vendredi 11 septembre 2009

QUATRE ELEMENTS INCONTESTABLES, DEUX REPONSES INACCEPTABLES

Rapport (saison 2008-2009) du représentant du PS au Conseil de fondation du Grand Théâtre
Le rapport complet (au format PDF) peut être téléchargé à l'adresse suivante : http://www.perso.ch/troubles/RapportGTG-PSvG.pdf

Résumé : QUATRE ELEMENTS INCONTESTABLES, DEUX REPONSES INACCEPTABLES

Premier élément incontestable : Le GTG est la principale institution culturelle de la région (hors l'école), il est, avec Zurich, l'une des deux grandes scènes lyriques suisses internationalement reconnue pour la qualité de sa programmation.

Deuxième élément incontestable : Cette institution culturelle régionale est essentiellement financée par une seule commune. Le GTG pèse en gros 45 millions de francs chaque année dans le budget de la Ville, qui contribue pour les deux tiers à son financement, soit par subvention directe à la Fondation, soit par prise en charge sur le budget de fonctionnement de la Ville (le tiers restant est constitué par l'apport du fonds d'équipement communal, l'autofinancement par les spectacles, les apports des sponsors et mécènes et l'aumône du canton). Bref : le GTG est un opéra municipal d'audience internationale...
Les ressources de la Ville n'étant pas indéfiniment extensibles, ce qui est consacré à une institution culturelle ne peut l'être à une autre, ni à la culture non institutionnelle. Ce que coûte le Grand Théâtre à la Ville, c'est autant que la Ville ne peut accorder à d'autres acteurs culturels genevois, et consacrer à la défense d'un espace culturel d'expérimentation.
On ajoutera que l'opéra, à la fois comme forme d'expression et comme type d'institution, coûte cher, qu'il n'y a pas d'opéra " bon marché ", que croire qu'on pourra équilibrer durablement le budget du GTG en rognant sur ses dépenses relève de l'illusion, et que réduire la programmation du GTG pour " faire des économies " n'aboutit qu'à réduire la capacité de l'institution à jouer son rôle.

Troisième élément incontestable : Le GTG a besoin d'argent -en plus de celui qu'il reçoit déjà. Depuis longtemps, il lui manque entre un et deux millions de ressources par année. C'est ainsi que le budget actualisé 2007-8 aboutissait à un déficit de 2,5 millions (le budget initial, à partir duquel a été fixée la subvention municipale, était équilibré), qui a dû être comblé par une subvention extraordinaire de la Ville. La réforme des structures de l'institution a elle-même un coût, qui s'ajoute à son coût de fonctionnement : ce coût, rendu nécessaire par l'obsolescence de ces structures, est lui aussi essentiellement assumé par la Ville, directement ou indirectement.
Ø Les recettes de billetterie sont régulièrement inférieures à celles prévues par le budget (qui les surestimait systématiquement en prévoyant des taux d'occupation de la salle toujours supérieurs à ceux constatés par les comptes : sur les comptes de la saison 2006-7, les recettes de billetteries étaient inférieures de 450'000 francs aux prévisions budgétaires). Le budget actualisé de la saison 2007-8 a baissé le taux moyen d'occupation de trois points (et les recettes brutes des spectacles de plus de 500'000 francs), en le faisant passer de 86,81 % à 83,53 %, tous spectacles confondus. C'était encore 3,53 % de trop : chaque année depuis dix ans le représentant du PS au Conseil de fondation critiquait des budgets fondés sur des hypothèses exagérément, et volontairement, optimistes en ce qui concerne les taux d'occupation, et demandait que ces taux soient fixés à un niveau atteignable plutôt qu'au niveau qu'on rêvait de les voir atteindre.
Ø La fondation Wilsdorf s'est désengagée du financement du GTG (qui y a perdu une subvention annuelle d'un million); ce désengagement, annoncé deux ans avant qu'il ait fait quelque bruit médiatique, a suivi celui de la fondation Safra . En revanche, le mécénat par l'intermédiaire du Cercle du Grand Théâtre a augmenté de 200'000 francs entre les saisons 2005-6 et 2007-8 .
Ø Les travaux, la mise à niveau de la bureautique, les créations de postes, le remplacement du personnel malade, démissionnaire ou démissionné, ainsi que l'engagement de personnel supplémentaire de plateau, font le reste du manque permanent de financement. Les frais généraux, l'adaptation des locaux, de la bureautique et de l'informatique entraînent également des dépenses supplémentaires, parfois non budgétées.
Ø Les réformes à engager par le GTG lui coûteront plusieurs millions en quatre ans. La direction sortante a estimé à 2,7 millions sur deux ans le coût de la création de cinq directions spécifiques (des ressources humaines, administrative et financière, technique, des publics et de la production). Ce coût a pu être réduit de quelques centaines de milliers de francs par des économies de fonctionnement, et par une réduction de la programmation, également pour quelques centaines de milliers de francs (cette réduction entraînant cependant une réduction des recettes), mais un apport financier par la Ville ou d'autres collectivités publiques, est resté indispensable.
Ø Pour éponger une partie du déficit de la saison, la programmation a été réduite. Mais cette réduction est de loin insuffisante à compenser le manque de financement, d'autant que réduire la programmation aboutit à réduire les recettes des spectacles qui, avec les autres recettes d'exploitation, couvrent à plus de 90 % les frais directs de production des spectacles, et pour conséquence de réduire, sur les coûts globaux de l'institution, la part relative de son activité artistique par rapport à ses coûts de fonctionnement.

