structurer, des oppositions de fond, non sur l'architecture, le patrimoine, le coût, mais sur la nature et le projet culturel du musée. Les oppositions plus spécifiques (les mêmes que celles qui, en s’additionnant, ont coulé le projet Nouvel il y a six mois), viendront après, forcément, mais on aura au moins, à défaut d'avoir fait du passé table rase, entamé un nouveau processus sans le bâcler, et  en sachant où l'on veut qu'il nous mène...

Ne pas se contenter de rénover : réinventer

"Recentrer le débat sur le MAH en tant que musée, donc sur son identité, ses missions, ses collections et ses outils, afin de développer un futur projet sur des bases solides et partagées" : c'est ainsi que la Ville de Genève résume la logique de sa relance d'un nouveau projet pour son principal musée, après le refus, net sans être écrasant, du projet Nouvel-Jucker, le 28 février dernier -un refus qui était le résultat d'oppositions spécifiques, additionnées les unes aux autres, mais aussi, avoue la Ville, d'une procédure où les étapes nécessaires à l'appropriation du projet par la population ont été, les unes inversées, les autres bâclées. On en tire les conséquences, et on se donne le temps et les moyens politiques et conceptuels "d'élaborer sans a priori un projet culturel" digne du MAH, de ses collections, de son importance (c'est tout de même l'un des plus grands musées de Suisse) et de ses ambitions. On l'a assez souhaité, et assez souvent dit et écrit ici qu'on le souhaitait, pour aujourd'hui le saluer. En toute humilité, bien sûr.

On va donc commencer par réfléchir à ce qu'on veut, avant de faire des plans et de boucler des budgets. Et pour cela, la Ville a nommé une commission externe, indépendante, co-présidée par l'ancien directeur des Musées d'ethnographie de Genève et de Neuchâtel, Jacques Hainard, et par le directeur du Musée de la Croix-Rouge, Roger Mayou, et composée de la directrice du Kunstmuseum de Lucerne, Fanni Fetzer, de la conservatrice du département d'Histoire du Rijksmuseum d'Amsterdam, Martine Gosselink, de la directrice du Musée des confluences de Lyon, Hélène Lafont-Couturier et du président-directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez. Cette commission va consulter pendant un an les milieux universitaires, patrimoniaux, architecturaux, associatifs et politiques. Elle présentera au Conseil administratif plusieurs scenarii, dont le Conseil administratif retiendra un pour présenter, en 2018, un projet muséal, à partir duquel un concours d'architecture sera lancé. D'ores et déjà, le Département municipal de la culture (et du sport) assure que "chacun et chacune" pourra "s'associer à cette démarche" de réinvention du MAH. Que demander de plus ? De l'imagination, de l'audace (encore de l'audace, toujours de l'audace), du non-conformisme, de la liberté à l'égard des héritages trop pesants.  Pour que l'exercice ne se contraigne pas à une simple rénovation (avec ou sans extension) de l'existant, mais accouche d'une véritable réinvention.

Peut-on à Genéve inventer une politique muséale, inventer un nouveau type de musée, un nouveau rôle aux musées, que ceux (patrimonial, pédagogique, scientifique) qui ont été donné aux grands musées publics lors de leur création, et que ceux qu'ils se sont mis à jouer ensuite, en suscitant ce constat ironique des situationnistes, en 1966 : ? "C'est justement l'époque qui a fabriqué le plus grand vide culturel qui doit entreprendre d'introduire le musée dans la vie quotidienne pour y meubler tautologiquement le même vide" (Internationale Situationniste, mars 1966) ? On peut -pardon : on doit en tout cas essayer cette réinvention d'un musée, plutôt que se contenter de sa rénovation.. La leçon des urnes du 28 février aura ainsi porté des fruits moins amers que ceux d'une défaite subie sans que jamais le débat précédant le vote ait porté sur ce qui importe : la réponse à la question "un grand musée, pour quoi en faire ?".

lundi 20 juin 2016

Il y a 200 ans naissaient à Genève le docteur Frankenstein et sa créature



Immortels...
Le 16 juin 1816, quatre Anglais s'emmerdaient ferme à Genève, dans la villa Diodati, juste-au-dessus du lac. Il faisait un temps de chien. Un volcan, le Tambora, avait fait des siennes en Indonésie, un an avant, et avait chargé l'atmosphère de soufre et de cendres, à détraquer le temps jusqu'en Europe. A cinq jours du début de l'été, il faisait 14 ° à Genève. Comme maintenant, deux siècles plus tard ? Ouais, il faut se méfier des étés pourris à Genève : il peut en sortir des monstres. Bref, Mary Godwin (future Mary Shelley), Georges Byron, Percy Shelley et John Polidori s'emmerdent. Byron a une idée : "chacun d'entre nous va inventer une histoire de fantôme". Shelley et lui évoquent la réanimation d'un cadavre. Mary Godwin en écrira un chef d'oeuvre : "Frankenstein, ou le Prométhée moderne". Un homme y crée la vie en assemblant des morceaux de mort. La Créature et son Créateur ont aujourd'hui 200 ans (mais le livre ne paraîtra que deux ans plus tard, en 1818, et d'abord en français). Elle comme lui sont immortels. Et genevois -ceci n'expliquant en rien cela, puisque, selon Mary Shelley,"à Genève, on ne trouve rien qui vaille la peine que l'on prend à marcher sur ses rudes pavés".

Jusqu'au 9 octobre, à la Fondation Bodmer, à Cologny, à deux pas du lieu de naissance du docteur Frankenstein (la villa Diodati est toujours là), une exposition, des conférences, des événements, retraceront la genèse du roman de Mary Shelley, son contexte, sa signification aujourd'hui...

"Mais voici que des livres et des hommes nouveaux avaient poussé plus loin leurs recherches..."

Le roman de Mary Shelley s'inscrit dans un temps de révolutions. Mary Shelley avait donné pour titre à son roman "Frankenstein, ou le Prométhée moderne". Prométhée avait volé le feu aux dieux pour le donner aux hommes. Il en avait été puni par les dieux, condamné par eux à être éternellement enchaîné, un aigle dévorant ses entrailles. Funeste destin. Mais le Prométhée des temps d'où étaient nés Byron, Shelley, Polidori, Mary Godwin, ce n'était pas Frankenstein. Pas un savant fou, pas un démiurge. C'était la révolution. Ils en étaient fils et fille (Mary l'était d'ailleurs d'un philosophe libéral, William Godwin, et d'une écrivaine féministe, Mary Wollestonecraft).  Quand dans la tête de Mary Shelley naissaient Frankenstein ("né à Genève" dans l'une des familles "les plus distinguées de la République") et, sous la foudre, sa créature, on sortait d'un quart de siècle de révolutions et de guerres révolutionnaires. Et d'un siècle de Lumières prométhéennes : "Mais voici que des livres et des hommes nouveaux avaient poussé plus loin leurs recherches", se souvient Victor Frankenstein, citoyen de Genève et aussi fier de l'être qu'un autre, un siècle plus tôt...  Ceux qui croyaient en 1816 avoir restauré l'ordre ancien n'avaient rien compris à ce qui venait de bouleverser l'Europe. Et plus que l'Europe : le monde avait changé. Définitivement changé. Le bonheur n'était plus "une idée neuve" en Europe, s'il était encore une revendication. Du monde ancien,  on  ne pouvait que restaurer quelques apparences. D'anciens maîtres avaient certes été replacés sur leurs trônes ébranlés, mais sous eux, les sociétés, les peuples, les nations, désormais leur échappaient. La Révolution était passée par là. Véritable "Prométhée moderne" elle avait donné aux humains (aux hommes, qui tardèrent à le partager avec les femmes) un feu plus brûlant que celui que le Prométhée légendaire avait pour eux volé aux dieux : le feu de la liberté -non seulement de la relative liberté politique, de la démocratie, de la république, mais de la liberté fondamentale, ontologique, celle dont écrivirent Max Stirner puis les existentialistes : la liberté par laquelle plus rien n'est tenu pour sacré, inébranlable, définitif. Plus rien en tout cas de ce que les pouvoirs politiques, sociaux, religieux proclament et dont ils font leur justification. On peut couper la tête d'un roi. On peut se sacrer soi-même empereur en ayant convoqué un pape pour ne lui laisser que le droit de contempler le spectacle. On peut abolir les privilèges. On peut prendre la place de Dieu, ne plus être sa créature, mais son créateur. Tout peut être changé. Et on peut penser ce changement, le projeter, l'entreprendre. Et quand on commence à le faire, on ne contrôle plus rien. On lance une révolution, et elle échappe à ceux qui l'ont lancée comme la créature échappe à Frankenstein, et la révolution dévore ceux qui l'ont lancée, comme l'aigle dévore Prométhée.

Frankenstein donne vie à un assemblage de morceaux de cadavres. Sa créature était faite de chair et d'os morts. Un monstre ? De monstres, il en fut bien d'autres, de ceux que l'aube est supposée dissoudre, et ceux là sont d'idées, d'institutions, d'organisations. De politiques et de religions.
"Quelle gloire ne résulterait pas de ma découverte, si je pouvais bannir du corps humain la maladie, et, hors les causes de mort violente, rendre l'homme invulnérable", s'enthousiasme Victor Frankenstein... Rendre l'homme invulnérable à quoi ? A ce qui matériellement le tue, ou à ce qui tue ce qui le fait humain ?

Nous sommes bien  à la fois Victor Frankenstein et sa créature.

vendredi 17 juin 2016

Fonda de tiroir


L'Organisation mondiale de la santé appelle les gouvernements à appliquer à tous les films où l'on fume une classification « pour adultes », comme les film érotiques, et à les faire précéder ou accompagner de messages anti-tabac. Mais que voilà une idée géniale : quand dans « Max et les Ferrailleurs » Romy Schneider s'en grille une sur son lit, ou que dans «Pulp Fiction» John Travolta et Uma Thurmann s'en alument chacun une en même temps, que dans « Le Port de l'Angoisse » Lauren Bacall demande du feu à Humphrey Bogart ou que dans « La Dolce Vita » Marcello Mastroianni séduit la clope au bec, on nous préviendra que faire comme eux c'est pas bon pour notre santé. Et quand dans des films de guerre, ou des westerns, ou des polars, ou des films fantastiques, ou de science fiction, les héros massacrent tout ce qui bouge et qui ne leur plait pas, on aura aussi droit à un classement de tous ces films comme films « pour adultes » et à un avertissement comme quoi c'est pas bien d'exterminer, même quand on est non-fumeur ?

