jeudi 26 novembre 2015

Large soutien, de partout, à l'Usine : Défendre l'exception


   

La Fédération suisse des salles de concerts et des festivals de musiques actuelles à but non lucratif ("Petzi", dans son acronyme germanique, qui nous renvoie à nos lectures de gamins) a exprimé, comme des milliers de personnes et des dizaines de lieux culturels genevois et suisses (et étrangers) son soutien à l'Usine dans le "bras-de-fer" engagé avec la bureaucratie cantonale. Un soutien apporté en particulier à ses salles de concert, en relevant que "le cadre administratif et légal, notamment au sujet des patentes est inadapté à nos membres dans l'Usine et le plus souvent aux salles de concerts à but non lucratif", dont "l'objectif est d'abord culturel", et dont les subventions et recettes, y compris celles, "secondaires et accessoires" tirées des bars, "servent ce but et aucun autre". Constat d'évidence : L'Usine est une exception culturelle à laquelle on veut appliquer un règlement (le "règlement d'exécution de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement") dont les 66 articles  prennent 18 pages de la Feuille d'Avis Officielle... Cette exception, de plus, est une survivante : elle est l'héritage des grandes années des squats, de leur brassage social, de leur fonctionnement associatif, autogestionnaire, égalitaire, collectif, rigoureusement incompatible avec les logiques administratives derrière lesquelles l'Etat se réfugie (la Ville, pour sa part, s’accommodant tant que faire se peut de ces logiques "alternatives", et n'y voyant en tout cas pas motif à renoncer de soutenir les lieux où elles sont à l'oeuvre).

Une manif commune de l'Usine et du Grand Théâtre, ça nous aurait bien plu.

Aucune loi ne se justifie par elle-même, pour la seule raison qu'elle est la loi et qu'elle doit s'appliquer. Toute loi doit se confronter à la réalité sociale, et toute loi est en retard sur cette réalité. Il en est, évidemment, ainsi dans le champ culturel, et exemplairement à l'Usine, d'autant que ce champ et ce lieu sont par définition pour lui et par vocation pour elle, ceux de l'expérimentation des nouvelles idées, des nouvelles formes et des nouvelles pratiques sociales. Cela dit, alternative par sa programmation et son fonctionnement, l'Usine n'est pas pour autant hors-la-loi : elle paie ses taxes et ses cotisations sociales. Elle rend chaque année des comptes à la Ville, comme toute entité subventionnée.

Au Conseil Municipal,  elles en avaient plein les discours, la droite et sa droite, du principe de l'"égalité de traitement" entre les bars de l'Usine et les autres estaminets de la ville. L'égalité de traitement entre qui et qui, quoi et quoi ? combien de débits de boisson proposent du théâtre, du cinéma, de la musique, une galerie, un atelier sérigraphie ?  Combien de débits de boisson proposent à plus de 5000 spectateurs par semaine plus de 80 événements par mois, de toutes natures, dans toutes les disciplines et par toutes les formes d'expression artistiques ? Combien de débits de boisson organisent des festivals ? Combien de débits de boissons rassemblent 18 associations autour d'un projet et d'un fonctionnement commun ? Combien de débits de boisson versent plusieurs centaines de salaires et mobilisent autant de bénévoles ? Combien de débits de boisson reversent leurs recettes dans le financement de leurs activités culturelles ? Combien de débits de boisson accueillent 225'000 personnes par année pour autre chose que pour boire ? Combien de débits de boisson ont été une véritable école pour des créateurs dans toutes les disciplines artistiques et culturelles ?
Alors oui, pratiquons l'égalité de traitement entre l'Usine et les autres débits de boissons qui assurent la même offre culturelle qu'elle. Ce sera facile : il n'y en pas d'autre.

De toute façon, la question n'est pas dans le risque que les gesticulations de la droite municipale font courir (ou non) à l'Usine. La question, c'est celle de la légitimité de la prise d'un lieu culturel en otage de l’irrépressible besoin existentiel de cette droite dilatée, et qui ne supporte pas le soutien apporté à l'Usine par un Conseil administratif (de gauche) que la droite incapable de s'y renforcer tient désormais presque en la même exécration que l'Usine elle-même. Et ce n'est pas peu dire. Et cela menace non seulement l'Usine, mais tous les lieux culturels genevois, y compris les plus institutionnels, et réputés les plus "bourgeois" (si l'on ne tient compte que de leur fréquentation par des abonnés, et pas de leur programmation -citez-nous donc un grand opéra du répertoire qui chante les vertus de la morale bourgeoise...) : la droite n'a pas que l'Usine dans le viseur -elle a aussi la Nouvelle Comédie et même le Grand Théâtre... qui nous a pourtant assuré qu'il avait les autorisation légales pour son bistrot et sa buvette... Hélas (trois fois) le Cercle de ses mécènes n'a pas prévu de manif pour protester contre le gel par le Conseil d'Etat de la modeste subvention qu'il proposait, bouleversifiante nouveauté dans le paysage culturel genevois, d'accorder pour la première fois à l'Opéra. Dommage : une manif commune de l'Usine et du Grand Théâtre accompagnée de tags sur les murs des banques, ça nous aurait bien plu.

