lundi 29 février 2016

Fonds de tiroir


Petit message lausannois aux ceusses qui à Genève continuent d'affirmer qu'il est impossible de sauver le cinéma Le Plaza : mardi, le Conseil communal de Lausanne a voté à l'unanimité (droite comprise, donc) un crédit d'étude de 1,3 million pour rénover la salle de cinéma du Capitole, l'une des plus grandes, sinon la plus grande, de Suisse avec ses 867 sièges, ouverte en 1929 et sauvée en 2010 par son acquisition par la Ville. La salle est désormais exploitée par la Cinémathèque suisse, en collaboration avec Pathé. Dans le projet de rénovation, elle gardera son esthétique et son volume. Il s'y ajoutera une deuxième salle en sous-sol, de 200 places, ainsi qu'un café, une médiathèque et une boutique vouée au cinéma. Selon les estimations actuelles, le coût de la rénovation, qui pourrait s'achever en 2019, se situerait entre 13 et 15 millions de francs. La Ville prévoit de créer une fondation pour récolter des soutiens financiers publics et privés. Voila.  Pendant ce temps, à Piogre, propriétaires du Plaza, cabinets divers mobilisés à leurs services, partis de droite et même conseillers administratifs assurent qu'il n'est pas possible de « sauver le Plaza » en tant que cinéma...
 
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La « Tribune de Genève » du 6 février a visité le Musée d'Art et d'Histoire. Elle a bien fait, ça risque de plus être possible d'ici peu, et pour un certain temps, voire même un temps certain, quel que soit le résultat du vote de dimanche : parce que si c'est « non », y'aura pas de rénovation et qu'on va bien finir par devoir fermer le musée avant qu'il tombe sur la gueule des visiteurs et du personnel, et que si c'esz « oui » il va aussi falloir le fermer pour le rénover et l'étendre. Quand on vous dit que le vote de dimanche est crucial...

Votation sur le MAH : Son directeur actuel, Jean-Yves Marin, rappelle que son lointain prédécesseur, Claude Lapaire, avait écrit en 1973 que l'agrandissement et la rénovation du bâtiment Camioletti étaient une urgence. ça fait donc 43 ans. Bon, rendez-vous en 2059 pour en recauser...
http://www.lecourrier.ch/136749/mah_du_passe_faisons_table_raseuh

Réuni en Assemblée générale extraordinaire, le RAAC (Rassemblement des acteurs culturels) s'est dissout mardi soir, estimant avoir rempli son rôle. Le comité sortant a été désigné à l'unanimité pour régler la dissolution d'ici à la fin avril. A l'unanimité les membres se sont prononcés pour que les fonds restant soient attribués à l'association de soutien à GE Cultures en lutte, qui a notamment été le fer de lance du réfpérendum contre les coupes budgétaires imposées par la droite municipale genevoise.

La « Tribune de Genève » du 6 février a visité le Musée d'Art et d'Histoire. Elle y a trouvé des «catacombes» avec de « gros tuyaux de canalisation ». Quand on  vous dit qu'une momie encore animée de mauvaises intentions gisait sous le musée, et n'attendait que d'être réveillée au  premier coup de pioche de la rénovation, vous  nous croyez,
maintenant ?
www.facebook.com/MAH-La-Malédiction-de-la-Momie

Jean-Claude Gandur aura été le héros de la campagne autour du projet de rénovation-extension du Musée d'Art et d'Histoire : mècène pour les uns, évadé fiscal pour les autres (il est domicilé à Malte), il aura en tout cas réussi, grâce au refus du projet qu'il finançait, à économiser les 40 millions qu'il voulait y affecter. De quoi se construire son musée à lui, mais ailleurs. D'ailleurs, puisque l'argent de Gandur pue au point qu'il ait fallu le refuser, il conviendra désormais pour la Ville de Genève de refuser du même geste auguste tout argent privé provenant de quelque pratique, de quelque activité, ou de quelque héritage, contestable. Même les impôts ? Non, quand même, faut pas pousser, mais soyons cohérents : à musée public, financement public. Totalement public. Bon princes, on acceptera toujours les objets et les collections en legs et donations (une manière de rendre public ce qui était privé), mais on refusera désormais tous les financements privés. Parce qu'on ne sait jamais vraiment de quoi ils proviennent, même quand on sait de qui. Et réciproquement.

vendredi 26 février 2016

MAH : On efface tout et on recommence ?


   
Tabula rasa !