La presse a annoncé ces jours l'arrestation de trois participants à la « manif sauvage » du 19 décembre, qui avait été accompagnée de déprédations (notamment de la façade du Grand Théâtre) et de saccages. Un des participants, membre du Black Block, a été mis en détention, les deux autres ont été laissés en liberté, mais la presse a lourdement insisté sur les liens que l'une d'entre eux avait avec l'Usine. Manière d'impliquer celle-ci dans le boxon (comme la droite et l'extrême-droite l'avaient fait, en tentant de geler la subvention municipale au Centre alternatif) ? L'Usine a répondu en ces termes, le 15 mars, par un communiqué de presse :
« Suite aux différents articles parus ce weekend dans la presse genevoise, L'Usine condamne l'amalgame politique et médiatique concernant la manifestation sauvage du 19 décembre 2015. L'usine en tant que centre culturel auto-géré n'a pas organisé ou participé à cette manifestation. Elle n'a donc pas à y etre associée de manière publique dans des articles de presse. L'Usine se questionne sur les sources de ces informations, relayées par des médias genevois sans consultation de ses représentantes. »

« Nous n'avons jamais eu l'intention de nous attaquer aux artistes », a geint le PDC de la Ville de Genève après le succès du référendum lancé (on votera le 5 juin) contre les coupes budgétaires que le PDC a contribué à imposer dans les subventions à la culture et les fonds généraux destinés aux artistes... et le chef du groupe PDC au Conseil municipal d'expliquer (dans la « Tribune de Genèv » du 23 janvier : « nous souhaitons simplement un contrôle sur la politique culturelle ». C'est cela, voui. Et si  le PDC de la Ville commençait par avoir un contrôle sur ses propres votes et leurs conséquences ?

Comme on sait, le canton de Genève veut mettre la main sur l'Opéra municipal. Mettre la main sur le Grand Théâtre, mais pas vraiment au porte-monnaie. En fait, le canton veut le pouvoir sur le Grand Théâtre, mais en payant le moins possible. Le Grand Conseil a donc accepté, péniblement, de verser une subvention de 500'000 francs (un peu plus d'un centième de ce que coûte le Grand Théâtre à la Ville) pour la saison 2015-2016, qui se termine dans trois semaines, et de deux millions pour la saison 2016-2017 (ce n'est toujours que 4 % de ce que la Ville paie pour son Opera), mais a refusé d'aller plus loin et de s'engager pour les saisons suivantes. Quand il va s'agir pour le canton de reprendre le Grand Théâtre, qui coûte près de 50 millions par année sans compter l'entretien et la rénovation du bâtiment et de la machinerie, et de reprendre donc dans la fonction publique cantonale les 150 employés municipaux qui sont affectés à l'Opera par la Ville, la discussion risque de prendre une autre tournure. Et la négociation sur la nouvelle répartition des tâches entre le canton et les communes une autre réalité que les bidouillages épiciers à quoi elle s'est réduite jusqu'à présent. C'est con, quand même, le principe de réalité. Con, et coûteux.

dimanche 17 avril 2016

Musée d'Art et d'Histoire de Genève : Un "NON" libérateur


Le 28 février dernier, les Genevois et voises (de la Ville, puisqu'un Musée d'Art et d'Histoire n'intéresse pas le canton -au contraire du Grand Théâtre, plus décoratif sur une carte de visite politique) ont libéré le Conseil administratif, et même le MAH, d'un héritage pesant, et paralysant : le refus du projet Nouvel-Jucker de rénovation et d'extension du MAH a en effet quelque chose d'une libération en même temps que d'une remise des compteurs à zéro : on va enfin pouvoir procéder comme il aurait fallu le faire dès le départ : d'abord définir le contenu et le rôle du musée, et ensuite le contenant, le bâtiment. L'inverse de ce qui a été fait. Et ça tombe bien : le projet muséal, on l'a. Ou plutôt : on en a un -mais comme c'est le seul, c'est sur celui-là, quelque critique qu'on ait à lui faire, qu'on va pouvoir repartir. En somme, il fallait dire "non" d'abord (au projet Nouvel-Jucker) pour pouvoir, un jour, dire "oui" à un projet qui tienne la route, culturellement et politiquement, avant même que de satisfaire architecturalement et de rassurer financièrement.

Qui est au service de quoi ? Le bâtiment du musée, ou le musée du bâtiment ?

La direction du MAH et le Conseil administratif, en présentant le "projet scientifique et culturel" du musée, avaient assuré que pour l'essentiel (ils s'étaient même risqués à le chiffrer à 80 % du PSC, cet essentiel), ce projet (qui réaffirme le caractère encyclopédique du musée, le lien entre l'art et l'histoire, et les trois fonctions traditionnelles d'un musée public -patrimoniale, scientifique, pédagogique) était indépendant de l'acceptation ou non de celui portant sur son contenant (la rénovation et l'extension du MAH, soumise au vote populaire, et refusée par lui). On peut donc prendre au mot cette conviction : on a un PSC, qui a été, longuement (un an et demi) pensé et débattu par une équipe de projet et un conseil scientifique, puis ratifié par le MAH et par le Conseil administratif. Un projet tardif,  qui ne révolutionne pas le musée, mais qui vaut d'abord parce qu'il existe. On n'a donc pas à reprendre à zéro l'exercice qui a conduit à son élaboration -de toute façon, un PSC est non seulement évolutif : ce n'est pas une charte intouchable, mais un "work in progress".

Qui est au service de quoi ? Le bâtiment du musée, comme un contenant qui n'importe que par son contenu, ou le musée du bâtiment, comme prétexte à un "geste architectural" ? Ne pourrait-on, enfin, s'accorder sur l'évidence qu'un projet muséal est indépendant du bâtiment qui l'accueille, qu'il est ce qu'il expose, et non ce dans quoi il expose ? Et que faire alors du bâtiment Camoletti ? Il est exemplaire non seulement d'un style (le style "Beaux-Arts") de la fin du XIXe siècle (même s'il a été édifié au début du XXe, il avait été conçu comme on concevait un bâtiment de cette ambition sous Napoléon III), mais aussi, et, s'agissant du projet muséal, d'une conception tout aussi datée du rôle d'un musée : celui d'un temple de la culture. D'un lieu sacralisant ce qu'il expose. D'un espace où l'on reçoit la culture. Pas d'un lieu d'invention, de confrontation, de contestation : d'un lieu de communion. Peut-on concevoir un "musée du XXIe siècle" dans un sarcophage du XIXe ?

