lundi 2 avril 2007

Fragments d'audit

Fragments
d'audit
ou : Comment et pourquoi il s'avère que le Grand Théâtre est un opéra historiquement transcendental : une institution bourgeoise, avec des fonctionnements féodaux, sous une municipalité de gauche...


Etre et paraître (Crealyse)

(Le rapport rendu de ce premier lot de l'audit, qui légitime les revendications des syndicats et du personnel, a été très confraternellement estampillé comme "caricatural" et "outrancier" par les responsables du deuxième audit -des spécialistes en restructurations d'entreprises, qui s'en sont "complètement désolidarisés". Ambiance... Créalyse a par ailleurs écrit une seconde version de son rapport, expurgée des maladresses les plus criantes présentes dans la première version )

Pour les réactions, se reporter aux commentaires

(Dans le cadre de l'audit réalisé par Crealyse, 25 "acteurs institutionnels" (Conseil de fondation, Direction, Ville) et 151 membres du personnel ont été entendus, sans compter les "partenaires sociaux")

1.1 Contexte

Le 1er septembre 2006, Monsieur Patrice Mugny recevait une lettre / pétition de plus de 70 des 140 employés du Grand Théâtre, écrite la veille, signifiant en tout premier lieu une forte crise interne au Grand Théâtre de Genève et dénonçant notamment des conditions de travail inacceptables, tant en termes de durée et de charge de travail, que de relations humaines : débordements de langage, abus de pouvoir, attitudes irrespectueuses des employés…Cette pétition rassemble en tout premier lieu les signatures du personnel technique dans son ensemble, personnel disparate, réunissant toute une palette de corps de métier, richesse importante de ces métiers de la scène en général et de l’opéra en particulier (éclairagistes, machinistes, régisseurs, électromécaniciens, constructeurs des décors, accessoiristes, costumiers, etc…).Le suicide d’un employé, à la fin du mois d’août, aurait mis le feu aux poudres et déclenché la dénonciation de divers abus, pratiqués, semble-t-il depuis un certain temps, au sein de l’institution, dirigée par Jean-Marie Blanchard. (Ce suicide ne semble toutefois pas, quelques semaines plus tard avoir de lien avec ce manque d’écoute des employés du Grand Théâtre – la personne en question avait bénéficié en effet de 40 auditions en 10 ans et de 6 mutations, Patrice Mugny, concluant que « si la situation au Grand Théâtre n’a pas amélioré son état, elle n’a pas causé son décès »).L’Opéra de Genève semble effectivement être en crise depuis un certain temps, la catharsis - la pétition – n’étant que l’aspect visible de l’iceberg, selon la presse toujours.Cette nouvelle affaire fait suite à une précédente, l’année dernière, causée par une dénonciation pour harcèlement à caractère sexuel et pour mobbing, au sein du groupe des accessoiristes, affaire qui ne semble pas avoir été réellement réglée, malgré un audit concluant à la non-crédibilité de la plainte, puis à un non-lieu, d’une part, et à la mutation de 3 employés d’autre part ( les plaignants, qui semblent avoir mal vécu cette mutation, également mal perçue par les autres). En effet, il semblerait que la conclusion de la précédente affaire ait encore péjoré les relations internes et la peur de parler ouvertement de difficultés relationnelles au sein des équipes du personnel.Le malaise est profond, la crise violente, semble-t-il et le dialogue difficile avec la direction, qui parle d’impasse. Les différentes parties ne semblent ni s’entendre, ni réellement s’écouter.Dans ce contexte, le magistrat à la Culture, Monsieur Patrice Mugny, le président de la Fondation du Grand Théâtre, Monsieur Gilles de Preux et le directeur général de l’institution, Monsieur Jean-Marie Blanchard, ont décidé de lancer un appel d’offres public, dans l’optique de réaliser un audit durant le premier semestre 2007, afin de comprendre la situation et de l’élucider et de mettre en place des solutions pour une nouvelle dynamique harmonieuse au sein de cette prestigieuse institution culturelle genevoise.

(...)

1.2 Objectifs

Objectif principal
(...)Cet audit a eu pour but principal de dresser un état des lieux objectif et clair de l’institution aujourd’hui, afin de trouver et de proposer des solutions efficaces et applicables rapidement à ce malaise profond et à la crise installée qu’elle traverse.La règle d’or de ce type d’audit est naturellement de libérer la parole et de cerner la capacité des gens en interne à exprimer, puis dépasser le conflit ou le problème pour en dégager les idées fortes permettant de recapitaliser les ressources humaines.

Objectifs spécifiques

Analyse de la Structure interne du Grand Théâtre en soi – analyse objective – et notamment de la structure institutionnelle. En effet, il s’est agi de comprendre la structure du Grand Théâtre en soi, son fonctionnement, les enjeux institutionnels liés à ce fonctionnement et la circulation de l’information, tant formelle (ordres et autorité, demandes, fonctions, cahiers des charges, etc.) qu’informelle (rapports entre les différentes catégories et niveaux hiérarchiques du personnel notamment) (...).

Analyse de l’organisation interne de l’institution, de la dynamique des relations de travail et des ressources humaines de l’institution. Il s’est agi de :
Cerner la perception du fonctionnement / dysfonctionnement du Grand théâtre de Genève par les acteurs en présence - collaborateurs actuels ou passés et les partenaires, c’est-àdire :

- Identifier et hiérarchiser les raisons du malaise ressenti par les collaborateurs signataires de cette lettre du 31 août dernier, adressée à Monsieur Patrice Mugny, magistrat.

- Identifier les perceptions relatives à ce malaise auprès des collaborateurs non signataires.- Spécifier les origines et les ancrages de ce malaise, qu’ils soient perçus comme structurels, humains, ponctuels ou permanents.

- Evaluer la politique du personnel du Grand Théâtre.

- Comprendre et définir les différents stress évoqués par le personnel, passé et actuel.

- Cerner la perception des différences (de traitement et) de contrats en vigueur au sein de la Maison, telles qu’elles sont perçues en interne, par les collaborateurs et partenaires du Grand Théâtre.

- Evaluer la pertinence de la structure actuelle et du fonctionnement actuel technique, administratif, artistique, communicationnel (interne et externe) et institutionnel du Grand Théâtre pour ses personnels, collaborateurs et partenaires.

- Evaluer l’ampleur du malaise, sachant qu’à priori, il semble s’être étendu sur une majeure partie de la structure – en quoi il consiste exactement, où il se développe, selon quels réseaux il se propage, quels fonctionnements, quels acteurs : hiérarchiser les problèmes et les situer.

- Mettre à jour les noeuds, les accidents nuisant à la bonne circulation de l’information et de la communication – en interne – du Grand Théâtre, en soi et avec l’extérieur s’il y a lieu.

- Définir les évolutions positives, souhaitées et souhaitables pour le Grand Théâtre, en soi et pour ses collaborateurs et partenaires, la Ville de Genève, les citoyens.

Dégager des solutions permettant de :

- Comprendre et évaluer le fonctionnement actuel – ses forces et ses faiblesses, en termes structurels, humains et techniques, comprenant également le facteur de la (sur)charge de travail,

- Définir les leviers permettant de résoudre ces dysfonctionnements, à court, moyen et long terme, de l’institution, pour elle-même, pour ses collaborateurs et partenaires, observateurs proches ou plus distants, autres institutions.

- Evaluer les possibilités d’évolution à court, moyen et long terme, afin de contrecarrer les évolutions négatives et renverser une perception affaiblie actuelle de l’institution en interne notamment.

- Harmoniser la politique globale du personnel, dans un but de fluidité et de satisfaction par l’ensemble des parties.

Et donc :- Redresser l’image interne (et donc l’image globale) du Grand Théâtre :

. En interne (comme en externe), revitaliser l’image de l’institution, par la proposition de démarches et de solutions concrètes et efficaces, permettant à court, moyen et long terme, de fonctionner harmonieusement et de demeurer une fierté genevoise : un prestige dû aussi à un fonctionnement harmonieux et à une qualité globale des prestations. Il s’agit en effet par là même de valoriser le projet artistique global de la maison, nécessaire, définissant une maison d’opéra de qualité, à considérer au niveau européen, voire mondial, notamment.
(...)