Actuellement, le Grand Théâtre a besoin chaque année de deux à deux millions et demi de plus que ce qu'il reçoit, pour pouvoir équilibrer réellement ses budgets et ses comptes. La question est toujours de savoir : qui va payer ? Et la réponse est toujours la même depuis des décennies : la Ville.

Outre ce besoin structurel d'un financement accru, le GTG a besoin actuellement d'un financement conjoncturel supplémentaire, dû aux conséquences directes et indirectes de la crise qu'il a traversée depuis deux ans, et aux préconisations des deux audits effectués du fait de cette crise. Qui est responsable de cette crise, et qui devrait donc en assumer les conséquences financières ? La Ville ou le GTG lui-même ? Le principal reproche que l'on peut faire à la Ville en général, et au Conseil administratif en particulier, c'est d'avoir réagi trop tard, d'avoir laissé trop longtemps la fondation faire ce qu'elle veut, dire ce qu'elle veut, gérer le conflit comme elle l'entendait (et elle n'entendait pas grand chose...). Ce retard à réagir est certes regrettable, mais doit-il avoir pour conséquence de faire payer à la Ville les effets financiers d'une crise dont elle n'est directement ni responsable, ni coupable ?

Quatrième élément incontestable : la structure institutionnelle et professionnelle du GTG date pour l'essentiel des années soixante. Jusqu'aux réformes engagées lors de la dernière saison, le GTG, c'était :
Ø une institution sans direction des ressources humaines mais employant de manière stable 300 personnes, et au total 600 personnes, artistes au cachet et employés temporaires compris,
Ø une institution pesant 50 millions de francs annuels, sans direction financière;
Ø un opéra de dimension internationale sans direction administrative et dont le directeur artistique devait faire le travail d'un directeur financier et d'un directeur des ressources humaines, faute de ces directeurs.

De ces éléments incontestables, on en arrive aujourd'hui à deux choix inacceptables -et d'autant moins acceptables qu'ils sont récurrents :
1. Faire payer la Ville à chaque fois que le GTG a besoin de fonds supplémentaires
2. Renoncer à chercher à faire payer le canton : aucune démarche sérieuse n'a jamais été faite en ce sens, aucune proposition n'a été déposée au Grand Conseil, et l'apport du canton au financement du GTG est depuis dix ans plafonné à 50'000 francs annuels -soit un millième et demi du seul apport de la Ville...