Tant  que l'opposition au projet Nouvel-Jucker était minoritaire, portée par des défenseurs du patrimoine et des opposants au "partenariat" avec la Fondation Gandur, elle avait la séduction de David face à Goliath. La coalition des oppositions populistes, avaricieuses et fétichistes n'avait pas cette séduction -mais elle avait gagné en efficacité, ne serait-ce que du fait des erreurs des partisans du projet : à vouloir forcer le passage pour l'extension en prenant la rénovation en otage, ils ne donnaient pas vraiment l'impression d'une adhésion convaincue et convaincante à un projet muséal et à un contenu culturel novateurs, même si la co-présidente du Cercle de soutien au projet, Charlotte de Senarclens, assurait qu'"en  dehors du fait que le projet architectural (lui plaisait), c'est l'usage que l'on  en fait qui (lui importait)" -or on a été jusque deux mois avant le vote populaire dans l'attente d'un véritable projet scientifique et culturel, et les partisans du projet Nouvel-Jucker s'étaient contentés de nourrir cette attente de grandes généralités consensuelles, juste un peu au-dessus du niveau d'insignifiance des discours convenus sur une "ouverture vers la cité et le grand public" qui n'est pas plus contestée que la rénovation du musée, même si
"A sa manière, l'échec du nouveau Musée d'Art et d'Histoire de Genève a prouvé l'éclatement du public, et la difficulté de dire simplement "c'est beau" devant les oeuvres", comme l'écrit Gauthier Ambrus dans "Le Temps" du 5 mars.

Le projet Nouvel-Jucker ne méritait sans doute ni l'honneur dont on le parait ni l'indignité dont on l'accablait et, quoi qu'on en pensait, il valait sans doute mieux le combattre pour le projet muséal qu'il signifiait (s'il en signifiait un) que le laisser succomber  face à une coalition du populisme "anticulturel", du chipotage avaricieux et du fétichisme patrimonial. Il méritait un débat, et donc une opposition, sur son contenu plus que sur son contenant, son coût et ses sources de financement. Il méritait un débat sur la politique muséale qu'il matérialisait. Il méritait un vrai débat de politique culturelle. Avec quelques idées, quelques propositions, quelques pistes pour faire de ce musée autre chose que la seule modernisation de ce qu'il est déjà. Il méritait un débat qui n'a pas eu lieu, mais qui peut maintenant reprendre, avant qu'un nouveau projet soit proposé. Et ce débat qui peut reprendre doit reprendre : il est la condition pour que, dans les urnes, une majorité se dessine pour soutenir un projet qui en vaille la peine par son contenu, avant que d'être vanté pour son contenant.

Après le refus populaire du projet MAH+ (refus "populaire" y compris au sens politiquement distinctif : ce sont les "quartiers populaires", c'est-à-dire les arrondissements de gauche, qui ont le plus clairement refusé le projet, parfois à plus de 60 %, alors que les trois seuls arrondissements qui l'acceptaient étaient des arrondissements de droite, dans des "quartiers bourgeois"...), les deux magistrats (de gauche) en charge du dossier, Sami Kanaan et Rémy Pagani ont promis la présentation avant l'été d'une "feuille de route" pour un nouveau projet, qui ne soit pas que de rénovation mais qui soit aussi d'extension du musée actuel -on se permettra de souhaiter que ne soit pas à nouveau commise l'erreur de lier rénovation et extension dans une seule et unique demande crédit qui contraindrait les opposants à l'extension à voter aussi contre la rénovation qu'ils appellent de leurs voeux.

"En 1998, les responsables avaient commencé par mettre en place le projet architectural. Cette fois, nous souhaitons que l'architecture soit au service du projet muséal", déclarait Sami Kanaan au lendemain de vote populaire de refus du projet Nouvel-Jucker. C'est en effet une évidence qu'il faille savoir ce que l'on veut faire d'un musée avant de savoir quel aspect il aura. Et c'est aussi une évidence que c'est de ne pas avoir raisonné ainsi que le projet Nouvel-Jucker avait perdu de sa légitimité culturelle. Mais la question se posera alors clairement, de savoir ce qu'on va faire du bâtiment actuel, totalement inapte à être un "musée du XXIe siècle", puisque conçu en fonction de l'idée qu'on se faisait d'un musée au XIXe siècle... On nous dit qu'il faut adapter les musées aux modes de consommation culturelle dominants... mais lorsque les grands musées publics ont été créés, c'est-à-dire qu'ils sont passés du statut de collections princières ou monarchiques à celui d'institutions culturelles publiques, se sont-ils adaptés aux modes de consommation culturelle de l'époque ? Non : ils en ont créé un nouveau... Et si le vote du 28 février donnait à Genève l'occasion de se livrer à ce même exercice d'invention d'un lieu culturel nouveau, repensé à partir d'un héritage, mais ne s'y enfermant pas  ? Alors, même les perdants du scrutin pourraient en remercier les vainqueurs.
Mais il est vrai que là, on prend un peu nos désirs pour des réalités. Et qu'on plaide un peu pour notre paroisse. On nous le pardonnera peut-être. De toute façon, on se l'est déjà pardonné nous-mêmes à nous-mêmes.

samedi 16 avril 2016

Pourquoi "désenchevêtrer" la politique culturelle, naturellement enchevêtrée ?


