mercredi 11 novembre 2015

Offensive de la droite contre l''Usine : "La Bêtise au front de taureau"


   
    

Le conflit entre l'Usine et Supermaudet et ses supplétifs municipaux aura au moins eu un mérite : mobiliser les milieux artistiques et culturels, bien au-delà des "alternatifs" pour la défense non seulement d'un lieu culturel mais de tous les espaces culturels, y compris les institutionnels, contre  la "bêtise à front de taureau" bureaucratique. Et s'il fallait trouver une vertu à ce conflit  (et à tous les autres conflits en gestation dans le champ culturel -y compris à propos d'institutions culturelles, comme la Nouvelle Comédie, voire le Grand Théâtre, ou la répartition des tâches culturelles entre le Canton et les communes) ce serait celle, pédagogique, de matérialiser l'importance d'un rapport de force politique, et de rappeler la nécessité de se battre. Parce que ça roupillait un peu, faut bien le dire, dans le champ culturel genevois, réveillé ces temps à coups de pompe dans le fondement. Alors, si Maudet, ses services et ses supplétifs municipaux peuvent, entre deux inaugurations de prisons, ressusciter une mobilisation de la jeunesse "querelleuse, protestataire et bohème" (comme la décrit, amoureusement, "Le Temps") et secouer le tissu culturel genevois, ils auront, involontairement, bien mérité de la République, de la Commune et de la culture, alternative ou pas. Alors, après Baudelaire, saluons donc, pour sa contribution à la résistance culturelle qu'elle-même nécessite, « l’énorme bêtise. La Bêtise au front de taureau »...

Nous parlons de culture, on nous parle de bibine ? "Nous n'avons pas les mêmes valeurs"

Comme nul ne l'ignore sans doute plus nulle part, la droite élargie, distendue, dilatée du PDC au MCG, est majoritaire (depuis 2011) au Conseil municipal de la Ville de Genève (tout en restant totalement minoritaire -voire utilitaire- au Conseil administratif). Majoritaire à condition précisément de se dilater d'un improbable "centre" (le PDC) à une extrême-droite qui persiste à ne pas s'avouer comme telle. Et cette "majorité" de bric et de broc a besoin, de temps à autre, de montrer qu'elle existe. C'est généralement sans grand effet, puisque dans le système genevois le pouvoir réel, au sein des communes, c'est l'exécutif qui l'a. Et donc le Conseil administratif. De gauche. Mais c'est pour la droite une raison supplémentaire de montrer ses muscles, à défaut de ses neurones. Parce que si elle ne le faisait pas, on pourrait douter de son existence. Et comme la droite municipale dilatée tient à ce qu'on sache qu'elle existe, il y a deux semaines, sous haute protection policière (le ridicule ne tue pas, à Genève) dans la salle des délibérations du Conseil Municipal, elle s'est fait exister, entre deux in jures adressées par le MCG au PDC,  en votant une délibération suspendant les subventions accordées par la Ville à l'Usine tant que celle-ci ne se sera pliée à la loi cantonales sur les estaminets.

Depuis maintenant deux semaines, inlassablement, on tente d'expliquer et, plus désespérément encore, de faire comprendre à la droite et à l'extrême-droite genevoises la différence qu'il y a entre un commerce de débit de boisson et un centre culturel (alternatif, qui plus est). Et la contradiction entre une réglementation bureaucratique et un fonctionnement autogéré. Peine perdue, évidemment : on ne fait pas boire, surtout pas à la Makhno, des ânes qui n'ont pas soif. Pour la droite municipale, l'Usine n'est pas un centre culturel. Nan. L'Usine, c'est un débit de boisson qui fait concurrence aux autres débits de boissons, et qui relâche dans la nature urbaine des bandes de sauvageons.  Pour la droite municipale genevoise d'aujourd'hui, l'Usine, ce n'est pas une salle de concert, un théâtre, un cinéma (qui ne programme que des films qui ne sont pas distribués en Suisse), un espace d'art contemporain, un atelier de sérigraphie, un autre de couture, un autre de graphisme, deux studios d'enregistrement, une radio, une imprimerie -et on en passe. Non, l'Usine n'est rien de tout cela, car rien de tout cela importe. L'Usine, c'est la Fête de la Bière et la Bande à Bonnot. Et Bonnot, c'est Sami Kanaan.

Brisons-là : on a la droite qu'on mérite, faut faire avec, et pas lui demander plus qu'elle n'a  : comme disait un vieux pasteur vaudois à propos du taborniau local, "il lui a été peu donné, il lui sera peu demandé". Pas d'avoir de la mémoire (l'Usine a été investie par les milieux culturels alternatifs il y a 26 ans, avec le soutien d'un Conseil administratif et d'un Conseil municipal de droite). Et surtout pas d'avoir un projet culturel, à moins de considérer que c'en soit un de fusionner la loi sur les estaminets avec celle sur les spectacles, et, dans l'indifférence à peu près générale (gauche comprise) de verrouiller par un règlement d'application kafkaïen les espaces d'interprétation (par les communes, notamment) de la loi.

Nous parlons de culture, on nous parle de bibine. Comme disait une pub pour des rillettes, "nous n'avons pas les mêmes valeurs". Ce qui se fait à l'Usine, la droite s'en fout, c'est ce qui s'y boit qui la mobilise. Et qu'est-ce qu'on vise quand on exige d'un lieu culturel qu'il se conforme à une loi sur les débits de boissons ? On vise précisément à le réduire à un commerce. Et à réduire à rien la possibilité d'un fonctionnement alternatif, autogestionnaire. "L'important, ce n'est pas la paperasserie, mais que l'Etat reconnaisse le projet collectif de l'Usine", a cru pouvoir plaider le Conseiller Administratif Sami Kanaan (qu'un MCG a traité de "subversif", ce que tout MCG doit considérer comme une injure suprême). Et puis quoi encore ? Un "projet  collectif" ? Et culturel, en plus ? Et alternatif, dans un lieu autogéré ? Mais il se croit où, et quand, le subversif ? Et "Le Temps" qui décrit l'Usine comme un "creuset de fête, d'intelligence, d'excès aussi", et comme "une part majeure, et quelquefois dérangeante, de la culture lémanique", il se prend pour le "Réveil Anarchiste" ?

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