En attendant, notez cela dans vos agendas : Mardi prochain 1er décembre, journée de lutte des syndicats de la fonction publique pour la défense du service public et de ses prestations à la population, sera aussi une journée de lutte des acteurs culturels pour la défense des moyens accordés à leurs espaces de travail, de création, d'expérimentation -bref, d'enrichissement de la Cité par autre chose que les profits commerciaux et financiers.
Doutent de rien, décidément, les cultureux.

dimanche 22 novembre 2015

Petits marchandages Ville-canton : Soldes au Bricoculture


Un accord, sous forme de "déclaration conjointe", a donc été passé entre le Conseil administratif de la Ville de Genève et le Conseil d'Etat du canton pour une première répartition des compétences et des charges dans le domaine de la politique culturelle. Un accord qui n'engage que les deux exécutifs et qui n'est pas en soi une décision : les parlements cantonal et municipal (mais surtout le premier) devront se prononcer, spécifiquement ou dans le cadre de leurs débats budgétaires respectifs, sur chacun des points de cet accord, chacune des allocations budgétaires qu'il prévoit, chacun des transferts qu'il propose. Et il contient quoi, cet accord ? Les bases d'une réelle politique culturelle commune ? Que non pas : une "shopping liste" au Bricoculture, un grand marchandage à partir de critères imprécis, voire introuvables : la Ville prendrait ainsi en charge le soutien à la création dans les arts de la scène, le canton celui de la politique du livre, la Bibliothèque de Genève, puis à terme, l'art lyrique.  En fonction de quel raisonnement ? Pourquoi ces domaines à ces collectivités, et pas d'autres domaines ? Parce que, comme le suggérait un conseiller municipal UDC, le théâtre serait de gauche et l'opéra de droite ? On peine à comprendre. A moins qu'il n'y ait rien d'autre à comprendre qu'un gage donné au PLR pour sortir la Nouvelle Comédie de l'ornière dans laquelle il l'a embourbée ?

La politique culturelle mérite plus qu'une shopping liste : un débat démocratique

Nous voilà donc avec un accord entre les exécutifs (et eux seuls) de la Ville et du canton, contenant une liste d'institutions, de lieux et de domaines culturels, qu'on va répartir entre celles et ceux que la Ville seule financera, celles et ceux que le canton seul financera, celles et ceux que la Ville et le canton financeront ensemble : A la Ville, les institutions "intermédiaires". Intermédiaires entre quoi et quoi ? le quartier et la région ? En quoi le Musée d'Art et d'Histoire, restant à la Ville, est-il une institution "intermédiaire" ? En quoi la Fondation Bodmer, revenant au canton, est-elle d'une importance plus "stratégique" que le principal musée genevois ? Dans le domaine des arts de la scène, la Ville devrait financer la création et le canton la diffusion : sur quel raisonnement, quels critères, cette division du travail est-elle établie ? Cet accord  qui ne clarifie pas grand chose est déjà contesté par nombre d'acteurs culturels, qui ne font pas que regretter l'abandon proposé d'un double subventionnement municipal et cantonal au profit d'un subventionnement unique qui les laisse à la merci des décisions d'un seul acteur institutionnel, mais qui regrettent aussi que les exécutifs de la Ville et du canton aient négocié en contournant le Conseil consultatif de la culture institué par la loi, et qui devrait se réunir pour la première fois dans deux mois.