La question, aujourd'hui, n'est pas financière, mais politique. Il ne s'agit pas de savoir si la Ville peut payer -elle le peut, puisqu'elle le fait- mais de savoir si elle doit payer, continuer de payer, payer toujours plus, payer comme toujours, et payer pour toujours.
Si les demandes de financement supplémentaire auxquelles le Conseil municipal doit régulièrement répondre (garanties de déficit, subventions extraordinaires, crédits d'équipement) sont toujours " exceptionnelles " par leurs raisons (ou leurs prétextes), elle ne sont nullement exceptionnelles en tant que demandes faite à la Ville d'un financement supplémentaire : depuis cinq ans, chaque année, une demande semblable a été faite, sous une forme ou une autre. Et chaque année, la Ville a payé :

Ø Pour la saison 2004-2005, le GTG a reçu de la Ville, en plus de la subvention ordinaire, une garantie de déficit (qui n'est autre qu'une subvention extraordinaire qui n'ose pas dire son nom, puisqu'on sait que le déficit qu'on garantit sera constaté) d'un million.
Ø Pour la saison 2005-2006, même procédé : une garantie de déficit d'un million, en plus d'une augmentation d'un million de la subvention ordinaire et d'un financement extraordinaire de travaux de plus d'un demi-million
Ø Pour la saison 2006-2007, et pour sauver le Ballet (que la fondation voulait supprimer), le GTG a reçu une subvention augmentée de 2,5 millions, plus un financement extraordinaire de travaux de près de 450'000 francs.
Ø Pour la saison 2007-2008, en plus d'une augmentation de 300'000 de l'apport du fond d'équipement communal (financé pour un tiers par la Ville), c'est une subvention extraordinaire de deux millions et demi que le Conseil municipal a accepté de verser, en plus de la subvention ordinaire...
Chaque année, la Ville a payé. Il n'y aurait donc aucune raison que ça s'arrête, d'autant que, de son côté, le canton ne donne toujours pas un fifrelin de plus que ses ridicules 50'000 balles annuels...

Cela étant, il est possible de conjuguer la position de principe défendue longtemps par le PS, et à laquelle nous n'avions aucune raison de renoncer, à l'exigence d'un apport financier supplémentaire à court terme pour " mettre le GTG à niveau ", et lui permettre de se réformer, conformément à la fois aux recommandations des audits et aux accord passés (et encore à passer) avec le personnel et les syndicats.
Il y a donc un bon usage possible de la crise qui a abouti à la commande du double audit entamé à fin 2006, et qui aboutit aussi aux problèmes financiers actuels.

Ø Les changements apportés à la composition du Conseil de fondation, à sa présidence et à son bureau sont plus que bienvenus : ils étaient indispensables.
Ø La réintégration des employées et employés " déplacés " pour les punir de leur action de dénonciation de cas de mobbying et de harcèlement est une mesure de justice élémentaire.
Ø Les premières mesures d'intégration dans la fonction publique municipale d'employés auparavant sous contrat de droit privé avec la fondation peuvent signifier que la situation ayant prévalu jusqu'ici, celle d'une institution de droit public devant son existence au soutien financier de la collectivité publique, mais dont la moitié du personnel est sous contrat de droit privé, était et reste inacceptable, comme était et reste ingérable le maintien de deux statuts différents, et inégaux, du personnel de la même institution. Nous devrions nous prononcer, en principe, pour l'unification à terme du statut du personnel permanent du GTG dans le statut de la fonction publique municipale (à l'exception du personnel artistique et du directeur général). Les modalités et le rythme de cette unification (dont la charge financière pourrait, à terme, représenter l'essentiel du soutien matériel de la Ville au GTG, la subvention d'exploitation " passant " au canton) restent évidemment à étudier sérieusement, et en commun, par le CA, la Fondation et les organisations du personnel.

