mercredi 10 juin 2015

Le "nouveau Musée d'Art et d'Histoire" : l'ancien en mieux, ou autre chose ?


    
MAH + ? Mais plus de quoi ?

Faire entendre, pendant la campagne référendaire, une réflexion socialiste critique (mais aussi prospective) sur la politique muséale, le contenu du projet, la fonction d'un musée, tout ça : voilà à quoi nous allons nous vouer, héroïquement, ces prochains mois -à une sorte de travail de sape (souterraine, forcément, comme toute sape) des certitudes béates. Et des illusions heureuses : on n'a commencé à réfléchir au projet culturel du nouveau musée qu'une fois que nous l'ayons demandé publiquement, et institutionnellement, par une motion que le Conseil municipal a accepté. Mais n'était-ce pas trop tard ? N'était-ce pas par cela qu'il fallait commencer, plutôt que par cela terminer ? Et si on en est insatisfaits, du projet culturel qui nous sera présenté, comment fera-t-on pour le changer, et combien de temps faudra-t-il pour le changer, et qui serait en charge d'un projet différent de celui que la direction actuelle du musée aura proposé ? cette direction elle-même ? Le MAH, c'est-à-dire sa direction, ne fait pas mystère de son intention  : "la notion d'encyclopédie, qui sous-tend la conception originelle et actuelle du MAH, est aussi la pierre angulaire du futur musée", lit-on dans une première réponse, en janvier 2015, à la motion de la gauche réclamant que le contenu culturel du projet d'extension du musée soit exprimé. Le projet culturel du "futur musée" est donc celui du musée actuel... en un peu plus grand, avec un peu plus de moyens, d'espace et de confort. Or cela ne nous suffit pas...



"La victoire sera pour ceux qui auront su faire le désordre sans l'aimer" (Guy Debord)

Le projet de rénovation et d'extension du Musée d'Art et d'Histoire de Genève oblige le musée et la Ville à s'interroger sur le rôle même du musée. Oblige, ou devrait obliger : il aura tout de même fallu le demander avec insistance pour qu'un projet scientifique et culturel soit mis en élaboration, et que quelques-uns de ces éléments soient communiqués. Il nous faudrait profiter de l'occasion de la rénovation et de l'extension du MAH pour changer de musée. Changer d'ère, sortir du temps du réformisme culturel né à la sortie de la Guerre Mondiale, et que dans les années soixante incarnèrent à merveille en France un ministre comme André Malraux, des acteurs culturels comme Jean Vilar ou Henri Langlois, un projet comme le Centre Beaubourg (devenu Centre Pompidou)... Sortir de ce temps où la mission d'un musée est de conserver (mission patrimoniale), donner à voir et expliquer (mission pédagogique), étudier (mission scientifique), et où la mesure de sa capacité à remplir cette mission est sa fréquentation, la consommation que "le public" en fait, mesure qui, lorsqu'on la privilégie, arase, écrase, aplanit les contenus jusqu'à  les rendre à  la fois interchangeables et hiérarchisables : il y a plus de public pour voir La Joconde que pour voir Guernica ? La Joconde vaut donc plus que Guernica. Et bien plus que l'Homme qui Marche ou l'Origine du Monde.

Le MAH a été initialement conçu, et fonctionne depuis plus d'un siècle, comme un muée "encyclopédique", et "le musée, comme encyclopédie, montre et explique", une encyclopédie étant "un rassemblement symbolique d'objets présentés selon un ordre systématique qui vise à en révéler la logique", écrit le MAH dans une première réponse, en janvier 2015, à la motion de la gauche réclamant que le contenu culturel du projet d'extension du musée soit exprimé. Et le MAH, c'est-à-dire sa direction, ne fait pas mystère de son intention : le projet culturel du "futur musée" est  celui du musée actuel, en plus grand : un "musée des musées". Une encyclopédie des encyclopédies... Mais une encyclopédie repose, avant même que d'être un "rassemblement symbolique d'objets", sur un projet culturel, voire explicitement politique, qui détermine à la fois l'ordre systématique de ce qu'elle présente (le système n'est pas donné par la nécessité de l'ordre, c'est l'ordre qui est déterminé par un système préalablement conçu) et la logique qu'on veut en tirer : Diderot, d'Alembert, d'Holbach, savent où ils veulent aller avant même d'avoir écrit le premier mot du premier article de leur Encyclopédie, et celle-ci est un instrument de leur projet politique...

Rendre le musée plus familier, la visite du musée plus "normale", à des publics qui s'en tiennent éloignés, c'est une ambition légitime -celle de la "démocratisation de la culture", qui pousse à aller chercher ce public, et, une fois qu'on l'a amené dans les salles, à lui expliquer, lui raconter, ce qu'on lui donne à voir, à  remettre les oeuvres et les objets dans leur histoire  : "L'objectif n'est pas de tout dire, mais d'éveiller, de donner au public le goût de poursuivre sa démarche et de combler son désir d'apprendre" écrit la direction du MAH en janvier 2015. Soit.  La "médiation culturelle" a précisément cette fonction -mais entre qui, entre quoi, est-elle médiatrice ? Et la quête d'un "nouveau public" a-t-elle pour objectif d'additionner ce "nouveau public" à l'ancien, de l'y intégrer, de l'y assimiler, ou de lui adapter le musée ? La "médiation culturelle", la "démocratisation des musées", ont-elles pour but de changer le public ou de changer le musée ?

Il faut que le musée raconte une histoire, et pas une histoire qui n'ait de sens que pour le musée : une histoire qui en ait pour les visiteurs -pour chacun-e d'entre elles et eux. Cette histoire doit partir de la leur, parce qu'il faut bien l'avouer : on s'en fout un peu, du contexte historique, culturel, religieux, de "la Pêche Miraculeuse", on se demande plutôt : qu'est-ce qu'elle nous dit de nous, aujourd'hui ?

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