jeudi 24 septembre 2009

DE TROIS CRISES, L'UNE

Rapport (saison 2008-2009) du représentant du PS au Conseil de fondation du Grand Théâtre :

DE TROIS CRISES, L'UNE

Vendredi 23 février 2007 : La Tribune de Genève annonce, en une, développe en pleine page trois et clame en manchette, la " démission " du président et du vice-président de la fondation du Grand Théâtre . En réalité, ni l'un, ni l'autre n'avaient démissionné de leurs fonctions actuelles, l'un et l'autre se contentant d'annoncer qu'ils ne solliciteraient pas le renouvellement de leur mandat à son échéance... en août suivant. Peu importe, au fond : cette vraie-fausse démission, succédant à l'éviction du secrétaire général du Grand Théâtre et au départ de son directeur technique, et s'accompagnant à intervalles répétés de tentatives, parfois réussies, de purges au sein du Conseil de fondation (un représentant -radical- du Conseil municipal limogé par son parti sur pression du bureau du Conseil de fondation, un autre représentant -socialiste- menacé d'une demande d'exclusion et d'une plainte pénale après que son parti ait refusé de le limoger, deux représentants -un libéral et un démo-chrétien- remplacés par d'autres plus conformes aux désirs du bureau du Conseil...) n'était que l'un des derniers épisode d'un étrange feuilleton, dont le premier épisode rendu public datait de la fin 2005.

Dans le bilan qu'il dresse de son propre mandat à la tête du GTG, Jean-Marie Blanchard estime que la crise de l'institution a été " instrumentalisée au-delà du concevable, en premier lieu par le politique, et déboucha sur une très grave crise institutionnelle, à laquelle les élus assistèrent avec une étonnante indifférence " (5) . Outre qu'on est en droit de se demander comment le " politique " peut " instrumentaliser " une crise tout en y assistant avec " indifférence ", il conviendrait plutôt de relever le caractère tardif de l'intervention du " politique " (ce n'est pourtant pas faute, de la part de quelques membres du Conseil de fondation, et des syndicats, de l'avoir alerté à temps) dans la crise d'une " institution-phare " du paysage culturel local, que de dénoncer cette intervention. Peu importe, après tout -d'autant que, même en pleine crise, l'un des auditeurs mandaté pour analyser l'institution (Sherwood) pouvait constater que le Grand Théâtre était " une maison avec un personnel compétent, raisonnablement dotée, qui remplit bien sa mission et qui continue à produire des spectacles de qualité, mais ce, au prix d'une tension de plus en plus importante ". C'est donc à cette tension, et à son aggravation continue, qu'il s'agissait de répondre et de remédier -ce dont les anciennes équipes du Conseil de fondation et de la direction s'étaient révélées incapables, et ce que les structures même de l'institution rendait improbable, d'où la nécessité de changer les unes et de réformer les autres.
En réalité, on est passé au Grand Théâtre de Genève d'un conflit à un autre, sans que jamais les instances internes de régulation ou de règlement de ces conflits (la direction générale, le Conseil de fondation, son bureau) aient joué leur rôle -pour en arriver à un stade où le conflit en cours ne pouvait plus être réglé que par le désaveu, pour ne pas dire la défaite, de l'une des parties désormais affrontées : la Ville et la Fondation, avec à la clef une refonte de la structure de la fondation, une unification progressive du statut du personnel, la représentation du personnel au sein du Conseil de fondation, l'entrée des syndicats dans l'institution, la recherche d'une redéfinition des sources de financement de l'institution -et, inévitablement aussi, un changement des personnes à la tête de l'institution, et à sa direction artistique.

Quatre conflits successifs, donc, chacun prenant la place du précédent, en l'élargissant sans l'abolir :

Ø Premier conflit : un conflit sur le lieu de travail, entre des travailleuses et des travailleurs et leurs chefs, petits chefs, et sous-chefs directs, les premières et premiers dénonçant mobbying et harcèlement de la part des seconds. L'instance de régulation d'un tel conflit est la direction générale (à l'époque : directeur technique, secrétaire général, directeur général). Cette instance s'est révélée incapable de réguler le conflit, en a même nié la réalité tout en prenant fait et cause pour l'une des parties en conflit (les petits chefs). Du coup, le conflit s'est déplacé, et transformé en un
Ø Second conflit : un conflit syndical, entre les représentants du personnel et les syndicats d'une part, la direction générale de l'autre. L'instance de régulation d'un tel conflit est le Conseil de fondation. Cette instance s'est révélée non seulement aussi incapable de réguler ce conflit que la direction l'avait été du conflit initial, mais même incapable d'en prendre la mesure, et d'en admettre la réalité. Le Conseil de fondation, ratifiant la position de son bureau, lequel ratifiait la position de la direction générale, qui elle-même ratifiait la position des petits chefs, a pris fait et cause pour la direction générale et, à deux reprises, refusé de recevoir et d'entendre les syndicats. Du coup, le conflit s'est déplacé à nouveau, et s'est transformé en un
Ø Troisième conflit : un conflit entre les syndicats et la Fondation. L'instance d'un tel conflit est la Ville de Genève, c'est-à-dire plus précisément le Conseil administratif. Le Conseil administratif a tardé à prendre la mesure de la situation, et ne s'est rendu compte de sa gravité que lorsque, après le suicide d'un employé, une septantaine d'employées et d'employés du Grand Théâtre, les uns sous statut de la fonction publique municipale, les autres sous contrat de droit privé avec la fondation, ont adressé une lettre collective alertant " qui de droit " sur la dégradation de la situation et des conditions de travail. Le Conseil administratif, tardivement (mieux valant cependant tard que jamais), a fini par admettre qu'on n'était pas en face d'une polémique gratuite et sans fondement lancée par quelques syndicalistes extrémistes animés de la volonté nihiliste de mettre à bas l'institution, mais d'un conflit réel, profond et révélateur d'un non moins réel et profond problème. La Ville a donc imposé à la fondation un audit, que la fondation a accepté (tout en prenant la posture commode de le demander elle-même). On a aboutit ainsi au
Ø Quatrième conflit : un conflit entre la Fondation et la Ville, conflit personnifié par un conflit entre le président et le vice-président de la fondation d'une part, le Conseiller administratif chargé de la culture et une minorité du Conseil de fondation, d'autre part. Or il n'y a plus d'instance de régulation d'un tel conflit, la Ville étant à la fois partie au conflit et autorité de surveillance de la partie adverse, la fondation, laquelle dépend totalement du subventionnement municipal pour faire fonctionner une institution qui, toutes charges confondues, coûte actuellement près d'une cinquantaine de millions par année à la Ville, et se sert de la Ville pour " évacuer " les problèmes (et celles et ceux qui les posent) qu'elle se révèle incapable de régler elle-même, tout en s'insurgeant contre les tentatives de la Ville de les régler à sa place. Le conflit, dès lors, devenait clairement un conflit politique -mais un conflit politique qui prit l'étrange apparence d'un fulgurant retour vers le passé, en plein féodalisme, le châtelain du Grand Théâtre rameutant ses troupes pour faire face à l'assaut de la plèbe (et au passage expulser les traîtres qui se sont glissés dans le donjon). Un peu comme si, puisque nous sommes à Genève, nous nous retrouvions spectateurs de la mobilisation des spadassins du comte de Savoie retranché dans le château de l'Ile pour résister à la Commune.

La succession de ces conflits, et leur gestion calamiteuse, permet de décrire assez clairement la situation qui était celle du Grand Théâtre de Genève fin 2006, du moins sous ses aspects institutionnels (6) :

Ø Le Conseil de fondation (dont la moitié des membres sont désignés par le Conseil municipal après sa propre élection, à raison d'un-e par groupe parlementaire) fonctionnait comme chambre d'enregistrement des décisions de son bureau, lequel fonctionnait comme chambre d'enregistrement des décisions (ou des desiderata) de la direction générale, laquelle couvrait systématiquement, jusqu'à l'éjection d'Antonio Soragni, les cadres, sous-cadres, cadres adjoints et petits chefs divers mis en cause dans toutes sortes de conflits, voire de scandales.

Ø La direction générale, le bureau du Conseil de fondation, le Conseil de fondation et, pendant trop longtemps, le Conseil administratif, ont constamment nié la gravité de la crise (jusqu'à en nier pendant longtemps l'existence même), en l'attribuant à la méchanceté sournoise des syndicats et au délire de persécution de quelques employé-e-s. Le conflit social endémique au sein du GTG a été camouflé, les dénonciations par des membres du personnel de cas de mobbying et de harcèlement tenues pour fausses, les interventions syndicales récusées (jusqu'au refus du Conseil de fondation de recevoir les syndicats, quand il était encore temps, avec eux, de résoudre les problèmes qui étaient à l'origine de l'éclatement de la crise de 2006).

Ø La décision de lancer un audit prise, la direction générale et le bureau du Conseil ont tout fait pour se prémunir des conséquences de cet audit. Un protocole d'audit ayant été signé avec les syndicats et la Ville, le bureau du Conseil de fondation et la direction générale n'ont cessé de prendre, ou de tenter de prendre, ou de tenter de faire prendre à d'autres, des décisions préjugeant les conclusions de l'audit (comme le licenciement, transformé en déplacement, du Secrétaire général). Fin février, début mars 2007, à la faveur de l'annonce de leur vraie-fausse démission, le président et le vice-président de la Fondation ont publiquement et explicitement annoncé qu'ils ne pouvaient plus travailler avec le Conseiller administratif en charge du DAC, avec qui cependant ils étaient supposés mettre en œuvre les conclusions de l'audit, et dont on ignorait jusqu'alors qu'il devait être adoubé par le bureau du Conseil de fondation du Grand Théâtre.

Ø L'éjection du secrétaire général et le départ du directeur technique se sont apparentées à la désignation de boucs émissaires commodes (ce qui n'atténue en rien leur responsabilité éventuelle dans la crise, cette responsabilité n'étant cependant pas forcément la plus déterminante). La présidence et la vice-présidence du Conseil de fondation ont proclamé leur solidarité indéfectible avec la direction générale, annoncé à grand renfort de trompettes médiatiques une " démission " qui n'en était pas une et ont transformé, en pleine campagne électorale municipale, le conflit interne au GTG en un conflit entre la fondation et la Ville, pour camoufler leurs propres responsabilités.

Ø Le bureau du Conseil de fondation, qui n'avait cessé d'utiliser la ville comme déversoir des problèmes qu'il était incapable de résoudre, a nié à la Ville le droit d'intervenir dans la crise et ne condescendait à lui reconnaître le droit d'intervenir en tant qu'autorité de surveillance que pour sanctionner les membres du Conseil de fondation qui brisaient la règle de l'omertà, et sacrifier le bouc-émissaire du Secrétariat général.

Ø Le Conseil de fondation s'est révélé incapable de prendre une position claire : le 27 février 2007, sur douze membres présents, trois demandaient la démission du bureau, quatre exprimaient leur soutien au bureau et cinq ne prenaient pas part au vote ou s'abstenaient... Précédemment, le Conseil de fondation avait voté (sans que la question soit portée à l'ordre du jour) une confiance inconditionnelle à la direction -laquelle déclarait cependant poser des conditions pour rester à son poste, mais refusait de dire de quelles conditions il s'agissait -le Conseil apprenant par la suite qu'il s'agissait, pour commencer, d'obtenir la tête d'Antonio Soragni, Secrétaire général du GTG (7).

Ø Le président et le vice-président du Conseil de fondation entendaient rester (et sont restés) à leur poste jusqu'à fin août 2007, tout en annonçant qu'ils ne pouvaient (c'est-à-dire ne voulaient) plus travailler avec le Conseiller administratif Patrice Mugny. Autrement dit, les représentants de l'une des deux instances qui avaient commandé l'audit refusaient de travailler avec le représentant de l'autre instance à la concrétisation des conclusions de l'audit.

Dans cette situation, et pour en sortir (mais en sortir durablement) en trouvant un " bon usage de la crise " que traverse le Grand Théâtre, il nous (8) semblait que les propositions suivantes pouvaient être défendues par l'ensemble des partis de l'Alternative (et de leurs représentant-e-s au Conseil de fondation) après la remise des rapports d'audit :

1. remplacement sans délai de la présidence et de la vice-présidence du Conseil de fondation -ce qui fut fait ;
2. Création d'une commission ad hoc du Conseil municipal pour la mise en œuvre des conclusions de l'audit -ce qui ne fut pas fait;
3. Réintégration des employées et employés " déplacés " à la suite de leur action de dénonciation de cas de mobbying et de harcèlement, ce qui a été acquis ;
4. Unification du statut du personnel, dans le statut de la fonction publique municipale (à l'exception du personnel artistique et du directeur général), ce qui est encore loin d'être fait, mais ce dont la " municipalisation " en cours de plusieurs postes pourrait être la prémisse ;
5. Création d'une direction administrative et d'une direction des ressources humaines; municipalisation du secrétariat général, ce qu'il était devenu inutile de faire puisque le Secrétariat général a été supprimé ; création d'un Conseil de direction réunissant les directions générale, financière, administrative, technique et des ressources humains : cette proposition correspondait à l'une des " priorités " que le nouveau Conseil de Fondation s'était donnée : la mise en place d'une structure de direction collégiale pour contrebalancer le pouvoir artistique du directeur général ; il convient encore d'assurer la présence des directions des chœurs et du ballet dans cette direction collégiale ;
6. Assurer le respect des droits syndicaux, créer une commission unique du personnel (Ville et fondation) : ce qui a été fait ;
7. Modification des statuts de la fondation et du règlement interne du Conseil de fondation dans le sens suivant :
a. représentation du personnel au Conseil de fondation, ce qui a été temporairement amorcé, dans l'attente d'une modification des statuts et du règlement ;
b. fixation à cinq du nombre de représentant-e-s du Conseil municipal au Conseil de fondation (actuellement, le nombre dépend du nombre de groupes au Conseil : plus il y a de groupes, plus il y a de représentants, à raison d'un-e par groupe) ;
c. présence (à titre consultatif) des directions du ballet et des chœurs au Conseil de fondation ;
d. représentation du Cercle au sein du Conseil de fondation ;
e. redéfinition des compétences du bureau, restriction de la délégation de compétence du Conseil de fondation au bureau ;
f. ouverture du Conseil de fondation à une représentation de l'ACG et du DIP (avec subvention régulière et consistante à la clef) ;
g. renforcement du pouvoir de surveillance de la Ville, maintien de la présence de deux conseiller-e-s administratif-ves au Conseil de fondation (sur ce point, l'auteur du présent rapport a changé d'avis : en fait, il vaudrait mieux que la Ville continue à être représentée au sein du Conseil de fondation, mais par un-e seule- représentant-e du Département de la Culture, qui ne soit pas le-la magistrat-e
8. Redéfinition du financement du Grand Théâtre :
a. Plafonnement du subventionnement municipal à un multiple maximum des subventions accordées ensemble par le canton et les autres communes (ACG) ;
b. Réduction de la subvention versée par la ville, en fonction de la charge salariale supplémentaire provoquée par la municipalisation du personnel
9. Ballet : création d'un Ballet de Genève, autonome du GTG, sous statut de fondation, avec une convention de collaboration Ballet-GTG (usage des infrastructures, service d'opéra)

Ces deux derniers points (8 et 9 supra) ne sont pas encore réglés, et semblent même assez loin de l'être. La modification des statuts et du règlement interne de la Fondation ne sera entamée qu'en septembre prochain, dans le meilleur des cas, et le processus est long : une fois les propositions à faire par la Fondation adoptées par le Conseil de fondation, elles devront passer par le Conseil administratif, le Conseil municipal, le Conseil d'Etat et le Grand Conseil, puisque le GTG est une fondation de droit public dont les statuts reposent sur une loi votée par le Grand Conseil sur propositions successives de la Ville et du Conseil d'Etat.

La crise a été, sinon définitivement surmontée., du moins désamorcée par les changements intervenus ou annoncés à la tête de l'institution : changement de présidence, changement du bureau du Conseil de fondation et de la majorité des membres du Conseil, changement de la Direction générale (Tobias Richter succédant à Jean-Marie Blanchard), suppression du secrétariat général et création de directions spécifiques (financière, assurée par Marie-Thérèse Lamagat, des ressources humaines, assumée par Jérémy Annen), changement de la direction technique (assumée désormais par Jean-Yves Barralon), à quoi s'ajoutent la réintégration des employées sanctionnées pour avoir allumé le feu aux poudres en dénonçant les pratiques féodales régnant dans les ateliers, ainsi que la représentation du personnel au sein du Conseil de fondation, et la création d'une commission unique du personnel. Pour autant, si le climat interne s'est considérablement amélioré (9), tout, sur le fond, reste à faire : les statuts et le règlement interne doivent être modifiés, et la structure du financement de l'institution revue. Sur ce dernier point, si l'adoption d'un plan financier quadriennal et la mise à l'ordre du jour de l'élaboration d'une convention de subventionnement sont des acquis non négligeables, ils ne changent rien au fait que la Ville reste à peu près seule collectivité publique à supporter la charge financière du GTG - dont l'existence et la capacité de fonctionnement et de programmation continue de dépendre de la Ville.

Ce que la crise de 2006 et de 2007 a illustré est l'état absolu d'obsolescence de la structure institutionnelle et professionnelle du Grand Théâtre : des statuts qui datent du tout début des années soixante du siècle dernier, des règlements qui s'appuient sur ces statuts, des pratiques relevant d'un folklore de PME artisanale (10), des relations interpersonnelles, entre petite chefferie et personnel, qui tiennent du reliquat féodal (droit de cuissage compris).


NOTES
(4) La fondation du Grand Théâtre est une fondation communale de droit public, placée sous l'autorité de surveillance de la Municipalité, n'en déplaise au parti libéral (pas le dernier, pourtant, à vouloir dépouiller le canton des quelques prérogatives matérielles dont il dispose en matière culturelle, pour les basculer sur la Ville), qui feignait, en février 2007 (l'approche des élections municipales aidant), de découvrir une hypothétique contradiction formelle entre la qualité d'autorité de surveillance du Conseil administratif et sa représentation par deux de ses membres au Conseil de fondation (et au bureau), les libéraux en déduisant la nécessité de transférer le pouvoir de surveillance au canton -en oubliant cependant que selon l'art. 84 du Code civil, les fondations de droit public sont placées " sous la surveillance de l'autorité publique " (Confédération, canton, commune) dont elles relèvent par leurs buts. La culture étant à Genève une compétence municipale, la fondation structurant une institution culturelle relèvera donc, par ses buts, de la surveillance de l'autorité communale, tant que le canton n'assumera qu'une part accessoire de la politique culturelle genevoise, et de sa charge financière. Cela dit, s'il n'y a pas contradiction formelle entre la qualité d'autorité de surveillance de la Municipalité et sa présence au sein de l'instance " suprême " de l'institution surveillée, on accordera aux libéraux qu'il y a tout de même contradiction, ou en tout cas, paradoxe, politique.

(5) Tribune de Genève du 23 juin 2009

(6) Pour le reste, on pourra reprendre sans en changer grand chose le constat fait par l'audit Sherwood : " Le Grand Théâtre est donc aujourd'hui une maison avec un personnel compétent, raisonnablement dotée, qui remplit bien sa mission et qui continue à proposer des spectacles de qualité mais ce, au prix d'une tension de plus en plus importante ". Tension qui découlait de la contradiction entre la " mission " du GTG et l'obsolescence de ses structures et pratiques internes.

(7) tête obtenue : sur demande du directeur général, le Bureau du Conseil de fondation a demandé au Conseil de fondation (qui a appris par la presse qu'on le lui demandait) le licenciement, d'Antonio Soragni ; or seul le Conseil administratif pouvait prendre une telle décision, et il s'y refusait. Le Conseil de fondation ayant refusé le licenciement, Patrice Mugny a annoncé, sans être démenti, que le CA acceptera de déplacer Soragni dans un autre service de la Ville, si le Conseil de fondation le lui demandait, après avoir " libéré " le Secrétaire général de son " obligation de travailler ". Le Conseil de fondation a d'ailleurs accepté la proposition des Conseillers administratifs Mugny et Muller de demander le " déplacement dans les plus brefs délais " d'Antonio Soragni, " à charge pour le Conseil administratif de lui trouver un poste en Ville de Genève ". Jusqu'à échéance de son contrat (soit fin juin 2008), l'ex-Secrétaire général devait être payé par le Conseil de fondation, la Ville prenant la suite, qu'elle ait ou non trouvé où le caser.

(8) pluriel de majesté…

(9) La crise ayant effet de révélation, la décision de principe avait été prise de créer, au sein du GTG, une " commission d'éthique " chargée de " faire remonter " les informations dans les différentes instances de l'institution, et de s'assurer que ces instances en prennent réellement connaissance. Il s'agirait d'un organe non décisionnaire, indépendant des autres organes du GTG, et pouvant être saisi par n'importe quel membre du personnel, ou par les artistes permanents (choristes, danseurs, notamment).

(10) Ainsi de l'épisode de la " bricole ", venu au jour début 2008, mais significatif de pratiques décennales : un chef d'atelier est inculpé pour gestion déloyale des intérêts publics. On lui reproche d'avoir fait, comme bien d'autres avant lui, exécuter (sans facturation, et pendant les périodes creuses) des travaux de menuiserie par des collaborateurs du GTG, mais pour son usage personnel. Les faits ont été dénoncés à la justice par des collègues de l'inculpé, la plainte a été déposée par le Conseil de fondation et la Ville, mais le système ainsi mis en évidence date pour le moins des années '80, sinon des décennies précédentes. Il ne consiste pas seulement à faire travailler des employés du GTG, ou de la Ville, pour le compte de petits chefs ou de grands chefs, mais aussi à commander plus de matériel que nécessaire pour profiter ensuite personnellement, ou en faire profiter autrui, des rabais obtenus par le Grand Théâtre.

vendredi 11 septembre 2009

QUATRE ELEMENTS INCONTESTABLES, DEUX REPONSES INACCEPTABLES

Rapport (saison 2008-2009) du représentant du PS au Conseil de fondation du Grand Théâtre
Le rapport complet (au format PDF) peut être téléchargé à l'adresse suivante : http://www.perso.ch/troubles/RapportGTG-PSvG.pdf

Résumé : QUATRE ELEMENTS INCONTESTABLES, DEUX REPONSES INACCEPTABLES

Premier élément incontestable : Le GTG est la principale institution culturelle de la région (hors l'école), il est, avec Zurich, l'une des deux grandes scènes lyriques suisses internationalement reconnue pour la qualité de sa programmation.

Deuxième élément incontestable : Cette institution culturelle régionale est essentiellement financée par une seule commune. Le GTG pèse en gros 45 millions de francs chaque année dans le budget de la Ville, qui contribue pour les deux tiers à son financement, soit par subvention directe à la Fondation, soit par prise en charge sur le budget de fonctionnement de la Ville (le tiers restant est constitué par l'apport du fonds d'équipement communal, l'autofinancement par les spectacles, les apports des sponsors et mécènes et l'aumône du canton). Bref : le GTG est un opéra municipal d'audience internationale...
Les ressources de la Ville n'étant pas indéfiniment extensibles, ce qui est consacré à une institution culturelle ne peut l'être à une autre, ni à la culture non institutionnelle. Ce que coûte le Grand Théâtre à la Ville, c'est autant que la Ville ne peut accorder à d'autres acteurs culturels genevois, et consacrer à la défense d'un espace culturel d'expérimentation.
On ajoutera que l'opéra, à la fois comme forme d'expression et comme type d'institution, coûte cher, qu'il n'y a pas d'opéra " bon marché ", que croire qu'on pourra équilibrer durablement le budget du GTG en rognant sur ses dépenses relève de l'illusion, et que réduire la programmation du GTG pour " faire des économies " n'aboutit qu'à réduire la capacité de l'institution à jouer son rôle.

Troisième élément incontestable : Le GTG a besoin d'argent -en plus de celui qu'il reçoit déjà. Depuis longtemps, il lui manque entre un et deux millions de ressources par année. C'est ainsi que le budget actualisé 2007-8 aboutissait à un déficit de 2,5 millions (le budget initial, à partir duquel a été fixée la subvention municipale, était équilibré), qui a dû être comblé par une subvention extraordinaire de la Ville. La réforme des structures de l'institution a elle-même un coût, qui s'ajoute à son coût de fonctionnement : ce coût, rendu nécessaire par l'obsolescence de ces structures, est lui aussi essentiellement assumé par la Ville, directement ou indirectement.
Ø Les recettes de billetterie sont régulièrement inférieures à celles prévues par le budget (qui les surestimait systématiquement en prévoyant des taux d'occupation de la salle toujours supérieurs à ceux constatés par les comptes : sur les comptes de la saison 2006-7, les recettes de billetteries étaient inférieures de 450'000 francs aux prévisions budgétaires). Le budget actualisé de la saison 2007-8 a baissé le taux moyen d'occupation de trois points (et les recettes brutes des spectacles de plus de 500'000 francs), en le faisant passer de 86,81 % à 83,53 %, tous spectacles confondus. C'était encore 3,53 % de trop : chaque année depuis dix ans le représentant du PS au Conseil de fondation critiquait des budgets fondés sur des hypothèses exagérément, et volontairement, optimistes en ce qui concerne les taux d'occupation, et demandait que ces taux soient fixés à un niveau atteignable plutôt qu'au niveau qu'on rêvait de les voir atteindre.
Ø La fondation Wilsdorf s'est désengagée du financement du GTG (qui y a perdu une subvention annuelle d'un million); ce désengagement, annoncé deux ans avant qu'il ait fait quelque bruit médiatique, a suivi celui de la fondation Safra . En revanche, le mécénat par l'intermédiaire du Cercle du Grand Théâtre a augmenté de 200'000 francs entre les saisons 2005-6 et 2007-8 .
Ø Les travaux, la mise à niveau de la bureautique, les créations de postes, le remplacement du personnel malade, démissionnaire ou démissionné, ainsi que l'engagement de personnel supplémentaire de plateau, font le reste du manque permanent de financement. Les frais généraux, l'adaptation des locaux, de la bureautique et de l'informatique entraînent également des dépenses supplémentaires, parfois non budgétées.
Ø Les réformes à engager par le GTG lui coûteront plusieurs millions en quatre ans. La direction sortante a estimé à 2,7 millions sur deux ans le coût de la création de cinq directions spécifiques (des ressources humaines, administrative et financière, technique, des publics et de la production). Ce coût a pu être réduit de quelques centaines de milliers de francs par des économies de fonctionnement, et par une réduction de la programmation, également pour quelques centaines de milliers de francs (cette réduction entraînant cependant une réduction des recettes), mais un apport financier par la Ville ou d'autres collectivités publiques, est resté indispensable.
Ø Pour éponger une partie du déficit de la saison, la programmation a été réduite. Mais cette réduction est de loin insuffisante à compenser le manque de financement, d'autant que réduire la programmation aboutit à réduire les recettes des spectacles qui, avec les autres recettes d'exploitation, couvrent à plus de 90 % les frais directs de production des spectacles, et pour conséquence de réduire, sur les coûts globaux de l'institution, la part relative de son activité artistique par rapport à ses coûts de fonctionnement.