2 Synthèse…
L’audit pour lequel nous avons été mandatés en décembre dernier, devait comporter 3 phases, dont deux séries d’entretiens individuels pour le bilan et une séries d’entretiens collectifs pour la prospective.
L’échantillon comportait, selon notre cahier des charges, quelques 70 à 90 entretiens, dont quelques uns, issus de demandes spontanées.
Devant l’ampleur des demandes spontanées – plus de 110 au final, après des appels suscités
à chaque événement médiatique, Créalyse a demandé un réajustement de l’audit, afin de ne pas, à nouveau, refuser la parole à ceux qui la demandaient.
Ainsi cet audit a entendu plus de 210 personnes au total, réparties en entretiens individuels et collectifs et réunions de groupe (5 groupes avec au total 38 personnes) et a parcouru plusieurs milliers de pages de documents : règlements, conventions, cahier des charges, statuts, procès verbaux du Conseil et du bureau du Conseil de fondation, dossiers issus de conflits entre des membres du personnel, etc.
Cet audit a été extrêmement bien accueilli par l’immense majorité des gens rencontrés et semble avoir soulevé un espoir pour beaucoup.
Cependant d’autres appréhendent un audit alibi, qui ne serait pas suivi d’effets, ce qui représenterait naturellement un danger supplémentaire pour l’institution, à l’heure actuelle fragile.
L’audit a en effet permis de créer un espace de parole, inexistant au Grand Théâtre et a pu oeuvrer comme outil endoformatif, alors qu’il provoquait aussi, parmi l’ensemble de la hiérarchie quelques débuts d’aménagement plus souples et une certaine écoute, qui devra naturellement s’amplifier.
Créalyse a oeuvré comme auditeur mais parallèlement également comme cellule de Relations et/ou de Ressources humaines pour nombre de membres du personnel, tout en ouvrant la boîte de Pandore… où il reste, comme chacun sait et tout a fond, l’espoir.
Mais la crise que traverse le Grand Théâtre a ses sources et ses origines dans un passé plus lointain que la nomination de l’actuelle direction ou l’actuel Conseil de Fondation et sa présidence et vice-présidence.
En effet, si Monsieur Guy Demole avait déjà passablement redressé l’institution pendant la direction de Madame Auphan, installant un système comptable, apportant également un soutien très fort à l’institution, les départements techniques semblent aujourd’hui avoir déjà initiés, pour partie, un lent déclin ou de forts dysfonctionnements qui se sont amplifiés avec le temps. Les problèmes d’inventaire, de dépôts, de sécurité, de santé, de pénibilité existaient également.
D’autre part, la structure institutionnelle montre aujourd’hui que les structures d’antan se doivent d’être renouvelées, afin de correspondre aux us et habitus contemporains. Tout comme d’autres institutions, il semble aujourd’hui que les rapports entre un Conseil Administratif, une fondation et un objet régi par cette fondation se doivent d’être révisés (voir préconisations).
Cependant, cette crise – latente – a été précipitée par une symbiose négative des trois membres de la direction en place depuis 2001 et ce, jusqu’en décembre 2006.
Cette direction était composée du directeur général, Jean-Marie Blanchard, actuel directeur général du GTG, du secrétaire général, Antonio Soragni, présent depuis une année auparavant, nommé sous l’ère Vaissade et ayant remplacé Monsieur Duchêne, et du directeur Technique, Jacques Ayrault, venu de Lausanne avec Renée Auphan.

Dans le même temps et avec l’arrivée de Monsieur Blanchard, le Conseil Administratif nomme un nouveau président, Bruno de Preux, qui prend la succession de Guy Demole.
Le Directeur général rejette l’organigramme précédent, n’en écrit aucun, écarte rapidement le Secrétaire général de ses prérogatives, le laissant vaquer à l’administration (partielle) de l’entreprise, tout en lui ôtant tout autre forme de compétences déléguées, tant en matière
artistique que financière ou communicationnelles.
Antonio Soragni, non consulté sur ce volet important, est appelé à remplir, dès 2001, par contre, la fonction de Ressources ou Relations Humaines, pour laquelle il semble n’avoir que peu de talents, selon les propos enregistrés par notre équipe depuis trois mois. Il est perçu comme sombre, désagréable, méprisant.
Le Directeur général, secondé d’une adjointe et d’un chargé de production, français tous les deux et venus avec lui, va se concentrer sur la production et la communication de spectacles d’art lyrique, en tout premier lieu, développant également une politique culturelle forte, comprenant l’ouverture à de nouveaux publics, une plus grande accessibilité de l’Opéra (publics jeunes, tarifs plus attractifs, visites organisées, participations aux fêtes de la musique, portes ouvertes, etc.), tout en communiquant également sur la qualité de la saison, tant à Paris (attachée de presse pour le Grand Théâtre) qu’à l’international, via la presse notamment.
Jean-Marie Blanchard, en renouvelant les publics, renouvelle aussi l’Opéra, en imposant une création chaque année, visitant considérablement le répertoire contemporain, ramenant Wagner à Genève, fréquemment et brillamment, tout en maintenant des pièces « plus » classiques du répertoire italien, français, allemand ou autrichien, russe…
La vitrine du Grand Théâtre brille, des prix et des distinctions aussi : meilleur spectacle lyrique en 2005, diapasons d’or…
Et le Directeur général s’emballe, programme, invite, crée, demandant un effort considérable à ses équipes techniques, sans tolérer le moindre refus, ni envisager la moindre remarque sur ses décisions. Les créateurs invités ont toute licence, leurs caprices sont agréés, dans les moindres détails et jusqu’aux derniers moments.
Ces caprices, irréalisables (et irréalisés) sur d’autres scènes, désorganisent la structure entière, chargent et multiplient les plans de travail, surchauffe les équipes.
Le Directeur technique, enfin, Jacques Ayrault, (qui n’est plus bridé par la directrice précédente, Renée Auphan, qui le connait depuis la fin de son adolescence et lui a permis de grimper les échelons de sa carrière), personnage des plus spéciaux, forcé d’accepter les choix du DG, sans discuter, se plie aux injonctions du DG et force ses équipes, installant un système de réseaux le défendant, réorganisant les équipes techniques, plaçant dès qu’il le peut des cadres intermédiaires qui lui sont inféodés, favorisant le copinage et le népotisme, développant une fidélité forcée et une culture excluante, composée de sexisme en tout premier lieu, tout en engageant des femmes dans plusieurs services, de racisme, de xénophobie, d’abus de toutes sortes et de favoritisme.
Le tout dans une ambiance de production intense, sur deux scènes - le BFM et la Place Neuve.
Les choses évoluent, le bureau technique est éclaté, permettant ainsi de ne pas centraliser les informations permettant de transformer une demande artistique en réalité technique, les services sont réorganisés partiellement selon les règles du Directeur technique, des gens fatiguent, partent, sont licenciés, le temps file, les procédures disparaissent : peu ou pas d’évaluation de fonction, de personne ou de poste, pas de cahier des charges – inexistant ou indisponible, les fonctions sont dispersées ou dupliquées, le principe global du « Diviser pour mieux régner » est appliqué à la lettre.

Les gens qui ne sont pas contents montent chez le Secrétaire général, qui, en alliance contrainte avec le Directeur technique les renvoit globalement travailler, avec une phrase largement partagée par les deux directeurs : « C’est ça ou la porte ».
Le ballet est relancé, tourne, rapporte de l’argent, ce qui n’empêche pas le Directeur général de le saisir come otage pour l’obtention d’une subvention supplémentaire.
Les choses montent, le personnel accepte, culture suisse oblige, longtemps. Quelques accidents se produisent, des personnes sont cassées, des femmes surtout, partent, malades, brisées. La crise monte, jusqu’à l’affaire des tapissiers accessoiristes.
Cette affaire est historique et emblématique puisqu’elle cristallise un certain nombre de dysfonctionnements, mais c’est aussi le premier faux pas du trio. Les deux femmes concernées, dénigrées, mobbées et harcelées par un de leur collaborateurs au sein du service et briguant – comme elles – un poste de cadre intermédiaire, ne trouvant aucune écoute dans l’institution, vont voir la Ville, Service des ressources humaines, pour l’une, qui refuse de la rencontrer, la Commission du personnel de la Ville de Genève pour l’autre. La première, face aux fins de non recevoir reçus va voir le SIT – Syndicat interprofessionnel des travailleurs, qui l’écoute et contacte aussi la VPOD – Syndicat de la fonction publique.
L’entrée des syndicats s’est donc faite par défaut des autres moyens de régulation présents ou mis en place.
Cette affaire des tapissiers accessoiristes cristallise un certain nombre de mauvais sentiments à l’égard de la direction : sanction des victimes, valorisation du bourreau, déni des règles, lois et de tout cadre structurant et assurant un fonctionnement démocratique, abus de toutes sortes, inféodation, etc., et sa résolution ne satisfait pas le personnel, qui se mobilise doucement, tout en produisant des spectacles reconnus mondialement.
L’outil de production, unique en Suisse et l’un des meilleurs au monde est en effet performant, car ses membres sont des personnes compétentes, loyales envers l’institution et amoureux du spectacle et du plateau, offrant une équipe professionnelle et unique, assurant aussi par là même une forte pérennité à l’institution genevoise qui peut s’enorgueillir de posséder une équipe artisanale et artistique parmi les meilleures, comprenant des services très rares comme l’atelier cuir ou l’atelier des perruquiers. Cet outil est d’ailleurs à pérenniser d’urgence, afin de ne pas perdre ses joyaux, mais de les perpétuer.
Le personnel fatigue, force, le temps passe, des dysfonctionnements surgissent ça et là, escamotés et la saison continue. Le directeur écoute les problèmes, les contenant ainsi un certain temps.
Le système de la double contrainte opère, sur trois pivots, le trio gouvernant l’institution.
Puis un autre événement survient, au gré des productions : un machiniste, fragile et constamment fragilisé au GTG, sauve la vie d’un autre, sur le plateau, se déchire le ligaments d’un bras ce faisant, retombe dans une dépression forte et latente depuis des années, ne remonte pas la pente, se suicide : D.R. dont personne en fera mention officiellement au GTG – ni quand il sauve un autre membre du personnel, ni quand il meurt, et un homme et une femme, révoltés par le cumul des injustices et des dégâts, lancent une lettre interpellative à la fois au Directeur général et au Magistrat aux affaires culturelles, Patrice Mugny, signée par plus de 70 personnes travaillant au GTG.
La lettre est perçue comme choquante par la direction. Interpellante par le magistrat. Une audition des signataires est organisée par le magistrat au Muséum d’Histoire naturelle le 21 septembre 2006, le Président de la fondation, quant à lui, convoque une douzaine de signataires pour les entendre, personnellement, sur les raisons qui les ont poussés à signer cette lettre.

