mercredi 6 novembre 2013

Budget culturel de la Ville de Genève : La faim et les moyens

La Ville de Genève prévoit d'allouer, et sans doute allouera, un peu plus de 60 millions de francs de subventions monétaires à la culture, soit en gros un petit vingtième de son budget global. A ces subventions monétaires s'ajoutent des subventions « en nature » (gratuités de services, de loyers etc...). 91 acteurs culturels privés ou publics vont ainsi recevoir une allocation budgétaire. Qu'est-ce que cela dit de la politique culturelle de la Ville ? Pas grand chose, si ce n'est que l'entier du « tissu culturel » genevois est ainsi irrigué par les fonds municipaux, et que cet « arrosage » que d'aucuns se plaisent à dénoncer (sans pour autant aller jusqu'à en soustraire les bénéficiaires qui leurs conviennent) garantit le pluralisme de l'offre et des contenus culturels. Presque tout le monde reçoit un peu de cette manne, et personne n'en reçoit autant qu'il voudrait. Mais c'est précisément la rançon du pluralisme :  la faim de culture est plus grande que les moyens disponibles pour la satisfaire.

« Quand j'entend le mot culture, je sors mon boulier »

Un article de la Tribune de Genève a fait quelque bruissements dans le landernau politique et culturel de Piogre.  L'article portait sur les subventions allouées par la municipalité genevoise à la culture : La Ville de Genève consacre, en gros, 250 millions de francs au « domaine de la culture », sur un budget annuel de 1,1 milliard. La èmecégiste Delphine Perella Gabus, transfuge de l'Entente par frustration de carrière, et brièvement candidate au Conseil d'Etat, en a fait un caca nerveux sur le blog de Sami Kanaan, et on a entendu des élus de la droite municipale faire chorus en quelques lieux où l'on débat de ces choses :  « Vous distribuez allègrement et joyeusement les deniers publics à qui mieux mieux ! Non mais franchement, quelle honte! (...)  Nous manquons de crèches, de logements et j'en passe. En prime vous engagez des EdS payés par le canton pour des postes dont la ville a besoin »... Un concentré d'âneries : si la Ville dépense 250 millions pour la culture, c'est que le canton, plombé d'une majorité de comptables analphabètes (dont le MCG), est incapable de traduire dans ses budgets ses grands déclamations. Et si on manque de crèches, c'est que la même majorité (dont le MCG) refuse le financement nécessaire pour créer celles qui manquent. La Ville de Genève, elle, fait son boulot dans ce domaine. Et même un peu plus, pour compenser l'inactivité (volontaire) de ses supposés «partenaires». Quant aux  EdS, le département de la culture (Sami Kanaan, donc) les transforme les uns après les autres en postes statutaires  et le Conseil Administratif a décidé d'en faire autant de tous les postes d'EdS dont il a hérité. Mais c'est le MCG qui a amené à la droite traditionnelle les voix qui lui manquaient au Conseil Municipal pour refuser la semaine dernière d'accentuer cette décision du Conseil Administratif et pour maintenir les EdS le plus longtemps possible en place : pensez, une main d'oeuvre bon marché à qui on fait faire à moitié prix le même travail que les employés de la Ville, on va pas cracher dessus quand on n'a pour seul critère, s'agissant de politique culturelle comme de tout autre champ politique, celui de l'équilibre des budgets, pour seul instrument culturel une calculette. Et pour seul horizon, celui de la commune de Genève, quand sa politique culturelle irrigue toute la région.

Dans la répartition actuelle (qui date tout de même de plus d'un siècle) des tâches entre le canton et la Ville, c'est cette dernière qui se retrouve en charge de l'essentiel de l'effort culturel public (hors l'école). Une commune de moins de 200'000 habitants assume cette tâche pour une région d'un million d'habitants. Une nouvelle loi cantonale sur la culture devait remédier à ce déséquilibre, mais aucun moyen supplémentaire n'étant accordé au canton pour mener une politique culturelle digne de ce nom, la situation ne va pas changer avant des années -et ce n'est pas la nouvelle configuration du parlement cantonal qui va améliorer les choses (mot d'ordre de la majorité : « quand j'entend le mot culture, je sors mon boulier »).
Résultat : quand un projet culturel d'envergure, celui de la Nouvelle Comédie, est prêt à être réalisé, seule la Ville est réellement prête à y mettre sa part. Mais en l'absence d'engagements crédibles du canton, et parce que l'« enveloppe » accordée aux investissements municipaux de la Ville a été réduite par le Conseil Municipal, ce projet risque d'être reporté de deux ans. Et renchéri de ce fait, puisque les coûts de construction vont augmenter et qu'il faudra maintenir la vieille Comédie en état de fonctionner deux ans de plus. Parce que la volonté du partenaire cantonal est défaillante, quand elle n'est pas purement rhétorique, le partenaire municipal devrait soit attendre qu'elle se réveille, soit renoncer ? On se battra au contraire pour que ce projet (comme celui du Pavillon de la Danse) soit rétabli dans son calendrier initial -mais on sait déjà qu'il, faudra pour cela se battre contre tous ceux pour qui une politique culturelle n'est qu'une cerise sur le gâteau, un luxe. Et même contre ces acteurs culturels pour qui un nouvel acteur culturel n'est qu'un concurrent ou un prédateur sur un espace qu'ils entendent garder pour eux-mêmes. Comme si une Nouvelle Comédie nuisait au Théâtre de Carouge...

Alors on se battra. Pour que l'effort culturel de la Ville se Genève se maintienne, et se renforce. Pour toute la culture, et tous les lieux culturels. Pour le Grand Théâtre et l'Usine, l'Orchestre de la Suisse Romande et la Cave 12, la Nouvelle Comédie et les théâtreux indépendants. Et ce combat, nous savons déjà que nous ne pouvons le gagner que si les acteurs de la culture à Genève se mobilisent aussi pour le mener. Comme le relevait amèrement dans la Tribune de Genève de samedi dernier le président MCG de la commission municipale des arts et de la culture, lorsqu'il y a deux ans quelques élus de droite ont tenté de couper à la hache dans les lignes budgétaires, le lendemain les milieux culturels étaient dans la rue, et la droite reculait.
La peur du manifestant est bien le début de la sagesse. Et la rue un lieu du combat culturel.

dimanche 9 juin 2013

Loi cantonale sur la culture : obscur éclaircissement...

« La future loi sur la culture votée au prochain Grand Conseil (...) doit aussi éclaircir les rapports de partenariat public entre la Ville et Canton », estimait récemment Sylvie Bonier, en édito de la « Tribune« ». Ouais, ben on sera déjà bien contents si elle ne les obscurcit pas, cette loi, les rapports de partenariat public entre la Ville et le canton. Alors attendre qu'elle les éclaircisse, franchement, relèverait du domaine de la foi aveugle. Et en cela comme en religion, on est franchement athées. Tentant d'expliquer pourquoi la fonction de Conseiller d'Etat n'est plus ce qu'elle était, Pierre-François Unger observait que «  nombre de décisions sont transférées à Berne sans que les moyens de les appliquer nous soient toujours octroyés. Ceux qui décident ne paient plus, et réciproquement ». Il a raison, Unger. Mais en gros, ce qu'il décrit, c'est exactement ce que de fort mauvais esprits soupçonnent le canton de Genève de tenter avec sa nouvelle loi sur la culture : s'arroger le pouvoir de décider en faisant supporter à d'autres (les communes en général  et la Ville en particulier) le coût de ces décisions...

Il est bien court, le chemin de la posture à l'imposture


Le Grand Conseil genevois a donc adopté, en troisième débat, une nouvelle loi sur la culture. Aucune loi ne va par elle-même « faire » une politique culturelle. Elle peut cependant donner des possibilités à  une telle politique. Elle peut aussi  imposer le « faire ensemble » comme une obligation; seule une loi peut d'ailleurs imposer aux communes qui n'ont pas de politique culturelle d'en avoir une. L'enjeu politique de la loi sur la culture est considérable, d'autant qu'il se double d'un enjeu financier atteignant plusieurs centaines de millions de francs par année (sans compter les investissements : ceux consentis, par exemple, par la Ville de Genève pour le seul Grand Théâtre (bâtiments, équipements lourds etc...) se chiffrent aussi, depuis 1945, en centaines de millions.

Si on  devait résumer l'enjeu politique de la loi, ce serait en se demandant si on va, à Genève, passer d'un système gouverné par le principe « qui paie commande » (et donc la Ville commande) à un système gouverné par l'ukaze « je commande, tu paies » (et donc le canton commande et la Ville paie). Car au-delà  des principes exprimés dans la loi, et des possibilités qu'elle offre, tout relèvera de choix politique, et donc du rapport de force entre les différents acteurs politiques -partis, organisations et institutions culturelles, collectivités publiques. Certes, la loi va poser le principe de la «concertation» -mais elle repose aussi sur l'évidence qu'entre ceux qui se concertent, l'un, le canton, a le pouvoir de décider, et pas les autres.
Dans le champ de la politique culturelle, à Genève, deux légitimités se confrontent, deux légitimités que la loi ne réconcilie pas : la légitimité de la loi et celle du terrain. La légitimité de la loi, c'est celle du canton : le pouvoir législatif, c'est lui, et lui seul (sous réserve du droit supérieur) qui le détient. La légitimité du terrain, c'est celle que donne à la Ville le pouvoir considérable de son budget culturel. La Ville, les communes, ne font pas la loi, mais sur le terrain, ce sont elles qui font la politique culturelle genevoise. Or la loi cantonale ne donnera pas de moyens supplémentaires au canton, mais seulement des possibilités et des ambitions, et les moyens ne vont pas suivre au budget cantonal (encore serons-nous heureux s'ils ne sont pas réduits -alors qu'ils n'atteignent actuellement que péniblement le tiers de ceux que la seule Ville consacre à la culture...)

