mercredi 9 janvier 2013

Budget de la Ville de Genève : Le poids (légitime) de la culture



En adoptant, mi-décembre, à un pas de course de fond plutôt que celui du marathon habituel, le budget de la Ville de Genève, le Conseil municipal a adopté le budget culturel de la Commune. C'est-à-dire le plus important de ses budgets spécifiques, et le plus important budget culturel de la région. Et peut-être même (mais on n'a pas vérifié avec toute la rigueur scientifique qu'on nous connaît) le plus important de toutes les municipalités de Suisse. Un acte politique déterminant, donc. Mais un acte politique contraint par la responsabilité que la répartition des tâches régnant à Genève impose à la commune (elle pourrait certes s'y soustraire, mais ce serait, de sa part, parfaitement irresponsable, dans tous les sens du terme) et par les limites posées par la doxa politique régnante : celle de l'équilibre budgétaire et de la modestie des ambitions. Limites qui, très concrètement, empêchent la politique culturelle genevoise de se déployer comme elle devrait.

Politique culturelle genevoise : la Ville ou le désert...

Le budget culturel de la Ville de Genève est celui sur lequel repose l'essentiel du tissu culturel de toute la région : sans l'effort que la Ville consacre à sa politique culturelle, sans les ressources financières qu'elle y affecte, il n'y aurait plus à Genève plus ni opéra, ni orchestre symphonique de niveau international, ni musées publics, ni bibliothèques publiques, ni théâtres publics (hors celui de Carouge), plus beaucoup de théâtres privés, et plus de ballet permanent. Un presque désert culturel, en somme. S'agissant du budget de la culture -le plus important, financièrement parlant, avec ses 250 millions de francs par an, des champs politiques couverts par la Ville, et le seul où elle est première non seulement de toutes les communes mais également (et de loin) par rapport au canton, nous avons dit, en commission, notre satisfaction de voir les engagements culturels de la municipalité maintenus, même si le département de la culture a du lui-même réduire ses ambitions initiales, mais nous avons dit aussi notre regret que cette continuité ne puisse matériellement s'accompagner pas de choix nouveaux. Le cadre budgétaire général l'empêche, et même si ce cadre n'est ni taillé dans le marbre ni coulé dans le bronze, il reste étroit parce qu'on s'acharne à faire prévaloir des critères comptables sur les critères politique -en l’occurrence, ceux de la politique culturelle. Cette contrainte pèse en particulier sur les investissements (d'autant que la commission des Finances, puis le Conseil Municipal, en a réduit le volume), mais aussi sur les dépenses et les subventions courantes.

On est donc contraints de pratiquer ce que la droite définit, pour la dévaluer, comme une « politique de l'arrosoir » (tout le monde reçoit, mais personne ne reçoit suffisamment), condition du pluralisme culturel. A cette politique, que nous soutenons même (ou surtout) lorsqu'elle a mauvaise presse, s'oppose celle de choix exclusifs qualifiés de « priorités » : quelques uns reçoivent tout ce dont ils ont besoin, les autres ne reçoivent rien. C'est user de l'arme financière pour promouvoir une culture officielle. Et de toute évidence, ce sont les grandes institutions qui capteront les ressources disponibles, ne serait-ce que parce qu'elles coûtent cher à faire exister même sans aucune programmation et sans aucune activité. D'où l'utilité, la nécessité même, de ce que le budget de la Ville de Genève appelle les «fonds généraux», qui permettent précisément de mobiliser et d'affecter les ressources nécessaires au maintien d'un maillage culturel ne reposant pas uniquement sur les institutions pérennes disposant de grosses subventions également pérennes (le seul Grand Théâtre consomme le quart des charges de toutes les institutions culturelles, le Musée d'Art et d'Histoire le cinquième), mais aussi sur des dizaines d'acteurs plus récents, plus précaires, souvent associatifs, et qui disparaîtraient purement et simplement si la collectivité publique ne les soutenait plus. Les domaines du théâtre, de la danse, du livre disposent de tels fonds -et s'il n'était pas opportun de les « regonfler » dans le cadre du débat budgétaire, comme le proposait le groupe « Ensemble à gauche », il sera nécessaire de le faire en cours d'année, d'autant qu'au regard des moyens affectés aux institutions culturelle pérennes (160 millions de francs), ceux affectés à ces fonds généraux sont fort modestes (moins de 3 %). Or ce ne sont pas seulement des lieux qui en vivent, de la création qu'ils rendent possibles, des spectacles qu'ils permettent : ce sont aussi des emplois, des salaires, des compétences qu'ils maintiennent.

Enfin, il va bien falloir qu'on se prononce clairement sur le partage des responsabilités et des charges entre collectivités publiques -et plus précisément, entre la Ville et le canton de Genève. Or le partage des charges avec le canton relève de l'espérance illusoire : vu l'état de son budget et l'incertitude des prévisions sur les budgets à venir, il ne faut rien attendre du canton, du moins rien attendre en termes de soutien matériel. En revanche, on peut en attendre des volontés politiques de s'impliquer davantage dans le champ culturel -mais que valent ces volontés si elles ne se traduisent pas trivialement en millions de francs -disons plutôt : en dizaines de millions de francs ? Elle ne vaudraient alors que ce que vaut une volonté de prise de contrôle sans volonté d'en assumer les responsabilités matérielles.
Une volonté bureaucratique, pas une politique culturelle.

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