Un suicide comme facteur partiellement indu et malheureux de la prise de parole du personnel, mais aussi unique recours collectif possible, après tentatives individuels et multiples auprès du Grand Théâtre, de la Commission interne du personnel (CPTA), du Service des ressources humaines, du Département des affaires culturelles, puis des syndicats. Mais aussi personne emblématique et apprécié par le personnel : plus d’une dizaine d’années de demande de transfert non agréée et le sauvetage d’un machiniste, sans recevoir aucune reconnaissance de l’institution.
A l’issue de ces réunions et convocations est décidé un audit, par le DG, puis par le magistrat.

Les Facteurs déterminants ayant conduit à cette crise sont les suivants :
Un Conseil de fondation et un Département des affaires culturelles peu responsabilisés, qui n’ont pas pleinement exercé l’ensemble de leurs prérogatives, aveuglés par l’Image et l’artistique, probablement instrumentalisés par un Directeur général aveuglé par l’image et le spectacle, dans un fort déni de réalité, sans réelle préoccupation ni perception des conditions de production des spectacles.
Un Conseil de fondation de gestion par beau temps… qui, cependant, n’avait aucune réelle information sur l’ensemble des conditions de travail du personnel, le Directeur général restant totalement muet sur ces questions et mettant systématiquement la « vitrine » en majesté, sans jamais parler de l’envers du décor, en-deçà du règlement de la fondation.
Le personnel du GTG est aux abois depuis longtemps, sans voie de recours interne pour exprimer ses préoccupations et ses contraintes (qu’il soit au bénéfice d’un contrat Ville ou d’un contrat Fondation), dans un environnement obnubilé par la Scène projetée, par l’image, par le prestige.
Le GTG a un personnel majoritairement responsable, loyal, soucieux d’assurer le spectacle, la pérennité de l’Institution genevoise, pour sa majorité.
Il existe cependant des réseaux installés par le Directeur technique, qui demeurent à démanteler et un certain nombre de personnes blessées, voire cassées.
D’autre part, beaucoup des membres du personnel sont d’ores et déjà peu enclin (ou formé), en Suisse, à se faire entendre, donc malléables et corvéables à merci, de plus verrouillés pour partie, par des contrats annuels signés par la fondation.
Le personnel est soumis à des injonctions fortes, un système de direction autoritaire, sans contre-pouvoir officiel ou statutaire et peu soucieux de toute forme de structure ou de cadre réglementaire admis.
D’autre part et pour partie aussi, le personnel est soumis à des comportements indélicats, à des logiques de dévalorisation et donc de perte d’individualité, ne leur laissant pas l’énergie et l’espace pour réagir.
La crise s’est ainsi installée profondément, au mépris de tout respect, mais demeure cependant une passion réelle, pour le théâtre et la scène, l’amour de leur métier pour beaucoup d’entre eux.
Cet audit aura permis d’ouvrir cette boîte de Pandore, aujourd’hui vidée : l’espoir qui reste à
l’intérieur peut être dynamisé par un certain nombre de mesures, qu’il s’agit de mettre en oeuvre et que nous exposons ci-après.

