mercredi 30 janvier 2013

Investissements culturels à Genève : Déshabiller Paul pour rhabiller Jean ?

Le Conseil Municipal de Genève a voté il y a trois semaines, à une majorité écrasante (seul le MCG s'y est opposé) une motion demandant de rétablir pour 2015 les travaux de rénovation du Grand Théâtre, que le Conseil administratif envisageait de reporter à 2017. La même droite traditionnelle, augmentée de l'extrême-droite, avait fait accepter un mois auparavant une réduction de 40 millions du volume d'investissements autorisés chaque année. Or les travaux au Grand Théâtre coûteront, au moins, 30 millions et demi de francs. On a donc, en un mois, voté une restriction et heureusement décidé de n'en pas tenir compte...

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Il y avait dans la proposition votée par le Conseil Municipal de Genève un constat explicite et un constat implicite.  Le constat explicite, c'est celui de l'urgence des travaux à effectuer au Grand Théâtre. Elle est incontestable. Le constat implicite, c'est celui de l'absurdité de poser aux investissements autorisés des limites qui obligent à jouer les projets les uns contre les autres, à repousser les uns pour pouvoir réaliser les autres, à en privilégier certains et à en abandonner d'autres, alors que tous ceux qui étaient prévus l'étaient parce qu'ils étaient importants et, pour certains, à la fois urgents et indispensables. Ce constat implicite, les auteurs de la motion acceptée hier par le Conseil Municipal ne le posent pas. Soit parce qu'ils s'y refusent, soit parce qu'ils n'ont pas conscience de ce qu'implique leur proposition. Mais à vrai dire, peu importe : La proposition de rétablir les investissements prévus pour le Grand Théâtre dans le délai où ils étaient prévus permet de mesurer les conséquences directes, concrètes, d'un vote que le même Conseil Municipal qui «  débloque » plus de 30 millions pour l'opéra a produit un mois auparavant, en réduisant de 40 millions de francs le volume d'investissements autorisés chaque année. Or ceux qui demandaient de garantir les investissements en faveur du Grand Théâtre étaient aussi de ceux qui demandaient de réduire l'ensemble des investissements autorisés... Il aurait fallu, pour être crédibles, qu'ils  disent à quels investissements ils proposent de renoncer pour assurer celui qu'ils veulent privilégier, ou alors qu'ils proposent franchement de revenir, au moins partiellement, sur la réduction globale des investissements. Il est vrai qu'ils pouvaient difficilement admettre que cette décision était dangereuse, et que confondre la comptabilité et la politique est un exercice absurde.

Les travaux à effectuer au Grand Théâtre sont urgents pour permettre à l'opéra de fonctionner et pour assurer à celles et ceux qui y travaillent des conditions de travail et de sécurité dignes du statut de leur employeur -la Ville, ou la Fondation. Mais il est inacceptable de jouer les urgences les unes contre les autres, le Grand Théâtre contre le Pavillon de la Danse, le Pavillon de la Danse contre le BAC et le BAC contre Saint-Gervais. Ce qui était demandé au Conseil Municipal, c'est de déshabiller les uns pour pouvoir habiller l'autre. Mais si on nous disait qui habiller, le Grand Théâtre, qui en effet en a un besoin urgent, on ne nous disait pas qui déshabiller :  le pavillon de la danse ? la Nouvelle Comédie ?  le Musée d'Art et d'Histoire ? Le Musée d'ethno ? Saint-Gervais ? La Maison Tavel ? le Bâtiment d'art contemporain ?
Faire une politique culturelle digne de ce nom dans une Ville comme Genève, c'est, pour le moins, en entretenir, voire en créer, les lieux. Le Conseil Municipal sait, puisqu'il a les chiffres, les listes, les détails en main, que cela coûterait 150 millions. Il fait semblant aujourd'hui de croire que cela peut n'en coûter que 110, et qu'on peut faire tenir dans ces 110 millions ce qu'on avait déjà beaucoup de peine à faire tenir dans 150 millions. Il ignore délibérément que reporter certains investissements nécessaires est soit impossible, soit dangereux, soit coûteux (le report des travaux au Grand Théâtre coûterait quatre millions...), voire à la fois dangereux et coûteux.  L'exemple des travaux proposés à la Bibliothèque de Genève aurait pourtant déjà dû lui faire comprendre que dans ces domaines, dire « non » aujourd'hui revient à dire « oui et plus cher » demain...

Le Conseil Municipal avait deux attitudes possibles : avoir le courage et la cohérence élémentaires d'admettre qu'il s'est trompé en coupant 40 millions dans les possibilités d'investissements, et les rétablir au niveau de ce qui est nécessaire, ou se lancer dans un marchandage de souk dressant les projets les uns contre les autres, et faisant payer aux uns l'urgence accordée aux autres. C'est cette attitude qu'il a choisie. On en prend acte, mais il y a dans ce Conseil des élues et des élus, et des groupes, qui n'entendent pas renoncer à ce que la Ville se donne les moyens de ses responsabilités et de ses ambitions culturelles, et le débat que nous avons eu hier sur le Grand Théâtre, nous l'aurons séance après séance, pendant toute l'année, pour d'autres institutions à soutenir, d'autres lieux à créer, d'autres investissements qu'il faudra rétablir. Parce que si le Grand Théâtre est la principale institution culturelle de la région, il n'est pas tout le tissu culturel genevois à lui seul, et que les investissements que l'on doit y consentir, et que nous voulons y consentir, ne sont pas les seuls à être urgents, ni les seuls à être indispensables, ni les seuls à être légitimes. Et donc, pas les seuls à devoir être rétablis.

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