Le 18 mars, le Grand Conseil a adopté un premier paquet, assez ficelé,  de lois supposées "désenchevêtrer" les politiques sociales et parascolaires des communes et du canton, à partir d'un accord "unanime" entre le canton et l'Association des communes (mais dont on ne sait pas si les communes, elles, étaient unanimes pour le ratifier). En résumé, l'accueil parascolaire sera de la compétence exclusive des communes et les prestations sociales financières de celle du canton, à l'exception d'aides ponctuelles que les communes pourront accorder, et de prestations complémentaires accordées par la seule Ville de Genève, et qu'elle sera seule (parce qu'elle a été seule à se battre pour cela) à pouvoir continuer d'accorder aux bénéficiaires de prestations cantonales complémentaires à l'assurance vieillesse et invalidité : bonjour l'égalité de traitement... et l'Association des communes genevoise entérine ? Voilà qui va certainement contribuer à en rehausser le prestige. Les communes vont reprendre l'aide à domicile accordées aux personnes âgées, le canton étant chargé des soins  à domicile et de la prise en charge en EMS. Ce paquet de lois ayant été accepté, et aucun référendum n'ayant été lancé contre elles, c'est au tour de la politique culturelle de faire l'objet de projets de "désenchevêtrement" -de projets plus contestables, si l'on  en juge par le projet de loi cantonale sur la répartition des tâches dans le domaine de la culture, proposé par le Conseil d'Etat (il est téléchargeable sur www.fichier-pdf.fr/2016/04/08/pl11872/ ) après une négociation avec les communes, et surtout la Ville de Genève... mais pas avec les acteurs culturels...
     
Une affaire de choix politique ou d'amour-propre ?
  
"Nous sommes en train de faire à quelques uns ce que la Constituante, c'est-à-dire 80 personnes dont c'était l'unique tâche, n'a pas su faire en quatre ans", lâchait le président du Conseil d'Etat, François Longchamp, en octobre dernier, lors de la présentation du premier paquet de lois visant au "désenchevêtrement" des tâches entre le canton et les communes. Et il n'avait pas tort, le président du gouvernement -même si la Constituante n'avait pas que cette tâche à accomplir, elle l'avait, et ne l'a pas accomplie, refilant pleutreusement la patate chaude (et les conflits qui vont avec) au Conseil d'Etat, et après lui au Grand Conseil. Une première loi avait, en septembre dernier, fixé la méthode de se "désenchevêtrement", même là où il n'y a pas grand chose à désenchevêtrer -comme dans la politique culturelle, où le canton joue un rôle supplétif des communes en général et de la Ville en particulier, ce qui fait de ce champ de l'action politique le seul d'importance où à Genève le principe de subsidiarité, invoqué comme principe de référence du "désenchevêtrement" soit respecté : le canton n'intervient que là où la commune (la Ville, principalement, mais pas exclusivement) n'intervient pas, ou intervient comme complément de l'intervention de la commune.
     
Le Conseil administratif de la Ville de Genève et le Conseil d'Etat avaient négocié, entre eux seuls, sans les autres communes et sans le Conseil de la culture, une sorte d'"accord" qui n'en était pas un, mais qui faisait semblant d'en être un, et qu'on était priés de prendre pour tel, portant sur la répartition des tâches de politique culturelle entre la Ville et le canton. Notre magistrat préféré nous avait dit sur son blog que "s’il n’est pas parfait, cet accord est cependant un bon accord dans le contexte actuel". Ce qui, en le contextualisant, faisait précisément de cet "accord" non pas un élément de politique culturelle, mais une monnaie d'échange : il fallait  "envoyer un signal positif aux députés ayant fait de cet accord un préalable nécessaire à leur entrée en matière sur une participation cantonale à la construction de la Nouvelle Comédie et au fonctionnement du Grand Théâtre, participations s'inscrivant dans le cadre de la Loi cantonale sur la culture". Mais cela s'est fait sans concertation avec d'autres partenaires que la Ville et le canton, confrontés à des dossiers qu'ils n'arrivaient pas à faire avancer parce que la majorité du Grand Conseil leur mettait, ou menaçait de leur mettre, des bâtons de bergers dans les roues du char à bœufs -comme dans le cas du projet de la Nouvelle Comédie, embourbé par le PLR. Dans ce dossier, le Conseil d'Etat avait tenu ses engagements -c'est le Grand Conseil qui a fait défaut. Et dans le dossier du Grand Théâtre, c'est de crainte que le Grand Conseil fasse à nouveau défaut que le Conseil d'Etat avait "gelé" la subvention cantonale prévue -et qui sera de toute façon revue à la baisse...
      
Avec le projet de loi qui vient de tomber pas plus qu'avec l'accord Ville-canton qui le précédait et qu'il reprend, on n'a pas affaire à un programme de politique culturelle -juste à un marchandage sans critères clairs : on ne se répartit les responsabilités ni en fonction de l'importance des lieux culturels, ni en fonction du domaine culturel, ni en fonction de qui les assume actuellement, ni en fonction de leur audience locale, cantonale ou régionale, ni en fonction de leur coût.  Si on retenait ces critères, le Musée d'Art et d'Histoire et la Nouvelle Comédie devraient revenir au canton -or le canton les laisse à la Ville, seule.  Et finalement, on ne désenchevêtre pas grand chose. D'ailleurs, ce serait une démarche en soi contestable que de "désenchevêtrer", s'agissant de la culture, qui produit naturellement de l'enchevêtrement, autant qu'elle en profite. La Confédération elle-même le reconnaît, puisque lorsqu'elle intervient dans le champ culturel genevois, c'est en encourageant son partenariat avec la Ville et le canton. Autrement dit, en encourageant l'"enchevêtrement"... auquel le canton fait mine de vouloir mettre fin, alors même qu'il n'a pas réellement de politique culturelle, mais seulement des envies de politique culturelle, ce qui n'est pas vraiment la même chose. Sauf à réduire la politique culturelle à la mainmise (au moindre coût possible) sur telle ou telle institution culturelle plus prestigieuse que les autres.

Une affaire d'amour-propre, en somme.

jeudi 24 mars 2016

"Touchez pas au Plaza" : Frémissements...