Au départ, au moment de l'institution d'une commission d'experts chargée de « pondre » un avant-projet de loi, l'objectif était d'inventer une méthode de « faire ensemble ». Il s'agissait surtout d'éviter de reproduire, en se contentant de l'inverser, l'exercice tenté en 2007, celui du transfert de la responsabilité de la politique culturelle à  un seul des 46 acteurs institutionnels genevois (en 2007, c'était la Ville; en 2010, la tentation était forte d'opérer ce transfert vers le canton). Or inverser le sens d'une ânerie ne la rend pas moins ânerie que celle dont elle ne serait que le reflet, si on remplaçait le « qui paie commande » par le « je commande, tu paies » qui résume l'intention, à peine cachée, de quelques politiciens cantonaux. On passerait ainsi de l'ambition initiale de « faire ensemble » à un trivial « fais ce que je dis, pas ce que je fais », par lequel, plutôt que servir la politique culturelle, le canton s'en servirait pour régler ses vieux comptes avec la Ville.

Ce n'est pas d'un transfert de compétences dont la politique culturelle genevoise a besoin, mais d'engagements accrus. On ne peut donc se contenter de répartir autrement les moyens existants, ou, pire, des moyens réduits par les « réformes » fiscales annoncées. La volonté exprimée par la loi d'engager, enfin, sérieusement, le canton dans des investissements culturels de grande ampleur, et dans le soutien permanent aux institutions existantes, doit être saluée, mais elle doit aussi s'accompagner d'un engagement matériel cantonal supplémentaire, et important (de l'ordre de plusieurs dizaines de millions de francs en plus par année). Si cette condition  n'était pas remplie, la volonté qu'exprime la loi ne serait qu'une rhétorique hypocrite doublée d'une posture impuissante. Genève n'a besoin ni de l'une, ni de l'autre.
Et nous savons bien que de la posture à l'imposture, le chemin est bien court.

lundi 15 avril 2013

Fonds de tiroir

Donc, le chantier de la Nouvelle Comédie de Genève ne débutera pas comme prévu en 2016, mais en 2018. Au plus tôt. La faute à qui ? Au canton de Genève, qui ne pourra pas débloquer sa participation financière (45 millions, à hauteur de celle de la Ville) avant 2018, vu que s'il proclame sa volonté d'être désormais décisivement impliqué dans la politique culturelle, il est loin d'avoir accepté d'en assumer les conséquences. Mais la faute aussi à la majorité du Conseil Municipal de la Ville de Genève, qui a réduit les autorisations d'investissements et contraint le Conseil administratif à échelonner ceux qu'il proposait : d'abord le Grand Théâtre, puis le Musée d'Art et d'Histoire, enfin La Nouvelle Comédie. Pour laquelle il faudra d'ailleurs aussi consentir une rallonge de subvention par rapport à celle de la Comédie actuelle. Ben oui, Mesdames et Messieurs les Conseillers et llères d'Etat, députés et tées, conseillers et llères municipaux et pales : la politique culturelle, c'est pas seulement des discours, c'est aussi des sous....

Le PLR annonce un projet de loi pour «en finir avec les doublons, si chers et tellement inutiles ». Et explique que  «supprimer les doublons entre canton et communes, voilà un projet que les Genevois appellent de leurs voeux depuis longtemps »... voui. Sauf qu'il serait utile de donner des exemples de ces fameux «doublons» (services et institutions communales et cantonales faisant double emploi). Et d'éviter d'illustrer, sur le site de campagne du PLR, cette volonté de «supprimer les doublons entre canton et communes» par une photo du Grand Théâtre. Qui ne fait précisément «doublon» avec rien (c'est le seul opera de Genève), et pour lequel le canton ne fait strictement aucun effort (le Grand Théâtre est à la charge de la Ville toute seule). On rappellera donc que le doublon est une monnaie espagnole qui n'est plus en usage depuis deux bons siècles. Et que le discours du PLR sur les « doublons » commence sérieusement à être lui aussi hors d'âge... 

Le Grand Théâtre de Genève (l'opéra, donc...) sera fermé pendant deux ans, de l'été 2015 à l'été 2017 pour que puissent y être effectués d'importants travaux de rénovation, de mise aux normes de sécurité, de remplacement de l'appareillage technique et d'extension de ses insuffisants locaux administratifs. Ces travaux avaient été initialement budgetés à trente millions. Le budget a pris l'ascenseur et pourrait doubler. Et ça fait tousser des élus municipaux. Pourquoi municipaux et pas cantonaux ? C'est simple : parce que l'opéra de Genève, c'est la Ville de Genève qui le paie, pour l'essentiel. C'est-à-dire que si la Ville décide de ne plus payer, y'a plus d'opéra. Plus du tout. Vu que le canton de Genève ne paie rien, que l'autofinancement des spectacles ne couvre pratiquement rien d'autre que les spectacles eux-mêmes (il est d'ailleurs destiné à cela, et à rien d'autre), que le mécénat et le sponsoring n'amènent que des ressources additionnelles mais vingt fois moindres que l'effort consenti par la commune, et que les 44 autres communes du canton ne contribuent pas plus que les mécènes et les sponsors à la principale institution culturelle du canton. Que le canton aimerait bien se goinfrer, mais sans la payer. Ou en ne payant, très éventuellement, que ce qui coûte le moins et pas ce qui coute le plus (le bâtiment et son entretien, la machinerie et les équipements lourds). 2013, c'est l'année Wagner. Et apparemment, l'or du Rhône est au programme. 

On se souvient (en tout cas, on devrait) que la droite avait, en commission des finances du Grand Conseil, décidé de proposer un budget cantonal taillant dans les dépenses culturelles (avant de proposer en plénière du parlement un budget taillant dans toutes les autres dépenses, indistinctement, de 2 %). Le PS avait alors lancé une pétition dénonçant l'offensive contre les dépenses culturelles -une offensive qui rappelait furieusement celle tentée par la droite municipale il y a deux ans, et qui avait fait long feu grâce à la mobilisation des milieux culturels et artistiques. Or voilà que le RAAC (Rassemblement des acteurs culturels genevois) adresse à ses membres un message renvoyant dos à dos « la gauche et la droite (reparties) dans leurs éternelles luttes idéologiques ». Comme si les positions de l'une et celles de l'autre étaient équivalentes, comme si il n'y avait pas d'un côté des forces qui défendent les allocations publiques à la culture et de l'autre des forces qui veulent les réduire, voire, dans certains cas, les supprimer totalement. Bref, de la part du RAAC, du pur « ni à gauche, ni à droite ». Comme veut le faire accroire le MCG (très, très à droite, dans cette histoire budgétaire). Choisir entre être un lobby courtisan du gouvernement et un mouvement social de revendication, on sait, c'est dur. Mais apparemment,. le RAAC a choisi. Le lobby, et la Cour. Le côté cour, donc.

mardi 2 avril 2013

Rénovation et extension du Musée d'Art et d'Histoire de Genève : Dissocier ou couler ?

Le projet « Nouvel » de rénovation du Musée d'Art et d'Histoire de Genève s'est pris une nouvelle rafale de plombs dans l'aile, lors même que le Conseil Administratif en avait proposé une mouture remodelée, atténuant l'impact du projet initial pour désarmer les oppositions et éviter le référendum, et que l'on croyait ce nouveau projet acceptable par (presque) tous. Las ! Patrimoine Suisse reste opposée au projet, y compris dans sa nouvelle version, parce qu'opposée à tout comblement, total ou partiel, de la cour du bâtiment historique.  L'autre association de défense du patrimoine, Action Patrimoine Vivant, s'oppose à l'installation de mezzanines aux étages supérieurs. Bref, on s'achemine tout droit vers une impasse référendaire. Or comme la rénovation du musée est urgente (il n'a pas été rénové depuis plus d'un siècle, et commence à tomber en morceaux sur les visiteurs), mais que cette rénovation est liée, dans un « paquet ficelé », avec son extension c'est la rénovation qui risque de couler avec le projet « Nouvel »...

L'indispensable et l'utile sont en bateau... et ça tangue... qui va tomber à l'eau ?

Le feuilleton de la rénovation et de l'extension du Musée d'Art et d'Histoire de Genève approche de son terme : l'enjeu des derniers épisodes, c'est le sort qui sera réservé à son bâtiment historique (il n'est actuellement que « protégé » mais fait l'objet de deux demandes de classement, qui, si elles étaient acceptées, le rendraient intouchable), dessiné par l'architecte Camoletti comme une sorte de palais d'une Renaissance alourdie par le goût bourgeois du XIXe siècle, ou d'hôtel au sens classique du terme : un grand bâtiment ordonné autour d'une cour intérieure que l'architecte Vincent Mangeat compare à un «vide pulmonaire au centre de la cage thoracique», et qu'il n'accepte pas de voir remplie dans le projet Nouvel, même revisité, par « des plateformes et encore des plateformes ».
La Commission des monuments, de la nature et des sites (CMNS) avait, le 30 janvier, délivré un préavis « favorable sous réserves et avec demande de complément » au projet Nouvel révisé. La CMNS se ralliait donc à la proposition de la Ville, tout en demandant qu'un groupe de travail soit constitué pour suivre ce projet « pour tout ce qui est des questions liées à l'aménagement des abords du musée et des accès, l'occupation et l'utilisation des cours et de la toiture, la restauration du bâtiment » et l'orientation muséographique. La commission avait cependant émis quelques réserves et formulé quelques remarques, et suggestions : elle demeure par exemple opposée à l'élargissement de l'entrée du passage Burlamachi, et à sa fermeture au public par des grilles, et elle demande «expressément la conservation par le MAH de l'ensemble des éléments appartenant au patrimoine ». Sa position « favorable sous réserve », n'a donc pas été suivie par les deux associations de défense du patrimoine qui se sont penchées sur le projet : « Il y a trop d'éléments avec lesquels on ne peut pas être d'accord », résume Marcelin Barthassat, de Patrimoine Suisse, qui appelle Sami Kanaan à « tout remettre sur la table ». En outre, le côté «marchandage», pour ne pas écrire « chantage », du «partenariat public-privé» devant permettre le financement du projet pose toujours problème, les contributeurs privés posant comme condition à leur contribution (la moitié de la facture finale) l'acceptation du projet Nouvel (même remodelé).

Il y a l'indispensable, l'urgent, l'incontournable : la rénovation du Musée d'Art et d'Histoire. Et puis il y a l'utile, le souhaitable, le possible : son extension. La renovation est incontestée, le projet d'extension est contesté. Les lier l'une à l'autre, c'est prendre le risque que ce qui est nécessaire subisse le désaveu de ce qui ne l'est pas. D'où le caractère de plus en plus urgent, lui aussi, d'un « déficelage » du paquet, et de la présentation de deux propositions au Conseil Municipal : l'une contenant la rénovation et l'entretien (et celle-là pourra échapper au réféfendum), l'autre contenant le projet Nouvel, sur lequel le peuple municipal (puisque c'est la commune qui paie) pourra se prononcer. Parce que comme le rappelle fort utilement le chef du groupe des Verts au Conseil municipal, si le paquet reste ficelé et que « le projet est refusé au Municipal, tout part à la poubelle ». Et que tout y part aussi si le projet est soumis au peuple municipal et qu'il le refuse.
On peut s'attendre à ce que le projet révisé soit accepté par le Conseil Municipal. Mais on peut aussi s'attendre à ce qu'il fasse l'objet d'un référendum. Et on court sérieusement le risque que ce référendum, non seulement aboutisse, mais soit, devant le peuple, victorieux. Pas forcément pour de bonnes raisons, mais plutôt pour une addition de raisons et de motifs qui, isolément, ne seraient pas repris par une majorité des votants, mais qui, s'additionnant les uns aux autres forment une majorité dans un scrutin où on ne peut que voter « oui » ou « non » (ou blanc ou nul, certes...), où si les « oui mais » comptent pour des « oui », mais surtout les « non quoique » comme des «  non ». Peu semble pourtant importer à ceux qui, représentants de partis politiques, se sont prononcés pour un « oui » au paquet ficelant la rénovation du musée et son extension par le projet Nouvel, et qui paraissent aujourd'hui prêts à sacrifier l'indispensable (la rénovation) pour le plaisir de prendre sur l'utile la posture avantageuse du moderniste éclairé. Eclairé, ou aveuglé ?

Lorsque viendra devant le Conseil Municipal la proposition du Conseil administratif, amis lecteurs, égayez un peu la retransmission des débats en comptant, comme lorsque l'on compte des moutons pour s'endormir, le nombre de fois où des élu-e-s inspirés proféreront d'un air conquérant ce sonore truisme des envolées parlementaires : «il faut aller de l'avant !». On ira donc sans doute, en effet, de l'avant : droit dans le mur d'un référendum périlleux, ou le poujadisme anticulturel, pour qui toute dépense pour une institution culturelle est forcément excessive, le disputera à l'opposition au projet Nouvel lui-même. Que le projet Nouvel y succombe ne serait d'ailleurs qu'une péripétie : le plus grave serait que la rénovation du musée, et donc, dans l'état où il est, le musée lui-même, y sombre avec lui.

mercredi 27 février 2013

Rénovation et extension du Musée d'Art et d'Histoire de Genève : Du nouveau Nouvel ?

Les Conseillers administratifs Rémy Pagani et Sami Kanaan ont présenté la dernière version du projet de rénovation et d'extension du Musée d'Art et d'Histoire Une version qui n'est pas loin d'être en fait un nouveau projet, « exemplaire et ambitieux ». Le projet précédent avait provoqué une levée de boucliers des organisations de défense du patrimoine -et un préavis négatif de la Commission des monuments, de la nature et des sites (CMNS), un référendum menaçant d'être lancé. Le nouveau projet, élaboré avec la participation de membres de la CMNS, est présenté comme un « bon compromis » par Rémy Pagani et comme une « avancée importante vers un projet de grande qualité » par Sami Kanaan), tient compte des exigences des uns (le Musée, les mécènes) et de celles des autres (les défenseurs du patrimoine), qui ont salué avec prudence les changements apportés.

« ...respectueux de la substance historique du bâtiment... »

Le nouveau projet de rénovation du Musée d'Art et d'Histoire réussit-il le « grand écart » qu'évoque Sami Kanaan « entre un projet qui doit faire sens du point de vue architectural et muséographique et un projet qui doit tenir compte des contraintes patrimoniales » ? On a en tout cas renoncé à forcer l'entrée du nouveau musée dans le bâtiment historique de l'ancien, pour se résoudre à l'y déposer sans le violenter. En février de l'année dernière, la Commission cantonale des monuments, de la nature et des sites demandait de revoir le gabarit du projet initial, et de le ramener aux limites légales, de l'étendre aux Casemates, de modifier la structure portante de la construction implantée dans la cour du musée, et de libérer l'espace de cette cour. C'est donc choses faites. Le projet «Nouvel-bis» a joué avec les contraintes qui lui étaient imposées pour améliorer le projet initial : il  réduit le remplissage de la cour intérieure du bâtiment historique de 1910, préserve trois de ses quatre façades et y laisse passer la lumière jusqu'au rez-de-chaussée : la plupart des plateaux prévus sont remplacés par des mezzanines (mais le niveau inférieur de la cour resterait presque entièrement recouvert par un plateau utilisé comme espace d'accueil) et la toiture du sommet de la structure serait vitrée. Le gabarit du projet a été abaissé de sept mètres, les nouveaux étages supérieurs se superposant (de façon «réversible», assure-t-on) à l'édifice de 1910. Les autres structures nouvelles implantées dans le bâtiment historique ne seraient plus ancrées dans ses murs, mais reposeraient sur leurs propres fondations. Un restaurant et un forum souterrain restent prévus, le restaurant étant redimensionné et le forum s'installant sous la cour des Casemates (qui accueillera aussi des locaux techniques) et non plus sous celle du Musée. Le nouveau projet, dont le Conseil Administratif assure qu'il est à la fois «respectueux de la substance historique du bâtiment et en adéquation avec son temps », répond donc à plusieurs (mais pas à toutes) objections des opposants au projet initial. Il répond également à une nécessité, une utilité et une opportunité : la nécessité de rénover le musée, parce qu'on en attend autre chose qu'il tombe par morceaux sur la tête de ses visiteurs, serve de frigo l'hiver et de four l'été; l'utilité de l'agrandir, d'offrir de nouveaux espaces d'exposition, d'accueil et d'animation, parce que les plus merveilleuses collections ne servent à rien si elles restent dans des caves (les collections d'horlogerie et d'instruments anciens sont ainsi presque totalement soustraites aux visiteurs du musée actuel); l'opportunité, enfin, de faire participer des fonds privés au financement des travaux de rénovation et d'extension.

