lundi 26 mars 2018

Invalidation de l'Initiative populaire législative « Le Plaza ne doit pas mourir » : on recourt



Dans un mois se tiendra le premier tour de l'élection du Conseil d'Etat. L'un des dernier actes du gouvernement sortant aura donc été de tenter de priver les Genevoises et les Genevois du droit de se prononcer sur une initiative signée par plus de 11'000 d'entre elles et eux : l'initiative populaire législative "Le Plaza ne doit pas mourir", qui propose de déclarer d'utilité publique le maintien de la plus belle salle de cinéma genevoise, et, par le moyen de l'expropriation dans le cadre de la loi et de cette utilité publique, d'en faire un espace culturel novateur, au centre d'un quartier qu'il pourrait redynamiser -et qui en a grand besoin. Hier, le Conseil d'Etat sortant a décidé d'invalider l'initiative, et donc de ne la soumettre ni au parlement, ni au peuple. Le Comité d'initiative fera, bien sûr,recours contre cette invalidation.

"in dubio pro populo"

Il faut bien, aujourd'hui, rappeler au gouvernement genevois sortant un principe, fondamental de la démocratie telle qu'elle est (ou devrait être) défendue dans cette République : "in dubio pro populo" (dans le doute, c'est au peuple de décider). Le Conseil d'Etat, et le Grand Conseil sont maîtres de leurs propres recommandation au peuple, mais tenus de laisser le peuple décider : s'ils sont opposés au contenu d'une initiative, qu'ils le disent, l'assument et proposent aux citoyennes et citoyens de la repousser, quitte à lui proposer un contre-projet -mais qu'ils ne se cachent pas, pour complaire aux propriétaires d'un ensemble architectural et d'un lieu culturel méritant toute protection, derrière des arguties juridiques qui ne trompent personne, pas même ceux qui s'y livrent.

A au moins deux reprises, la Ville de Genève (soit, respectivement, son Conseil administratif et son Conseil municipal) a fait montre de son opposition à la démolition de la salle du "Plaza", et de son engagement pour son maintien comme salle de cinéma. D'abord, le Conseil administratif a délivré un préavis positif à la demande de classement de l'ensemble dans lequel la salle de cinéma est insérée, "Mont-Blanc Centre", puis un préavis défavorable à la demande d'annulation du classement de cet ensemble, et enfin un préavis négatif à la demande faite par le propriétaire du "Plaza" de l'autoriser à démolir la salle. Ensuite, le Conseil municipal, par son soutien à une pétition lancée en ce sens, a donné mandat au Conseil administratif d'"entreprendre toute démarche et de faire toute proposition, y compris de rachat, le cas échéant en partenariat, afin de maintenir l'affectation de la salle du Plaza en salle(s) de cinéma, dans le respect de son architecture". En acceptant la pétition, le Conseil Municipal saisit la Ville de Genève de l'enjeu, comme en faisant aboutir l'initiative, ses 11'000 signataires en saisissent le canton. La Commission des Arts & de la culture du Conseil Municipal a également préavisé en faveur de l'acceptation par le Conseil Municipal d'une motion ayant la même teneur que la pétition.

Le Comité d'initiative fera donc recours auprès de toutes instances utiles contre la décision du Conseil d'Etat sortant d'invalider une initiative signée par plus de 11'000 citoyennes et citoyens, et de priver l'ensemble des citoyennes et citoyens genevois du droit de se prononcer sur les propositions de l'initiative. Il appelle les Genevoises et les Genevois à tenir compte, lorsqu'ils choisiront, dans un mois, leur nouveau gouvernement, de l'une des dernières décisions de leur gouvernement sortant, de l'une de ses dernières erreurs politiques et de l'une de ses dernières manifestations de pusillanimité face aux propriétaires fonciers.