Actuellement, le Grand Théâtre a besoin chaque année de deux à deux millions et demi de plus que ce qu'il reçoit, pour pouvoir équilibrer réellement ses budgets et ses comptes. La question est toujours de savoir : qui va payer ? Et la réponse est toujours la même depuis des décennies : la Ville.

Outre ce besoin structurel d'un financement accru, le GTG a besoin actuellement d'un financement conjoncturel supplémentaire, dû aux conséquences directes et indirectes de la crise qu'il a traversée depuis deux ans, et aux préconisations des deux audits effectués du fait de cette crise. Qui est responsable de cette crise, et qui devrait donc en assumer les conséquences financières ? La Ville ou le GTG lui-même ? Le principal reproche que l'on peut faire à la Ville en général, et au Conseil administratif en particulier, c'est d'avoir réagi trop tard, d'avoir laissé trop longtemps la fondation faire ce qu'elle veut, dire ce qu'elle veut, gérer le conflit comme elle l'entendait (et elle n'entendait pas grand chose...). Ce retard à réagir est certes regrettable, mais doit-il avoir pour conséquence de faire payer à la Ville les effets financiers d'une crise dont elle n'est directement ni responsable, ni coupable ?

Quatrième élément incontestable : la structure institutionnelle et professionnelle du GTG date pour l'essentiel des années soixante. Jusqu'aux réformes engagées lors de la dernière saison, le GTG, c'était :
Ø une institution sans direction des ressources humaines mais employant de manière stable 300 personnes, et au total 600 personnes, artistes au cachet et employés temporaires compris,
Ø une institution pesant 50 millions de francs annuels, sans direction financière;
Ø un opéra de dimension internationale sans direction administrative et dont le directeur artistique devait faire le travail d'un directeur financier et d'un directeur des ressources humaines, faute de ces directeurs.

De ces éléments incontestables, on en arrive aujourd'hui à deux choix inacceptables -et d'autant moins acceptables qu'ils sont récurrents :
1. Faire payer la Ville à chaque fois que le GTG a besoin de fonds supplémentaires
2. Renoncer à chercher à faire payer le canton : aucune démarche sérieuse n'a jamais été faite en ce sens, aucune proposition n'a été déposée au Grand Conseil, et l'apport du canton au financement du GTG est depuis dix ans plafonné à 50'000 francs annuels -soit un millième et demi du seul apport de la Ville...

La question, aujourd'hui, n'est pas financière, mais politique. Il ne s'agit pas de savoir si la Ville peut payer -elle le peut, puisqu'elle le fait- mais de savoir si elle doit payer, continuer de payer, payer toujours plus, payer comme toujours, et payer pour toujours.
Si les demandes de financement supplémentaire auxquelles le Conseil municipal doit régulièrement répondre (garanties de déficit, subventions extraordinaires, crédits d'équipement) sont toujours " exceptionnelles " par leurs raisons (ou leurs prétextes), elle ne sont nullement exceptionnelles en tant que demandes faite à la Ville d'un financement supplémentaire : depuis cinq ans, chaque année, une demande semblable a été faite, sous une forme ou une autre. Et chaque année, la Ville a payé :

Ø Pour la saison 2004-2005, le GTG a reçu de la Ville, en plus de la subvention ordinaire, une garantie de déficit (qui n'est autre qu'une subvention extraordinaire qui n'ose pas dire son nom, puisqu'on sait que le déficit qu'on garantit sera constaté) d'un million.
Ø Pour la saison 2005-2006, même procédé : une garantie de déficit d'un million, en plus d'une augmentation d'un million de la subvention ordinaire et d'un financement extraordinaire de travaux de plus d'un demi-million
Ø Pour la saison 2006-2007, et pour sauver le Ballet (que la fondation voulait supprimer), le GTG a reçu une subvention augmentée de 2,5 millions, plus un financement extraordinaire de travaux de près de 450'000 francs.
Ø Pour la saison 2007-2008, en plus d'une augmentation de 300'000 de l'apport du fond d'équipement communal (financé pour un tiers par la Ville), c'est une subvention extraordinaire de deux millions et demi que le Conseil municipal a accepté de verser, en plus de la subvention ordinaire...
Chaque année, la Ville a payé. Il n'y aurait donc aucune raison que ça s'arrête, d'autant que, de son côté, le canton ne donne toujours pas un fifrelin de plus que ses ridicules 50'000 balles annuels...

Cela étant, il est possible de conjuguer la position de principe défendue longtemps par le PS, et à laquelle nous n'avions aucune raison de renoncer, à l'exigence d'un apport financier supplémentaire à court terme pour " mettre le GTG à niveau ", et lui permettre de se réformer, conformément à la fois aux recommandations des audits et aux accord passés (et encore à passer) avec le personnel et les syndicats.
Il y a donc un bon usage possible de la crise qui a abouti à la commande du double audit entamé à fin 2006, et qui aboutit aussi aux problèmes financiers actuels.

Ø Les changements apportés à la composition du Conseil de fondation, à sa présidence et à son bureau sont plus que bienvenus : ils étaient indispensables.
Ø La réintégration des employées et employés " déplacés " pour les punir de leur action de dénonciation de cas de mobbying et de harcèlement est une mesure de justice élémentaire.
Ø Les premières mesures d'intégration dans la fonction publique municipale d'employés auparavant sous contrat de droit privé avec la fondation peuvent signifier que la situation ayant prévalu jusqu'ici, celle d'une institution de droit public devant son existence au soutien financier de la collectivité publique, mais dont la moitié du personnel est sous contrat de droit privé, était et reste inacceptable, comme était et reste ingérable le maintien de deux statuts différents, et inégaux, du personnel de la même institution. Nous devrions nous prononcer, en principe, pour l'unification à terme du statut du personnel permanent du GTG dans le statut de la fonction publique municipale (à l'exception du personnel artistique et du directeur général). Les modalités et le rythme de cette unification (dont la charge financière pourrait, à terme, représenter l'essentiel du soutien matériel de la Ville au GTG, la subvention d'exploitation " passant " au canton) restent évidemment à étudier sérieusement, et en commun, par le CA, la Fondation et les organisations du personnel.