Cela fait maintenant plus d'un siècle que le bâtiment principal du musée, celui dû à l'architecte Camoletti, n'a pas été rénové, et plus de quinze ans qu'on projette de le rénover sans y arriver. Il commence à tomber en morceau. Et la muséographie a évolué, en un siècle : on attend désormais autre chose d'un musée qu'il soit un hangar, fût-il luxueux, d'exposition. On en attend qu'il soit un acteur culturel. Mais on doit aussi se garder de diluer la fonction muséale dans un vaste souk spectaculaire et marchand : si un musée n'est pas un hangar, il n'est pas non plus un supermarché. Les critiques et l'action des défenseurs du patrimoine ont permis de faire évoluer positivement le projet Nouvel. Il convient donc maintenant  d'examiner non plus sa forme , mais son contenu, le discours culturel que contient tout projet de cette envergure. Car il ne s'agit pas seulement d'agrandir des espaces : il s'agit surtout de savoir à quoi on va les utiliser, et ce qu'ils auront à dire à celles et ceux qui y entreront.

Enfin, il va falloir se pencher avec attention, et même circonspection, sur la convention, nouvellement reformulée, passée entre la Ville et la Fondation Gandur, et bien mesurer ce que la première accorde à la seconde en échange de la participation financière de celle-ci à l'extension du Musée. Qu'est-ce que la Ville accorde à la Fondation Gandur pour n'avoir pas à payer ce que la Fondation Gandur, ou Jean-Claude Gandur lui-même, acceptera de payer (40 millions)  ? Parce que si on veut bien croire que Jean-Claude Gandur soit un noble mécène désintéressé, on sait qu'il n'a pas fait sa fortune dans le mécénat artistique, mais dans le commerce du pétrole, et qu'il s'est par exemple, récemment, lancé, en Sierra Leone, dans un vaste projet de production de bioéthanol à  partir de la canne à sucre -le genre de production qui, en supplantant les cultures vivrières des pays où elle s'implante « ne peut se prétendre en faveur des paysans et durable quand il entraîne le déplacement de ces derniers de leurs terres pour y produire du bioéthanol » dont il n'ont que faire, comme le relevait Yvan Maillard Ardenti, de Pain pour le prochain. Qu'est-ce que cela à voir avec le projet d'extension d'un musée genevois ? Dans le montage financier nécessaire à la réalisation de ce projet, les fonds promis par la Fondation Gandur sont indispensables -et en échange de ces fonds,  le musée public accueillera dans ces propres espaces quelque chose comme un musée privé accueillant les collections de la fondation.
Il n'est donc pas, pour une ville comme Genève, dérisoire de se demander d'où, et de quoi, viennent les ressources de ceux qui contribuent à ses institutions culturelles.

mercredi 30 janvier 2013



BEGGAR'S OPERA : modeste contribution à l'histoire de la scène lyrique genevoise









"L'opposé est utile, et des choses différentes naît la plus belle harmonie et toutes choses sont engendrées par la discorde."
(Héraclite, Fragments, VIII)






AVERTISSEMENT



Compte tenu des heures, franchement nocturnes, qui sont celles de la  rédaction de ce blog, de la possible consommation de substances  psychotropes par le rédacteur avant la rédaction et de l'obsolescence du  matériel informatique dont il s'obstine à faire usage, il est  inévitable que les textes qui suivent soient émaillés de fautes de  frappes, d'inattention, d'orthographe, de grammaire et de syntaxe. Le  rédacteur prie le lecteur, et plus encore la lectrice, de bien vouloir  l'en excuser. Et de l'en excuser durablement, vu qu'il n'a aucune  intention de se plier bêtement aux rythmes circadiens communs, ni de  signer la temponne, ni de changer de matériel informatique avant que le  sien n'ait définitivement cessé de faire semblant de fonctionner.





Investissements culturels à Genève : Déshabiller Paul pour rhabiller Jean ?

Le Conseil Municipal de Genève a voté il y a trois semaines, à une majorité écrasante (seul le MCG s'y est opposé) une motion demandant de rétablir pour 2015 les travaux de rénovation du Grand Théâtre, que le Conseil administratif envisageait de reporter à 2017. La même droite traditionnelle, augmentée de l'extrême-droite, avait fait accepter un mois auparavant une réduction de 40 millions du volume d'investissements autorisés chaque année. Or les travaux au Grand Théâtre coûteront, au moins, 30 millions et demi de francs. On a donc, en un mois, voté une restriction et heureusement décidé de n'en pas tenir compte...