N'en jetons plus, on aura compris que l'accord entre les exécutifs des "deux Genève", en quoi, optimiste, "Le Temps" voit un "pacte pour la culture à Genève", ne suscite pas ici un enthousiasme délirant -mais il y a à cela une explication, sinon une excuse : Il faut bien comprendre dans quel contexte la shopping liste de la Ville et du canton a été établie, non pas celui d'un "enchevêtrement" particulier des compétences dans le domaine de la culture, mais celui d'un refus systématique de la majorité parlementaire cantonale d'engager le canton dans une politique culturelle ambitieuse, lors même que la constitution et la loi le lui demandent. L'exemple du projet de la "Nouvelle Comédie" illustre parfaitement cette attitude : Pour justifier son refus de la proposition du Conseil d'Etat de participer (à un niveau moindre que la Ville) au financement de la Nouvelle Comédie, le PLR cantonal avait trouvé comme prétexte l'inaboutissement du débat sur la nouvelle répartition des tâches entre le canton et la Ville. Les deux exécutifs, en produisant un accord sur les premiers éléments de cette nouvelle répartition, enlèvent au PLR ce prétexte à la "prise d'otage" de la Nouvelle Comédie -mais gageons qu'il en trouvera un autre, de prétexte, le PLR (le lieu, le coût, l'architecture, la grandeur des salles, l'âge du capitaine, le réchauffement climatique...), tant est grande sa réticence à faire financer par le canton le repaire d'intellos de gauche que tout théâtre est supposé être, et à participer à quelque politique commune que ce soit avec la Ville.  Quant au MCG et à l'UDC, également opposés à la participation du canton au projet de Nouvelle Comédie, on n'a évidemment, s'agissant d'un projet d'institution culturelle, rien à en attendre.

On en donc là entre la Ville et le canton : à une sorte de troc qui n'est d'une politique culturelle commune qu'une navrante caricature. La loi sur la culture évoque certes un rôle renforcé du canton dans le domaine culturel, mais elle le fait en posant aussi comme principe la collaboration entre le canton, la Ville et  les autres communes, le partage des responsabilités, le "faire ensemble", pas le "chacun dans son coin" que semble ratifier l'accord annoncé vendredi... Le canton revendique la maîtrise des grandes institutions à dimension régionale ? Il laisse le Musée d'Art et d'Histoire à la Ville, qui le lui aurait bien confié. Pas assez prestigieux, sans doute, le MAH. Et engagé dans un combat politique, sur sa rénovation et son extension, à l'issue incertaine...  La constitution encourage les collaborations intercommunales ? On fait comme si la politique culturelle était l'apanage de deux acteurs : le canton et la Ville. Et les 44 autres communes ? Elles comptent pour beurre de cuisine, alors que, par exemple, le Grand Théâtre pourrait fort bien rester une institution municipale, mais intercommunale, plutôt qu'être cantonalisée. Formaliser ce caractère intercommunal de l'opéra serait admettre ce qui est déjà sa réalité -il est vrai cependant qu'il ne pourrait plus alors être une monnaie d'échange entre la Ville et le canton...

Le Grand Théâtre est d'ailleurs le plus mauvais exemple possible d'une institution victime d'un "enchevêtrement" de soutien ou de compétences auquel il conviendrait de remédier : il n'y a rien à "désenchevêtrer" entre la Ville et le canton au Grand Théâtre, puisque le canton en est absent et que cette institution est, s'agissant des soutiens publics, exclusivement municipale (ou plutôt "intercommunale", puisque par l'intermédiaire du fonds d'équipement de l'Association des communes genevoises, toutes les communes du canton participent au financement du fonctionnement et des investissements du GTG). Peu de tout cela semble importer :  le canton semble vouloir "reprendre" l'opéra, mais au moindre coût possible.  Le Grand Théâtre, c'est un coût annuel de fonctionnement, pour la Ville et les communes, de 45 millions de francs. Plus les investissements. Plus la valeur du bâtiment. Y'a-t-il une majorité au Grand Conseil pour accepter de prendre la totalité de ces coûts en charge ? Il y en a certainement une pour assumer une subvention de fonctionnement de 10 millions par année, soit moins du quart du coût de fonctionnement annuel de l'institution, mais au-delà ? Pour assumer les investissements (la Ville vient d'investir 60 millions dans la rénovation du bâtiment de Neuve, et depuis soixante ans,  depuis l'incendie du Grand Théâtre,  la Ville y a investi plus d'un milliard de francs...), pour racheter le bâtiment, et assumer son entretien, pour intégrer le personnel municipal qui y est affecté à la fonction publique cantonale, y-a-t-il une majorité au Grand Conseil ? On peut sérieusement en douter -et être convaincus qu'il n'y en a certainement pas une au Conseil Municipal pour réduire la Ville au rôle de "concierge" de l'Opéra...

Sur chacune de ces institutions, chacun de ces projets, chacune de ces répartitions,des votes parlementaires seront nécessaires, au Grand Conseil et dans la plupart des cas, au Conseil Municipal. Sans que dans aucun de ces deux parlements une majorité soit aujourd'hui garantie pour ratifier la "shopping liste" négociée entre les exécutifs municipal et cantonal. Et si même une telle majorité se dessinait, resterait la possibilité de référendums populaires. On n'est donc pas encore sortis du souk. Et c'est très bien ainsi : la politique culturelle mérite mieux qu'une shopping liste établie par deux exécutifs : un débat démocratique, mené, conclu et tranché par les citoyens.
On fera ce qu'on pourra pour qu'il en soit ainsi.

mercredi 18 novembre 2015

Fond de tiroir


Dans le cadre du lancement officiel de la campagne en faveur du projet de rénovation-extension du Musée d'Art et d'Histoire (MAH+), on a été invités à une conférence de presse jeudi 12 novembre 2015 (10h30) « en présence d’une partie des vice-président(e)s du Cercle, de personnalités de la société civile et de responsables de partis politiques ». Et on nous annonce que prendront la parole à cette occasion : Sami Kanaan, Conseiller administratif de la Ville de Genève en charge du Département de la culture et du sport, Carlos Medeiros, Président du Conseil municipal de la Ville de Genève et vice-président du MCG, Marie Barbey-Chappuis, Conseillère municipale PDC en Ville de Genève, Natacha Buffet-Desfayes, Conseillère municipale et chef de groupe PLR en Ville de Genève, Grégoire Carasso, Conseiller municipal et chef de groupe PS en Ville de Genève , Charlotte de Senarclens, co-présidente du Cercle de Soutien MAH+ Genève. Donc sur les six intervenants pour le « MAH plus » , y'en a trois qui sont aussi pour une «Usine moins», dont un qui a quasiment traité le conjoint d'une autre d'imbécile. ça, c'est du front uni ou on ne s'y connaît pas. Oui, bon, d'accord, on ne s'y connaît pas.

Petite question innocente au Conseil administratif de la Ville de Genève : Nous avons appris par la presse que le Conseil administratif avait renoncé à faire recours contre la décision du canton d'autoriser la démolition du cinéma Le Plaza, alors même qu'il avait émis un préavis négatif -sur lequel le canton s'était assis- à la demande d'autorisation de la démolition, eu égard aux qualités de cette salle, à sa valeur architecturale, patrimoniale et culturelle. Or une motion et une pétition demandant précisément à la Ville de s'opposer à cette démolition, sont à l'examen à la commission des pétitions et à la Carts. N'aurait-il pas été de la part du Conseil administratif, judicieux, et même politiquement élégant, plutôt que préjuger cet examen, de faire recours contre l'autorisation de démolir, dans l'attente d'un vote du plénum, quitte à retirer ce recours si le plénum ne suivait pas les demandes de la pétition et de la motion ?

Faut pas croire, à Genève, y'a pas que l'Usine qui est dans le collimateur du canton : même le Grand Théâtre se retrouve menacé, par la décision du Conseil d'Etat de « geler » l'examen d'un projet de loi accordant à l'Opéra une (modeste) subvention d'un million de francs (répartis sur deux saisons, et dont la moitié aurait déjà dû être versée pour la saison 2014-2015), avec comme prétexte, le même que celui invoqué pour geler le financement cantonal de la Nouvelle Comédie, qu'il faut attendre que le dossier de la répartition des tâches culturelles entre le canton et les communes ait avancé -alors que la (modeste) subvention cantonale prévue pour le Grand Théâtre n'a rien à voir avec ce dossier. Et que la Ville assure déjà à elle seule un financement de plus de 40 millions pour cette institution. Bref, c'est toute la politique culturelle qui se trouve visée, soit par des bureaucrates, soit par des comptables, soit par des technocrates cantonaux. Et là, en effet, y'a pas désenchevêtrement : y'a accumulation. De conneries.

Le Cercle de soutien au projet de rénovation et d'extension du Musée d'Art et d'Histoire de Genève (MAH+), et les partis politiques qui soutiennent le projet (c'est-à-dire tous les partis représentés au Conseil Municipal sauf l'UDC et «Ensemble à Gauche»), ont lancé hier leur campagne en vue de la votation en ville de Genève, le 28 février, sur ce projet.  Et le Cercle de soutien est tout content d'annoncer que « le PS, le PLR, le PDC et le MCG feront front commun » avec lui  dans cette campagne. On a donc trouvé donc mieux que la « droite élargie », distandue, dilatée : les clivages politiques vaporisés. Le Cercle de soutien annonce qu'il « s’efforcera de rectifier les nombreuses contre-vérités répandues lors de la campagne de récolte de signatures pour le référendum et tient également à relever que les opposants ne proposent à ce jour aucune alternative crédible pour assurer un avenir au MAH ». Et nous, on tient à relever que les partisans ne proposent à ce jour aucun « projet scientifique et culturel » capable de justifier l'effort demandé, non pour la rénovation (que personne ne conteste), mais pour l'extension du musée. Et comme les partisans de cette extension, telle qu'elle est proposée, ont annoncé l'inauguration de leur site internet,  nous, on annonce plus modestement celle de la page Facebook de questionnement : MAH : quel musée, pour quoi faire, quoi dire, et à qui ? C'est par là :
https://www.facebook.com/MAH-quel-musée-pour-quoi-faire-quoi-dire-et-à-qui--727942464004871/

jeudi 12 novembre 2015

Démolition du cinéma "Le Plaza" ? On ne lâche rien !


Nous avions appris par la presse que le Conseil administratif de la Ville de Genève avait renoncé à faire recours contre la décision du canton d'autoriser la démolition du cinéma Le Plaza, alors même qu'il avait émis un préavis négatif -sur lequel le canton s'était assis- à la demande d'autorisation de la démolition, eu égard aux qualités de cette salle, à sa valeur architecturale, patrimoniale et culturelle. Or une motion et une pétition demandant précisément à la Ville de s'opposer à cette démolition, sont à l'examen à la commission des pétitions et à la Carts. N'aurait-il pas été, de la part du Conseil administratif  politiquement élégant, plutôt que préjuger cet examen par les commissions municipales, de faire recours contre l'autorisation de démolir, dans l'attente d'un vote du plénum, quitte à retirer ce recours si le plénum ne suivait pas les demandes de la pétition et de la motion ? Poser la question,  c'est (un peu) déjà y répondre. Et pour mieux y répondre encore, cinq recours ont été déposés lundi contre l'autorisation de démolir le Plaza. Parce que quand les zautorités baissent les bras, les citoyens lèvent le poing. Et que les seuls combats perdus d'avance sont ceux qu'on refuse de mener. Non mais.


"S'il n'y avait pas le cinéma, je ne saurais pas que j'ai une histoire" (Jean-Luc Godard)


Les raisons de sauver la salle de cinéma "Le Plaza", qui fut la plus grande et l'une des plus belles (sinon la plus belle) des salles genevoises ne manquent pas. Elles sont patrimoniales, sociales, culturelles. Objectives et affectives ("S'il n'y avait pas le cinéma, je ne saurais pas que j'ai une histoire", nous dit Jean-Luc Godard ). Spécifiques à cette salle et cohérentes avec d'autres combats, pour la défense d'autres lieux emblématiques. Et puisque la Ville renonce à défendre une position qui était pourtant la sienne, alors même qu'une motion et une pétition sont à l'étude dans les commissions municipales, et demandent toutes deux, précisément, que la Ville tienne sa position, il a bien fallu que des individus (un architecte, un cinéaste, un conseiller municipal, un député, un homme de théâtre...) le fassent, non pour la Ville en tant qu'institution politique, mais pour la ville en tant que corps vivant, que Civitas, qu'espace pour lequel nous n'acceptons pas de payer d'un cinéma de moins, un centre commercial de plus. La société propriétaire de la salle, en effet, veut en faire un centre commercial. Et pour échapper au principe des plans d'utilisation des sols, selon lequel on ne peut pas changer au gré de ses désirs de profits l'affectation d'un lieu, la société s'appuie sur un rapport supposé prouver qu'il n'est plus possible de rentabiliser la salle de cinéma comme telle -et qui a pondu ce rapport ? l'ancien exploitant, qui a foiré son exploitation et tient à ce qu'on croie que ce n'est pas de sa faute. Cette autojustification a fort opportunément servi au propriétaire de la salle d'argument pour demander, et obtenir, l'autorisation de la démolir. Et tant pis si cette salle est un véritable joyau d'aménagement et d'architecture. Et tant pis si le nombre de salles de cinéma indépendantes du pachyderme Pathé se réduit comme glaciers sous le réchauffement climatique. Et tant pis si le quartier ne manque pas de centres commerciaux : un de plus, c'est peut être parfaitement inutile, mais sans doute plus rentable qu'un lieu culturel.