On vous reparle du sauvetage de la plus belle salle de cinéma genevoise, en déshérence depuis des lustres : le Plaza. Parce qu'il y a du nouveau. Oh, pas un bouleversement, pas un renversement de situation, non, mais des frémissements. Les auteurs des recours individuels contre l'autorisation de démolir la salle (sous réserve de la délivrance d'une autorisation de construire le souk que les propriétaires projettent à sa place) ont bien été déboutés, par dénégation de la qualité pour agir, mais un recours reste pendant, celui de la Société suisse des architectes, section de Genève, à qui la qualité pour agir peut difficilement être niée. Et puis, les défenseurs de la salle ont présenté il y a deux semaines un projet de "quartier culturel" dont le Plaza, en tant que salle de cinéma, serait le centre, et des messages indirects et informels de quelques autorités leur sont parvenus selon lesquels si un projet culturel était avancé à partir du Plaza cinéma, leur position (soit l'autorisation de démolir, conditionnée à une autorisation de construire) pourrait être revue dans le sens de la préservation de la salle. La rénovation réussie, par la Ville, de l'Alhambra  prouve d'ailleurs qu'on peut parfaitement réhabiliter et adapter une salle de cinéma historique (même plus ancienne que le Plaza) à une fonction culturelle plus large et plus polyvalente, sans attenter à sa structure et à sa qualité architecturale. C'est d'ailleurs ce que la Ville de Lausanne entend faire de sa salle du Capitole...

Ce qui vaut pour un petit cinéma porno ne vaudrait pas pour un grand cinéma populaire ?

Dans la défense du "Plaza", ça frémit, ça avance. Lentement, incertainement, mais ça avance. Que cela aboutisse, c'est affaire de volonté politique. Les défenseurs du Plaza l'ont. Il leur manque le pouvoir. Que ceux qui l'ont en fassent en bon usage, plutôt que s'éclipser devant les propriétaires sous des prétextes de rentabilité et laisser un centre commercial prendre la place d'un cinéma, ne dépend que d'eux.

Les défenseurs du Plaza travaillent sur un projet de "quartier culturel" dont la salle de cinéma, maintenue en tant que telle, serait le centre. Car sa situation est idéale : c'est la dernière grande salle de cinéma au centre-ville qui soit, aussi, un élément du patrimoine architectural de la ville. A cinq minutes de la gare, sur un axe de passage entre la gare et le lac, sur une rive droite où les lieux culturels structurant sont bien moins nombreux que sur la rive gauche, l'immeuble du Plaza offre des opportunités uniques pour un projet de "quartier culturel" :  un passage couvert très fréquenté, pouvant devenir une véritable promenade architecturale, une salle esthétiquement exceptionnelle, qui fut pionnière en Europe par sa structure... De cela, on peut faire un centre cinématographique "grand public" autour d'une salle de prestige liée à des espaces de rencontre (un bar, une brasserie, une galerie, par exemple), et qui peut être doublée en sous-sol de salles plus petites, sans que la salle actuelle soit fondamentalement modifiée.
"Fonction Cinéma", qui ne s'associe pourtant pas au combat pour le maintien du Plaza, écrivait en mai dernier aux membres du Conseil municipal qui allaient se prononcer sur une aide à la rénovation de quatre petits cinémas indépendants, que "garder des lieux de convivialité, de loisirs et de culture au centre-ville (...) participe à la qualité de vie qu'offre Genève". En défendant le Plaza, et un projet le requalifiant comme "centre d'un quartier culturel", ne ne disons pas autre chose. Pas autre chose non plus que ce qui a convaincu le Conseil communal de Lausanne de voter à l'unanimité (droite comprise, donc) un crédit d'étude pour rénover (il en coûterait une quinzaine de millions de francs) la salle de cinéma du Capitole, l'une des plus grandes de Suisse, ouverte en 1929 et sauvée en 2010 par son acquisition par la Ville. La salle est désormais exploitée par la Cinémathèque suisse, en collaboration avec Pathé. Dans le projet de rénovation, elle gardera son esthétique et son volume. 

Et puis, il  a cette cerise vermillonne comme un plaisir coupable :  la salle du cinéma genevois "le Splendid" ne fermera pas, et restera une salle de cinéma. Spécialisé dans le porno, certes, mais maintenu malgré cela dans son affectation cinématographique en raison du règlement municipal des plans d'utilisation des sols (PUS), ce même que la Ville de Genève avait finalement renoncé à faire valoir dans un recours contre la décision de démolir le Plaza. "Nous avons décidé de poursuivre l'aventure, et même de procéder à de petits investissements" (un fumoir, un foyer, une nouvelle sortie), sans augmenter les tarids (14 francs), annonce le propriétaire, qui précise que c'est parce que "la Ville de Genève nous empêche de changer d'activité", en raison précisément du règlement des PUS, que son cinéma restera un cinéma : "pour la Ville, nous animons le quartier".
Jouissif, non ? Il faudra qu'on nous explique pourquoi ce qui vaut pour un petit cinéma porno ne vaudrait pas pour un grand cinéma populaire...

dimanche 13 mars 2016

Le Plaza, comme le Capitole ?


Le cinéma Plaza n'est pas encore mort
   
Le cinéma Plaza n'est pas encore mort. Et s'il devait mourir, ce ne serait pas de sa belle mort, mais d'avoir été tué. Délibérément. Par ceux qui veulent le détruire, et ceux qui ne veulent rien faire pour les en empêcher. Contre l'autorisation donnée par le Conseil d'Etat de démolir cette splendide salle, il reste un recours pendant devant le Tribunal administratif de première instance (les autres ont été déboutés) : le recours de la Fédération des architectes suisses (FAS), qui avait déjà été active dans le sauvetage de la salle du Manhattan, et pour qui il ne s'agit pas seulement de sauver un bâtiment ou une salle, "mais aussi une spatialité, celle des années 50, et avec elle l'optimisme de l'après-guerre". La FAS, qui demande au Conseil d'Etat de "reclasser la salle" (classée en 2004 mais déclassée en 2007 sur pression des propriétaires), demande notamment la nomination d'un expert indépendant pour produire une contre-expertise (il n'y en a jamais eu...) à celles, de pure opportunité, commanditées par les propriétaires pour conforter leur volonté de détruire la salle. Enfin, le directeur de la Cinémathèque suisse, Frédéric Maire, a apporté son soutien à la lutte pour le sauvetage du Plaza, en s'appuyant sur l'expérience du sauvetage de la salle lausannoise du Capitole. Bref : le Plaza bouge encore...


