lundi 1 février 2016

Politique culturelle genevoise : un piège est ouvert

Un débat gratiné...

N'y a-t-il plus à Genève d'enjeu culturel, de débat sur un tel enjeu, que celui de la rénovation-extension du Musée d'Art et d'Histoire ? En tout cas, ce débat, ou ce qui en tient lieu écrase tous les autres. Ou plutôt les recouvre d'une sorte de couche gratinée, sous laquelle on se doute bien qu'il y a quelque chose, mais recouvert par les polémiques sur le projet Nouvel-Jucker -ou plutôt, le plus souvent, sur les aspects collatéraux de ce projet. Et sur son financement. Et sur la campagne du « oui ». Et sur celle du « non ». Et sur Nosferatu. Et sur Gandur. Et sur l'âge du capitaine. Alors,  bien sûr qu'il est important, le projet MAH+, parce que le MAH est important -mais bon sang !, la politique culturelle de la Ville ne s'y résume pas, même si, quelque soit le résultat du vote du 28 février, elle risque fort d'en pâtir... Un piège est grand ouvert pour toute politique culturelle digne de ce nom... Et on n'est jamais si bien piégé que par soi-même...


Quand on aura touché le fond, on pourra encore creuser ?


Faute d'être capable d'inscrire le débat sur le MAH+ dans le cadre plus essentiel de la politique culturelle de la Ville de Genève, partisans et opposants de ce projet s'écharpent et chipotent sur des détails, des à-côté... on accuse l'affiche des opposants de filiation antisémite, on se prépare à contester en justice le résultat d'un vote positif... Nappez le tout d'une bonne couche de complotisme, saupoudrez de règlements de comptes claniques, garnissez de quelques quérulences ineptes et servez chaud...  Après le procès d'intention ouvert par des partisans du projet contre l'affiche des adversaires, il ne manquait plus qu'une pleurnicherie des adversaires auprès de la Surveillance des communes, c'est fait*... On a touché le fond ? Non, pas encore. Et de toute façon, quand on y sera, on pourra encore creuser. Et balancer dans la fosse tous les projets et tous les enjeux culturels de ces prochains mois, et quelques uns de ces prochaines années : la Nouvelle Comédie, le Pavillon de la Danse, les subventions à la culture émergente...

Comment ceux qui font campagne contre le projet de MAH+ avec comme argument principal que « ça coûte trop cher » pourront-ils défendre le projet de Nouvelle Comédie ? l'UDC n'aura pas ce problème puisqu'elle combat les deux projets...   le PS et le PDC, qui les soutiennent les deux, n'auront pas non plus à gérer la contradiction patente qu'il y a à refuser un projet parce qu'il «  coûte cher » et qu'il risque d'y avoir « des dépassements », et à en accepter un autre, presque aussi «  cher« » et pas mieux préservé de «  dépassements » (le PDC, toutefois, n'a pas été le dernier à voter les coupes budgétaires dans les dépenses culturelles de la Ville... en nous expliquant maintenant qu'il ne voulait pas couper, mais donner un "signal". Avec un rabot en guise de sémaphore. Et en prenant les milieux culturels en otage d'un règlement de compte politique avec le magistrat en charge de la culture...). Mais le PLR, qui soutient le projet du MAH et fait tout pour couler le financement de la Nouvelle Comédie ? Et le MCG, qui soutient l'un et combat l'autre ? Et les opposants de gauche au MAH+, qui combattent les restrictions budgétaires imposées par la droite sur le budget de la culture mais font campagne contre le MAH+ en mettant en avant son coût ? 

D'une certaine manière, d'ailleurs, nous serons forcément dans le camp des perdants, que nous ayons voté "oui" ou que nous ayons voté "non" au projet Nouvel-Jucker. Si c 'est "oui", ce "oui" le sera à un projet dont on n'aura jamais véritablement discuté, débattu, et donc soutenu ou contesté, le contenu culturel -le projet muséal lui-même. Et si c'est "non", ce "non" le sera avant tout à une dépense publique, car c'est bien cet argument-là, celui du coût, qui pourra constituer une majorité négative et emporter le vote, comme il se produit le plus souvent, quand un consensus fort ne s'est pas créé -n'a pas été créé- autour d'un projet culturel, quel qu'il soit.

Quelque soit le résultat du vote du 28 février, et quel qu'ait été notre propre vote, que nous soyons dans le camp des gagnants ou celui des perdants du vote populaire, il nous restera tous les autres enjeux à relever (et même sans doute encore avec celui du MAH à assumer, parce que ce scrutin ne clôt rien), avec un «  camp de la culture » divisé, épuisé, traversé d'aigreurs et de rancœurs.
La résistance au démantèlement du soutien public à la culture n'avait pas besoin de ça. Vraiment pas.

* "La nouvelle va faire l'effet d'une bombe", écrit le rédac'chef de GHI dans l'édition d'hier. Une bombe ? Un pétard, tout au plus. Et mouillé. Donc le comité référendaire contre la rénovation-extension, version Nouvel-Jucker, du Musée d'Art et d''Histoire a saisi le service de surveillance des communes pour lui demander d'invalider la nouvelle version de la Convention entre la Ville de Genève et le principal partenaire privé du projet, la Fondation Gandur, au motif qu'elle n'a pas (pas plus que l'ancienne) été validée par le Conseil Municipal. Et c'est doublement idiot. D'abord parce que si la nouvelle version de la Convention était invalidée, c'est l'ancienne qui serait ressuscitée, et qu'elle est pire que la nouvelle. Ensuite parce que la raison donnée de cette demande d'invalidation, l'illégalité supposée d'une convention du type de celle entre la Ville et la FGA (une convention sur 99 ans, avec, au "don" de la FGA, des contreparties matérielles de la part de la Ville) si cette Convention n'était pas validée par le Conseil municipal, avait déjà fait l'objet d'une saisie de la Cour des Comptes par plusieurs conseillères et conseillers municipaux de gauche en 2011, et que la Cour des Comptes avait conclu que le Conseil administratif n'était pas obligé de soumettre ce texte au Conseil Municipal, et que donc le fait qu'il engage la Ville seul n'est pas illégal. Politiquement contestable, et inopportun, certes, mais pas illégal. Et que tant que la loi (celle sur l'administration des communes) n'a pas changé, le Conseil administratif peut se passer de l'avis du Conseil Municipal. Et qu'on aurait pu en déduire que plutôt qu'aller pleurnicher auprès de la surveillance des communes, les référendaires allaient plutôt déposer au Grand Conseil une proposition de modification de la loi. Mais faut croire que c'est trop compliqué. Ou pas assez jouissif. Et avec tout ça, à un mois du vote sur le MAH, on ne débat toujours pas du fond. Parce que ça aussi, c'est trop compliqué et pas assez jouissif ?

Aucun commentaire: