vendredi 24 mars 2017

Musée d'Art et d'Histoire de Genève : Scories, répliques et règlements de comptes


Musée d'Art et d'Histoire de Genève : Scories, répliques et règlements de comptes

Vingt ans après l'attribution du mandat de rénovation du Musée d'Art et d'Histoire, et un an après le refus en votation du projet issu de ce mandat, on continue à Genève à s'agiter autour du MAH. A s'agiter bruyamment, mais aussi à réfléchir, plus discrètement. La Commission des Finances du Conseil municipal de la Ville de Genève invite la Cour des Comptes à analyser la légalité de l''attribution en 1998 du projet de rénovation (mais pas encore d'extension) du Musée d'Art et d'Histoire, projet refusé en votation populaire il y a un an. Un soupçon d'illégalité de la procédure d'appel d'offres plane, et le coût du projet est passé de 10 millions de francs (mais pour une rénovation sans extension) au moment de l'attribution du mandat à 137 millions au moment de l'acceptation du projet par le Conseil municipal. Dans le même temps que la démarche de la Commission des finances auprès de la Cour des Comptes, deux propositions politiques sont tombées dans l'ordre du jour du parlement de la Ville : l'une d'"Ensemble à Gauche", qui veut la tête du directeur actuel du musée, l'autre de l'UDC, qui veut qu'une fondation du musée se substitue à l'actuelle gestion directe par la commune. Et pendant que les élus municipaux  s'agitent, la commission d'experts nommée par le Conseil administratif pour élaborer des propositions de contenu muséal, d'identité et de fonction culturelles et dessiner le cadre d'un projet concret pour le MAH, annonce qu'elle livrera ses premiers travaux en juin prochain. Elle aura d'ici là auditionné toutes celles et tous ceux qui ont quelque chose à dire sur cet enjeu et ce dossier, qu'elles et ils aient été partisans ou adversaires du projet refusé en vote populaire.


Il faut donc que le musée raconte une histoire -mais laquelle ?

Définir les besoins, élaborer un contenu (un programme muséal) puis un projet en fonction de ces besoins et de ces contenus : la méthode choisie, après l'échec du projet Nouvel-Jucker de rénovation-extension du MAH, par la Ville, est la bonne -à dire vrai, c'est même la seule qui, à Genève, puisse aboutir à quelque chose qui en vaille l'effort politique et l'investissement financier : Construire un nouveau musée, plus ambitieux que le bâtiment Camoletti rénové, et le construire dans un autre quartier, par exemple dans le secteur du PAV ? Séparer le musée d'art du musée d'histoire ? S'étendre dans le quartier actuel pour un faire un "pôle muséal" en récupérant le vieux bâtiment des Beaux-Arts, y articuler le MAH "central" avec ses "filiales" (Estampes, horlogerie, instruments de musique) ? Tout doit être ouvert, et en vérité, tout est ouvert. Et c'est bien ainsi, pour autant qu'on ait répondu à la question du contenu avant de répondre à celle du contenant.

Autant dire qu'on se contrefout, ici, de savoir s'il y a vingt ans, la procédure d'appel d'offres était régulière ou non, de savoir si le directeur actuel restera directeur jusqu'à l'année prochaine ou sera remplacé dans six mois, et de savoir si le MAH continuera à être une administration municipale ou deviendra une fondation de droit public -la Ville continuant de toute façon à en assumer la charge financière, puisque le MAH, qui avait pourtant toutes les caractéristiques d'une institution d'importance au moins cantonale, restera une institution municipale au terme du marchandage dit de "répartition des tâches" culturelles entre le canton et la Ville de Genève : le canton s'est en effet bien gardé de proposer de reprendre le musée à son compte -sa gourmandise le porte plutôt vers le Grand Théâtre.

Le projet de rénovation et d'extension du Musée d'Art et d'Histoire aurait du obliger le musée et la Ville à s'interroger sur le rôle même du musé, à profiter de l'occasion pour changer de musée. Changer d'ère, sortir du temps du réformisme culturel né à la sortie de la Guerre Mondiale, et que dans les années soixante incarnèrent à merveille en France un ministre comme André Malraux, des acteurs culturels comme Jean Vilar ou Henri Langlois, un projet comme le Centre Beaubourg (devenu Centre Pompidou)... Sortir de ce temps où la mission d'un musée est de conserver (mission patrimoniale), donner à voir et expliquer (mission pédagogique), étudier (mission scientifique), et où la mesure de sa capacité à remplir cette mission est sa fréquentation, la consommation que "le public" en fait, mesure qui, lorsqu'on la privilégie, arase, écrase, aplanit les contenus jusqu'à les rendre à la fois interchangeables et hiérarchisables : il y a plus de public pour voir la Joconde que pour voir L'Homme qui Marche ? La Joconde vaut donc mieux que L'Homme qui marche...

Le MAH a été initialement conçu, et fonctionne depuis plus d'un siècle, comme un musée "encyclopédique", et sa direction, ne faisait pas mystère de son intention de rester dans le cadre de cette conception... Mais une encyclopédie repose, avant même que d'être un "rassemblement symbolique d'objets", sur un projet culturel, voire explicitement politique, qui détermine à la fois l'ordre systématique de ce qu'elle présente (le système n'est pas donné par la nécessité de l'ordre, c'est l'ordre qui est déterminé par un système préalablement conçu) et la logique qu'on veut en tirer : Diderot, d'Alembert, d'Holbach, savent où ils veulent aller avant même d'avoir écrit le premier mot du premier article de leur Encyclopédie, et celle-ci est un instrument de leur projet politique...

Il faut donc que le musée raconte une histoire, et pas une histoire qui n'ait de sens que pour le musée : une histoire qui en ait pour les visiteurs -pour chacun-e d'entre elles et eux. Cette histoire doit partir de la leur, parce qu'il faut bien l'avouer : on s'en fout un peu, du contexte historique, culturel, religieux, de "la Pêche Miraculeuse", on se demande plutôt : qu'est-ce qu'elle nous dit de nous, aujourd'hui ? Si le feuilleton du MAH pouvait aboutir à cette "repensée" du musée par la Ville qui s'en dote, il n'aurait pas été vain.

(Du 11 mai au 20 août, le Musée d'Art et d'Histoire de Genève accueille une exposition sur le thème "Musées du XXIe siècle : ambitions, visions, défis")