Le pot de terre contre le pot de fer, la démocratie contre les avocats d'affaires

L'opposition à la démolition de la salle du Plaza par son propriétaire, Mont-Blanc centre SA, c'est un peu la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Et le pot de terre, c'est nous, les motionnaires au Conseil municipal et les 1700 pétitionnaires qui veulent sauver cette salle, face à un cabinet d'avocats d'affaires, Baker & McKenzie, qui n'est que la succursale locale genevoise d'une véritable multinationale de plus de septante cabinets comparables. Ce qui se sent d'ailleurs dans le style, la syntaxe et l'orthographe de leurs textes...

La décision du canton d'autoriser la démolition de la salle, contre l'avis de la Ville (qui aurait pu, et du, faire recours  contre cette décision, à laquelle elle avait pourtant donné un préavis négatif, et ne l'a pas fait) a été prise sans pesée d'intérêt entre intérêt public et droit du propriétaire, et sous l'angle formel, administratif : elle signifie que rien ne s'oppose, de ce point de vue, à cette démolition. Cela ne signifie nullement que cette démolition soit opportune -cela ne signifie qu'une chose : qu'elle serait légale (2). Tout en créant, selon la Société des architectes, un "précédent extrêmement dangereux", puisque pour la permettre on aurait, pour des motifs uniquement financiers (la non-rentabilité supposée de la salle) sorti, pour le démolir, un élément d'un ensemble classé, alors même qu'on en reconnaît la valeur patrimoniale (4)...

Tout n'est pas perdu, et nos cartouchières ne sont pas vides : l'autorisation de démolir n'entrera en force qu'une fois l'autorisation de construire donnée au propriétaire (1). Or cette autorisation de construire peut elle-même faire l'objet d'un recours (de la Ville ou de toute personne ou entité ayant qualité pour agir). Et si la Ville de Genève (elle est seule à pouvoir le faire) avance avec un projet solide, avec un solide contenu culturel, les choses peuvent changer -les propriétaires le savent sans doute... d'ailleurs, l'année dernière, le Conseil municipal de la Ville a accepté une proposition du Conseil administratif d'un crédit de 4,9 millions de francs pour participer à la réhabilitation de quatre cinémas indépendants (le Lux, les Scala, le City et le Nord-Sud), à seule fin d'en maintenir l'activité au centre-ville, et sans qu'aucun critère patrimonial ne soit même avancé. Et puis, la Ville a fort bien réussi à rénover et étendre la salle de l'Alhambra (www.ville-geneve.ch/themes/amenagement-construction-logement/construction-entretien-renovation-batiments/realisations/alhambra/), en ayant pour elle un vrai projet culturel.

Genève manque-t-elle à ce point de centres commerciaux qu'il faille démolir un cinéma (3) pour ouvrir un souk de plus ? La destruction de la salle construite sur les plans de l'architecte Marc-Joseph Saugey serait en tout cas, de l'avis de la section genevoise de la Fédération des architectes suisses, une "catastrophe patrimoniale et culturelle". "Patrimonial", "culturel", des mots qui semblent n'avoir guère de signification quand ils sont adressés aux propriétaires, mais qui devraient en avoir une lorsqu'ils le  sont aux "politiques", municipaux et cantonaux.

On ne voit pas pourquoi ce qui a été possible à Genève avec l'Alhambra et à Lausanne avec le Capitole deviendrait impossible avec le Plaza...


www.ville-geneve.ch/fileadmin/public/Departement_2/Publications/triptyque-alhambra-renovation-extension-ville-de-geneve.pdf

1. La société propriétaire n'évoque quasiment, comme argument de son projet de démolition de la salle de cinéma, que les 63 logements pour étudiants dont elle entend coiffer les commerces qui remplaceraient le cinéma. Ainsi écrit-elle que "le site de l'ex-cinéma Plaza est à la base d'un projet de transformation destiné à créer  63 logements étudiants"... comme si ces logements étaient le coeur de son projet, et que c'étaient eux qui suscitaient notre opposition : or le coeur du projet des propriétaires est le remplacement du cinéma par des commerces. Ce à quoi nous nous opposons est la destruction de la salle :  pour autant qu'elle soit sauvée, et maintenue soit comme salle de cinéma, soit comme lieu culturel polyvalent, nous n'avons aucune objection à ce que des logements étudiants soient proposés au-dessus d'elle.

2. Les propriétaires affirment que les associations de défense du patrimoine ("Patrimoine Suisse", "Patrimoine vivant" ont reconnu que l'autorisation de démolir était "juridiquement incontestable", mais il ne s'agit  ici que de l'autorisation de démolir, et non de l'autorisation de construire qui en est la condition exprès, et il ne s'agit que de l'aspect purement juridique de cette autorisation de démolir -or les mêmes associations de défense du patrimoine dont les propriétaires font si grand cas de l'avis juridique, reconnaissent la valeur précisément patrimoniale de la salle, et que l'autorisation de démolir n'a été finalement accordée qu'à partir d'arguments fondés sur la non-rentabilité supposée du Plaza en tant que salle de cinéma (et seulement de cinéma).