On saura donc dimanche si le projet de rénovation-extension du MAH pourra être réalisé ou s'il finira aux archives... mais en fait, on ne le saura pas grand chose d'autre  : un "non" ne "sauvera" pas plus le bâtiment de Marc Camoletti qu'un "oui" ne répondra au besoin genevois d'un nouveau "grand musée moderne". Dans un courrier de lecteur à la "Tribune de Genève", le patron de Vacheron Constantin, particulièrement intéressé à la possibilité d'un musée de l'horlogerie dans le MAH, estimait que "le projet soumis au vote (...) est une réponse concrète à des besoins devenus urgents". Nous, ici, on l'a plutôt considéré comme une mauvaise réponse à une question mal posée et mal comprise...  De toute façon, que ce soit "oui" ou "non" à ce qui reste du projet Nouvel-Jucker initial, le MAH devra être fermé : pour rénovation si c'est "oui", ou parce qu'il sera devenu inutilisable, faute d'être rénové, si c'est "non"... Peu importe donc le résultat du vote de dimanche : au terme d'un vrai débat de merde, ce résultat aura confirmé le vieux slogan d'"Hara-Kiri Hebdo" (ou était-ce déjà "Charlie" ?) : "votez con, vous n'avez pas le choix". A part le choix de la "table rase", bien sûr : on n'a pas si souvent l'occasion de chanter l'Internationale dans une votation municipale...

On a donc parlé dans le vide. Disons qu'on  s'est parlé à nous-mêmes.

Ce fut sans doute le débat le plus médiocre auquel, en 45 ans de militantisme, il nous fut donné d'assister (et même de participer, ce qui nous interdit de nous innocenter de sa médiocrité, et ne nous laisse guère que la ressource d'en ricaner). Ce n'était pourtant pas une fatalité : l'enjeu se prêtait à un véritable débat de politique culturelle, mais qui n'a jamais eu lieu, et il aura fallu attendre le dialogue entre Charles Bonnet et Pierre Huber, dans la "Tribune de Genève" de lundi dernier, pour qu'on parle, enfin, et en connaissance de ce dont en parle, d'art, de culture, de patrimoine autrement qu'en termes fétichistes.

Alors les gens, vous faites ce que vous voulez, forcément, et pour les raisons que vous trouvez, avec qui vous voulez. Vous prenez en marche le train du "non" et d'une campagne à base de poujadisme culturel et financier (elle n'était pourtant pas si mal partie que cela...),  ou vous restez au bord de la voie, entre les vaches, à regarder ce train passer et vous ne votez pas ou vous votez blanc, ou, troisième attitude, vous grimpez dans la draisine cahotante du "oui" et vous pompez à contre-courant jusqu'à la collision fatale, parce que vous aimez les combats perdus d'avance (et il faut bien avouer que celui-là était fort mal parti, depuis le début -pas de concours, juste un appel d'offre- et que ça ne s'est pas amélioré depuis -ficelage de la rénovation et de l'extension  dans un seul crédit), parce que les chants désespérés sont les chants les plus beaux et parce que, s'il peut se trouver des perdants magnifiques, il se trouve aussi des vainqueurs médiocres : l'argument massue du "non", celui qui, sans doute, va emporter le vote, est aussi celui qui nous importe le moins : l'argument du fric. Un argument de droite et qui le reste même brandi par des gens de gauche, face à tous les projets et tous les engagements culturels, quels qu'ils soient :  MAH ou Nouvelle Comédie, fonds généraux ou subventions, c'est kif kif, c'est trop d'argent pour la culture, faut penser au sport. Et balancer le crédit pour le MAH et celui pour la Nouvelle Comédie dans le trou du Stade de la Praille. Cela dit, on n'était pas dans un débat gouverné par le clivage gauche contre droite, ou  démocrates contre garde-chiourmes, ou cultureux contre analphabètes... on avait en guise de fronts un agglomérat contre un autre. Le partisan de gauche du projet se retrouvait avec le MCG et Gandur, l'adversaire de gauche du projet avec l'UDC et Barbier-Muller...