Ø La création formelle d'une commission unique du personnel, qu'il soit sous statut de la fonction publique ou sous contrat de droit privé, permet une meilleure représentation de l'ensemble du personnel du GTG, et lui donne un plus grand poids, d'autant qu'il est désormais représenté (à titre consultatif, du moins pour l'instant) au sein du Conseil de fondation -ce qui était d'ailleurs la moindre des choses. L'ouverture d'un dialogue sérieux avec les syndicats et la commission du personnel, et la volonté affirmée du nouveau Conseil de fondation de respecter les droits syndicaux participe de la même évolution positive : mieux vaut tard que jamais.
Ø Mieux vaut tard que jamais aussi s'agissant de la création d'une direction collective réunissant, autour de la direction générale et artistique, une direction administrative (remplaçant le secrétariat général), une direction financière et une direction des ressources humaines. Il conviendrait cependant d'y associer les directions spécifiques du Ballet et du chœur.
Ø Il conviendrait également de réaffirmer, et pas seulement rhétoriquement, la nécessité d'un partage de la charge financière du Grand Théâtre avec le canton, et donc de s'opposer à l'octroi par la Ville de toute nouvelle subvention extraordinaire, ou de tout crédit extraordinaire, ou de toute garantie de déficit, tant que les conditions suivantes ne seront pas remplies :
· Un financement cantonal (et non un financement intercommunal, par exemple par le Fonds d'équipement communal) équivalant au moins à la moitié du financement additionnel nécessaire
· La conclusion d'une convention quadripartite et quadriennale de financement du GTG entre la Fondation du GTG, la Ville de Genève, l'ACG et le canton, conformément à la motion M-394 acceptée par le Conseil municipal le 7 octobre 2003. Cette convention remplacerait l'actuelle convention Ville/Fondation.
Ø A terme, nous devrions défendre (notamment dans la Constituante) le principe d'une cantonalisation du GTG, c'est-à-dire de la substitution du canton à la Ville comme autorité de surveillance et comme collectivité accordant la subvention d'exploitation annuelle, la Ville continuant à assumer ce qu'elle assume actuellement en plus de la subvention (mise à disposition de personnel municipal, entretien du bâtiment, " subventions en nature " etc…).
Ø Les statuts de la fondation du GTG devraient être modifiés le plus rapidement possible dans le sens suivant :
· Réduction du nombre de membres du Conseil de fondation nommés par le Conseil administratif, maintien de la présence d'un-e conseiller-e administratif-ve (celui/celle chargé-e du DC), ou d'un représentant du DC, au Conseil de fondation (et au bureau)
· Représentation du personnel au Conseil de fondation (avec droit de vote)
· Représentation du Cercle au Conseil de fondation (avec droit de vote)
· Fixation à cinq du nombre de représentant-e-s du Conseil municipal (actuellement, le nombre dépend du nombre de groupes au Conseil : plus il y a de groupes, plus il y a de représentants, à raison d'un-e par groupe -le statut actuel parle même de " partis ". Résultat : quand feue l'Alliance de gauche s'était scindée en deux groupes, solidaritéS et PdT-indépendants, chacun avant un-e représentant…)
· Présence (à titre consultatif) des directions du ballet et des chœurs au Conseil de fondation
· Redéfinition des compétences du bureau, restriction de la délégation de compétence du Conseil de fondation au bureau
· Ouverture du Conseil de fondation à une représentation de l'ACG et du DIP (sous réserve de l'octroi par eux d'une subvention régulière), conformément à la motion M-393 acceptée par le Conseil municipal le 7 octobre 2003.
· Transfert de la Ville au canton de l'autorité de surveillance et de la charge de la subvention d'exploitation

Sur le fond
Le Grand Théâtre est à Genève le meilleur exemple de ces institutions culturelles d'importance pour le moins régionale, mais dont le financement reste essentiellement municipal (si l'on fait abstraction de sa capacité d'autofinancement partiel). Reconnu pour la qualité de ses productions, essentiel au " tissu " (ou plutôt au réseau) culturel genevois (11), seul théâtre lyrique de la région genevoise (12), seule institution pérenne (puisque publique) capable de représenter l'opéra, présent " internationalement " (en témoignent à la fois ses tournées et l'audience internationale de ses représentations à Genève même), désireux enfin de renforcer cette présence, le Grand Théâtre n'a plus rien de municipal, sinon son financement. Or il n'y a pas d'opéra " bon marché " : l'institution et le genre même qui y est représenté coûtent cher (13) (et coûteront de plus en plus cher), la première pour être maintenue, le second pour être représenté (14) ; comme on ne peut être à la fois un opéra de prestige et un théâtre municipal, il faudra donc bien que l'on fasse le pas menant du Grand Théâtre municipal à l'Opéra régional, sachant que l'on ne peut prétendre durablement assurer le second par le financement du premier, et qu'il y a quelque chose d'absurde à " asseoir " sur le seul financement (et le seul contrôle) municipal un opéra capable de se déplacer (matériel, décors et personnel compris) jusqu'à Mexico pour y représenter deux ouvrages lyriques et deux ouvrages chorégraphique.

La réduction du débat de fond à une alternative simpliste du genre " Genève ne peut pas entretenir son Grand Théâtre sans y mettre les moyens. Mais elle pourrait par contre tout à fait se priver d'opéra " n'est pas, non plus acceptable politiquement, même (ou surtout) dans la bouche du Conseiller administratif en charge de la culture (15), et même si ainsi exprimée, cette alternative a toutes les apparences d'une évidence. Le choix ne se fait pas entre " un opéra à n'importe quel prix " et " pas d'opéra du tout " : il se fait entre un opéra régional financé régionalement, et un opéra toujours régional mais financé municipalement. Certes, le " besoin " d'opéra n'est pas, au sens strict, un besoin social. Genève a " besoin " d'un service du feu, d'un service de voirie, d'un service des eaux, pas d'un Opéra. Genève a un Opéra parce qu'elle en a envie et qu'elle a fait le choix de satisfaire cette envie. L'existence de l'Opéra ne relève ni d'une obligation, ni d'une nécessité, ni de la moindre rationalité économique, mais d'un choix politique, parfaitement volontariste. Genève pourrait se passer du Grand Théâtre. Si elle a décidé de ne pas s'en passer, elle n'a jamais été contrainte à cette décision. Genève a un Opéra parce qu'elle a choisi d'en avoir un, et d'y mettre le prix. Cela posé, reste à assumer ce choix. Or il ne peut être réellement assumé tant qu'il reposera sur la seule volonté de la seule municipalité de la Ville.

Le Grand Théâtre est l'Opéra de la région, payé par la commune. Il n'est probablement plus personne, ni au sein du Conseil de Fondation de l'institution ni au sein du Conseil municipal (et du Conseil administratif) de la Ville qui n'ait conscience, plus ou moins confusément, et que cela soit exprimé ou non, que cette situation ne peut durer, et que la Ville ne peut (politiquement, plus encore que financièrement) continuer à supporter seule ou presque la charge financière de la plus " grosse " institution culturelle de la région -de même qu'à l'inverse, le Grand Théâtre ne peut continuer à dépendre si étroitement qu'actuellement de la seule source municipale de financement public. Si rien n'est changé à la structure du financement public du Grand Théâtre, l'alternative restera donc celle à laquelle depuis des années le GT et la Ville sont confrontés : ou bien l'effort financier de la Ville augmente année après année, (en plus de l'indexation de la subvention d'exploitation, puisque l'opéra est un secteur économique sur-inflationniste), pour maintenir l'outil de production à un niveau quantitatif et qualitatif constant ; ou bien la municipalité maintient son effort à un niveau constant, en termes réels, mais en l'absence de financement public additionnel le GT manquera de moyens et, comme l'écrit le Conseil de fondation dans son " commentaire " au budget 2005-2006, il faudra " envisager des coupes structurelles " à son budget, coupes structurelles dont apparemment la victime (expiatoire) est d'ores et déjà désignée, une fois pour toutes: le Ballet. Mais quelles qu'en soient les victimes, et même si plutôt que de supprimer le Ballet la Fondation décidait de réduire la programmation lyrique, ces coupes structurelles affaibliraient la capacité du GT à jouer le rôle central qui est le sien dans le tissu culturel genevois.

Une institution culturelle, si importante soit-elle, est toujours fragilisée par sa dépendance à l'égard d'une source de financement unique, ou hégémonique, à plus forte raison lorsqu'il s'agit d'une source de financement publique soumise aux décisions d'organes politiques qui sont toujours le lieu de rapports de force, et souvent celui de marchandages, politiques. Si la puissance publique est pérenne, ses décisions sont changeantes. La multiplicité des sources de financement de la culture est donc une condition de la liberté culturelle, ce que d'excellents auteurs confirment : " La meilleure protection du statut des artistes et de leur rôle, ce sont les structures complémentaires de subventionnement. Je suis totalement contre le guichet unique, contre le désenchevêtrement, parce que, quand la femme ou l'homme politique passe, la liberté artistique doit demeurer. Et le fait d'être exposé à un seul prince me semble être le pire des dangers " (Charles Beer ) (16).

C'est en refusant d'admettre la nécessité de la recherche d'autres sources de financement public que l'on met le plus gravement en danger l'institution que l'on affirme par ailleurs vouloir préserver : cela vaut pour le Grand Théâtre comme pour le Théâtre de Carouge, pour la culture comme pour les autres champs d'intervention publique (du moins si l'on parle d'institutions pérennes, et pas de sociétés anonymes faillibles) et à Genève comme ailleurs. Le PS ne doit pas lâcher cet os là, quelle que soit la situation financière de la Ville ; ce n'est pas pour " faire des économies " qu'il faut se battre pour le partage des responsabilités publiques en matière d'institutions culturelles, mais pour accroître l'implication de toutes les collectivités publiques de la région dans la politique culturelle de la région, et pour ouvrir encore plus cette politique culturelle à de nouvelles formes d'expression, et à de nouveaux discours culturels.

" Il faut montrer qu'une politique culturelle ne produit pas une esthétique d'Etat. (…) L'institution doit être un lieu de liberté, de division, de confrontation politique "
(Olivier Py, " Le Monde " du 4 mai 2007)

La politique culturelle ne se réduit pas à la politique du patrimoine, c'est-à-dire à la représentation (et à l'entretien) de la création passée. Elle doit aussi porter sur la création présente, dite par pléonasme " contemporaine " ou " vivante ", et cela sans exclusive et en renonçant a priori à définir une culture officielle. La programmation du directeur général sortant du GTG a, de ce point de vue, manifesté un souci d'ouverture à la création contemporaine qu'il convient de saluer encore une fois, même (ou à plus forte raison) si l'ensemble du public " habituel " (ou habitué) du GT ne s'y est pas retrouvé, même (ou à plus forte raison) si la réussite de la politique artistique de la direction a été " plombée " par sa gestion et sa conception des relations avec le personnel et les syndicats, et même (ou surtout) si la programmation annoncée par le nouveau directeur général menace d'être beaucoup plus prudente, pour ne pas écrire conformiste.

Si nous nions au pouvoir politique (même municipal) tout droit à déterminer les formes de la culture (s'arrogerait-il ce droit, d'ailleurs, qu'il serait bien en peine d'en concrétiser l'ambition), nous devrions bien lui imposer l'obligation de concentrer ses efforts sur la part la plus novatrice de la création et de la représentation culturelles, c'est-à-dire la part qui nécessite un soutien public parce qu'elle ne représente pas (ou pas encore) un " marché " culturel, une source de profit possible pour le secteur privé.

C'est par leurs marges que tiennent ensemble les pages des livres ; c'est par leurs marges aussi que tiennent les réseaux culturels. Un soutien à la création culturelle implique donc un soutien à ce qui est, au départ, création dans les marges. La collectivité a à la fois le devoir de soutenir la création culturelle marginale et celui de réduire ce soutien lorsque cette création (ou sa représentation) devient institution, patrimoine ou marché, et conquiert un terrain (marchand ou social) où d'autres sources de financement se font jour.

Ainsi, la part actuellement affectée aux grandes institutions culturelles (dont le GTG) des ressources affectées par les collectivités publiques, et en premier lieu par la Ville, à la culture, doit-elle être réduite, pour que la part et le volume affectés à la création non-institutionnelle puissent être accrus -ce que 61,7 % des personnes interrogées à Genève en 1996 souhaitaient. Cette réduction de la part " institutionnelle " des ressources culturelles, au profit de leur part " non institutionnelle ", pourrait -ou devrait- se traduire par le transfert au canton de la subvention municipale d'exploitation du GTG : ce seraient ainsi 15 millions de plus qui seraient disponibles pour soutenir la culture émergente et l'expérimentation culturelle.

Le problème de la répartition de la charge financière des institutions culturelles entre les collectivités publiques est posé en termes explicitement politiques : il ne s'agit pas de " faire des économies " pour réduire déficit ou dette, mais de définir une politique culturelle, d'en partager la charge, et d'en répartir les ressources.

NOTES

(11) Le Conseil de fondation, dans ses commentaires sur les comptes 2003-2004, estime -de manière quelque peu autoproclamatoire- que le GT joue un rôle de " modèle à suivre ", et souligne que les " retombées " de son activité " rejaillissent (…) sur l'ensemble des acteurs culturels du canton par un effet d'entraînement "… métaphore dont la lourdeur stylistique ne doit pas empêcher l'approbation, puisqu'elle constate ce qui, effectivement, qualifie le rôle d'une institution culturelle dans un " paysage culturel " régional.

(12) Et l'un des trois ou quatre opéras d'importance plus que locale en Suisse (à titre de comparaison, la France en compte une vingtaine)

(13) Si l'Opéra de Genève coûte cher à la Municipalité, son coût global n'atteint de loin pas celui des grands opéras européens, et sa situation financière n'est de loin pas aussi déséquilibrée que celle de ses homologues. A titre de comparaison, le budget de la Scala de Milan atteint les 115 millions d'euros, soit entre quatre fois plus que le coût total du GTG pour la Ville, et cinq fois plus que le budget du GTG (pour 2,5 fois plus de spectateurs et un personnel deux fois et demi plus important). En outre, les comptes de la Scala sont en déficit régulier de 500'000 à 1 million d'euros par année, et l'institution a dû prélever 7,5 millions d'euros sur son propre patrimoine pour équilibrer ses comptes 2004. En 2004, la Scala a reçu 44 millions d'euros de subventions publiques (en gros, quatre fois plus que le GTG) et l'Opéra de Paris 94 millions (mais pour deux scènes, et l'emploi de 1600 personnes). … En revanche, la charge du Grand Théâtre pour la collectivité publique reste, en comparaison européenne, assez considérable : les treize principaux opéras italiens ont reçu, ensemble en 2004, 104 millions d'euros des collectivités locales, soit, à treize, quatre fois plus que le seul opéra genevois (ou, en moyenne par opéra, trois fois moins…), 239 millions d'euros de l'Etat central et 95 millions des mécènes et sponsors privés. Le problème n'est donc pas un problème de coût global (l'opéra genevois est plutôt moins onéreux financièrement que ses homologues européens), mais un problème de répartition de ce coût (il repose à Genève de manière disproportionnée sur la seule collectivité locale). En Italie, l'Etat central donne deux fois plus, et les " privés " autant, que les collectivités locales pour les opéras (en 2004, pour treize institutions lyriques : 239 millions d'euros de l'Etat central, 104 millions des collectivités locales, 95 millions des " privés ")

(14) Le coût de l'opéra, comme mode d'expression culturel, c'est-à-dire le coût de toute représentation lyrique, exclut d'ailleurs que l'on puisse raisonnablement attendre de mesures d'économies portant sur la programmation qu'elles soulagent réellement la Ville de la charge financière de l'opéra. A titre d'exemple, lorsqu'à l'examen du budget de la saison 2007-2008, et pour l'équilibrer, le Conseil de fondation a cherché où il pourrait faire des économies, il s'est penché sur l'hypothèse de la déprogrammation d'un opéra, ou de sa réduction en version de concert, en prenant comme " cibles " Lohengrin, d'une part, et Les Voyages de Monsieur Broucek d'autre part. Compte tenu des recettes escomptées pour chacune de ces deux œuvres, leur déprogrammation aurait ferait perdre plus qu'elle n'auraient ferait économiser, avec pour le Wagner une perte sèche d'un demi-million , et de près de 560'000 francs pour le Janacek. Quant à leur réduction à une version de concert, elle aboutissait à une perte de près de 400'000 francs pour le Wagner et de près de 500'000 francs pour le Janacek. Des " économies " de programmation ne sont donc pas des économies budgétaires, au contraire -outre qu'elles remettent en cause la fonction même de l'institution…

(15) A qui Le Courrier attribue ces propos, tenu lors du débat au Conseil municipal, le 17 mai 2005 sur la demande de crédit (de 6,4 millions) pour la rénovation des ponts de scène du GT. Pour Patrice Mugny, réduire la charge financière du Grand Théâtre ne pourrait se faire qu'en supprimant le Baller, en exportant la réalisation des décors (ce qui priverait des artisans genevois de travail) ou en baissant la qualité ou le nombre de spectacles, au détriment des rentrées financières (Le Courrier du 8 juin). Autant dire -et nous sommes de cet avis- qu'on ne peut espérer " faire des économies " sur le budget du GTG, et que la question est bien celle d'un partage de son financement.

(16) in Journal de l'ADC, janvier-mars 2005

vendredi 4 septembre 2009

Contextes

Rapport (saison 2008-2009) du représentant du PS au Conseil de fondation du Grand Théâtre :
Le rapport complet (au format PDF) peut être téléchargé à l'adresse suivante :
http://www.perso.ch/troubles/RapportGTG-PSvG.pdf

Contextes

A. Contexte politique
Le Grand Théâtre est une vache sacrée, vénérée comme telle même au sein de l'Alternative : quand la vache meugle, le fidèle s'alarme. Quand le Grand Théâtre demande, le Conseil municipal accorde. Quand au Conseil municipal quelques nihilistes s'avisent de contester les demandes du Grand Théâtre, ils et elles restent structurellement minoritaires. Siéger au Conseil de Fondation du Grand Théâtre, c'est donc siéger dans la panse de la vache sacrée. On peut tenter d'y jouer un autre rôle que celui de l'enzyme digestif, mais, faute de relais majoritaire au Conseil municipal, c'est le plus souvent se retrouver à peu près seul à le tenter. Tel fut régulièrement le cas du socialiste de service jusqu'aux changements imposés par la crise de l'institution.