3. Les propriétaires affirment que "la situation du marché cinématographique s'est encore détériorée pour les salles fonctionnant sans soutien étatique ou aide de bienfaiteurs". Or le Plaza, qui serait aujourd'hui, si elle son exploitation n'avait pas cessé, la seule et unique grande salle indépendante au centre-ville, capable dès lors de "récupérer" une partie de la clientèle des Rialto, tout en gardant celle des spectateurs qui ne goûtent pas les multiplexes de la périphérie.

4. Les propriétaires affirment qu'aucun classement du bâtiment Plaza n'est jamais entré en force. En effet, mais ce classement avait été décidé par arrêté du Conseil d'Etat en 2004, dans le cadre du classement de tous les bâtiments Saugey. En 2006, le TF a précisément rejeté le recours des propriétaires contre ce classement, et le bâtiment n'a été sorti du classement qu'en 2007, au motif de la non-rentabilité de la salle, "prouvée" par des expertises (sans aucune contre-expertise) commandées par les propriétaires eux-mêmes... ce qui nuance (pour le moins) l'affirmation des propriétaires que "le Conseil d'Etat et les autorités judiciaires du Canton ont (...) établi que l'activité cinématographique du Plaza ne pouvait être poursuivie car elle était tout à fait déficitaire"

jeudi 3 mars 2016

MAH : Du bon usage d'un refus


Da capo !

Par 54,3 % des votants (on avait parié sur une proportion encore plus forte), le peuple municipal de Genève a donc refusé le projet de rénovation et d'extension du Musée d'Art et d'Histoire. Le vote n'était que municipal -aurait-il été cantonal que le "oui" aurait peut-être gagné (comme il a gagné dans les arrondissements de droite de la Ville), encore qu'on ne puisse en jurer. Pas plus qu'on ne puisse jurer, même si on en est persuadé, que si la rénovation et l'extension du musée avaient été dissociées au lieu que d'être liées dans un seul vote, la rénovation aurait été acceptée -peut-être même sans vote populaire, parce que sans référendum. Reste que refus il y a eu. Et qu'il y en a un bon usage possible : il rouvre le débat que l'acceptation du projet aurait fermée, avant même qu'il ait réellement commencé. Non le débat sur le coût du projet, l'odeur de l'argent privé qui contribuait à le financer, ni même le débat patrimonial, mais le débat sur le rôle du musée, sa place dans le dispositif culturel genevois. Et même le débat sur un nouveau musée, ailleurs. Parce que le musée ne doit pas être prisonnier de son bâtiment et que peu nous importe au fond le sort du bâtiment Camoletti : il n'est pas le musée, mais son enveloppe...


  "(...) le ciment victorieux au sein duquel sera ficelée la prestigieuse clé de voûte qui ouvrira à deux battants la porte d'un avenir radieux"

Musée d'Art et d'Histoire de Genève, on repart à zéro  : après le refus populaire du projet qu'il défendait (plutôt comme on défend un héritage que comme on défend une cause à laquelle on croit), le Conseil administratif de la Ville de Genève reprend la main, et annonce qu'il présentera d'ici juin une "feuille de route" pour relancer des études et des consultations sur un nouveau projet. Dont on ne connait évidemment encore rien (sera-t-il de rénovation seule, de rénovation et d'extension, d'un nouveau musée ?), mais dont on sait déjà qu'il coûtera plus cher à la Ville, s'il se réalise, que celui qui vient d'être refusé -autant dire que l'argument financier qui, largement évoqué par les opposants au projet refusé dimanche, a sans doute été déterminant dans ce refus, pourra refaire surface dès qu'une décision devra être prise (par le Conseil municipal, voire le peuple). Après le refus collatéral (comme on le dit d'un dommage...) de la rénovation du musée actuel, puisqu'elle était liée au projet d'extension, chaque jour qui passe passe sur le musée, aggrave sa dégradation, augmente le coût de sa rénovation, et même, à défaut de rénovation, celui de son entretien (la Ville en est propriétaire, elle a le devoir de l'entretenir, et l'obligation de le mettre aux normes)

Reste que, comme l'affirment à raison les deux Conseillers administratifs en charge du dossier, Sami Kanaan et Rémy Pagani, la rénovation seule n'a pas de sens assez fort pour justifier un investissement lourd (qu'ils estiment à 80 millions),  qu'on peut avoir une autre ambition que "maintenir un musée dans sa conception de 1910", que l'extension est plus que problématique (où se ferait-elle ? sous la butte de l'Observatoire, voire à sa place, arasée ? Le référendum chauffe déjà... dans les bâtiments des Casemates ? Ils sont aussi obsolètes que ceux du MAH actuel). Et qu'il conviendrait donc de commencer à penser non plus un musée agrandi, mais carrément, un nouveau musée. Financé uniquement avec de l'argent public, et conçu pour concrétiser un concept culturel lui préexistant -ça tombe bien : il en existe un, désormais, le fameux "projet scientifique et culturel". Il vaut ce qu'il vaut, il est arrivé bien tard, alors que le projet matériel -architectural, financier- était bouclé, mais au moins il existe, et peut être mis en discussion publique, de telle manière que ce soient, enfin, les missions du musée qui définissent son architecture, et plus son architecture qui contraignent ses missions

Imaginer un nouveau projet, étudier, consulter, chiffrer, proposer des crédit, les faire accepter par le parlement municipal, voire par le peuple, cela prendra du temps, évidemment. Dix ans, quinze ans, vingt-cinq ans ? En tous cas le temps d'un débat sérieux, approfondi, sur ce qui importe. Et pas seulement le temps de couler, comme amphigourisait Pierre Dac, "le ciment victorieux au sein duquel sera ficelée la prestigieuse clé de voûte qui ouvrira à deux battants la porte d'un avenir radieux".