Comme on est objectifs et, dans la draisine à contre-voie et au-dessus des parties, on a tout de même fourni aux adversaires du projet MAH+ quelques arguments qu'on pensait solides pour le combattre, en même temps qu'aux partisans quelques arguments qu'on trouvait pertinents pour le soutenir... Las ! on parlait de projet culturel, de politique muséale, de rôle du musée -bref, de ce qui n'intéresse que nous. On n'a pas eu les réponses aux questions innocentes qu'on posait (quel musée, pour quoi faire, quoi dire, et à qui ?), ou alors on n'a obtenu que des réponses insatisfaisantes, convenues. On a donc parlé dans le vide. Disons qu'on  s'est parlé à nous-mêmes. Et qu'on était entièrement d'accord avec nous. Et qu'on va le rester. Parce que le vote de dimanche ne va rien régler du tout, quel qu'il soit, et que si le projet d'extension est refusé, celui de rénovation l'est aussi, puisque les deux ont été ficelés.  Or la rénovation du musée restera urgente -et de plus en plus urgente, forcément, au fur et à mesure du temps qui passe sans qu'elle se fasse. Et il faudra bien qu'un nouveau crédit d'étude soit voté, qu'un nouveau projet sorte d'un concours d'architecture, soit accepté par le Conseil administratif, soumis à examen par les commissions du Conseil municipal et par la commission des monuments, de la nature et des sites, que les demandes d'autorisations soit déposées, que le délai de recours soit passé (et si des recours sont déposés, qu'ils soient examinés -leur refus pouvant lui-même faire l'objet d'un recours) puis qu'un nouveau crédit de réalisation soit proposé, qui devra trouver une majorité au Conseil municipal, et qui, s'il la trouve, sera soumis lui aussi à référendum... Gageons que référendum alors il y aura, qu'il aboutira, et qu'on se retrouvera (mais dans vingt ans...) avec un débat ne portant toujours pas sur un projet culturel, mais toujours sur son coût. Sachant qu'un projet culturel est toujours "trop cher". Et suscite forcément une campagne négative à base de poujadisme culturel et financier.

Alors, finalement, peut-être que la solution est celle de la "tabula rasa" : on ne rénove pas, on n'étend pas, on laisse pourrir le bâtiment Camoletti, on attend qu'il tombe tout seul, on rase les ruines et plutôt que bricoler l'existant, on construit ailleurs (pas forcément au centre-ville, et même pas forcément du côté suisse de la frontière qui clive la Genève réelle...) quelque chose de tout nouveau tout beau, ou au moins d'une mocheté intéressante, pas ce machin construit au début du XXe siècle dans le goût pompier de la fin du XIXe siècle, pour que la bourgeoisie genevoise puisse exhiber qu'elle ne s'intéresse pas qu'au fric, qu'elle s'intéresse aussi à l'art et à l'histoire...

mercredi 17 février 2016

Fonds de tiroir


Donc, on l'a enfin reçu, le « projet scientifique et culturel » (PSC pour les intimes) du Musée d'Art et d'Histoire, qu'on demandait depuis un an. Enfin, disons qu'on en a reçu une version résumée. C'est un peu le système de la bibliothèque verte, quand on fait tenir un Jules Verne en texte intégral dans un chti bouquin facile à lire. Le PSC version intégrale fait 200 pages. Quelqu'un a dû se dire que c'était trop pour nos neurones.  Mais dans la version qu'on a reçue, c'est plein de jolies images en couleurs. ça doit être pour nous consoler. N'empêche qu'on se demande si on nous prendrait pas un peu pour des gamins ...

Toute la presse locale l'a annoncé comme si cela changeait quoi que ce soit à l'enjeu du vote municipal du 28 février : le collectionneur et promoteur immobilier valaisan Léonard Gianadda a décidé de ne plus soutenir publiquement le projet de rénovation-extension du Musée d'Art et d'Histoire, parce que « les deux camps » (celui du soutien et celui de l'opposition) «regroupent des amis». Bon, et alors ? Déjà qu'on ne savait même pas qu'il soutenait le projet, Gianadda, ni pourquoi il le soutenait, savoir qu'il ne le soutient plus (pour ne pas se fâcher avec Barbier-Muller, Oppikofer et «Tout l'immobilier» ?), sans pour autant le combattre (pour ne pas se fâcher avec on ne sait qui), faut bien avouer qu'on s'en contrefout un peu...

