mercredi 26 mai 2010

Grand Théâtre : Du bon usage des crises

Le Conseil administratif de la Ville a donc demandé au Conseil d'Etat, qu'on voit mal l'accepter, une dérogation à la loi pour pouvoir prélever 870'000 francs dans le «non-dépensé» du budget 2009, et les accorder au Grand Théâtre qui, pour avoir présenté un budget aux recettes surévaluées, se retrouve avec un manque de financement de deux millions et demi. L'opération n'est pas seulement douteuse d'un point de vue formel, elle l'est surtout d'un point de vue politique. La plus lourdement subventionnée de toutes les institutions culturelles du canton, et la seule à bénéficier, année après année, en sus de sa subvention, d'une prise en charge directe par la Ville de la plus grande partie de son coût, doit pouvoir assumer seule ses erreurs de prévision. Et le canton, qui clame -à juste titre, d'ailleurs- sa volonté de prendre dans la politique culturelle la part qui devrait être la sienne, pourrait, enfin, commencer à financer, un peu, encore marginalement, un Opéra dont l'existence même ne dépend actuellement que de la seule Ville de Genève. Il y a un bon usage des crises : comme la précédente crise qu'a traversée le Grand Théâtre, entre 2007 et 2009, avait permis d'entamer enfin une réforme de l'institution, le dernier épisode d'une crise structurelle de financement du GTG devrait être l'occasion de réformer ce financement, au lieu que de persister à le bricoler de subventions extraordinaires en garanties de déficit, toutes à la charge de la Ville.

Beggar's Opera

Ce que la précédente crise traversée par le Grand Théâtre avait illustré était l'état absolu d'obsolescence de sa structure institutionnelle et professionnelle : des statuts dépassés, des règlements poussiéreux, des pratiques folkloriques, des relations féodales entre chefferie et personnel.... Ce qu'illustre le dernier épisode de la crise de financement du GTG est un même état d'obsolescence : celui de la structure de son financement (outre la persistance d'un réflexe d'omertà qui semble s'être traduit d'abord par la punition infligée à une cadre du Grand Théâtre coupable d'avoir soulevé le lièvre de la surévaluation des recettes, ensuite par une décision du Conseil de fondation de ne pas informer sur la crise financière pour ne pas gâcher le lancement de la saison à venir, enfin par l'absence d'information donnée à leurs partis par les représentant du Conseil municipal au Conseil de fondation). Ce ne sont là que péripéties subalternes, l'enjeu est ailleurs : il est dans l'opportunité d'utiliser ce nouvel épisode pour redéfinir le financement de l'institution Mais on ne pourra de cette crise faire ce bon usage qu'en rompant avec la mauvaise habitude qui consiste pour la Ville, chaque fois que le Grand Théâtre manque d'argent, à lui donner ce qu'il réclame, en promettant haut et fort que « c'est la dernière fois qu'on cède ! » pour mieux se préparer à céder une fois encore, et en assortissant ce soutien de conditions dont le caractère impératif s'estompe au fur et à mesure que le temps passe. Aujourd'hui, la Ville affecte 45 millions et demi de francs au Grand Théâtre (le canton... 900 fois moins). Une participation du canton au financement du Grand Théâtre permettrait d'abord à la Ville d'affecter ce qu'elle n'aurait plus à assumer pour l'opéra à d'autres champs culturels que celui d'une institution. et ensuite de prendre au sérieux les intentions de l'avant-projet de loi sur la culture. La charge de l'exploitation de l'opéra devrait donc être au moins être partagée entre la Commune et la République. Même si le canton prenait à sa charge la totalité de la subvention d'exploitation du GTG, il n'assumerait encore que le tiers de la charge financière totale de l'institution, la Ville continuant à supporter presque tout le reste, à commencer par les salaires de la moitié du personnel, l'entretien du bâtiment, la rénovation des équipements, etc... Quand le canton affirme sa volonté d'être celui qui « définit et met en oeuvre la politique culturelle cantonale », fût-ce « en concertation avec la Ville et les autres communes », cette volonté devrait l'engager à un peu plus que ce discours. Pour l'y inciter, sans doute faudra-t-il que le Conseil municipal commence par refuser toute subvention extraordinaire au Grand-Théâtre, puis décide, souverainement, de réduire la subvention ordinaire à la moitié de ce qu'elle est actuellement, charge au canton d'assumer l'autre moitié, la Ville continuant cependant d'assumer le coût (autour de 30 millions par an) de l'existence de l'institution et des salaires du personnel qu'elle y affecte déjà, et de celui encore employé par la fondation et qui devrait passer sous statut de la fonction publique municipale.