Le Grand Théâtre est la plus lourde (financièrement et symboliquement) des institutions culturelles dont la Ville de Genève assume le financement et assure la surveillance. Par le fait même, le GT est donc aussi l'institution culturelle sur laquelle des propositions de réforme du partage des responsabilités de la politique culturelle genevoise pourraient avoir le plus d'impact financier et politique. Les propositions faites par le PS sur ce thème prennent d'ailleurs, fort logiquement, le GT comme l'une des " cibles " privilégiées d'une redéfinition des charges et des responsabilités entre les différents acteurs institutionnels de la région (canton, communes), et c'est tout aussi logiquement à propos du GT que nos propositions ont suscité le plus de polémiques, et que l'incohérence du financement public de la culture à Genève s'est révélée le plus clairement, lorsque pour assurer le maintien de sa subvention, la Fondation du Grand Théâtre a menacé de supprimer le Ballet du Grand Théâtre.
L'importance du GT dans le " paysage culturel " genevois, et le fait qu'il s'agisse de la principale institution subventionnée par la Ville, devrait lui imposer de mener en tant qu'employeur une politique d'autant plus exemplaire qu'elle est payée, pour deux tiers, par des fonds publics. De ce point de vue, la persistance d'un " statut à deux vitesses " au sein du GT (statut du personnel municipal et statut du personnel employé par la fondation) posait, et pose toujours (17) un problème politique, aggravé par le refus du Conseil de fondation précédent d'accepter de rencontrer les syndicats, et par la surdité persistante (et volontaire) dudit Conseil de fondation et de son bureau aux plaintes du personnel.

La présence et les prises de position d'un représentant du PS au Conseil de Fondation du GT, et les prises de position du PS sur les demandes de subvention de la Fondation du GT (que ces prises de position soient ou non suivies d'effets), sont donc à inscrire dans ce contexte : celui d'un débat politique encore inabouti sur la charge de la politique culturelle genevoise en général, celle des grandes institutions culturelles plus spécialement, et celle du Grand Théâtre en particulier, et d'un mode de fonctionnement du Conseil de fondation du Grand Théâtre qui le rendait incapable d'assumer les responsabilités qui sont, théoriquement (et légalement) les siennes en tant qu' " organe suprême " de la Fondation. Les positions socialistes en la matière (si l'on veut bien accorder à l'auteur du présent rapport que ses positions pussent, de temps à autre, être conformes à celles du parti, et que celles du parti socialiste pussent être parfois socialistes) ont certes pu être débattues au sein du Conseil de fondation du GT comme au sein du Conseil municipal, mais en étant minoritaires dans ces deux instances -et en étant même stigmatisées au sein du Conseil de fondation comme " minant le Grand Théâtre ". On notera au passage que si la Ville assure financièrement l'existence et le fonctionnement du Grand Théâtre, la majorité politique de la Ville est minoritaire au sein du Conseil de fondation, et les positions socialistes souvent minoritaires au sein de cette minorité. Si l'on s'en tient aux membres du Conseil qui y disposent du droit de vote, l'Alternative n'y disposait jusqu'aux élections de 2007 que cinq voix sur une quinzaine (quatre des représentants du Conseil municipal plus le Conseiller administratif en charge du DAC), et n'adoptait que rarement une position commune.
Avec une lenteur fort helvétique, il semble toutefois que les positions socialistes pourraient, si les socialistes en font l'effort, faire quelque chemin, notamment au sein de l'Alternative, et qu'en particulier la nécessité d'une " régionalisation " du financement public de l'institution, et d'une sécurisation de celui du Ballet, soient de mieux en mieux perçue, quoi qu'ils en disent (ou puissent en dire), par les membres du Conseil de fondation (18), par la Ville, voire par le canton. La politique budgétaire cantonale, pourrait cependant rendre illusoire tout partage de cette charge -on se souviendra au passage de la tentative de la droite et des Verts de transférer aux communes la quasi-totalité des responsabilités culturelles assumées par le canton, tentative contrée par la mobilisation des milieux culturels après que l'alarme ait été donnée par une rupture de collégialité gouvernementale, du fait des conseillers d'Etat socialistes (et en particulier de Charles Beer).

Au moment de la demande de subvention, c'est à la Ville que s'adresse le Grand Théâtre, et c'est la Ville qui paie, sans rechigner, d'autant que ses finances sont (malgré le canton) meilleures que celles du canton, et passent (toujours malgré le canton) par une période moins troublée que celle que nous avions naguère utilisée comme prétexte (conjoncturel) à nos tentatives (structurelles) de redéfinir le financement des institutions culturelles. En clair : comme il y a encore suffisamment d'argent dans les caisses municipales pour assurer une subvention presque exclusivement municipale au Grand Théâtre, la Ville n'a pas (encore ?) exprimé clairement la volonté politique de mener le combat non moins politique, menant à un partage des responsabilités dans le financement culturel régional (ce qui lui aurait imposé de partager le pouvoir sur et dans la principale institution culturelle du canton -l'école mise à part). On notera cependant que les réductions d'impôts proposées par la droite et les Verts, et sur lesquelles le bon peuple votera fin septembre 2009, auront pour effet mécanique de priver la Ville de rentrées fiscales équivalant grosso modo au coût du Grand Théâtre pour les finances municipales.
La Ville n'est pas seule " fautive " de l'absurdité du financement de la principale institution culturelle de la région : le canton y a sa part, et le Grand Théâtre lui-même peut être tenu pour responsable de sa propre précarité : jusqu'à la " crise du Ballet " (donnons lui ce nom par commodité d'expression, puisque le sort du Ballet y fut en jeu, mais retenons tout de même que ce n'était pas le Ballet en tant que tel mais le budget de la fondation du Grand Théâtre qui était en crise), la Fondation n'avait pas vraiment incité la Ville à " partager son pouvoir " en partageant sa charge financière, et le canton lui-même n'avait pas montré une très grande disponibilité à ce sujet, chacun se satisfaisant de la pratique en vigueur depuis 1930 (au moins) -tout en sachant plus ou moins confusément qu'elle n'est plus tenable, même si ce sont moins des raisons financières que des raisons politiques qui militent pour une nouvelle répartition des charges, des tâches et des responsabilités (19).

B. Contexte institutionnel
La Fondation du Grand Théâtre est une fondation communale de droit public, instituée par une loi cantonale, et dont l'autorité de surveillance est l'exécutif de la Ville de Genève (20).

Le Conseil de fondation avait réélu en septembre 2006 (par 8 voix et une abstention) Bruno de Preux à son poste de président de la fondation (21) . Robert Roth avait également été réélu à la vice-présidence (avec 7 voix, moyennant une abstention) et Marie-France Spielmann, à l'unanimité (22) au secrétariat. Après la profonde crise traversée par le GTG en 2006 et 2007, le Conseil de fondation a été partiellement renouvelé -et son bureau totalement renouvelé : le Conseil administratif a d'abord nommé les cinq membres qu'il lui incombe statutairement de nommer au Conseil de fondation, sans pour autant que ces membres soient les représentants du CA -ils sont nommés pour leurs qualités personnelles (23) : Lorella Bertani, Guy-Olivier Segond, Guy Demole (ancien président de la Fondation), Martine Koelliker (codirectrice du Département de la Culture) et François Duchêne (ancien Secrétaire général du GTG). Les Conseillers administratifs Patrice Mugny et Manuel Tornare (qui succède donc à Pierre Muller) siégent également, de droit, au Conseil de fondation. Le 25 juin, le Conseil municipal a désigné (24) ses sept représentants (un par parti, en réalité un par groupe) (25) en les personnes de Florence Kraft-Babel (libérale, sortante), André Klopmann (Vert, sortant) et Pascal Holenweg (PS, sortant), ainsi que Bernard Lescaze (radical, nouveau), Jean-Luc von Arx (PDC, nouveau) (26), Jacques Haemmerli (UDC, nouveau sous cette étiquette mais ancien représentant du parti radical limogé par ledit parti) et Jean Spielmann (AGT, nouveau). Au moment de nommer ses représentants, le Conseil administratif a annoncé qu'il proposait Lorella Bertani à la présidence de la fondation, et Guy Demole à la vice-présidence. Le 29 août, lors d'une réunion informelle, la quasi unanimité des membres du Conseil qui entrait en fonction le 1er septembre ont accepté cette proposition -de même que celle de nommer Bernard Lescaze comme troisième membre du bureau du Conseil (bureau auquel siègent également les deux Conseillers administratifs délégués au Conseil de fondation, Patrice Mugny et Manuel Tornare, et qui s'adjoindra la collaboration de Guy-Olivier Segond). En outre, le nouveau Conseil de fondation a accepté de s'adjoindre un représentant du personnel, en la personne du président de la Commission du personnel fondation, Denis Chevalley. Ces désignations et cette adjonction ont été formellement validées lors de la première réunion du nouveau Conseil de fondation, le 3 septembre : Lorella Bertani a donc été élue à la présidence à l'unanimité moins une voix, Guy Demole à la vice-présidence et Bernard Lescaze au secrétariat, tous deux à l'unanimité.
En outre, le poste de Directeur-trice général-e du GTG a été remis au concours, pour entrée en fonction début juillet 2009 (le contrat du DG en place arrivant à échéance fin juin). Le communiqué du Conseil administratif précisait benoîtement que le directeur actuel, Jean-Marie Blanchard, dont le contrat arrivait à son terme deux ans plus tard, avait " toute latitude pour présenter sa candidature à ce poste " -il est vrai que nul ne s'attendait à ce qu'il le fasse (27).
Le poste de Secrétaire général a été supprimé et un-e directeur-trice des ressources humaines sera nommé, sous statut de fonctionnaire mais dépendant administrativement de la Fondation, ainsi qu'un-e directeur-trice technique (28) et un-e directeur-trice administratif-ve et financier-e.