dimanche 28 janvier 2018

Musée d'Art et d'Histoire de Genève : ça se décante


Fin juin dernier, la commission externe chargée par le Conseil administratif de la Ville de Genève de dessiner les pistes à emprunter pour rénover non seulement le bâtiment du Musée d'Art et d'Histoire mais aussi son projet, avait présenté son premier rapport intermédiaire. Elle avait alors remis à l'heure une pendule qui s'obstinait à faire tourner ses aiguilles à l'envers, quand on s'interrogeait sur le bâtiment avant que de réfléchir sur ce qu'il devait abriter, et à quoi il devait servir. La défaite en votation populaire du projet de rénovation du MAH aura donc eu au moins cette utilité, de rappeler que le contenu importe plus que le contenant. Six mois après la commission d'experts, c'est Patrimoine Suisse qui rend son propre rapport, "Demain le Musée d'Art et d'Histoire de Genève", un rapport qui se veut -et est- une "contribution utile au travail des autorités", "Patrimoine Suisse expliquant qu'il lui est paru "opportun de quitter la posture d'opposition dans laquelle nous étions afin de lancer des propositions dans un mouvement optimiste". Après des années de polémique pas toujours bien inspirée, et ne portant pas toujours sur l'essentiel, le débat se décante. Il était temps.


"Etre là où on ne vous attend pas, c'est peut-être le sens des musées du futur"


Le directeur du Centre d'Art Contemporain de Genève, Andrea Bellini faisait (dans "Le Courrier" du 23 juin, le même constat que celui que nous distillions ad nauseam : , "le futur d'un musée est moins lié à des enjeux architecturaux qu'à la cohérence et à l'ambition du projet culturel qui définit le musée lui-même. Sans un projet culturel de qualité (...) le musée sculpture n'est qu'une coquille certes attirante, mais vide. Il est alors culturellement vain".

Il y a sans nul doute à Genève, depuis bientôt 500 ans (depuis l'ouverture en 1559, par Calvin, de l'Académie qui se dotera d'une "Chambre des curiosités"), une culture du patrimoine, mais une culture muséale ?  Le Musée d'ethnographie a certes reçu en mai dernier le Prix 2017 du Musée européen pour son offre culturelle, son engagement sociétal et sa scénographie, le Musée de la Réforme le Prix du Musée 2007 du Conseil de l'Europe, pour sa contribution à la connaissance du patrimoine culturel européen, et le Musée de la Croix-Rouge le Prix Kenneth Hudson en 2015 pour sa présentation de la mission humanitaire, mais si cela constate la qualité des musées genevois,  cela fait-il de Genève un "pôle muséal" ?

"Un musée est un point de vue avant d'être un lieu", considère le responsable du développement du Musée de l'Elysée, à Lausanne. Admettons. Mais un point de vue de qui, sur quoi ? sur le musée lui-même? A l'heure des réseaux sociaux, de la circulation quasi immédiate d'une information indistincte de la rumeur, de la confusion du vrai et du faux, de l'essentiel et de l'accessoire, du fondamental et de l'anecdotique, le musée devrait être un lieu producteur de repères, parce qu'il est "gardien de mémoire, rempart contre l'oubli, l'ignorance, l'infondé". Cette tension entre l'histoire (celle du bâtiment, celle de la muséologie) et le projet culturel donne d'ailleurs tout son intérêt au débat sur le contenu du musée : s'il ne s'agissait que de préserver le bâtiment, on pourrait se contenter de moderniser le projet muséologique "encyclopédique" du XIXe siècle, et s'il s'agissait de se doter d'un nouveau projet sans égard pour le bâtiment, on pourrait de celui-ci faire table rase. Or ni, évidemment, Patrimoine Suisse, ni le groupe d'experts commis par le Conseil administratif ne préconisent l'un de ces deux termes d'une alternative aussi simpliste.

"Etre là où on ne vous attend pas, c'est peut-être le sens des musées du futur", suggère Marie-Pierre Bathany, directrice du Fonds Leclerc pour la culture. Il reste à espérer qu'avec le nouveau MAH, Genève proposera précisément un musée "là où on ne l'attend pas".