mardi 6 octobre 2015

Anciennes pitreries et Nouvelle Comédie : Quand le PLR surjoue Tartuffe


   

Par neuf voix (PLR, UDC, MCG) contre six (la gauche et le PDC), la commission des travaux du Grand Conseil a décidé d'inviter le parlement genevois à refuser d'entrer en matière sur le crédit proposé par le Conseil d'Etat pour compléter celui que la Ville de Genève, par un vote largement majoritaire de son Conseil Municipal , à accordé au projet de "Nouvelle Comédie". Les explications données par le PLR pour justifier le vote de ses commissaires (l'opposition du MCG et de l'UDC étant déjà connue et, s'agissant d'un projet culturel, relève du réflexe pavlovien) sont d'une assez monumentale tartufferie : le PLR a d'abord voulu ajourner le vote, alors que tous les éléments du projet set tous les critères d'un prononcement, quel qu'il soit, sont connus  sont connus depuis des mois. Il a ensuite expliqué qu'il fallait attendre les premiers résultats de la réforme de la répartition des compétences entre les communes (et, s'agissant de la culture, surtout de la Ville) et le canton, réforme qui n'aboutira pas (si elle aboutit...) avant 2017 alors que le chantier de la Nouvelle Comédie devrait s'ouvrir en 2016, si on veut éviter que les coûts prennent l'ascenseur. Il a enfin, par la voix du député Zweifel, considéré que la Ville pouvait tout payer toute seule (alors que le PLR de la Ville ne cesse de clamer que la Ville est au bord du gouffre financier), et conclu en apothéose tartuffière, par la voix du président du parti, Alexandre de Senarclens, que ce n'était "pas de gaieté de coeur" que le PLR s'apprêtait à couler le projet en rendant impossible son financement paritaire entre la Ville et le canton...


La culture coûte tro cher ? Essayez l'inculture...

  Le PLR s'apprête donc à rejoindre l'UDC et le MCG dans le refus du financement cantonal du projet de Nouvelle Comédie, la Ville de Genève ayant, elle, accepté sa part (équivalente à celle du canton) dans ce financement. Si l'opposition du PLR au financement du projet de nouvelle Comédie fait basculer la majorité parlementaire dans le refus de ce financement, soutenu par la gauche et le PDC et déjà combattu par l'UDC et le MCG, le projet est-t-il condamné ? non. D'abord, parce que la moitié de son financement est déjà acquise par la décision du Conseil Municipal de la Ville de Genève de voter les crédits nécessaires, et qu'aucun référendum municipal n'a été lancé contre cette décision. Ensuite, parce qu'une initiative populaire pourrait suppléer au refus du Grand  Conseil si, dès son lancement, elle est portée par une large mobilisation de la "société civile", et soutenue par un large front politique, autour de la gauche et du PDC. Enfin, parce qu'au Conseil Municipal, la levée de la conditionnalité du crédit municipal par le vote du Grand Conseil est aussi envisageable, comme d'ailleurs un crédit additionnel, mais là encore, la gauche à elle-seule ne suffira pas à l'obtenir. Rien, en tout cas, ne sera obtenu pour la Nouvelle Comédie sans une forte mobilisation de cette part de la "société civile" pour qui la culture n'est pas la cerise sur le gâteau, mais la pâte même du gâteau -l'étoffe dont sont tissées nos sociétés, et dont le théâtre dévoile la trame.

Reste donc, en attendant, à tenter de convaincre une majorité du Grand Conseil de soutenir la proposition du Conseil d'Etat : l'accord de la gauche est acquis. Celui du PDC semble l'être aussi, en principe (mais connaissant l'animal, on n'en sera sûr qu'après le vote). Et le PLR est divisé. Y'aura-t-il au sein de ce parti suffisamment de députés et de députées capables de réfléchir et de voter par eux-mêmes (en bons libéraux, si ce qualificatif a encore un sens), en fonction du projet qui leur est soumis et non des ordres reçus de leurs chefs, sous-chefs et caporaux ?

Au fond, en sabordant le financement du projet de Nouvelle Comédie, c'est aussi la Loi cantonale sur la Culture et la réforme de la répartition des tâches que le PLR saborde : la loi, en réduisant l'ambition du canton de prendre sa part de la politique culturelle à un discours sans engagement réel, et la réforme, utilisée d'ailleurs comme prétexte pour ne pas accepter de financer la "fabrique de théâtre", en campant sur la situation actuelle qui voit la Ville prendre à sa charge la plus grande part du financement des grandes institutions culturelles. Le projet de Nouvelle Comédie, c'est le test de légitimation de la nouvelle Loi cantonale sur la culture, et de vérification de la réalité des discours tenus sur la nouvelle répartition des tâches entre le canton  et les communes, et en particulier entre le canton et la Ville, dans un domaine -la politique culturelle- où la présence du canton tient de la figuration hallebardière. Couler à la fois la Nouvelle Comédie, la Loi sur la Culture et la nouvelle répartition des tâches ? Beau travail, les gars... "Vous trouvez que la culture coûte trop cher ? Essayez l'inculture"... et votez PLR.

La Nouvelle Comédie, ce n'est pas l'actuelle Comédie déplacée et agrandie, c'est une "fabrique de théâtre" comme Genève n'en a jamais connue -une institution culturelle centrale, dans un quartier nouveau. Ce projet  est le projet culturel le plus important de ces vingt dernières années, et pour les vingt années à venir : ce n'est pas, comme pour le projet MAH+, un projet de rénovation et d'extension d'une institution existante, on est bien au-delà d'une simple (mais coûteuse) "nouvelle salle" : on est dans un projet de nouvelle institution culturelle, avec une nouvelle ambition et un nouveau cahier des charges.  Et c'est sans doute bien ce qui effraie le plus la droite. Ce projet ne se heurte à aucune opposition "patrimoniale" (c'est un projet ex nihilo), aucune opposition à la nature d'un financement privé (il n'y a pas de Gandur à l'horizon) : restent une opposition financière (faut faire des zéconomies), une opposition corporatiste (incarnée par le PLR Frederic Hohl, dont l'argumentation d'organisateur de spectacle et d'"événements" se résume en gros à "moi, ce théâtre, j'en n'ai pas besoin"), et une opposition culturelle (ou inculturelle ?) : le théâtre qui se fera à la Nouvelle Comédie n'intéresse que quelques centaines d'întellos de gauche, de toute façon, le théâtre est une forme d'expression obsolète, et c'est dans le sport qu'il faut investir, pas dans la culture.
Il est vrai que jamais un Hohl de gare ne sera un foyer de théâtre...


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