Le 14 août de l'année prochaine, on pourra célébrer le centenaire de la naissance de Georges Haldas. Et le 24 octobre dernier, cela faisait cinq ans que Georges Haldas était mort. Et on a proposé au Conseil municipal de Genève d'accorder son nom à une rue, ou une place de la Ville. Certes, Haldas a déjà été lauréat du Grand Prix de la Ville de Genève, en 1971. Mais les prix sont fugaces, ils s’oublient – qui se souvient de celui-là? Qu’une rue, qu’une place, porte le nom d’un homme ou d’une femme, cela l’inscrit dans le corps même de la ville, et lorsque nos pas nous y porteront, lorsqu’apparaîtra quelque part cette adresse: rue Georges-Haldas, place Georges-Haldas, et que sur des murs une plaque dira: «Georges Haldas, 1917-2010, journaliste, poète, essayiste, traducteur, chroniqueur», alors Genève, par cette trace, aura reconnu celle qu’en racontant sa Genève, a laissé de Genève. Le Conseil Municipal a, presque unanimement, accepté cette proposition. On avait pourtant cherché quel argument pouvait convaincre quelque conseiller municipal ou conseillère municipale de voter contre cette proposition. Et on n'en avait pas trouvé. Sauf un, peut-être : Georges Haldas aimait le football. Autant que les bistrots, les mots et Genève. Il est vrai que le football qu'il aimait était le vrai, celui qui attirait les foules aux Charmilles, pas celui que le fric a pourri et qui traîne son ennui et le nôtre à la Praille.
Bref, il y aura peut-être une rue ou une place Georges-Haldas à Genève. D’autres noms qui mériteraient d’être portés sur les lieux que nous arpentons attendent de l’être: ils ont en commun d’être les noms d’hommes et de femmes qui, pour quelque raison que ce soit, par choix souvent, étaient en marge de l’officialité genevoise. On vous dira  ce qu’il en fut de Sébastien Castellion et de Luigi Bertoni. Ce qu’il en fut de Haldas, c’est que ce fils de Grec de Céphalonie, se fit mieux que les Genevois « de souche » chroniqueur de Genève, de ses bistrots, de ses tumultes, de sa petite et grande vie. On ne sait qui de Georges Haldas ou de Genève adopta l’autre en premier. On sait qu’ils s’adoptèrent l’un (ou l’une) l’autre. Il fallut bien que pareille élection mutuelle se fasse pour que nous puissions lire, sous cette plume, le tendre portrait de cette ville sans grande tendresse. En proposant que Genève honore George Haldas en donnant son nom à l’une de ses rues, ou l’une de ses places, nous proposions que Genève s’honore elle-même et reconnaisse en lui l’un de ceux qui surent le mieux la dire et la voir derrière ses masques. Et pour le reste: lisez ou relisez Haldas. Vous vous y retrouverez.



Le 7 octobre dernier, le Conseiller municipal socialiste Sylvain Thévoz s'inquiétait de l'usage excessif de l'anglais dans la communication du  MAH et les noms donnés à quelques unes de ses activités publiques (Afterworks, Outings project, speed dating, etc...), et se demandait si cela relevait du « marketing culturel ou d'un manque de culture ». Le Conseil administratif a répondu que certains projets requièrent l'utilisation d'anglicisme parce qu'il n'y a pas de mots ou d'expressions françaises équivalents. Et donne comme exemple « Afterworks », « concept très difficilement traduisible en français sans faire une périphrase ». « Post Laborem », c'est une périphrase ? Bon d'accord, c'est du latin, mais dans un Musée d'Art et d'Histoire, ça a du cachet, non ? Bref, le Conseil administratif assure que le MAH est «extrêmement soucieux de la qualité du français employé dans ses différentes communications». Il s'avère donc que la convention passée entre la Ville et la Fondation Gandur pour l'Art a échappé à la vigilance soucieuse du MAH quant à la qualité de son français. Parce qu'à sa lecture, tant celle de sa première version que de sa version révisée, on reste pantois devant les fautes d'orthographe, de grammaire, de syntaxe et de logique formelle du texte....    

samedi 13 février 2016

Centenaire d'une révolte culturelle : Dada m'a (pas) tuer

Centenaire d'une révolte culturelle : Dada m'a (pas) tuer


Le 5 février 1916 naissait à Zurich le Cabaret Voltaire, et peu de temps après, Dada, dans un îlot au coeur d'une Europe ravagée par la guerre et la connerie chauvine (si la Suisse échappa à la première, elle n'échappa pas à la seconde), à laquelle Dada n'avait à opposer qu'un  ricanement souverain, un mépris absolu des convenances et des disciplines, un irréductible irrespect des maîtres. Il peut convenir de prendre un peu de hauteur -à moins qu'il s'agisse de profondeur ?- en célébrant  le centenaire d'une révolte culturelle qui remit en cause tout ce qui faisait la culture de son temps, tout ce que la culture de son temps faisait et tous les lieux où elle se célébrait. Y compris les musées. Une petite prise de distance s'impos, comme une respiration, avec un simulacre de débat (d'autant qu'on y participe) : le débat foireux sur le projet de rénovation-extension du Musée d'Art et d'Histoire de Genève, débat qui, "culturellement" se réduit, à un affrontement entre la sacralisation du patrimoine (nous chantions naguère"du passé faisons table rase"...) et le fétichisme d'une modernité aussi bruyante, parce qu'aussi creuse, qu'un tambour.


