jeudi 16 décembre 2010

Avant-projet de loi sur la culture : qu'en faire ?

Sortir de la guerre de tranchées

Le Parti socialiste, et nous* même, puisqu'il nous* arrive d'être d'accord avec notre* propre parti, avons salué, sans illusions excessives, l'avant-projet de loi sur la culture issu des travaux de la commission d'experts (CELAC). Cet avant-projet exprimait, sur le fond, une position que nous défendons depuis des années, et que défendaient également les milieux culturels regroupés dans le RAAC -dont à notre connaissance nul n'a jamais affirmé qu'il était à lui seul le représentant attitré de toutes celles et ceux qui, à un titre ou un autre, dans un domaine ou un autre, professionnellement ou en amateurs, sont des acteurs culturels. Mais les travaux de la CELAC n'ont rien eu du parcours d'un long fleuve tranquille, et ont plus souvent qu'à leur tour été le théâtre d'une véritable guerre de tranchée entre la Ville et le canton. Le projet qui en est ressorti en porte encore les traces -et le débat qui va s'engager sur l'ultime phase de ce travail, celle du projet de loi qui sera déposé devant le Grand Conseil, n'y échappera pas non plus.
*où l'on s'offre le petit plaisir d'un pluriel de majesté

Et deux siècles et demi après la lettre de Rousseau à d'Alembert...

Que la politique culturelle soit le champ d'un débat politique n'a rien que de très légitime. Que ce débat politique se réduise en un conflit territorial est en revanche assez navrant : la commission chargée de proposer une nouvelle loi sur la culture (CELAC) semble avoir été le théâtre d'un nouvel épisode de la guerre de tranchée que se livrent, sur la politique culturelle, la Ville et le Canton, la première assumant l'essentiel de la charge financière (et de la responsabilité politique) de la politique culturelle de toute la région, le second n'acceptant d'en prendre sa part qu'à la condition que cela lui coûte le moins possible. Cet affrontement tient plus de la guerre tribale que du débat politique : la Ville défend son pré carré, le canton veut agrandir le sien, ni la première, ni le second ne semblent prendre garde à l'impossibilité en laquelle tous deux ainsi se placent de répondre aux trois enjeux de la politique culturelle genevoise : le partage (et non le transfert) des tâches et des charges (le « faire ensemble ») entre toutes les communes et le canton, le respect de la règle « pas de compétence sans charge, pas de charge sans compétence » ; l'ouverture aux communes vaudoises et françaises de la région ; un plus grand engagement, une plus grande responsabilité, une plus grande présence du canton - mais sans que ce renforcement se traduise, dans un jeu à somme nulle, par un affaiblissement de l'engagement, de la responsabilité et de la présence de la Ville. Nous n'avons pas combattu, avec les milieux culturels, un transfert de charge dans un sens pour en accepter un dans l'autre sens, et passer simplement du « qui paie commande » qui résume la situation actuelle, au « je commande, tu paies » en quoi se réduirait l'octroi au canton de compétences légales sans moyens de les concrétiser. Un engagement du canton dans la politique culturelle ne vaudrait que ce que valent les bonnes intentions dont est pavé l'enfer d'un champ culturel administré « d'en haut » si cet engagement se résumait à la production d'ukases tombant sur les communes comme la vérole sur le bas-clergé breton. Une loi sur la culture - ni l'actuelle, ni celle proposée par la CELAC - n'épuise pas le champ de la politique culturelle : une fois le projet de loi accepté, s'il devait l'être, il faudra passer aux choses sérieuses, et affecter les moyens financiers et humains nécessaires pour que le canton devienne un acteur déterminant de la politique culturelle, aux côtés (et non à la place, et moins encore au-dessus) de la Ville et des autres communes. C'est à ce moment-là que l'on pourra juger de la cohérence des engagements pris et mesurer, à l'aune des moyens accordés, de quoi est tissée la belle unanimité rhétorique qui se fait autour du principe d'un engagement culturel accru du canton. En 1758, dans sa « Lettre à M. d'Alembert sur les spectacles », Jean-Jacques disait avoir « fait voir qu'il est absolument impossible qu'un théâtre de comédie se soutienne à Genève par le seul concours des spectateurs. Il faudra donc de deux choses l'une : ou que les riches se cotisent pour le soutenir, charge onéreuse qu'assurément ils ne seront pas d'humeur à supporter longtemps ; ou que l'Etat s'en mêle et le soutienne à ses propres frais ». On en est toujours là, et deux siècles et demi après, il serait temps d'en sortir..