(...)

3. ... et Préconisation


Note liminaire :
Nos préconisations sur la gouvernance et la structure institutionnelle, proches, dans les grandes lignes fondamentales, de celles de l'institut Sherwood, audit lot n° 2, proposent une alternative différente, mais non contradictoire, à celle de Sherwood.
Les différences entre ces 2 propositions sont naturellement issues de nos démarches, qui divergent, puisque Sherwood a analysé les moyens humains, budgétaires et matériels à disposition du Grand Théâtre en regard de ses missions, sous un angle principalement quantitatif et organisationnel, tandis que Créalyse a étudié les ressources et relations humaines de cette institution et nous avons concentré nos réponses autour de solutions de gestion des rapports humains et des pouvoirs à mettre en place.
Nous avons tenu à préciser ici que ces 2 options, loin de se contredire, pouvaient également être complémentaires.

3.1 La question de la gouvernance
3.1.1 Le Conseil de fondation : un instrument à professionnaliser

En fonction des constats énoncés dans ce rapport, nous proposons un remaniement complet du Conseil de fondation dans la perspective de lui donner les moyens de construire un juste équilibre entre les éléments clés garantissant, à long terme et de manière permanente, la qualité d'un projet artistique, qu’il s’agit non seulement de réaliser mais aussi d’énoncer : la stabilité et la pérennité financière, la cohérence stratégique et le bon fonctionnement (gestion, administration, RH) interne de l'institution.
D'autres éléments nous semblent également aujourd'hui représenter des sources avérées ou potentielles de conflits. Nous les avons considérées comme déterminantes dans la construction de nos propositions :
- Les autorités de la Ville de Genève sont à la fois autorité de tutelle et membres du Conseil de fondation, donc dans une situation hybride (juge et partie) car représentant à la fois l’autorité de surveillance, l’éventuelle autorité de recours de ses propres employés, tout en étant porteuses des intérêts et décisions du Conseil de fondation. Cette situation est incongrue, sans être satisfaisante.
- Le poids du bureau, respectivement de la présidence, respectivement du directeur général, et leur cumul, ont créé un sentiment d’assujettissement de la part des membres actuels du Conseil, sentiment qui a culminé en décembre (à partir du 19) 2006 et perdure aujourd’hui. Le degré d'information disponible par les membres du Conseil est aujourd'hui relevé comme un facteur majeur d’insatisfaction. L’information devrait en effet être disponible, dans son intégralité, signalée comme telle et non pas devoir être demandée.
- Les questions du degré d'investissement en règle générale et du degré de compétence des membres en savoir et gestion artistiques sont également centrales et nécessitent d’être résolues : assurer une saine et cohérente gestion artistique nécessite en effet du temps et du savoir, constamment renouvelé par un intérêt réel et personnel en la matière, ce qui n’est actuellement pas nécessairement le cas des membres de ce Conseil.
- La nomination par les partis de leur représentants au Conseil de fondation se fait, semble-t-il pas toujours en fonction de leurs compétences ou de leur amour de l’art lyrique, mais parfois comme récompense ou compensation (non élection), du fait de l’aspect statutaire et prestigieux de l’institution : cela minore son potentiel d’action cohérente et suivie, tout en favorisant un discours partisan déphasé en regard de l’intérêt de l’institution et de son projet artistique et citoyen.