Sauver un cinéma, c'est pourtant possible : il y a, à Carouge, l'exemple du "Bio". Et en Ville, celui, tout récent, de l'"Empire". Et celui, plus ancien, du "Paris", devenu "Manhattan" : le cinéma "Le Paris" avait ouvert ses portes le 3 octobre 1957, le jour du lancement du premier satellite artificiel de la Terre, le premier "Spoutnik" soviétique. "Le Paris", c'était une salle splendide de 700 places, sur trois niveaux desservis par des rampes d'accès. L'oeuvre de l'architecte genevois Marc-Joseph Saugey (et de l'ingénieur Pierre Froidevaux). Le même architecte qui conçut le cinéma "Le Plaza", aujourd'hui menacé. Rebaptisé en 1985 "Ciné-Manhattan", le cinéma de la place du Cirque fermait en 1988 : ses propriétaires voulaient utiliser ce volume pour agrandir le supermarché voisin (comme ceux du Plaza veulent le détruire pour le remplacer par des commerces). La lutte commence pour le sauver : l'Association pour la sauvegarde du cinéma Manhattan obtient en 1993 le classement de la salle comme monument historique. Une année plus tard, la Fondation Arditi la rachète, puis la cède à l'Etat. La salle est restaurée et modernisée avec l'appui de la Fondation Wilsdorf. Gérée par l'Etat et utilisée à nouveau comme cinéma (notamment pour la programmation du "cinéma des aînés"), mais aussi pour des manifestations culturelles et universitaires, la salle, devenue "Auditorium Fondation Arditi" est sauvée, non seulement dans sa matérialité achitecturale, mais aussi dans son affectation. Comme quoi, rien n'est impossible. Ni pour le "Bio", ni pour l'"Empire", ni pour le "Manhattan"... ni pour le "Plaza"...
La Ville nous lâche dans ce combat ? Le Conseil administratif renonce à défendre la position qui était la sienne, à combattre la démolition du Plaza ? Nous, on ne lâche rien : Le Plaza vaut qu'on le défende, comme on défend un lieu culturel rare contre le projet d'en faire un souk de plus.

mercredi 11 novembre 2015

Offensive de la droite contre l''Usine : "La Bêtise au front de taureau"


   
    

Le conflit entre l'Usine et Supermaudet et ses supplétifs municipaux aura au moins eu un mérite : mobiliser les milieux artistiques et culturels, bien au-delà des "alternatifs" pour la défense non seulement d'un lieu culturel mais de tous les espaces culturels, y compris les institutionnels, contre  la "bêtise à front de taureau" bureaucratique. Et s'il fallait trouver une vertu à ce conflit  (et à tous les autres conflits en gestation dans le champ culturel -y compris à propos d'institutions culturelles, comme la Nouvelle Comédie, voire le Grand Théâtre, ou la répartition des tâches culturelles entre le Canton et les communes) ce serait celle, pédagogique, de matérialiser l'importance d'un rapport de force politique, et de rappeler la nécessité de se battre. Parce que ça roupillait un peu, faut bien le dire, dans le champ culturel genevois, réveillé ces temps à coups de pompe dans le fondement. Alors, si Maudet, ses services et ses supplétifs municipaux peuvent, entre deux inaugurations de prisons, ressusciter une mobilisation de la jeunesse "querelleuse, protestataire et bohème" (comme la décrit, amoureusement, "Le Temps") et secouer le tissu culturel genevois, ils auront, involontairement, bien mérité de la République, de la Commune et de la culture, alternative ou pas. Alors, après Baudelaire, saluons donc, pour sa contribution à la résistance culturelle qu'elle-même nécessite, « l’énorme bêtise. La Bêtise au front de taureau »...

Nous parlons de culture, on nous parle de bibine ? "Nous n'avons pas les mêmes valeurs"

Comme nul ne l'ignore sans doute plus nulle part, la droite élargie, distendue, dilatée du PDC au MCG, est majoritaire (depuis 2011) au Conseil municipal de la Ville de Genève (tout en restant totalement minoritaire -voire utilitaire- au Conseil administratif). Majoritaire à condition précisément de se dilater d'un improbable "centre" (le PDC) à une extrême-droite qui persiste à ne pas s'avouer comme telle. Et cette "majorité" de bric et de broc a besoin, de temps à autre, de montrer qu'elle existe. C'est généralement sans grand effet, puisque dans le système genevois le pouvoir réel, au sein des communes, c'est l'exécutif qui l'a. Et donc le Conseil administratif. De gauche. Mais c'est pour la droite une raison supplémentaire de montrer ses muscles, à défaut de ses neurones. Parce que si elle ne le faisait pas, on pourrait douter de son existence. Et comme la droite municipale dilatée tient à ce qu'on sache qu'elle existe, il y a deux semaines, sous haute protection policière (le ridicule ne tue pas, à Genève) dans la salle des délibérations du Conseil Municipal, elle s'est fait exister, entre deux in jures adressées par le MCG au PDC,  en votant une délibération suspendant les subventions accordées par la Ville à l'Usine tant que celle-ci ne se sera pliée à la loi cantonales sur les estaminets.

Depuis maintenant deux semaines, inlassablement, on tente d'expliquer et, plus désespérément encore, de faire comprendre à la droite et à l'extrême-droite genevoises la différence qu'il y a entre un commerce de débit de boisson et un centre culturel (alternatif, qui plus est). Et la contradiction entre une réglementation bureaucratique et un fonctionnement autogéré. Peine perdue, évidemment : on ne fait pas boire, surtout pas à la Makhno, des ânes qui n'ont pas soif. Pour la droite municipale, l'Usine n'est pas un centre culturel. Nan. L'Usine, c'est un débit de boisson qui fait concurrence aux autres débits de boissons, et qui relâche dans la nature urbaine des bandes de sauvageons.  Pour la droite municipale genevoise d'aujourd'hui, l'Usine, ce n'est pas une salle de concert, un théâtre, un cinéma (qui ne programme que des films qui ne sont pas distribués en Suisse), un espace d'art contemporain, un atelier de sérigraphie, un autre de couture, un autre de graphisme, deux studios d'enregistrement, une radio, une imprimerie -et on en passe. Non, l'Usine n'est rien de tout cela, car rien de tout cela importe. L'Usine, c'est la Fête de la Bière et la Bande à Bonnot. Et Bonnot, c'est Sami Kanaan.

Brisons-là : on a la droite qu'on mérite, faut faire avec, et pas lui demander plus qu'elle n'a  : comme disait un vieux pasteur vaudois à propos du taborniau local, "il lui a été peu donné, il lui sera peu demandé". Pas d'avoir de la mémoire (l'Usine a été investie par les milieux culturels alternatifs il y a 26 ans, avec le soutien d'un Conseil administratif et d'un Conseil municipal de droite). Et surtout pas d'avoir un projet culturel, à moins de considérer que c'en soit un de fusionner la loi sur les estaminets avec celle sur les spectacles, et, dans l'indifférence à peu près générale (gauche comprise) de verrouiller par un règlement d'application kafkaïen les espaces d'interprétation (par les communes, notamment) de la loi.

Nous parlons de culture, on nous parle de bibine. Comme disait une pub pour des rillettes, "nous n'avons pas les mêmes valeurs". Ce qui se fait à l'Usine, la droite s'en fout, c'est ce qui s'y boit qui la mobilise. Et qu'est-ce qu'on vise quand on exige d'un lieu culturel qu'il se conforme à une loi sur les débits de boissons ? On vise précisément à le réduire à un commerce. Et à réduire à rien la possibilité d'un fonctionnement alternatif, autogestionnaire. "L'important, ce n'est pas la paperasserie, mais que l'Etat reconnaisse le projet collectif de l'Usine", a cru pouvoir plaider le Conseiller Administratif Sami Kanaan (qu'un MCG a traité de "subversif", ce que tout MCG doit considérer comme une injure suprême). Et puis quoi encore ? Un "projet  collectif" ? Et culturel, en plus ? Et alternatif, dans un lieu autogéré ? Mais il se croit où, et quand, le subversif ? Et "Le Temps" qui décrit l'Usine comme un "creuset de fête, d'intelligence, d'excès aussi", et comme "une part majeure, et quelquefois dérangeante, de la culture lémanique", il se prend pour le "Réveil Anarchiste" ?

lundi 2 novembre 2015

Projet scientifique et culturel du MAH : Hâte-toi lentement ?


    

Tel que vous nous lisez, là, on était tout inquiets : on n'avait aucune nouvelle du projet scientifique et culturel  (PSC) du Musée d'Art et d'Histoire, annoncé il y a un an, proposé par un Conseil scientifique, soumis à consultation auprès du personnel, et qui devrait être validé en ce moment. Partant du principe qu'un projet tel que celui de la rénovation et de l'extension du MAH doit témoigner d'une ambition culturelle le justifiant, et qu'avec un musée on a affaire à tout autre chose qu'à un centre commercial, on a demandé à notre Conseiller administratif préféré (le Che Kanaan, donc) de calmer notre angoisse et de nous assurer que ce projet scientifique et culturel nous sera communiqué à temps pour que nous puissions en débattre, et pour qu'il soit débattu lors de la campagne précédant la votation référendaire municipale du 28 février. Parce que c'est la condition sine qua non pour que le débat sur le sort de la rénovation et de l'extension du Musée d'Art et d'Histoire ne prenne pas le tour calamiteux d'un populisme "anticulturel" -du genre de celui qu'on entend et lit à propos de la Nouvelle Comédie. Ou de l'Usine.