Ø La création formelle d'une commission unique du personnel, qu'il soit sous statut de la fonction publique ou sous contrat de droit privé, permet une meilleure représentation de l'ensemble du personnel du GTG, et lui donne un plus grand poids, d'autant qu'il est désormais représenté (à titre consultatif, du moins pour l'instant) au sein du Conseil de fondation -ce qui était d'ailleurs la moindre des choses. L'ouverture d'un dialogue sérieux avec les syndicats et la commission du personnel, et la volonté affirmée du nouveau Conseil de fondation de respecter les droits syndicaux participe de la même évolution positive : mieux vaut tard que jamais.
Ø Mieux vaut tard que jamais aussi s'agissant de la création d'une direction collective réunissant, autour de la direction générale et artistique, une direction administrative (remplaçant le secrétariat général), une direction financière et une direction des ressources humaines. Il conviendrait cependant d'y associer les directions spécifiques du Ballet et du chœur.
Ø Il conviendrait également de réaffirmer, et pas seulement rhétoriquement, la nécessité d'un partage de la charge financière du Grand Théâtre avec le canton, et donc de s'opposer à l'octroi par la Ville de toute nouvelle subvention extraordinaire, ou de tout crédit extraordinaire, ou de toute garantie de déficit, tant que les conditions suivantes ne seront pas remplies :
· Un financement cantonal (et non un financement intercommunal, par exemple par le Fonds d'équipement communal) équivalant au moins à la moitié du financement additionnel nécessaire
· La conclusion d'une convention quadripartite et quadriennale de financement du GTG entre la Fondation du GTG, la Ville de Genève, l'ACG et le canton, conformément à la motion M-394 acceptée par le Conseil municipal le 7 octobre 2003. Cette convention remplacerait l'actuelle convention Ville/Fondation.
Ø A terme, nous devrions défendre (notamment dans la Constituante) le principe d'une cantonalisation du GTG, c'est-à-dire de la substitution du canton à la Ville comme autorité de surveillance et comme collectivité accordant la subvention d'exploitation annuelle, la Ville continuant à assumer ce qu'elle assume actuellement en plus de la subvention (mise à disposition de personnel municipal, entretien du bâtiment, " subventions en nature " etc…).
Ø Les statuts de la fondation du GTG devraient être modifiés le plus rapidement possible dans le sens suivant :
· Réduction du nombre de membres du Conseil de fondation nommés par le Conseil administratif, maintien de la présence d'un-e conseiller-e administratif-ve (celui/celle chargé-e du DC), ou d'un représentant du DC, au Conseil de fondation (et au bureau)
· Représentation du personnel au Conseil de fondation (avec droit de vote)
· Représentation du Cercle au Conseil de fondation (avec droit de vote)
· Fixation à cinq du nombre de représentant-e-s du Conseil municipal (actuellement, le nombre dépend du nombre de groupes au Conseil : plus il y a de groupes, plus il y a de représentants, à raison d'un-e par groupe -le statut actuel parle même de " partis ". Résultat : quand feue l'Alliance de gauche s'était scindée en deux groupes, solidaritéS et PdT-indépendants, chacun avant un-e représentant…)
· Présence (à titre consultatif) des directions du ballet et des chœurs au Conseil de fondation
· Redéfinition des compétences du bureau, restriction de la délégation de compétence du Conseil de fondation au bureau
· Ouverture du Conseil de fondation à une représentation de l'ACG et du DIP (sous réserve de l'octroi par eux d'une subvention régulière), conformément à la motion M-393 acceptée par le Conseil municipal le 7 octobre 2003.
· Transfert de la Ville au canton de l'autorité de surveillance et de la charge de la subvention d'exploitation

Sur le fond
Le Grand Théâtre est à Genève le meilleur exemple de ces institutions culturelles d'importance pour le moins régionale, mais dont le financement reste essentiellement municipal (si l'on fait abstraction de sa capacité d'autofinancement partiel). Reconnu pour la qualité de ses productions, essentiel au " tissu " (ou plutôt au réseau) culturel genevois (11), seul théâtre lyrique de la région genevoise (12), seule institution pérenne (puisque publique) capable de représenter l'opéra, présent " internationalement " (en témoignent à la fois ses tournées et l'audience internationale de ses représentations à Genève même), désireux enfin de renforcer cette présence, le Grand Théâtre n'a plus rien de municipal, sinon son financement. Or il n'y a pas d'opéra " bon marché " : l'institution et le genre même qui y est représenté coûtent cher (13) (et coûteront de plus en plus cher), la première pour être maintenue, le second pour être représenté (14) ; comme on ne peut être à la fois un opéra de prestige et un théâtre municipal, il faudra donc bien que l'on fasse le pas menant du Grand Théâtre municipal à l'Opéra régional, sachant que l'on ne peut prétendre durablement assurer le second par le financement du premier, et qu'il y a quelque chose d'absurde à " asseoir " sur le seul financement (et le seul contrôle) municipal un opéra capable de se déplacer (matériel, décors et personnel compris) jusqu'à Mexico pour y représenter deux ouvrages lyriques et deux ouvrages chorégraphique.

La réduction du débat de fond à une alternative simpliste du genre " Genève ne peut pas entretenir son Grand Théâtre sans y mettre les moyens. Mais elle pourrait par contre tout à fait se priver d'opéra " n'est pas, non plus acceptable politiquement, même (ou surtout) dans la bouche du Conseiller administratif en charge de la culture (15), et même si ainsi exprimée, cette alternative a toutes les apparences d'une évidence. Le choix ne se fait pas entre " un opéra à n'importe quel prix " et " pas d'opéra du tout " : il se fait entre un opéra régional financé régionalement, et un opéra toujours régional mais financé municipalement. Certes, le " besoin " d'opéra n'est pas, au sens strict, un besoin social. Genève a " besoin " d'un service du feu, d'un service de voirie, d'un service des eaux, pas d'un Opéra. Genève a un Opéra parce qu'elle en a envie et qu'elle a fait le choix de satisfaire cette envie. L'existence de l'Opéra ne relève ni d'une obligation, ni d'une nécessité, ni de la moindre rationalité économique, mais d'un choix politique, parfaitement volontariste. Genève pourrait se passer du Grand Théâtre. Si elle a décidé de ne pas s'en passer, elle n'a jamais été contrainte à cette décision. Genève a un Opéra parce qu'elle a choisi d'en avoir un, et d'y mettre le prix. Cela posé, reste à assumer ce choix. Or il ne peut être réellement assumé tant qu'il reposera sur la seule volonté de la seule municipalité de la Ville.

Le Grand Théâtre est l'Opéra de la région, payé par la commune. Il n'est probablement plus personne, ni au sein du Conseil de Fondation de l'institution ni au sein du Conseil municipal (et du Conseil administratif) de la Ville qui n'ait conscience, plus ou moins confusément, et que cela soit exprimé ou non, que cette situation ne peut durer, et que la Ville ne peut (politiquement, plus encore que financièrement) continuer à supporter seule ou presque la charge financière de la plus " grosse " institution culturelle de la région -de même qu'à l'inverse, le Grand Théâtre ne peut continuer à dépendre si étroitement qu'actuellement de la seule source municipale de financement public. Si rien n'est changé à la structure du financement public du Grand Théâtre, l'alternative restera donc celle à laquelle depuis des années le GT et la Ville sont confrontés : ou bien l'effort financier de la Ville augmente année après année, (en plus de l'indexation de la subvention d'exploitation, puisque l'opéra est un secteur économique sur-inflationniste), pour maintenir l'outil de production à un niveau quantitatif et qualitatif constant ; ou bien la municipalité maintient son effort à un niveau constant, en termes réels, mais en l'absence de financement public additionnel le GT manquera de moyens et, comme l'écrit le Conseil de fondation dans son " commentaire " au budget 2005-2006, il faudra " envisager des coupes structurelles " à son budget, coupes structurelles dont apparemment la victime (expiatoire) est d'ores et déjà désignée, une fois pour toutes: le Ballet. Mais quelles qu'en soient les victimes, et même si plutôt que de supprimer le Ballet la Fondation décidait de réduire la programmation lyrique, ces coupes structurelles affaibliraient la capacité du GT à jouer le rôle central qui est le sien dans le tissu culturel genevois.

Une institution culturelle, si importante soit-elle, est toujours fragilisée par sa dépendance à l'égard d'une source de financement unique, ou hégémonique, à plus forte raison lorsqu'il s'agit d'une source de financement publique soumise aux décisions d'organes politiques qui sont toujours le lieu de rapports de force, et souvent celui de marchandages, politiques. Si la puissance publique est pérenne, ses décisions sont changeantes. La multiplicité des sources de financement de la culture est donc une condition de la liberté culturelle, ce que d'excellents auteurs confirment : " La meilleure protection du statut des artistes et de leur rôle, ce sont les structures complémentaires de subventionnement. Je suis totalement contre le guichet unique, contre le désenchevêtrement, parce que, quand la femme ou l'homme politique passe, la liberté artistique doit demeurer. Et le fait d'être exposé à un seul prince me semble être le pire des dangers " (Charles Beer ) (16).

