jeudi 20 mai 2010

Usine, Grand Théâtre, rôle du canton : La politique culturelle genevoise dans tous ses états

Le Conseil administratif « sucre » 200'000 francs à l'Usine pour la punir d'avoir toléré un concert dans un espace non insonorisé, il manque deux millions et demi de francs au Grand Théâtre* pour boucler sa saison, et le canton veut prendre la main (mais au moindre frais possible) sur la politique culturelle : quels rapports entre ces trois informations ? celui d'illustrer, chacune à leur manière, les incohérences de la politique culturelle genevoise. Une incohérence qui ne date pas d'hier : en 1758, dans sa « Lettre à M. d'Alembert sur les spectacles » , Jean-Jacques écrivait avoir « fait voir qu'il est absolument impossible qu'un théâtre de comédie se soutienne à Genève par le seul concours des spectateurs. Il faudra donc de deux choses l'une : ou que les riches se cotisent pour le soutenir, charge onéreuse qu'assurément ils ne seront pas d'humeur à supporter longtemps ; ou que l'Etat s'en mêle et le soutienne à ses propres frais ». On en est toujours là -il suffit d'étendre l'exemple donné par le Citoyen de Genève à l'ensemble du champ culturel genevois.

Pour ceux que cela intéresse, le rapport complet (saison 2008-2009, au format PDF) du représentant (jusqu'au 31 août 2009) du PS au Conseil de fondation du Grand Théâtre peut être téléchargé à l'adresse


Incohérences

En quelques jours, trois informations (on vous fera grâce de la polémique sur la procédure de choix dans la successeur d'Anne Bisang à la Comédie) ont illustré l'état de profonde incohérence de la politique culturelle à Genève. Première incohérence : la Ville qui soutient depuis près de vingt ans l'Usine, ultime bastion de la culture alternative à Genève, se livre contre elle à une assez médiocre opération punitive. Deuxième incohérence: le Grand Théâtre, pour avoir comme d'habitude depuis au moins dix ans surestimé le taux d'occupation de ses salles et donc les recettes de ses spectacles, se retrouve avec un manque de financement de deux millions et demi. Et la majorité du Conseil administratif est prête, en contournant le Conseil municipal, à puiser dans un « non-dépensé » de l'exercice budgétaire précédent pour accorder à l'Opéra ce qui lui manque. Car, contrairement à l'Usine, le Grand Théâtre est une vache sacrée : quand la vache meugle, le fidèle s'alarme. Quand le Grand Théâtre demande, la Ville accorde. Quand au Conseil municipal quelques nihilistes s'avisaient de contester les demandes du Grand Théâtre, ils et elles restaient structurellement minoritaires. A entendre les réactions de conseillers municipaux de tous les partis (sauf l'UDC), une majorité pourrait cependant, cette fois, se dessiner au Conseil municipal pour refuser d'accorder au Grand Théâtre plus que ce qui lui a déjà été accordé -et qui est considérable : l'institution coûte plus de 45 millions par année à la seule Ville de Genève. Ce qui nous amène à la troisième incohérence : celle d'un canton qui, à fort juste titre, revendique le rôle qui doit être celui de toute République dans la politique culturelle, mais ne participe au financement de la principale institution culturelle de la région que par une aumône de 50'000 francs par an. Près de 1000 fois moins que la Ville. D'une commission d'experts est sorti il y a quelques jours un projet de loi qui affirme de bons et solides principes auxquels on voit mal les socialistes, par exemple, s'opposer, puisque ces principes sont ceux que le PS défend depuis des années s'agissant de la politique culturelle, quoi qu'il en soit des divergences qui apparaîtront, dans les conditions, les critères et les modalités de leur mise en oeuvre. D'entre ces principes, il y a celui d'un engagement fort du canton dans le champ culturel. Mais que vaut un tel engagement s'il ne s'appuie que sur une loi, c'est-à-dire des mots, et qu'il ne se traduit pas par un engagement matériel, trivialement financier -à moins qu'en fait de « leadership » culturel, celui que revendique le canton ne se traduise finalement que par un ukase aux communes : « je décide, vous payez » ? Il serait pourtant assez simple pour le canton de démentir par avance cette funeste hypothèse : en accordant lui-même au Grand Théâtre le soutien financier additionnel qu'il demande, au lieu que d'attendre de la Ville qu'une fois de plus, elle paie... Après tout, un tel geste, manifesterait assez clairement que des actes simples peuvent suivre les belles paroles.

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