Année Wagner : Du « navire amiral » au Vaisseau Fantôme ?

Il y avait dans la proposition votée par le Conseil Municipal de Genève un constat explicite et un constat implicite.  Le constat explicite, c'est celui de l'urgence des travaux à effectuer au Grand Théâtre. Elle est incontestable. Le constat implicite, c'est celui de l'absurdité de poser aux investissements autorisés des limites qui obligent à jouer les projets les uns contre les autres, à repousser les uns pour pouvoir réaliser les autres, à en privilégier certains et à en abandonner d'autres, alors que tous ceux qui étaient prévus l'étaient parce qu'ils étaient importants et, pour certains, à la fois urgents et indispensables. Ce constat implicite, les auteurs de la motion acceptée hier par le Conseil Municipal ne le posent pas. Soit parce qu'ils s'y refusent, soit parce qu'ils n'ont pas conscience de ce qu'implique leur proposition. Mais à vrai dire, peu importe : La proposition de rétablir les investissements prévus pour le Grand Théâtre dans le délai où ils étaient prévus permet de mesurer les conséquences directes, concrètes, d'un vote que le même Conseil Municipal qui «  débloque » plus de 30 millions pour l'opéra a produit un mois auparavant, en réduisant de 40 millions de francs le volume d'investissements autorisés chaque année. Or ceux qui demandaient de garantir les investissements en faveur du Grand Théâtre étaient aussi de ceux qui demandaient de réduire l'ensemble des investissements autorisés... Il aurait fallu, pour être crédibles, qu'ils  disent à quels investissements ils proposent de renoncer pour assurer celui qu'ils veulent privilégier, ou alors qu'ils proposent franchement de revenir, au moins partiellement, sur la réduction globale des investissements. Il est vrai qu'ils pouvaient difficilement admettre que cette décision était dangereuse, et que confondre la comptabilité et la politique est un exercice absurde.

Les travaux à effectuer au Grand Théâtre sont urgents pour permettre à l'opéra de fonctionner et pour assurer à celles et ceux qui y travaillent des conditions de travail et de sécurité dignes du statut de leur employeur -la Ville, ou la Fondation. Mais il est inacceptable de jouer les urgences les unes contre les autres, le Grand Théâtre contre le Pavillon de la Danse, le Pavillon de la Danse contre le BAC et le BAC contre Saint-Gervais. Ce qui était demandé au Conseil Municipal, c'est de déshabiller les uns pour pouvoir habiller l'autre. Mais si on nous disait qui habiller, le Grand Théâtre, qui en effet en a un besoin urgent, on ne nous disait pas qui déshabiller :  le pavillon de la danse ? la Nouvelle Comédie ?  le Musée d'Art et d'Histoire ? Le Musée d'ethno ? Saint-Gervais ? La Maison Tavel ? le Bâtiment d'art contemporain ?
Faire une politique culturelle digne de ce nom dans une Ville comme Genève, c'est, pour le moins, en entretenir, voire en créer, les lieux. Le Conseil Municipal sait, puisqu'il a les chiffres, les listes, les détails en main, que cela coûterait 150 millions. Il fait semblant aujourd'hui de croire que cela peut n'en coûter que 110, et qu'on peut faire tenir dans ces 110 millions ce qu'on avait déjà beaucoup de peine à faire tenir dans 150 millions. Il ignore délibérément que reporter certains investissements nécessaires est soit impossible, soit dangereux, soit coûteux (le report des travaux au Grand Théâtre coûterait quatre millions...), voire à la fois dangereux et coûteux.  L'exemple des travaux proposés à la Bibliothèque de Genève aurait pourtant déjà dû lui faire comprendre que dans ces domaines, dire « non » aujourd'hui revient à dire « oui et plus cher » demain...

Le Conseil Municipal avait deux attitudes possibles : avoir le courage et la cohérence élémentaires d'admettre qu'il s'est trompé en coupant 40 millions dans les possibilités d'investissements, et les rétablir au niveau de ce qui est nécessaire, ou se lancer dans un marchandage de souk dressant les projets les uns contre les autres, et faisant payer aux uns l'urgence accordée aux autres. C'est cette attitude qu'il a choisie. On en prend acte, mais il y a dans ce Conseil des élues et des élus, et des groupes, qui n'entendent pas renoncer à ce que la Ville se donne les moyens de ses responsabilités et de ses ambitions culturelles, et le débat que nous avons eu hier sur le Grand Théâtre, nous l'aurons séance après séance, pendant toute l'année, pour d'autres institutions à soutenir, d'autres lieux à créer, d'autres investissements qu'il faudra rétablir. Parce que si le Grand Théâtre est la principale institution culturelle de la région, il n'est pas tout le tissu culturel genevois à lui seul, et que les investissements que l'on doit y consentir, et que nous voulons y consentir, ne sont pas les seuls à être urgents, ni les seuls à être indispensables, ni les seuls à être légitimes. Et donc, pas les seuls à devoir être rétablis.

