jeudi 26 novembre 2015

Large soutien, de partout, à l'Usine : Défendre l'exception


   

La Fédération suisse des salles de concerts et des festivals de musiques actuelles à but non lucratif ("Petzi", dans son acronyme germanique, qui nous renvoie à nos lectures de gamins) a exprimé, comme des milliers de personnes et des dizaines de lieux culturels genevois et suisses (et étrangers) son soutien à l'Usine dans le "bras-de-fer" engagé avec la bureaucratie cantonale. Un soutien apporté en particulier à ses salles de concert, en relevant que "le cadre administratif et légal, notamment au sujet des patentes est inadapté à nos membres dans l'Usine et le plus souvent aux salles de concerts à but non lucratif", dont "l'objectif est d'abord culturel", et dont les subventions et recettes, y compris celles, "secondaires et accessoires" tirées des bars, "servent ce but et aucun autre". Constat d'évidence : L'Usine est une exception culturelle à laquelle on veut appliquer un règlement (le "règlement d'exécution de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement") dont les 66 articles  prennent 18 pages de la Feuille d'Avis Officielle... Cette exception, de plus, est une survivante : elle est l'héritage des grandes années des squats, de leur brassage social, de leur fonctionnement associatif, autogestionnaire, égalitaire, collectif, rigoureusement incompatible avec les logiques administratives derrière lesquelles l'Etat se réfugie (la Ville, pour sa part, s’accommodant tant que faire se peut de ces logiques "alternatives", et n'y voyant en tout cas pas motif à renoncer de soutenir les lieux où elles sont à l'oeuvre).

Une manif commune de l'Usine et du Grand Théâtre, ça nous aurait bien plu.

Aucune loi ne se justifie par elle-même, pour la seule raison qu'elle est la loi et qu'elle doit s'appliquer. Toute loi doit se confronter à la réalité sociale, et toute loi est en retard sur cette réalité. Il en est, évidemment, ainsi dans le champ culturel, et exemplairement à l'Usine, d'autant que ce champ et ce lieu sont par définition pour lui et par vocation pour elle, ceux de l'expérimentation des nouvelles idées, des nouvelles formes et des nouvelles pratiques sociales. Cela dit, alternative par sa programmation et son fonctionnement, l'Usine n'est pas pour autant hors-la-loi : elle paie ses taxes et ses cotisations sociales. Elle rend chaque année des comptes à la Ville, comme toute entité subventionnée.

Au Conseil Municipal,  elles en avaient plein les discours, la droite et sa droite, du principe de l'"égalité de traitement" entre les bars de l'Usine et les autres estaminets de la ville. L'égalité de traitement entre qui et qui, quoi et quoi ? combien de débits de boisson proposent du théâtre, du cinéma, de la musique, une galerie, un atelier sérigraphie ?  Combien de débits de boisson proposent à plus de 5000 spectateurs par semaine plus de 80 événements par mois, de toutes natures, dans toutes les disciplines et par toutes les formes d'expression artistiques ? Combien de débits de boisson organisent des festivals ? Combien de débits de boissons rassemblent 18 associations autour d'un projet et d'un fonctionnement commun ? Combien de débits de boisson versent plusieurs centaines de salaires et mobilisent autant de bénévoles ? Combien de débits de boisson reversent leurs recettes dans le financement de leurs activités culturelles ? Combien de débits de boisson accueillent 225'000 personnes par année pour autre chose que pour boire ? Combien de débits de boisson ont été une véritable école pour des créateurs dans toutes les disciplines artistiques et culturelles ?
Alors oui, pratiquons l'égalité de traitement entre l'Usine et les autres débits de boissons qui assurent la même offre culturelle qu'elle. Ce sera facile : il n'y en pas d'autre.

De toute façon, la question n'est pas dans le risque que les gesticulations de la droite municipale font courir (ou non) à l'Usine. La question, c'est celle de la légitimité de la prise d'un lieu culturel en otage de l’irrépressible besoin existentiel de cette droite dilatée, et qui ne supporte pas le soutien apporté à l'Usine par un Conseil administratif (de gauche) que la droite incapable de s'y renforcer tient désormais presque en la même exécration que l'Usine elle-même. Et ce n'est pas peu dire. Et cela menace non seulement l'Usine, mais tous les lieux culturels genevois, y compris les plus institutionnels, et réputés les plus "bourgeois" (si l'on ne tient compte que de leur fréquentation par des abonnés, et pas de leur programmation -citez-nous donc un grand opéra du répertoire qui chante les vertus de la morale bourgeoise...) : la droite n'a pas que l'Usine dans le viseur -elle a aussi la Nouvelle Comédie et même le Grand Théâtre... qui nous a pourtant assuré qu'il avait les autorisation légales pour son bistrot et sa buvette... Hélas (trois fois) le Cercle de ses mécènes n'a pas prévu de manif pour protester contre le gel par le Conseil d'Etat de la modeste subvention qu'il proposait, bouleversifiante nouveauté dans le paysage culturel genevois, d'accorder pour la première fois à l'Opéra. Dommage : une manif commune de l'Usine et du Grand Théâtre accompagnée de tags sur les murs des banques, ça nous aurait bien plu.

En attendant, notez cela dans vos agendas : Mardi prochain 1er décembre, journée de lutte des syndicats de la fonction publique pour la défense du service public et de ses prestations à la population, sera aussi une journée de lutte des acteurs culturels pour la défense des moyens accordés à leurs espaces de travail, de création, d'expérimentation -bref, d'enrichissement de la Cité par autre chose que les profits commerciaux et financiers.
Doutent de rien, décidément, les cultureux.

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