...
en un temps où le concept d'"industries culturelles et créatives" fait son chemin en le traçant comme une autoroute...

Le 22 septembre (premier jour de l'an, au cas où on ne vous l'aurait pas déjà dit...), une quinzaine de directeurs des vingt musées regroupés dans la Conférence des musées genevois (
Il y a une quarantaine de musées à Genève, visités chaque année par 1,2 million de personnes) ont présenté leurs programmes de saison 2015-2016. Le budget municipal genevois consacré aux musées publics ascende à 80 millions et représente plus du quart du budget total du Département de la Culture (et du sport). Pour autant, la Genève muséale n'a pas d'institution "phare", dont les expositions temporaires, plus que les collections (celles des musées genevois en général, et du MAH sont quantitativement considérables) attireraient un public massif -l'atout de Genève, s'agissant de ses musées, c'est sa diversité. Le "projet scientifique et culturel" (PSC) qu'on attend pour le MAH en fera-t-il un axe privilégié ? Mystère

Où en est-on d'ailleurs de ce projet qui doit exprimer et définir les ambitions du MAH, et dont nous avons déjà eu l'occasion de dire que lui seul pouvait justifier un projet de nouveau musée tel que celui qui sera soumis au vote populaire fin février ? Un calendrier, transmis à la commission des arts et de la culture du Conseil Municipal, avait détaillé le processus d'élaboration de ce document : En octobre 2014, "premières réflexions sur les grandes lignes", par un Conseil scientifique*, puis, dans les quatre mois suivants, une consultation du personnel sur ces "grandes lignes". En février 2015, examen d'un rapport intermédiaire, puis nouvelle consultation du personnel. On passe ensuite à la définition même des grandes lignes du PSC, avec en mai 2015, toujours par le Conseil Scientifique, une réflexion sur ses développements, puis une nouvelle consultation du personnel et enfin, en octobre -on y est, donc...- la validation du document final. Ce calendrier a-t-il été tenu ?  Le personnel a-t-il été consulté comme il était prévu ? Le Conseil municipal pourra-t-il s'exprimer, ne fût-ce qu'en commission, sur son contenu, avant le vote populaire ? Un peu de flou s'est dissipé -mais il en reste encore suffisamment pour qu'au risque de lasser notre patient lectorat, nous "remettions la compresse" de nos interrogations. Interrogé (gentiment) au Conseil Municipal, le Che Kanaan nous a répondu qu'on aurait notre pitance. Pas encore un vrai projet scientifique et culturel "à la française", dont l'élaboration prend des années et qui s'appuie sur un PSC précédent, mais des éléments substantiels d'un tel PSC, capables de faire débat. Et nous voilà rassurés. Impatients, mais rassurés. Alors on attend. Et dès qu'on les a. ces éléments substantiels d'un PSC, on ouvre le débat. Sur une page Facebook dédiée, parce qu'on est modernes.

Un musée n'est pas une Maison de quartier ou un centre de loisirs. Il n'importe guère à sa fonction qu'il soit doté d'un restaurant panoramique (même offrant "une vue unique sur le Vieille-Ville et la rade, de jour comme de nuit", ainsi que le MAH vante celui dont il espère être doté)-et un conservateur est autre chose qu'un chargé de com'... Pour un musée comme pour n'importe quel équipement culturel, il ne suffit plus d'exister, il faut aussi pouvoir justifier son existence et le soutien matériel reçu de la collectivité. De cette justification, sans doute la fréquentation, l'audience, peuvent-elle être un critère (en en tout cas un argument pour obtenir un financement), mais à en faire le critère essentiel, on ravalerait l'institution (le musée) au rang d'un centre commercial ou d'un parc d'animation -or on  parle ici du MAH, pas de Disneyland... il est vrai qu'en un temps où le concept d'"industries culturelles et créatives" fait son chemin en le traçant comme une autoroute, il devient difficile d'affirmer une "mission culturelle" irréductible au délassement... Raison de plus, cependant, de l'affirmer.
Alors on va l'affirmer. Et on espère que le projet scientifique et culturel du MAH, à tout le moins ses "grandes lignes", l'affimera aussi.

* Cécile Aufaure, directrice du projet de rénovation du Musée de l'homme (Paris), Isabelle Graesslé, directrice du Musée international de la Réforme (Genève), Marie-Paule Jungblut, directrice du Musée historique de Bâle, Roger Mayou, directeur du Musée international de la Croix-Rouge (Genève), Andreas Spilmann, directeur du Musée national suisse...