"Soyez fous, vous serez drôles, étant hagards" (Arthur Rimbaud)


Quelle postérité, quel héritage, peut-on mettre au compte de Dada ? Et quel enseignement tirer d'une révolte culturelle qui ne voulait rien enseigner qui ne soit une rupture avec tous les enseignement du passé ? Dada est une révolte contre son temps, contre la guerre qui ravageait l'Europe, contre le bourrage de crâne qui l'accompagnait, contre le nationalisme, contre les frontières, contre la xénophobie, contre la démagogie... De ces miasmes, sommes nous sortis ? On n'est plus jamais allé plus loin que Dada, qui ne vécut que jusqu'à ce que, huit après après sa naissance, le surréalisme s'en proclame l'héritier et le perfecteur. Dada n'attendait rien, et on n'en attendait rien, mais ni le surréalisme, ni le lettrisme, ni le situationnisme, n'auraient probablement vu le jour sans Dada. Nihiliste, Dada ? indispensable, Dada...


Il y a de l’entassement, de l’empilement, de la géologie dans la fabrication de la culture. La culture bourgeoise succède à la culture aristocratique, qui coexistait avec les cultures paysannes. Elle en hérite, et ne l’annihile pas. La fabrication de la culture est un processus, non un acte : la culture bourgeoise change, si elle ne progresse pas, de l’Encyclopédie à Disneyland. Le changement se fait de l’ambitieux vers le trivial, du révolutionnaire au redondant, de l’invention au bégaiement, de la création à la marchandise -mais il se fait, comme il peut, tant qu’il le peut. Depuis un bon demi-siècle, cependant, la culture bourgeoise n’invente plus, ni n’accueille plus d’invention, et ce qu’elle produit d’apparente nouveauté n’est plus que le rafraîchissement de quelques vieilleries.


Les formes de création artistique se sont, depuis la fin du XIXème siècle, libéralisées au sens le plus commun, le plus trivial du terme : elles se sont dissoutes dans une absolue équivalence entre elles, le tout équivalent au rien, Artaud ne valant pas plus que Coelho tant qu'on ne vendra pas de l’Artaud autant que du Coelho, du fou comme de l'imbécile, l’un et l’autre accueillis sur les étals des marchands de culture. Ce gigantesque équarrissage marchand de tout ce qui peut se créer, où tout ce qui a pu être créé peut être légitime pour peu que cela se vende, et n’est légitime qu’à cette condition, permet à quiconque de proposer « sa » création culturelle, à Bernard-Henri Lévy de se prendre pour Guy Debord et John Armleder pour Marcel Duchamp, en même temps cependant que cela nous permet d’entendre, de loin, brouillée par le marché, quelque grande voix hurlante, ou de voir quelques grands traits furieux qui en d’autres temps eussent été tenus pour inexistants. Mais au bout du compte, tout étant également (ou peut s’en faut) accessible, tout se vaut -et ne vaut plus rien. Warhol avait réduit l’ « art » à une image médiatique infiniment reproductible, et fort logiquement baptisé son atelier du nom de Factory (usine) : cela dit on ne peut mieux ce que cela produit. De la défense de l’ « art contemporain » arrivé là où son néant le portait, vit tout un peuple grouillant de fonctionnaires de la culture, de professeurs d’université, de muséographes, d’apparatchiki divers, autour desquels, non moins grouillants, s’agitent galeristes et collectionneurs privés. La bourgeoisie cultivée de ce temps se pâme ou se gratte devant la nullité -mais cette nullité est empaquetée de discours, et l’on en fait des affaires, en exploitant la crédulité, la bêtise ou l’inculture d’ « amateurs » friqués (lesquels, en l’occurrence, n’ont que ce qu’ils méritent lorsqu’ils se retrouvent escroqués par plus malins qu'eux).


Après trois siècles d’invention, la culture bourgeoisie aboutit ainsi à un néant fait de sa propre caricature, et du bégaiement de quelques unes des révoltes culturelles qui se dressèrent autrefois contre elle. Duchamp avait clos le cycle de l’art moderne -ses épigones branchés n’ont plus fait un pas en avant, sauf, comme Pinoncelli, à le prendre au mot et à prendre les administrateurs de la culture au piège de leur snobisme patrimonial, en pissant dans l'urinoir signé par le maître, ce qui valut au fauteur de miction d’être condamné pour « dégradation d’une œuvre d’art » - art dont l'auteur de l’œuvre avait pourtant proclamé la mort... On ne révolutionne sans doute pas l’art contemporain en pissant dans l’urinoir de Duchamp, mais cette miction nous dit tout de même l’essentiel de ce qu’il y a à dire de l’histoire artistique des deux siècles de la civilisation bourgeoise : qu’elle est close, qu’on peut tirer la chasse, s’essuyer et passer à autre chose, ailleurs -plus haut, plus fort et plus loin. Dès lors que l'on proclame que ce que fait un artiste est, par définition, de l'art, on conviendra que mieux vaut encore un « artiste » pissant dans une « œuvre d’art » qu’un critique se branlant devant.

Le néant de l’art « contemporain », le bégaiement du patrimoine culturel, la réduction de la révolte artistique et culturelle -bref, l’insondable vulgarité, aujourd’hui, de la culture bourgeoise, ne sauraient signifier autre chose qu’une espérance. L’aboutissement autiste d’une culture enfermée en elle-même et en quelques gestes est la chance de ceux qui veulent en finir avec elle. Le champ culturel bourgeois est clos ? Le champ de l’invention est donc libre, hors de cet enclos, là où Hégel voyait : « les signes annonciateurs de quelque chose d’autre, qui est en marche » (préface à la Phénoménologie de l’Esprit). Ce « quelque chose » ne viendra pas du « dedans » de la culture, d’où ne vient plus rien sinon la répétition, la réduction et la caricature de ce qui fut. Le « quelque chose d’autre qui est en marche » est en marche ailleurs, et en marche contre. Contre quoi ? Contre tout ce qui révulsait Dada, et nous révulse encore.

lundi 8 février 2016

Fonds de tiroir


« Même il s'agit d'un vote municipal, tout le monde a conscience qu'il dépasse le cadre de la Municipalité, puisque c'est le rayonnement et l'avenir de toute une région qui sont en jeu », a déclaré le président du Conseil d'Etat, François Longchamp, à propos de la rénovation et de l'extension du MAH. Ouais, ben c'est peut-être un enjeu fondamental, mais c'est du fondamental à l'oeil : le canton ne paie pas un fifrelin pour la rénovation et l'extension du MAH... c'est à ça qu'on les reconnaît à Genève, en ce moment, les enjeux culturels fondamentaux, pour le canton : c'est la Ville qui casque. Soit parce que c'est prévu comme ça dès le départ, soit parce que la participation financière du canton est bloquée (par la droite -sauf le PDC) au Grand Conseil. C'est pas ce qu'on appelle la nouvelle répartitiion des tâches ?

« La nouvelle va faire l'effet d'une bombe », écrit le rédac'chef de GHI dans l'édition d'hier. Une bombe ? Un pétard. Et mouillé, en plus. Donc le comité référendaire contre la rénovation-extension, version Nouvel-Jucker, du Musée d'Art et d'Histoire a saisi le service de surveillance des communes pour lui demander d'invalider la nouvelle version de la Convention entre la Ville de Genève et le principal partenaire privé du projet, la Fondation Gandur. Et c'est doublement idiot. D'abord parce que si la nouvelle version de la Convention était invalidée, c'est l'ancienne qui serait ressuscitée, et qu'elle est pire que la nouvelle. Ensuite parce que la raison donnée de cette demande d'invalidation, l'illégalité supposée d'une convention du type de celle entre la Ville et la FGA (une convention sur 99 ans, avec, des contreparties matérielles, de la part de la Ville, au «don» de la FGA,) si cette Convention n'était pas validée par le Conseil municipal, avait déjà fait l'objet d'une saisie de la Cour des Comptes par plusieurs conseillères et conseillers municipaux de gauche en 2011, et que la Cour des Comptes avait conclu que le Conseil administratif n'était pas obligé de soumettre ce texte au Conseil Municipal, et que le fait qu'il engage la Ville seul n'est pas illégal. Politiquement contestable, et inopportun, mais pas illégal. Et que tant que la loi (celle sur l'administration des communes) n'a pas changé, le Conseil administratif peut se passer de l'avis du Conseil Municipal. Et que donc, plutôt qu'aller pleurnicher auprès de la surveillance des communes, les référendaires devraient déposer au Grand Conseil une proposition de modification de la loi. Mais faut croire que c'est trop compliqué. Ou pas assez jouissif. Et avec tout ça, à un mois du vote sur le MAH, on ne débat toujours pas du fond. ça aussi, c'est trop compliqué et pas assez jouissif ?

Votation municipale sur le projet de rénovation-extension du Musée d'Art et d'Histoire : faut plus dire que le débat part en couille, faut dire qu'il part en cours, au pluriel. Le comité référendaire a saisi la Surveillance des Communes pour demander l'invalidation de la convention passée entre la Ville et la Fondation Gandur, puis le Tribunal de Première Instance pour y dénoncer ce qu'il estime être la partialité de la Surveillance des Communes, placée sous la tutelle du Conseiller d'Etat François Longchamp, partisan du projet « MAH+ ». Les référendaires ont en outre annoncé que si le projet était accepté en votation populaire (ce qui est possible, même si ce n'est pas l'hypothèse la plus probable), il envisagerait de demander l'annulation de la votation  au motif d'une campagne « unilatérale » de la Ville. Par ailleurs, toujours côté opposants, deux recours de Patrimoine Suisse restent pendants, l'un contre l'extension du musée, l'autre contre l'autorisation donnée par le Conseil d'Etat d'aménager, dans le cadre de cette extension, un bâtiment classé. Et côté partisans du projet, on n'oubliera pas la procédure lancée par Jean-Claude Gandur, principal partenaire privé du projet, contre le quotidien « Le Courrier », coupable de l'avoir portraituré d'une manière et par des mots qui lui ont déplu. Aux dernières nouvelles, ni le Tribunal fédéral, ni la Cour européenne des droits de l'Homme, ni le Tribunal pénal international n'ont encore été saisis. Mais ça ne saurait tarder.

lundi 1 février 2016

Politique culturelle genevoise : un piège est ouvert

Un débat gratiné...

N'y a-t-il plus à Genève d'enjeu culturel, de débat sur un tel enjeu, que celui de la rénovation-extension du Musée d'Art et d'Histoire ? En tout cas, ce débat, ou ce qui en tient lieu écrase tous les autres. Ou plutôt les recouvre d'une sorte de couche gratinée, sous laquelle on se doute bien qu'il y a quelque chose, mais recouvert par les polémiques sur le projet Nouvel-Jucker -ou plutôt, le plus souvent, sur les aspects collatéraux de ce projet. Et sur son financement. Et sur la campagne du « oui ». Et sur celle du « non ». Et sur Nosferatu. Et sur Gandur. Et sur l'âge du capitaine. Alors,  bien sûr qu'il est important, le projet MAH+, parce que le MAH est important -mais bon sang !, la politique culturelle de la Ville ne s'y résume pas, même si, quelque soit le résultat du vote du 28 février, elle risque fort d'en pâtir... Un piège est grand ouvert pour toute politique culturelle digne de ce nom... Et on n'est jamais si bien piégé que par soi-même...


Quand on aura touché le fond, on pourra encore creuser ?


Faute d'être capable d'inscrire le débat sur le MAH+ dans le cadre plus essentiel de la politique culturelle de la Ville de Genève, partisans et opposants de ce projet s'écharpent et chipotent sur des détails, des à-côté... on accuse l'affiche des opposants de filiation antisémite, on se prépare à contester en justice le résultat d'un vote positif... Nappez le tout d'une bonne couche de complotisme, saupoudrez de règlements de comptes claniques, garnissez de quelques quérulences ineptes et servez chaud...  Après le procès d'intention ouvert par des partisans du projet contre l'affiche des adversaires, il ne manquait plus qu'une pleurnicherie des adversaires auprès de la Surveillance des communes, c'est fait*... On a touché le fond ? Non, pas encore. Et de toute façon, quand on y sera, on pourra encore creuser. Et balancer dans la fosse tous les projets et tous les enjeux culturels de ces prochains mois, et quelques uns de ces prochaines années : la Nouvelle Comédie, le Pavillon de la Danse, les subventions à la culture émergente...