mercredi 9 janvier 2013

Budget de la Ville de Genève : Le poids (légitime) de la culture



En adoptant, mi-décembre, à un pas de course de fond plutôt que celui du marathon habituel, le budget de la Ville de Genève, le Conseil municipal a adopté le budget culturel de la Commune. C'est-à-dire le plus important de ses budgets spécifiques, et le plus important budget culturel de la région. Et peut-être même (mais on n'a pas vérifié avec toute la rigueur scientifique qu'on nous connaît) le plus important de toutes les municipalités de Suisse. Un acte politique déterminant, donc. Mais un acte politique contraint par la responsabilité que la répartition des tâches régnant à Genève impose à la commune (elle pourrait certes s'y soustraire, mais ce serait, de sa part, parfaitement irresponsable, dans tous les sens du terme) et par les limites posées par la doxa politique régnante : celle de l'équilibre budgétaire et de la modestie des ambitions. Limites qui, très concrètement, empêchent la politique culturelle genevoise de se déployer comme elle devrait.

Politique culturelle genevoise : la Ville ou le désert...

Le budget culturel de la Ville de Genève est celui sur lequel repose l'essentiel du tissu culturel de toute la région : sans l'effort que la Ville consacre à sa politique culturelle, sans les ressources financières qu'elle y affecte, il n'y aurait plus à Genève plus ni opéra, ni orchestre symphonique de niveau international, ni musées publics, ni bibliothèques publiques, ni théâtres publics (hors celui de Carouge), plus beaucoup de théâtres privés, et plus de ballet permanent. Un presque désert culturel, en somme. S'agissant du budget de la culture -le plus important, financièrement parlant, avec ses 250 millions de francs par an, des champs politiques couverts par la Ville, et le seul où elle est première non seulement de toutes les communes mais également (et de loin) par rapport au canton, nous avons dit, en commission, notre satisfaction de voir les engagements culturels de la municipalité maintenus, même si le département de la culture a du lui-même réduire ses ambitions initiales, mais nous avons dit aussi notre regret que cette continuité ne puisse matériellement s'accompagner pas de choix nouveaux. Le cadre budgétaire général l'empêche, et même si ce cadre n'est ni taillé dans le marbre ni coulé dans le bronze, il reste étroit parce qu'on s'acharne à faire prévaloir des critères comptables sur les critères politique -en l’occurrence, ceux de la politique culturelle. Cette contrainte pèse en particulier sur les investissements (d'autant que la commission des Finances, puis le Conseil Municipal, en a réduit le volume), mais aussi sur les dépenses et les subventions courantes.

On est donc contraints de pratiquer ce que la droite définit, pour la dévaluer, comme une « politique de l'arrosoir » (tout le monde reçoit, mais personne ne reçoit suffisamment), condition du pluralisme culturel. A cette politique, que nous soutenons même (ou surtout) lorsqu'elle a mauvaise presse, s'oppose celle de choix exclusifs qualifiés de « priorités » : quelques uns reçoivent tout ce dont ils ont besoin, les autres ne reçoivent rien. C'est user de l'arme financière pour promouvoir une culture officielle. Et de toute évidence, ce sont les grandes institutions qui capteront les ressources disponibles, ne serait-ce que parce qu'elles coûtent cher à faire exister même sans aucune programmation et sans aucune activité. D'où l'utilité, la nécessité même, de ce que le budget de la Ville de Genève appelle les «fonds généraux», qui permettent précisément de mobiliser et d'affecter les ressources nécessaires au maintien d'un maillage culturel ne reposant pas uniquement sur les institutions pérennes disposant de grosses subventions également pérennes (le seul Grand Théâtre consomme le quart des charges de toutes les institutions culturelles, le Musée d'Art et d'Histoire le cinquième), mais aussi sur des dizaines d'acteurs plus récents, plus précaires, souvent associatifs, et qui disparaîtraient purement et simplement si la collectivité publique ne les soutenait plus. Les domaines du théâtre, de la danse, du livre disposent de tels fonds -et s'il n'était pas opportun de les « regonfler » dans le cadre du débat budgétaire, comme le proposait le groupe « Ensemble à gauche », il sera nécessaire de le faire en cours d'année, d'autant qu'au regard des moyens affectés aux institutions culturelle pérennes (160 millions de francs), ceux affectés à ces fonds généraux sont fort modestes (moins de 3 %). Or ce ne sont pas seulement des lieux qui en vivent, de la création qu'ils rendent possibles, des spectacles qu'ils permettent : ce sont aussi des emplois, des salaires, des compétences qu'ils maintiennent.

Enfin, il va bien falloir qu'on se prononce clairement sur le partage des responsabilités et des charges entre collectivités publiques -et plus précisément, entre la Ville et le canton de Genève. Or le partage des charges avec le canton relève de l'espérance illusoire : vu l'état de son budget et l'incertitude des prévisions sur les budgets à venir, il ne faut rien attendre du canton, du moins rien attendre en termes de soutien matériel. En revanche, on peut en attendre des volontés politiques de s'impliquer davantage dans le champ culturel -mais que valent ces volontés si elles ne se traduisent pas trivialement en millions de francs -disons plutôt : en dizaines de millions de francs ? Elle ne vaudraient alors que ce que vaut une volonté de prise de contrôle sans volonté d'en assumer les responsabilités matérielles.
Une volonté bureaucratique, pas une politique culturelle.