C'est en refusant d'admettre la nécessité de la recherche d'autres sources de financement public que l'on met le plus gravement en danger l'institution que l'on affirme par ailleurs vouloir préserver : cela vaut pour le Grand Théâtre comme pour le Théâtre de Carouge, pour la culture comme pour les autres champs d'intervention publique (du moins si l'on parle d'institutions pérennes, et pas de sociétés anonymes faillibles) et à Genève comme ailleurs. Le PS ne doit pas lâcher cet os là, quelle que soit la situation financière de la Ville ; ce n'est pas pour " faire des économies " qu'il faut se battre pour le partage des responsabilités publiques en matière d'institutions culturelles, mais pour accroître l'implication de toutes les collectivités publiques de la région dans la politique culturelle de la région, et pour ouvrir encore plus cette politique culturelle à de nouvelles formes d'expression, et à de nouveaux discours culturels.

" Il faut montrer qu'une politique culturelle ne produit pas une esthétique d'Etat. (…) L'institution doit être un lieu de liberté, de division, de confrontation politique "
(Olivier Py, " Le Monde " du 4 mai 2007)

La politique culturelle ne se réduit pas à la politique du patrimoine, c'est-à-dire à la représentation (et à l'entretien) de la création passée. Elle doit aussi porter sur la création présente, dite par pléonasme " contemporaine " ou " vivante ", et cela sans exclusive et en renonçant a priori à définir une culture officielle. La programmation du directeur général sortant du GTG a, de ce point de vue, manifesté un souci d'ouverture à la création contemporaine qu'il convient de saluer encore une fois, même (ou à plus forte raison) si l'ensemble du public " habituel " (ou habitué) du GT ne s'y est pas retrouvé, même (ou à plus forte raison) si la réussite de la politique artistique de la direction a été " plombée " par sa gestion et sa conception des relations avec le personnel et les syndicats, et même (ou surtout) si la programmation annoncée par le nouveau directeur général menace d'être beaucoup plus prudente, pour ne pas écrire conformiste.

Si nous nions au pouvoir politique (même municipal) tout droit à déterminer les formes de la culture (s'arrogerait-il ce droit, d'ailleurs, qu'il serait bien en peine d'en concrétiser l'ambition), nous devrions bien lui imposer l'obligation de concentrer ses efforts sur la part la plus novatrice de la création et de la représentation culturelles, c'est-à-dire la part qui nécessite un soutien public parce qu'elle ne représente pas (ou pas encore) un " marché " culturel, une source de profit possible pour le secteur privé.

C'est par leurs marges que tiennent ensemble les pages des livres ; c'est par leurs marges aussi que tiennent les réseaux culturels. Un soutien à la création culturelle implique donc un soutien à ce qui est, au départ, création dans les marges. La collectivité a à la fois le devoir de soutenir la création culturelle marginale et celui de réduire ce soutien lorsque cette création (ou sa représentation) devient institution, patrimoine ou marché, et conquiert un terrain (marchand ou social) où d'autres sources de financement se font jour.

Ainsi, la part actuellement affectée aux grandes institutions culturelles (dont le GTG) des ressources affectées par les collectivités publiques, et en premier lieu par la Ville, à la culture, doit-elle être réduite, pour que la part et le volume affectés à la création non-institutionnelle puissent être accrus -ce que 61,7 % des personnes interrogées à Genève en 1996 souhaitaient. Cette réduction de la part " institutionnelle " des ressources culturelles, au profit de leur part " non institutionnelle ", pourrait -ou devrait- se traduire par le transfert au canton de la subvention municipale d'exploitation du GTG : ce seraient ainsi 15 millions de plus qui seraient disponibles pour soutenir la culture émergente et l'expérimentation culturelle.

Le problème de la répartition de la charge financière des institutions culturelles entre les collectivités publiques est posé en termes explicitement politiques : il ne s'agit pas de " faire des économies " pour réduire déficit ou dette, mais de définir une politique culturelle, d'en partager la charge, et d'en répartir les ressources.

NOTES

(11) Le Conseil de fondation, dans ses commentaires sur les comptes 2003-2004, estime -de manière quelque peu autoproclamatoire- que le GT joue un rôle de " modèle à suivre ", et souligne que les " retombées " de son activité " rejaillissent (…) sur l'ensemble des acteurs culturels du canton par un effet d'entraînement "… métaphore dont la lourdeur stylistique ne doit pas empêcher l'approbation, puisqu'elle constate ce qui, effectivement, qualifie le rôle d'une institution culturelle dans un " paysage culturel " régional.