Comment ceux qui font campagne contre le projet de MAH+ avec comme argument principal que « ça coûte trop cher » pourront-ils défendre le projet de Nouvelle Comédie ? l'UDC n'aura pas ce problème puisqu'elle combat les deux projets...   le PS et le PDC, qui les soutiennent les deux, n'auront pas non plus à gérer la contradiction patente qu'il y a à refuser un projet parce qu'il «  coûte cher » et qu'il risque d'y avoir « des dépassements », et à en accepter un autre, presque aussi «  cher« » et pas mieux préservé de «  dépassements » (le PDC, toutefois, n'a pas été le dernier à voter les coupes budgétaires dans les dépenses culturelles de la Ville... en nous expliquant maintenant qu'il ne voulait pas couper, mais donner un "signal". Avec un rabot en guise de sémaphore. Et en prenant les milieux culturels en otage d'un règlement de compte politique avec le magistrat en charge de la culture...). Mais le PLR, qui soutient le projet du MAH et fait tout pour couler le financement de la Nouvelle Comédie ? Et le MCG, qui soutient l'un et combat l'autre ? Et les opposants de gauche au MAH+, qui combattent les restrictions budgétaires imposées par la droite sur le budget de la culture mais font campagne contre le MAH+ en mettant en avant son coût ? 

D'une certaine manière, d'ailleurs, nous serons forcément dans le camp des perdants, que nous ayons voté "oui" ou que nous ayons voté "non" au projet Nouvel-Jucker. Si c 'est "oui", ce "oui" le sera à un projet dont on n'aura jamais véritablement discuté, débattu, et donc soutenu ou contesté, le contenu culturel -le projet muséal lui-même. Et si c'est "non", ce "non" le sera avant tout à une dépense publique, car c'est bien cet argument-là, celui du coût, qui pourra constituer une majorité négative et emporter le vote, comme il se produit le plus souvent, quand un consensus fort ne s'est pas créé -n'a pas été créé- autour d'un projet culturel, quel qu'il soit.

Quelque soit le résultat du vote du 28 février, et quel qu'ait été notre propre vote, que nous soyons dans le camp des gagnants ou celui des perdants du vote populaire, il nous restera tous les autres enjeux à relever (et même sans doute encore avec celui du MAH à assumer, parce que ce scrutin ne clôt rien), avec un «  camp de la culture » divisé, épuisé, traversé d'aigreurs et de rancœurs.
La résistance au démantèlement du soutien public à la culture n'avait pas besoin de ça. Vraiment pas.

* "La nouvelle va faire l'effet d'une bombe", écrit le rédac'chef de GHI dans l'édition d'hier. Une bombe ? Un pétard, tout au plus. Et mouillé. Donc le comité référendaire contre la rénovation-extension, version Nouvel-Jucker, du Musée d'Art et d''Histoire a saisi le service de surveillance des communes pour lui demander d'invalider la nouvelle version de la Convention entre la Ville de Genève et le principal partenaire privé du projet, la Fondation Gandur, au motif qu'elle n'a pas (pas plus que l'ancienne) été validée par le Conseil Municipal. Et c'est doublement idiot. D'abord parce que si la nouvelle version de la Convention était invalidée, c'est l'ancienne qui serait ressuscitée, et qu'elle est pire que la nouvelle. Ensuite parce que la raison donnée de cette demande d'invalidation, l'illégalité supposée d'une convention du type de celle entre la Ville et la FGA (une convention sur 99 ans, avec, au "don" de la FGA, des contreparties matérielles de la part de la Ville) si cette Convention n'était pas validée par le Conseil municipal, avait déjà fait l'objet d'une saisie de la Cour des Comptes par plusieurs conseillères et conseillers municipaux de gauche en 2011, et que la Cour des Comptes avait conclu que le Conseil administratif n'était pas obligé de soumettre ce texte au Conseil Municipal, et que donc le fait qu'il engage la Ville seul n'est pas illégal. Politiquement contestable, et inopportun, certes, mais pas illégal. Et que tant que la loi (celle sur l'administration des communes) n'a pas changé, le Conseil administratif peut se passer de l'avis du Conseil Municipal. Et qu'on aurait pu en déduire que plutôt qu'aller pleurnicher auprès de la surveillance des communes, les référendaires allaient plutôt déposer au Grand Conseil une proposition de modification de la loi. Mais faut croire que c'est trop compliqué. Ou pas assez jouissif. Et avec tout ça, à un mois du vote sur le MAH, on ne débat toujours pas du fond. Parce que ça aussi, c'est trop compliqué et pas assez jouissif ?