vendredi 3 septembre 2010

Un musée ? Non : un miroir...

Musée d'ethnographie de Genève
Un musée ? Non : un miroir...

Le Conseil administratif genevois a revu et corrigé le projet d'agrandissement du Musée d'ethographie, combattu par un référendum populaire parce qu'il implique l'abattage de 31 arbres dans la cour du musée. Au projet initial ont été ajoutés un jardin public, des pelouses, des fleurs, un plan d'eau, des jeux pour les enfants, une terrasse de bistrot, tout cela sans attenter au préau de l'école voisine et sans dépasser le budget initial de 63,2 millions (sans quoi il aurait fallu déposer un nouveau projet, certainement lui aussi combattu par référendum, puisque c'est le sort de tous les projets muséaux à Genève depuis des lustres). On abattra donc des arbres, mais pour en replanter plus qu'on en aura abattus. Ce sont les beautés de la démocratie directe : un référendum, et la végétation pousse (ou repousse) dans la cour des musées. Un référendum de plus, ce serait carrément la jungle. Cela dit, ce que le débat, et demain, 26 septembre, le vote sur le projet d'agrandissement du Musée genevois d'ethnographie, mettent en évidence est bien qu'un tel musée n'est pas le lieu où « notre société » regarde les sociétés des autres, mais d'abord celui où elle se regarde elle-même, telle qu'elle est, pour ce qu'elle vaut. « Citoyens aux urnes pour 31 arbres », titre «20 Minutes». Pour 31 arbres (remplacés 41 autres) vraiment ? Ou pour dire ce que nous sommes prêts à payer pour savoir qui nous sommes ?

Comment peut-on être Persan ?
Au rythme de nos voyages, « chacun d'entre nous est un petit ethnographe qui s'ignore et chacun d'entre nous constitue même son petit musée d'ethnographie », écrit le directeur du Musée d'ethnographie de Genève. Boris Wastiau, dans le dépliant distribué pour convaincre le peuple municipal souverain de soutenir le projet d'agrandissement de son musée. Chacun de nous, il est vrai, est un peu ethnographe. Mais chacun de nous est aussi objet d'ethnographie : les humains ne sont pas des arbres, et leurs villes ne sont pas des forêts : nos racines, celles de nos cités, de nos sociétés, de nos Etats, sont culturelles, et multiculturelles de toute évidence et de tout temps. Or depuis des décennies, tous les projets de nouveau musée d'ethnographie se sont heurtés à des oppositions qui ont renvoyé aux archives les études faites sur eux et au néant les millions dépensées pour elles. A chaque fois, le même discours dilatoire a été tenu : un nouveau musée d'ethnographie ? d'accord. Mais pas comme ça. Ou pas là. Pas à la place Sturm, pas au chemin de l'Impératrice, pas au boulevard Carl-Vogt. Pas s'il faut couper des arbres (même si on replante d'autres), pas si on supprime des places de parking... Pour sortir de cette fatalité qui à Genève comme en d'autres lieux, pèse sur les projets culturels, et les rend fragiles à la coalition d'oppositions disparates s'additionnant pour composer une majorité (la Maison de la Danse y a succombé), on joue désormais la carte de l'humilité, la culture devant, décidément, forcément, et surtout logiquement si l'on s'en tient à la logique de la marchandise, se « la jouer discrète » et laisser le somptuaire, le grandiose -bref, l'immodeste, aux grands temples de la consommation et de la finance -aux centres commerciaux, aux sièges des grandes entreprises... Comme s'il devait être désormais de règle dans une démocratie qu'une institution culturelle n'ait pas, ou plus, à se montrer, ou qu'elle n'ait à se montrer que sans se faire remarquer. Quand on applique aux musées les critères des fortifications souterraines du Réduit National, c'est sur la place de la culture, plus que sur les goûts architecturaux, que cela interroge, même si de bonnes explications peuvent être données de ce minimalisme cryptophile : le manque de place dans les villes, la nécessité de préserver les objets et les œuvres de la lumière du jour, la possibilité de contourner les oppositions « esthétiques », mais aussi le souci de faire de la muséologie, et non d'un « geste architectural » narcissique le centre et la justification d'un projet de musée. Ce dernier souci est sans doute légitime, mais sa traduction dans le corps de la ville ne peut avoir pour seule raison que celle de ne pas déplaire, en un temps où tout lieu culturel, même le plus institutionnel, même un musée, devient objectivement un espace de résistance au mercantilisme, un espace de subversion des idées reçues -un espace commun, contre les lieux communs.

Aucun commentaire: