jeudi 24 mars 2016

"Touchez pas au Plaza" : Frémissements...


On vous reparle du sauvetage de la plus belle salle de cinéma genevoise, en déshérence depuis des lustres : le Plaza. Parce qu'il y a du nouveau. Oh, pas un bouleversement, pas un renversement de situation, non, mais des frémissements. Les auteurs des recours individuels contre l'autorisation de démolir la salle (sous réserve de la délivrance d'une autorisation de construire le souk que les propriétaires projettent à sa place) ont bien été déboutés, par dénégation de la qualité pour agir, mais un recours reste pendant, celui de la Société suisse des architectes, section de Genève, à qui la qualité pour agir peut difficilement être niée. Et puis, les défenseurs de la salle ont présenté il y a deux semaines un projet de "quartier culturel" dont le Plaza, en tant que salle de cinéma, serait le centre, et des messages indirects et informels de quelques autorités leur sont parvenus selon lesquels si un projet culturel était avancé à partir du Plaza cinéma, leur position (soit l'autorisation de démolir, conditionnée à une autorisation de construire) pourrait être revue dans le sens de la préservation de la salle. La rénovation réussie, par la Ville, de l'Alhambra  prouve d'ailleurs qu'on peut parfaitement réhabiliter et adapter une salle de cinéma historique (même plus ancienne que le Plaza) à une fonction culturelle plus large et plus polyvalente, sans attenter à sa structure et à sa qualité architecturale. C'est d'ailleurs ce que la Ville de Lausanne entend faire de sa salle du Capitole...

Ce qui vaut pour un petit cinéma porno ne vaudrait pas pour un grand cinéma populaire ?

Dans la défense du "Plaza", ça frémit, ça avance. Lentement, incertainement, mais ça avance. Que cela aboutisse, c'est affaire de volonté politique. Les défenseurs du Plaza l'ont. Il leur manque le pouvoir. Que ceux qui l'ont en fassent en bon usage, plutôt que s'éclipser devant les propriétaires sous des prétextes de rentabilité et laisser un centre commercial prendre la place d'un cinéma, ne dépend que d'eux.

Les défenseurs du Plaza travaillent sur un projet de "quartier culturel" dont la salle de cinéma, maintenue en tant que telle, serait le centre. Car sa situation est idéale : c'est la dernière grande salle de cinéma au centre-ville qui soit, aussi, un élément du patrimoine architectural de la ville. A cinq minutes de la gare, sur un axe de passage entre la gare et le lac, sur une rive droite où les lieux culturels structurant sont bien moins nombreux que sur la rive gauche, l'immeuble du Plaza offre des opportunités uniques pour un projet de "quartier culturel" :  un passage couvert très fréquenté, pouvant devenir une véritable promenade architecturale, une salle esthétiquement exceptionnelle, qui fut pionnière en Europe par sa structure... De cela, on peut faire un centre cinématographique "grand public" autour d'une salle de prestige liée à des espaces de rencontre (un bar, une brasserie, une galerie, par exemple), et qui peut être doublée en sous-sol de salles plus petites, sans que la salle actuelle soit fondamentalement modifiée.
"Fonction Cinéma", qui ne s'associe pourtant pas au combat pour le maintien du Plaza, écrivait en mai dernier aux membres du Conseil municipal qui allaient se prononcer sur une aide à la rénovation de quatre petits cinémas indépendants, que "garder des lieux de convivialité, de loisirs et de culture au centre-ville (...) participe à la qualité de vie qu'offre Genève". En défendant le Plaza, et un projet le requalifiant comme "centre d'un quartier culturel", ne ne disons pas autre chose. Pas autre chose non plus que ce qui a convaincu le Conseil communal de Lausanne de voter à l'unanimité (droite comprise, donc) un crédit d'étude pour rénover (il en coûterait une quinzaine de millions de francs) la salle de cinéma du Capitole, l'une des plus grandes de Suisse, ouverte en 1929 et sauvée en 2010 par son acquisition par la Ville. La salle est désormais exploitée par la Cinémathèque suisse, en collaboration avec Pathé. Dans le projet de rénovation, elle gardera son esthétique et son volume. 

Et puis, il  a cette cerise vermillonne comme un plaisir coupable :  la salle du cinéma genevois "le Splendid" ne fermera pas, et restera une salle de cinéma. Spécialisé dans le porno, certes, mais maintenu malgré cela dans son affectation cinématographique en raison du règlement municipal des plans d'utilisation des sols (PUS), ce même que la Ville de Genève avait finalement renoncé à faire valoir dans un recours contre la décision de démolir le Plaza. "Nous avons décidé de poursuivre l'aventure, et même de procéder à de petits investissements" (un fumoir, un foyer, une nouvelle sortie), sans augmenter les tarids (14 francs), annonce le propriétaire, qui précise que c'est parce que "la Ville de Genève nous empêche de changer d'activité", en raison précisément du règlement des PUS, que son cinéma restera un cinéma : "pour la Ville, nous animons le quartier".
Jouissif, non ? Il faudra qu'on nous explique pourquoi ce qui vaut pour un petit cinéma porno ne vaudrait pas pour un grand cinéma populaire...

dimanche 13 mars 2016

Le Plaza, comme le Capitole ?


Le cinéma Plaza n'est pas encore mort
   
Le cinéma Plaza n'est pas encore mort. Et s'il devait mourir, ce ne serait pas de sa belle mort, mais d'avoir été tué. Délibérément. Par ceux qui veulent le détruire, et ceux qui ne veulent rien faire pour les en empêcher. Contre l'autorisation donnée par le Conseil d'Etat de démolir cette splendide salle, il reste un recours pendant devant le Tribunal administratif de première instance (les autres ont été déboutés) : le recours de la Fédération des architectes suisses (FAS), qui avait déjà été active dans le sauvetage de la salle du Manhattan, et pour qui il ne s'agit pas seulement de sauver un bâtiment ou une salle, "mais aussi une spatialité, celle des années 50, et avec elle l'optimisme de l'après-guerre". La FAS, qui demande au Conseil d'Etat de "reclasser la salle" (classée en 2004 mais déclassée en 2007 sur pression des propriétaires), demande notamment la nomination d'un expert indépendant pour produire une contre-expertise (il n'y en a jamais eu...) à celles, de pure opportunité, commanditées par les propriétaires pour conforter leur volonté de détruire la salle. Enfin, le directeur de la Cinémathèque suisse, Frédéric Maire, a apporté son soutien à la lutte pour le sauvetage du Plaza, en s'appuyant sur l'expérience du sauvetage de la salle lausannoise du Capitole. Bref : le Plaza bouge encore...


Le pot de terre contre le pot de fer, la démocratie contre les avocats d'affaires

L'opposition à la démolition de la salle du Plaza par son propriétaire, Mont-Blanc centre SA, c'est un peu la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Et le pot de terre, c'est nous, les motionnaires au Conseil municipal et les 1700 pétitionnaires qui veulent sauver cette salle, face à un cabinet d'avocats d'affaires, Baker & McKenzie, qui n'est que la succursale locale genevoise d'une véritable multinationale de plus de septante cabinets comparables. Ce qui se sent d'ailleurs dans le style, la syntaxe et l'orthographe de leurs textes...

La décision du canton d'autoriser la démolition de la salle, contre l'avis de la Ville (qui aurait pu, et du, faire recours  contre cette décision, à laquelle elle avait pourtant donné un préavis négatif, et ne l'a pas fait) a été prise sans pesée d'intérêt entre intérêt public et droit du propriétaire, et sous l'angle formel, administratif : elle signifie que rien ne s'oppose, de ce point de vue, à cette démolition. Cela ne signifie nullement que cette démolition soit opportune -cela ne signifie qu'une chose : qu'elle serait légale (2). Tout en créant, selon la Société des architectes, un "précédent extrêmement dangereux", puisque pour la permettre on aurait, pour des motifs uniquement financiers (la non-rentabilité supposée de la salle) sorti, pour le démolir, un élément d'un ensemble classé, alors même qu'on en reconnaît la valeur patrimoniale (4)...

Tout n'est pas perdu, et nos cartouchières ne sont pas vides : l'autorisation de démolir n'entrera en force qu'une fois l'autorisation de construire donnée au propriétaire (1). Or cette autorisation de construire peut elle-même faire l'objet d'un recours (de la Ville ou de toute personne ou entité ayant qualité pour agir). Et si la Ville de Genève (elle est seule à pouvoir le faire) avance avec un projet solide, avec un solide contenu culturel, les choses peuvent changer -les propriétaires le savent sans doute... d'ailleurs, l'année dernière, le Conseil municipal de la Ville a accepté une proposition du Conseil administratif d'un crédit de 4,9 millions de francs pour participer à la réhabilitation de quatre cinémas indépendants (le Lux, les Scala, le City et le Nord-Sud), à seule fin d'en maintenir l'activité au centre-ville, et sans qu'aucun critère patrimonial ne soit même avancé. Et puis, la Ville a fort bien réussi à rénover et étendre la salle de l'Alhambra (www.ville-geneve.ch/themes/amenagement-construction-logement/construction-entretien-renovation-batiments/realisations/alhambra/), en ayant pour elle un vrai projet culturel.

Genève manque-t-elle à ce point de centres commerciaux qu'il faille démolir un cinéma (3) pour ouvrir un souk de plus ? La destruction de la salle construite sur les plans de l'architecte Marc-Joseph Saugey serait en tout cas, de l'avis de la section genevoise de la Fédération des architectes suisses, une "catastrophe patrimoniale et culturelle". "Patrimonial", "culturel", des mots qui semblent n'avoir guère de signification quand ils sont adressés aux propriétaires, mais qui devraient en avoir une lorsqu'ils le  sont aux "politiques", municipaux et cantonaux.

On ne voit pas pourquoi ce qui a été possible à Genève avec l'Alhambra et à Lausanne avec le Capitole deviendrait impossible avec le Plaza...


www.ville-geneve.ch/fileadmin/public/Departement_2/Publications/triptyque-alhambra-renovation-extension-ville-de-geneve.pdf

1. La société propriétaire n'évoque quasiment, comme argument de son projet de démolition de la salle de cinéma, que les 63 logements pour étudiants dont elle entend coiffer les commerces qui remplaceraient le cinéma. Ainsi écrit-elle que "le site de l'ex-cinéma Plaza est à la base d'un projet de transformation destiné à créer  63 logements étudiants"... comme si ces logements étaient le coeur de son projet, et que c'étaient eux qui suscitaient notre opposition : or le coeur du projet des propriétaires est le remplacement du cinéma par des commerces. Ce à quoi nous nous opposons est la destruction de la salle :  pour autant qu'elle soit sauvée, et maintenue soit comme salle de cinéma, soit comme lieu culturel polyvalent, nous n'avons aucune objection à ce que des logements étudiants soient proposés au-dessus d'elle.

2. Les propriétaires affirment que les associations de défense du patrimoine ("Patrimoine Suisse", "Patrimoine vivant" ont reconnu que l'autorisation de démolir était "juridiquement incontestable", mais il ne s'agit  ici que de l'autorisation de démolir, et non de l'autorisation de construire qui en est la condition exprès, et il ne s'agit que de l'aspect purement juridique de cette autorisation de démolir -or les mêmes associations de défense du patrimoine dont les propriétaires font si grand cas de l'avis juridique, reconnaissent la valeur précisément patrimoniale de la salle, et que l'autorisation de démolir n'a été finalement accordée qu'à partir d'arguments fondés sur la non-rentabilité supposée du Plaza en tant que salle de cinéma (et seulement de cinéma).

3. Les propriétaires affirment que "la situation du marché cinématographique s'est encore détériorée pour les salles fonctionnant sans soutien étatique ou aide de bienfaiteurs". Or le Plaza, qui serait aujourd'hui, si elle son exploitation n'avait pas cessé, la seule et unique grande salle indépendante au centre-ville, capable dès lors de "récupérer" une partie de la clientèle des Rialto, tout en gardant celle des spectateurs qui ne goûtent pas les multiplexes de la périphérie.

4. Les propriétaires affirment qu'aucun classement du bâtiment Plaza n'est jamais entré en force. En effet, mais ce classement avait été décidé par arrêté du Conseil d'Etat en 2004, dans le cadre du classement de tous les bâtiments Saugey. En 2006, le TF a précisément rejeté le recours des propriétaires contre ce classement, et le bâtiment n'a été sorti du classement qu'en 2007, au motif de la non-rentabilité de la salle, "prouvée" par des expertises (sans aucune contre-expertise) commandées par les propriétaires eux-mêmes... ce qui nuance (pour le moins) l'affirmation des propriétaires que "le Conseil d'Etat et les autorités judiciaires du Canton ont (...) établi que l'activité cinématographique du Plaza ne pouvait être poursuivie car elle était tout à fait déficitaire"

jeudi 3 mars 2016

MAH : Du bon usage d'un refus


Da capo !

Par 54,3 % des votants (on avait parié sur une proportion encore plus forte), le peuple municipal de Genève a donc refusé le projet de rénovation et d'extension du Musée d'Art et d'Histoire. Le vote n'était que municipal -aurait-il été cantonal que le "oui" aurait peut-être gagné (comme il a gagné dans les arrondissements de droite de la Ville), encore qu'on ne puisse en jurer. Pas plus qu'on ne puisse jurer, même si on en est persuadé, que si la rénovation et l'extension du musée avaient été dissociées au lieu que d'être liées dans un seul vote, la rénovation aurait été acceptée -peut-être même sans vote populaire, parce que sans référendum. Reste que refus il y a eu. Et qu'il y en a un bon usage possible : il rouvre le débat que l'acceptation du projet aurait fermée, avant même qu'il ait réellement commencé. Non le débat sur le coût du projet, l'odeur de l'argent privé qui contribuait à le financer, ni même le débat patrimonial, mais le débat sur le rôle du musée, sa place dans le dispositif culturel genevois. Et même le débat sur un nouveau musée, ailleurs. Parce que le musée ne doit pas être prisonnier de son bâtiment et que peu nous importe au fond le sort du bâtiment Camoletti : il n'est pas le musée, mais son enveloppe...


  "(...) le ciment victorieux au sein duquel sera ficelée la prestigieuse clé de voûte qui ouvrira à deux battants la porte d'un avenir radieux"

Musée d'Art et d'Histoire de Genève, on repart à zéro  : après le refus populaire du projet qu'il défendait (plutôt comme on défend un héritage que comme on défend une cause à laquelle on croit), le Conseil administratif de la Ville de Genève reprend la main, et annonce qu'il présentera d'ici juin une "feuille de route" pour relancer des études et des consultations sur un nouveau projet. Dont on ne connait évidemment encore rien (sera-t-il de rénovation seule, de rénovation et d'extension, d'un nouveau musée ?), mais dont on sait déjà qu'il coûtera plus cher à la Ville, s'il se réalise, que celui qui vient d'être refusé -autant dire que l'argument financier qui, largement évoqué par les opposants au projet refusé dimanche, a sans doute été déterminant dans ce refus, pourra refaire surface dès qu'une décision devra être prise (par le Conseil municipal, voire le peuple). Après le refus collatéral (comme on le dit d'un dommage...) de la rénovation du musée actuel, puisqu'elle était liée au projet d'extension, chaque jour qui passe passe sur le musée, aggrave sa dégradation, augmente le coût de sa rénovation, et même, à défaut de rénovation, celui de son entretien (la Ville en est propriétaire, elle a le devoir de l'entretenir, et l'obligation de le mettre aux normes)

Reste que, comme l'affirment à raison les deux Conseillers administratifs en charge du dossier, Sami Kanaan et Rémy Pagani, la rénovation seule n'a pas de sens assez fort pour justifier un investissement lourd (qu'ils estiment à 80 millions),  qu'on peut avoir une autre ambition que "maintenir un musée dans sa conception de 1910", que l'extension est plus que problématique (où se ferait-elle ? sous la butte de l'Observatoire, voire à sa place, arasée ? Le référendum chauffe déjà... dans les bâtiments des Casemates ? Ils sont aussi obsolètes que ceux du MAH actuel). Et qu'il conviendrait donc de commencer à penser non plus un musée agrandi, mais carrément, un nouveau musée. Financé uniquement avec de l'argent public, et conçu pour concrétiser un concept culturel lui préexistant -ça tombe bien : il en existe un, désormais, le fameux "projet scientifique et culturel". Il vaut ce qu'il vaut, il est arrivé bien tard, alors que le projet matériel -architectural, financier- était bouclé, mais au moins il existe, et peut être mis en discussion publique, de telle manière que ce soient, enfin, les missions du musée qui définissent son architecture, et plus son architecture qui contraignent ses missions

Imaginer un nouveau projet, étudier, consulter, chiffrer, proposer des crédit, les faire accepter par le parlement municipal, voire par le peuple, cela prendra du temps, évidemment. Dix ans, quinze ans, vingt-cinq ans ? En tous cas le temps d'un débat sérieux, approfondi, sur ce qui importe. Et pas seulement le temps de couler, comme amphigourisait Pierre Dac, "le ciment victorieux au sein duquel sera ficelée la prestigieuse clé de voûte qui ouvrira à deux battants la porte d'un avenir radieux".