samedi 16 avril 2016

Pourquoi "désenchevêtrer" la politique culturelle, naturellement enchevêtrée ?


Le 18 mars, le Grand Conseil a adopté un premier paquet, assez ficelé,  de lois supposées "désenchevêtrer" les politiques sociales et parascolaires des communes et du canton, à partir d'un accord "unanime" entre le canton et l'Association des communes (mais dont on ne sait pas si les communes, elles, étaient unanimes pour le ratifier). En résumé, l'accueil parascolaire sera de la compétence exclusive des communes et les prestations sociales financières de celle du canton, à l'exception d'aides ponctuelles que les communes pourront accorder, et de prestations complémentaires accordées par la seule Ville de Genève, et qu'elle sera seule (parce qu'elle a été seule à se battre pour cela) à pouvoir continuer d'accorder aux bénéficiaires de prestations cantonales complémentaires à l'assurance vieillesse et invalidité : bonjour l'égalité de traitement... et l'Association des communes genevoise entérine ? Voilà qui va certainement contribuer à en rehausser le prestige. Les communes vont reprendre l'aide à domicile accordées aux personnes âgées, le canton étant chargé des soins  à domicile et de la prise en charge en EMS. Ce paquet de lois ayant été accepté, et aucun référendum n'ayant été lancé contre elles, c'est au tour de la politique culturelle de faire l'objet de projets de "désenchevêtrement" -de projets plus contestables, si l'on  en juge par le projet de loi cantonale sur la répartition des tâches dans le domaine de la culture, proposé par le Conseil d'Etat (il est téléchargeable sur www.fichier-pdf.fr/2016/04/08/pl11872/ ) après une négociation avec les communes, et surtout la Ville de Genève... mais pas avec les acteurs culturels...
     
Une affaire de choix politique ou d'amour-propre ?
  
"Nous sommes en train de faire à quelques uns ce que la Constituante, c'est-à-dire 80 personnes dont c'était l'unique tâche, n'a pas su faire en quatre ans", lâchait le président du Conseil d'Etat, François Longchamp, en octobre dernier, lors de la présentation du premier paquet de lois visant au "désenchevêtrement" des tâches entre le canton et les communes. Et il n'avait pas tort, le président du gouvernement -même si la Constituante n'avait pas que cette tâche à accomplir, elle l'avait, et ne l'a pas accomplie, refilant pleutreusement la patate chaude (et les conflits qui vont avec) au Conseil d'Etat, et après lui au Grand Conseil. Une première loi avait, en septembre dernier, fixé la méthode de se "désenchevêtrement", même là où il n'y a pas grand chose à désenchevêtrer -comme dans la politique culturelle, où le canton joue un rôle supplétif des communes en général et de la Ville en particulier, ce qui fait de ce champ de l'action politique le seul d'importance où à Genève le principe de subsidiarité, invoqué comme principe de référence du "désenchevêtrement" soit respecté : le canton n'intervient que là où la commune (la Ville, principalement, mais pas exclusivement) n'intervient pas, ou intervient comme complément de l'intervention de la commune.
     
Le Conseil administratif de la Ville de Genève et le Conseil d'Etat avaient négocié, entre eux seuls, sans les autres communes et sans le Conseil de la culture, une sorte d'"accord" qui n'en était pas un, mais qui faisait semblant d'en être un, et qu'on était priés de prendre pour tel, portant sur la répartition des tâches de politique culturelle entre la Ville et le canton. Notre magistrat préféré nous avait dit sur son blog que "s’il n’est pas parfait, cet accord est cependant un bon accord dans le contexte actuel". Ce qui, en le contextualisant, faisait précisément de cet "accord" non pas un élément de politique culturelle, mais une monnaie d'échange : il fallait  "envoyer un signal positif aux députés ayant fait de cet accord un préalable nécessaire à leur entrée en matière sur une participation cantonale à la construction de la Nouvelle Comédie et au fonctionnement du Grand Théâtre, participations s'inscrivant dans le cadre de la Loi cantonale sur la culture". Mais cela s'est fait sans concertation avec d'autres partenaires que la Ville et le canton, confrontés à des dossiers qu'ils n'arrivaient pas à faire avancer parce que la majorité du Grand Conseil leur mettait, ou menaçait de leur mettre, des bâtons de bergers dans les roues du char à bœufs -comme dans le cas du projet de la Nouvelle Comédie, embourbé par le PLR. Dans ce dossier, le Conseil d'Etat avait tenu ses engagements -c'est le Grand Conseil qui a fait défaut. Et dans le dossier du Grand Théâtre, c'est de crainte que le Grand Conseil fasse à nouveau défaut que le Conseil d'Etat avait "gelé" la subvention cantonale prévue -et qui sera de toute façon revue à la baisse...
      
Avec le projet de loi qui vient de tomber pas plus qu'avec l'accord Ville-canton qui le précédait et qu'il reprend, on n'a pas affaire à un programme de politique culturelle -juste à un marchandage sans critères clairs : on ne se répartit les responsabilités ni en fonction de l'importance des lieux culturels, ni en fonction du domaine culturel, ni en fonction de qui les assume actuellement, ni en fonction de leur audience locale, cantonale ou régionale, ni en fonction de leur coût.  Si on retenait ces critères, le Musée d'Art et d'Histoire et la Nouvelle Comédie devraient revenir au canton -or le canton les laisse à la Ville, seule.  Et finalement, on ne désenchevêtre pas grand chose. D'ailleurs, ce serait une démarche en soi contestable que de "désenchevêtrer", s'agissant de la culture, qui produit naturellement de l'enchevêtrement, autant qu'elle en profite. La Confédération elle-même le reconnaît, puisque lorsqu'elle intervient dans le champ culturel genevois, c'est en encourageant son partenariat avec la Ville et le canton. Autrement dit, en encourageant l'"enchevêtrement"... auquel le canton fait mine de vouloir mettre fin, alors même qu'il n'a pas réellement de politique culturelle, mais seulement des envies de politique culturelle, ce qui n'est pas vraiment la même chose. Sauf à réduire la politique culturelle à la mainmise (au moindre coût possible) sur telle ou telle institution culturelle plus prestigieuse que les autres.

Une affaire d'amour-propre, en somme.

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