Le Conseil de fondation se réunit généralement une fois par mois (hors les mois d'été), soit une dizaine de fois par année civile, mais dans les derniers mois de la crise qu'a traversée le GTG, la fréquence des réunions a doublé.

Le Conseil de fondation du GT (formé d'une quinzaine de membres) (29) est théoriquement l'instance directoriale de l'institution -il adopte un " règlement intérieur " qui, s'appuyant sur le statut du GT, lui confère ce rôle. Toutefois, depuis des années, et tout particulièrement pendant la période de la crise, il a joué le plus souvent pour son Bureau (30), voire pour la Direction générale (31) , le rôle d'une chambre d'enregistrement de leurs propositions, ce que même les représentants du Parti libéral et des Verts ont dénoncé, le premier (32) dans une lettre au président du Conseil de Fondation, en décembre 2002, à propos de la désignation du nouveau directeur du Ballet, le second dans une lettre au même président, à propos de la " confiance " votée, sans contenu et en méconnaissance des conditions posées, au directeur général, en décembre 2006. Les interventions " contestataires " sont donc très généralement minoritaires, parfois sanctionnées : les partis libéral et radical ont été plus ou moins explicitement invités par le bureau du Conseil de fondation à remplacer leurs représentants indociles, et se sont pliés à cette invitation, laquelle avait également été adressée, de manière réitérée, au PS -qui ne s'y est cependant pas plié.
Le pouvoir réel au sein du GTG étant détenu (comme dans toute institution du même type et de même importance) par la direction (33) et non le Conseil de fondation, celui-ci a tout de même à déterminer (quand il joue son rôle), ou à ratifier (quand il se contente d'être une chambre d'enregistrement) les grandes orientations " politiques " de l'institution : son budget (et donc la demande de subvention à la Ville), sa structure (unicité de l'opéra et du ballet, par exemple) et sa direction artistique, sinon sa programmation (laquelle relève de la responsabilité de la direction, sauf à transformer le Conseil de fondation en comité de censure ou en commissariat du peuple aux arts lyriques)…

La Ville de Genève est représentée au Conseil de Fondation par deux Conseillers administratifs (Patrice Mugny et Manuel Tornare) et un(e) représentant(e) de chaque groupe politique du Conseil municipal : pour l'Alternative, il s'agit de Jean Spielmann pour AGT, d'André Klopmann pour les Verts, et, jusqu'au 31 août 2009, du soussigné pour le PS. On notera qu'il n'y a guère d'unité spontanée des positions des différents représentants des différentes composantes de l' " Alternative " (non plus d'ailleurs que de celles des représentants des partis de l'Entente), hors les cas de votes quasi unanimes de tout le Conseil.

NOTES

(17) la municipalisation du personnel non artistique se fait à coups de deux, trois ou quatre postes par année -à ce rythme il faudra cinquante ans pour atteindre l'objectif d'un statut municipal unique, à supposer qu'on veuille l'atteindre

(18) Une démarche commune à l'ensemble des représentants du Conseil municipal au Conseil de fondation, tous partis confondus, a été effectuée auprès des députés au Grand Conseil en septembre 2005. Elle s'est matérialisée par une lettre adressée à la présidente d'alors du parlement, Mme Marie-Françoise de Tassigny, avec demande de la communiquer au Grand Conseil. Dans cette lettre, qui n'a obtenu aucune réponse, les huit représentants du Conseil municipal rappelaient que le GTG était fréquenté à raison d'au moins 60 % par des personnes résidant hors de la Ville de Genève, alors que la participation d'autres communes que la Ville au financement du GTG ne se faisait qu'indirectement et chichement, par l'intermédiaire du Fonds d'équipement communal, que le Grand Conseil s'apprêtait à assécher.

(20) … n'en déplaise au parti libéral qui feignait, en février 2007 (les élections municipales aidant), de découvrir une hypothétique contradiction formelle (il peut cependant y en avoir une, mais politique) entre la qualité d'autorité de surveillance du Conseil administratif et sa représentation par deux de ses membres au Conseil de fondation (et au bureau), et en déduisait la nécessité de transférer le pouvoir de surveillance au canton. Les juristes libéraux oubliaient opportunément que selon l'art. 84 du Code civil, les fondations de sont placées " sous la surveillance de l'autorité publique " (Confédération, canton, commune) dont elles relèvent par leurs buts. La culture étant à Genève une compétence municipale, la fondation structurant une institution culturelle relève donc, par ses buts, de l'autorité communale. Le parti libéral n'est d'ailleurs pas le dernier à vouloir dépouiller le canton des quelques prérogatives matérielles dont il dispose en matière culturelle, pour les basculer sur la Ville…

(21) Bruno de Preux avait été élu une première fois en 2001, puis réélu en 2002, 2003, 2004 et 2005 à la présidence.

(22) ce qui prouve que le Parti du Travail peut gagner des élections -quand il y a candidature unique…

(23) Au terme du mandat du Conseil de fondation nommé en 2003, Patrice Mugny a ainsi regretté que les cinq personnes que le Conseil administratif avaient désignées dans ce Conseil se soient retrouvées, toutes, en opposition au CA lors de la crise qui a secoué le GTG en 2006 et 2007.

(24) Avec un mois de retard, dû à la tentative absurde du Conseil administratif de modifier la composition du Conseil de fondation alors qu'elle est déterminée par des statuts que le CA ne peut modifier seul…

(25) Comme il y a un groupe de moins, les deux groupes issus de l'Alliance de gauche s'étant unifiés dans le groupe d' " A Gauche Toute ! ", il y a un représentant du Conseil municipal de moins -et un représentant de gauche de moins, dans la représentation du Conseil municipal (en revanche, il y a deux socialistes de plus au Conseil de fondation : la présidente de la Fondation et l'un des deux représentants du CA). Aucun des deux n'y siège cependant en tant que socialiste…

(26) Cette nomination équivaut à un limogeage du représentant précédent du PDC, Jacques Finet, qui aurait souhaité poursuivre son mandat.

(27) Mais nul, ne s'attendait non plus à ce qu'il réclame un million de francs (soit trois ans de salaire) au Conseil administratif pour " congé abusif ", alors qu'il n'y a pas eu de " congé "…

(28) Les mauvaises habitudes ne se perdant pas si facilement, le nouveau directeur technique a été engagé par le Conseil de fondation (à l'opposition près de l'auteur de ce rapport) lors d'un vote intervenu en " urgence ", sans que cet engagement figure à l'ordre du jour, sans que le Conseil ait jamais rencontré le seul candidat au poste, ni qu'un dossier de candidature ait été transmis au Conseil. Pour un poste rétribué 200'000 francs par an, le préavis impérieux du futur directeur général a donc suffi.

(29) Le nombre de membres du Conseil de fondation varie selon le nombre de groupes au Conseil municipal, puisque chaque groupe a droit a un représentant au Conseil de fondation

(30) Bruno de Preux (président), Robert Roth (vice-président), Marie-France Spielmann (secrétaire), Patrice Mugny, Pierre Muller (représentants du Conseil administratif)

(31) Jean-Marie Blanchard (Directeur général), Antonio Soragni (Secrétaire général), tous deux sous contrat de droit privé avec la Fondation. Le Directeur technique, Jacques Ayrault, (membre du personnel de la fondation) ne participe pas au Conseil de fondation.

(32) Alors André Kaplun

(33) C'est-à-dire le Directeur général et les directions spécifiques (ressources humaines, finances, technique etc…), ainsi que, pour ce qui concerne leurs domaines, les directions du Ballet et des chœurs.