(12) Et l'un des trois ou quatre opéras d'importance plus que locale en Suisse (à titre de comparaison, la France en compte une vingtaine)

(13) Si l'Opéra de Genève coûte cher à la Municipalité, son coût global n'atteint de loin pas celui des grands opéras européens, et sa situation financière n'est de loin pas aussi déséquilibrée que celle de ses homologues. A titre de comparaison, le budget de la Scala de Milan atteint les 115 millions d'euros, soit entre quatre fois plus que le coût total du GTG pour la Ville, et cinq fois plus que le budget du GTG (pour 2,5 fois plus de spectateurs et un personnel deux fois et demi plus important). En outre, les comptes de la Scala sont en déficit régulier de 500'000 à 1 million d'euros par année, et l'institution a dû prélever 7,5 millions d'euros sur son propre patrimoine pour équilibrer ses comptes 2004. En 2004, la Scala a reçu 44 millions d'euros de subventions publiques (en gros, quatre fois plus que le GTG) et l'Opéra de Paris 94 millions (mais pour deux scènes, et l'emploi de 1600 personnes). … En revanche, la charge du Grand Théâtre pour la collectivité publique reste, en comparaison européenne, assez considérable : les treize principaux opéras italiens ont reçu, ensemble en 2004, 104 millions d'euros des collectivités locales, soit, à treize, quatre fois plus que le seul opéra genevois (ou, en moyenne par opéra, trois fois moins…), 239 millions d'euros de l'Etat central et 95 millions des mécènes et sponsors privés. Le problème n'est donc pas un problème de coût global (l'opéra genevois est plutôt moins onéreux financièrement que ses homologues européens), mais un problème de répartition de ce coût (il repose à Genève de manière disproportionnée sur la seule collectivité locale). En Italie, l'Etat central donne deux fois plus, et les " privés " autant, que les collectivités locales pour les opéras (en 2004, pour treize institutions lyriques : 239 millions d'euros de l'Etat central, 104 millions des collectivités locales, 95 millions des " privés ")

(14) Le coût de l'opéra, comme mode d'expression culturel, c'est-à-dire le coût de toute représentation lyrique, exclut d'ailleurs que l'on puisse raisonnablement attendre de mesures d'économies portant sur la programmation qu'elles soulagent réellement la Ville de la charge financière de l'opéra. A titre d'exemple, lorsqu'à l'examen du budget de la saison 2007-2008, et pour l'équilibrer, le Conseil de fondation a cherché où il pourrait faire des économies, il s'est penché sur l'hypothèse de la déprogrammation d'un opéra, ou de sa réduction en version de concert, en prenant comme " cibles " Lohengrin, d'une part, et Les Voyages de Monsieur Broucek d'autre part. Compte tenu des recettes escomptées pour chacune de ces deux œuvres, leur déprogrammation aurait ferait perdre plus qu'elle n'auraient ferait économiser, avec pour le Wagner une perte sèche d'un demi-million , et de près de 560'000 francs pour le Janacek. Quant à leur réduction à une version de concert, elle aboutissait à une perte de près de 400'000 francs pour le Wagner et de près de 500'000 francs pour le Janacek. Des " économies " de programmation ne sont donc pas des économies budgétaires, au contraire -outre qu'elles remettent en cause la fonction même de l'institution…

(15) A qui Le Courrier attribue ces propos, tenu lors du débat au Conseil municipal, le 17 mai 2005 sur la demande de crédit (de 6,4 millions) pour la rénovation des ponts de scène du GT. Pour Patrice Mugny, réduire la charge financière du Grand Théâtre ne pourrait se faire qu'en supprimant le Baller, en exportant la réalisation des décors (ce qui priverait des artisans genevois de travail) ou en baissant la qualité ou le nombre de spectacles, au détriment des rentrées financières (Le Courrier du 8 juin). Autant dire -et nous sommes de cet avis- qu'on ne peut espérer " faire des économies " sur le budget du GTG, et que la question est bien celle d'un partage de son financement.

(16) in Journal de l'ADC, janvier-mars 2005

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