lundi 1 juin 2015

La Nouvelle Comédie : du théâtre à la fabrique de théâtre


Deuxième (après le Musée d'Art et d'Histoire) gros morceau à l'ordre du jour du Conseil Municipal : la Nouvelle Comédie. Un  projet à 98 millions, dont 53 à charge de la Ville et 45 à charge du canton (s'il y consent, ce que le Conseil d'Etat propose, mais ce dont le Grand Conseil disposera, sans que l'on puisse le moins du monde préjuger de ses bonnes ou mauvaises dispositions). Un projet totalement à charge des collectivités publiques, contrairement à celui de rénovation et extension du MAH, dont le financement est fondé sur un « partenariat public-privé ». Et surtout, un projet culturellement bien plus ambitieux que celui du MAH, qui pourtant fait plus de bruit.  Parce que la Nouvelle Comédie, ce n'est pas l'actuelle Comédie en plus grand, c'est une nouvelle institution culturelle. Dont le projet devrait, lui aussi, affronter un référendum, venu (si elle ose) de la droite de la droite. Les deux projets devant être adoptés lors de la même session du Conseil Municipal, les deux référendums seront lancés en même temps et, s'ils aboutissent tout deux, soumis au peuple en même temps. Une votation majeure, et périlleuse, s'annoncerait alors, sur deux projets inégalement séduisants, mais également déterminants pour tout le « paysage culturel » genevois.

Plus qu'un projet de nouveau théâtre. Plus que l'ouverture d'une nouvelle scène
                 
Changement d'échelle changement de rôle : on ne propose pas seulement avec la « Nouvelle Comédie » de donner des moyens, des espaces, du personnel supplémentaire à la Comédie de Genève, on propose de changer sa place dans le tissu culturel genevois et la place du théâtre, comme art vivant, dans la cité. La Comédie comme institution publique deviendrait ce que le Grand Théâtre est pour l'art lyrique, l'OSR pour la musique symphonique ou ce que projette (ou rêve) d'être le Musée d'Art et d'Histoire rénové et agrandi : une institution de référence pour tout un art, tout un milieu, toutes celles et tous ceux qui y oeuvrent, toute une forme d'expression.  On ne construit pas un parking, ou un supermarché, on construit un théâtre. Et on fait le choix très politique d'affirmer Genève comme une ville de culture, au singulier, et de cultures, au pluriel. Et de théâtres, toujours au pluriel, puisque la Nouvelle Comédie ne sers pas seulement une scène, mais une véritable « Cité du Théâtre », une «fabrique de théâtre» réunissant en un même lieu, la journée et le soir, artistes, artisans, public, habitants du quartier, producteurs du spectacle théâtral et apprentis de ce spectacle. Le temps est aussi une donnée du débat : La Nouvelle Comédie s'inscrira dans un paysage urbain (celui du quartier de la Gare des Eaux-Vives) remodelé par le CEVA. Le projet doit donc être inscrit dans le calendrier du chantier du CEVA, le théâtre soit inauguré en même temps que la ligne de chemin  de fer, en 2019.
L'ambition du projet de la Nouvelle Comédie est considérable -et c'est parce qu'elle est considérable qu'elle est pour certains effrayante : installer le théâtre (et, plus largement, les arts de la scène) comme le lieu, le moment, le langage du questionnement de la cité. Et, d'une certaine manière, réconcilier Genève avec le théâtre -et le théâtre avec Genève, ville de livres, ville de musique, mais qui s'est toujours un peu (ou beaucoup, sous la plume de Rousseau) méfiée de cet art étrange fait de masques et de discours, où des femmes et hommes jouent des rôles tout en étant, sur une scène, physiquement, eux-mêmes. On comprend donc assez bien l'opposition de la droite de la droite municipale à un tel projet, qui veut faire du théâtre autre chose qu'un spectacle, et le soustraire aux lois du marché. Ainsi,  le PLR, qui se pose en fervent défenseur du projet d'extension du Musée d'Art et d'Histoire, se profile aussi comme opposant à celui de la Nouvelle Comédie : étendre l'existant ne lui pose aucun problème -le réinventer l'effraie. Autant d'ailleurs qu'un « partenariat public-public » pour financer la Nouvelle Comédie, alors que l'extension du MAH le serait par un « partenariat public-privé » qu'il prône pour tous les projets culturels d'importance.
La « Nouvelle Comédie » est plus qu'un projet de nouveau théâtre.. Mais c'est sur un ancien théâtre, sur une ancienne scène, que le sort de ce projet va se jouer : au Conseil Municipal. On ne dira pas trop de mal ici de cette scène, puisque nous y sévissons. Disons, prudemment, que de la pièce qui s'y joue depuis hier soir sur le projet d'extension du Musée d'Art et d'Histoire on peut tirer au moins un enseignement : à Genève, les arts de la scène politique gagneraient eux aussi à bénéficier du changement d'échelle et du changement de rôle que le projet de Nouvelle Comédie permettrait d'offrir au théâtre...

Aucun commentaire: