dimanche 13 mars 2016

Le Plaza, comme le Capitole ?


Le cinéma Plaza n'est pas encore mort
   
Le cinéma Plaza n'est pas encore mort. Et s'il devait mourir, ce ne serait pas de sa belle mort, mais d'avoir été tué. Délibérément. Par ceux qui veulent le détruire, et ceux qui ne veulent rien faire pour les en empêcher. Contre l'autorisation donnée par le Conseil d'Etat de démolir cette splendide salle, il reste un recours pendant devant le Tribunal administratif de première instance (les autres ont été déboutés) : le recours de la Fédération des architectes suisses (FAS), qui avait déjà été active dans le sauvetage de la salle du Manhattan, et pour qui il ne s'agit pas seulement de sauver un bâtiment ou une salle, "mais aussi une spatialité, celle des années 50, et avec elle l'optimisme de l'après-guerre". La FAS, qui demande au Conseil d'Etat de "reclasser la salle" (classée en 2004 mais déclassée en 2007 sur pression des propriétaires), demande notamment la nomination d'un expert indépendant pour produire une contre-expertise (il n'y en a jamais eu...) à celles, de pure opportunité, commanditées par les propriétaires pour conforter leur volonté de détruire la salle. Enfin, le directeur de la Cinémathèque suisse, Frédéric Maire, a apporté son soutien à la lutte pour le sauvetage du Plaza, en s'appuyant sur l'expérience du sauvetage de la salle lausannoise du Capitole. Bref : le Plaza bouge encore...


Le pot de terre contre le pot de fer, la démocratie contre les avocats d'affaires

L'opposition à la démolition de la salle du Plaza par son propriétaire, Mont-Blanc centre SA, c'est un peu la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Et le pot de terre, c'est nous, les motionnaires au Conseil municipal et les 1700 pétitionnaires qui veulent sauver cette salle, face à un cabinet d'avocats d'affaires, Baker & McKenzie, qui n'est que la succursale locale genevoise d'une véritable multinationale de plus de septante cabinets comparables. Ce qui se sent d'ailleurs dans le style, la syntaxe et l'orthographe de leurs textes...

La décision du canton d'autoriser la démolition de la salle, contre l'avis de la Ville (qui aurait pu, et du, faire recours  contre cette décision, à laquelle elle avait pourtant donné un préavis négatif, et ne l'a pas fait) a été prise sans pesée d'intérêt entre intérêt public et droit du propriétaire, et sous l'angle formel, administratif : elle signifie que rien ne s'oppose, de ce point de vue, à cette démolition. Cela ne signifie nullement que cette démolition soit opportune -cela ne signifie qu'une chose : qu'elle serait légale (2). Tout en créant, selon la Société des architectes, un "précédent extrêmement dangereux", puisque pour la permettre on aurait, pour des motifs uniquement financiers (la non-rentabilité supposée de la salle) sorti, pour le démolir, un élément d'un ensemble classé, alors même qu'on en reconnaît la valeur patrimoniale (4)...

Tout n'est pas perdu, et nos cartouchières ne sont pas vides : l'autorisation de démolir n'entrera en force qu'une fois l'autorisation de construire donnée au propriétaire (1). Or cette autorisation de construire peut elle-même faire l'objet d'un recours (de la Ville ou de toute personne ou entité ayant qualité pour agir). Et si la Ville de Genève (elle est seule à pouvoir le faire) avance avec un projet solide, avec un solide contenu culturel, les choses peuvent changer -les propriétaires le savent sans doute... d'ailleurs, l'année dernière, le Conseil municipal de la Ville a accepté une proposition du Conseil administratif d'un crédit de 4,9 millions de francs pour participer à la réhabilitation de quatre cinémas indépendants (le Lux, les Scala, le City et le Nord-Sud), à seule fin d'en maintenir l'activité au centre-ville, et sans qu'aucun critère patrimonial ne soit même avancé. Et puis, la Ville a fort bien réussi à rénover et étendre la salle de l'Alhambra (www.ville-geneve.ch/themes/amenagement-construction-logement/construction-entretien-renovation-batiments/realisations/alhambra/), en ayant pour elle un vrai projet culturel.