jeudi 20 mai 2010

Usine, Grand Théâtre, rôle du canton : La politique culturelle genevoise dans tous ses états

Le Conseil administratif « sucre » 200'000 francs à l'Usine pour la punir d'avoir toléré un concert dans un espace non insonorisé, il manque deux millions et demi de francs au Grand Théâtre* pour boucler sa saison, et le canton veut prendre la main (mais au moindre frais possible) sur la politique culturelle : quels rapports entre ces trois informations ? celui d'illustrer, chacune à leur manière, les incohérences de la politique culturelle genevoise. Une incohérence qui ne date pas d'hier : en 1758, dans sa « Lettre à M. d'Alembert sur les spectacles » , Jean-Jacques écrivait avoir « fait voir qu'il est absolument impossible qu'un théâtre de comédie se soutienne à Genève par le seul concours des spectateurs. Il faudra donc de deux choses l'une : ou que les riches se cotisent pour le soutenir, charge onéreuse qu'assurément ils ne seront pas d'humeur à supporter longtemps ; ou que l'Etat s'en mêle et le soutienne à ses propres frais ». On en est toujours là -il suffit d'étendre l'exemple donné par le Citoyen de Genève à l'ensemble du champ culturel genevois.

Pour ceux que cela intéresse, le rapport complet (saison 2008-2009, au format PDF) du représentant (jusqu'au 31 août 2009) du PS au Conseil de fondation du Grand Théâtre peut être téléchargé à l'adresse


Incohérences

En quelques jours, trois informations (on vous fera grâce de la polémique sur la procédure de choix dans la successeur d'Anne Bisang à la Comédie) ont illustré l'état de profonde incohérence de la politique culturelle à Genève. Première incohérence : la Ville qui soutient depuis près de vingt ans l'Usine, ultime bastion de la culture alternative à Genève, se livre contre elle à une assez médiocre opération punitive. Deuxième incohérence: le Grand Théâtre, pour avoir comme d'habitude depuis au moins dix ans surestimé le taux d'occupation de ses salles et donc les recettes de ses spectacles, se retrouve avec un manque de financement de deux millions et demi. Et la majorité du Conseil administratif est prête, en contournant le Conseil municipal, à puiser dans un « non-dépensé » de l'exercice budgétaire précédent pour accorder à l'Opéra ce qui lui manque. Car, contrairement à l'Usine, le Grand Théâtre est une vache sacrée : quand la vache meugle, le fidèle s'alarme. Quand le Grand Théâtre demande, la Ville accorde. Quand au Conseil municipal quelques nihilistes s'avisaient de contester les demandes du Grand Théâtre, ils et elles restaient structurellement minoritaires. A entendre les réactions de conseillers municipaux de tous les partis (sauf l'UDC), une majorité pourrait cependant, cette fois, se dessiner au Conseil municipal pour refuser d'accorder au Grand Théâtre plus que ce qui lui a déjà été accordé -et qui est considérable : l'institution coûte plus de 45 millions par année à la seule Ville de Genève. Ce qui nous amène à la troisième incohérence : celle d'un canton qui, à fort juste titre, revendique le rôle qui doit être celui de toute République dans la politique culturelle, mais ne participe au financement de la principale institution culturelle de la région que par une aumône de 50'000 francs par an. Près de 1000 fois moins que la Ville. D'une commission d'experts est sorti il y a quelques jours un projet de loi qui affirme de bons et solides principes auxquels on voit mal les socialistes, par exemple, s'opposer, puisque ces principes sont ceux que le PS défend depuis des années s'agissant de la politique culturelle, quoi qu'il en soit des divergences qui apparaîtront, dans les conditions, les critères et les modalités de leur mise en oeuvre. D'entre ces principes, il y a celui d'un engagement fort du canton dans le champ culturel. Mais que vaut un tel engagement s'il ne s'appuie que sur une loi, c'est-à-dire des mots, et qu'il ne se traduit pas par un engagement matériel, trivialement financier -à moins qu'en fait de « leadership » culturel, celui que revendique le canton ne se traduise finalement que par un ukase aux communes : « je décide, vous payez » ? Il serait pourtant assez simple pour le canton de démentir par avance cette funeste hypothèse : en accordant lui-même au Grand Théâtre le soutien financier additionnel qu'il demande, au lieu que d'attendre de la Ville qu'une fois de plus, elle paie... Après tout, un tel geste, manifesterait assez clairement que des actes simples peuvent suivre les belles paroles.