Genève manque-t-elle à ce point de centres commerciaux qu'il faille démolir un cinéma (3) pour ouvrir un souk de plus ? La destruction de la salle construite sur les plans de l'architecte Marc-Joseph Saugey serait en tout cas, de l'avis de la section genevoise de la Fédération des architectes suisses, une "catastrophe patrimoniale et culturelle". "Patrimonial", "culturel", des mots qui semblent n'avoir guère de signification quand ils sont adressés aux propriétaires, mais qui devraient en avoir une lorsqu'ils le  sont aux "politiques", municipaux et cantonaux.

On ne voit pas pourquoi ce qui a été possible à Genève avec l'Alhambra et à Lausanne avec le Capitole deviendrait impossible avec le Plaza...


www.ville-geneve.ch/fileadmin/public/Departement_2/Publications/triptyque-alhambra-renovation-extension-ville-de-geneve.pdf

1. La société propriétaire n'évoque quasiment, comme argument de son projet de démolition de la salle de cinéma, que les 63 logements pour étudiants dont elle entend coiffer les commerces qui remplaceraient le cinéma. Ainsi écrit-elle que "le site de l'ex-cinéma Plaza est à la base d'un projet de transformation destiné à créer  63 logements étudiants"... comme si ces logements étaient le coeur de son projet, et que c'étaient eux qui suscitaient notre opposition : or le coeur du projet des propriétaires est le remplacement du cinéma par des commerces. Ce à quoi nous nous opposons est la destruction de la salle :  pour autant qu'elle soit sauvée, et maintenue soit comme salle de cinéma, soit comme lieu culturel polyvalent, nous n'avons aucune objection à ce que des logements étudiants soient proposés au-dessus d'elle.

2. Les propriétaires affirment que les associations de défense du patrimoine ("Patrimoine Suisse", "Patrimoine vivant" ont reconnu que l'autorisation de démolir était "juridiquement incontestable", mais il ne s'agit  ici que de l'autorisation de démolir, et non de l'autorisation de construire qui en est la condition exprès, et il ne s'agit que de l'aspect purement juridique de cette autorisation de démolir -or les mêmes associations de défense du patrimoine dont les propriétaires font si grand cas de l'avis juridique, reconnaissent la valeur précisément patrimoniale de la salle, et que l'autorisation de démolir n'a été finalement accordée qu'à partir d'arguments fondés sur la non-rentabilité supposée du Plaza en tant que salle de cinéma (et seulement de cinéma).

3. Les propriétaires affirment que "la situation du marché cinématographique s'est encore détériorée pour les salles fonctionnant sans soutien étatique ou aide de bienfaiteurs". Or le Plaza, qui serait aujourd'hui, si elle son exploitation n'avait pas cessé, la seule et unique grande salle indépendante au centre-ville, capable dès lors de "récupérer" une partie de la clientèle des Rialto, tout en gardant celle des spectateurs qui ne goûtent pas les multiplexes de la périphérie.

4. Les propriétaires affirment qu'aucun classement du bâtiment Plaza n'est jamais entré en force. En effet, mais ce classement avait été décidé par arrêté du Conseil d'Etat en 2004, dans le cadre du classement de tous les bâtiments Saugey. En 2006, le TF a précisément rejeté le recours des propriétaires contre ce classement, et le bâtiment n'a été sorti du classement qu'en 2007, au motif de la non-rentabilité de la salle, "prouvée" par des expertises (sans aucune contre-expertise) commandées par les propriétaires eux-mêmes... ce qui nuance (pour le moins) l'affirmation des propriétaires que "le Conseil d'Etat et les autorités judiciaires du Canton ont (...) établi que l'activité cinématographique du Plaza ne pouvait être poursuivie car elle était tout à fait déficitaire"

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