En conséquence, nous proposons :
Composition, nomination des membres du Conseil de fondation et du bureau et prérogatives
- Un Conseil de fondation de onze membres, hommes et femmes à parité ou s’en rapprochant, reconnus pour leurs compétences en matière d’art lyrique/de théâtre/de gestion culturelle, de gestion au sens strict (notamment droit du travail) et non nommés, selon les intérêts des partis ou selon un processus de récompense/de compensation.
o Deux membres nommés ad personam par le Conseil administratif, dont un a le statut de haut fonctionnaire au sein du Département des affaires culturelles de la Ville de Genève et peut ainsi affirmer une bonne connaissance de l’institution.
o Trois membres nommés ad personam par le Conseil municipal, tous partis confondus, reconnus pour leurs compétences en la matière et leur savoir, évitant ainsi la politisation extrême du Conseil défavorable à son bonfonctionnement et favorisant une politisation malvenue au sein du Conseil etde son bureau.

o Un représentant du Cercle du Grand-Théâtre et deux représentants du mécénat, nommés par le Conseil administratif, compétents en matière artistique et intéressés réellement par la gestion de l’institution (VS magie du théâtre et du spectacle présenté), tout en pérennisant la présence ancestrale et originelle du mécénat dans la maison. Il s’agit ici de clairement relever l’attachement particulier des Genevois à cette maison, au travers du mécénat, véritable tradition institutionnelle.
o Un membre nommé par l’Association des communes genevoises (ACG), dans la perspective d'intégrer plus explicitement la dimension supra communale de l’institution.

o Le/la Président(e) et le/la Vice-président(e) sont nommés par le Conseil administratif, pour leur valeur personnelle, leur proximité à et leur connaissance de l’institution, de l’art lyrique et de Genève. Il s’agirait cependant de ne pas nommer à la présidence des personnes déjà présidentes ou vice présidentes d’institutions artistiques ou culturelles de la Ville ou de l’Etat (OSR, Conservatoire de Musique, etc. – éviter le cumul des mandats et les interférences potentielles, favoriser la disponibilité).
o Un accord formel entre les partenaires nominants les membres du Conseil garantira une saine representativé des compétences.


Hypothèse alternative
Enfin, une alternative est possible : il pourrait s'avérer stratégiquement intéressant d'intégrer au sein du Conseil de fondation un représentant du canton, nommé par le Conseil d'État. Bien que la situation actuelle (très modeste subvention cantonale et délaissement, si ce n’est abandon, des charges culturelles au profit de la Ville) semble défavorable, il n’est pas exclu que le canton revienne sur sa décision… au-delà de ces aspects, la question de la formation professionnelle et ici particulièrement du maintien d’un capital professionnel introuvable ailleurs, renforce l’hypothèse alternative d’offrir un siège au canton. Sous réserve bien entendu de maintenir un nombre impair de membres.

- Le Conseil de fondation peut disposer à tout moment d'un espace d'échange avec trois représentants du personnel, un représentant de la technique, un représentant de l’administration et un de l’artistique – désignés par une commission du personnel digne de ce nom (dans ses droits et devoirs et via le vote du personnel). Ces représentants sont de fait des membres non permanents du Conseil de fondation, avec un statut consultatif. Ils peuvent intervenir sur demande réciproque.
- Le bureau est composé du/de la Président/e, du/de la Vice-président/e, de deux membres du conseil (dont le/la secrétaire) et du haut fonctionnaire du DAC. Le/la Directeur/trice général/e et le/la Secrétaire général/e y sont membres consultatifs, sans droit de vote.
- Le bureau ne peut déroger à la règle de la gestion déléguée des affaires courantes et ne doit pas outrepasser ses fonctions, même en cas d’urgence. Il s’agit plutôt de procéder à une gestion à priori qu’à posteriori, ce qui permettra alors de gérer prévisionnellement VS d’avoir à naviguer à vue et constamment dans l’urgence, favorisant ainsi d’éventuelles prises de pouvoir par nécessité d’action rapide, voire immédiate ou formulée comme telle, par volonté de décision tactique : procéder au plus pressé.
- La Présidence, subsidiairement la Vice-présidence, peut représenter le Conseil de Fondation, mais sa fonction présidentielle ne doit pas non plus s’exercer sans un contrôle et une délégation concertée avec la majorité du Conseil de fondation, chaque représentation devant être prévue et signalée. Il suffirait de revisiter/d’appliquer les textes (statuts et règlement) en vigueur.
- Le Conseil de fondation doit exprimer un projet artistique dans lequel doit s’inscrire sans aucun doute le projet du Directeur général. Il est clair que ce projet doit être en accord avec les moyens disponibles… La validation de ce projet – en quelque sorte l’explicitation du projet artistique – devrait être plus clairement du ressort du Conseil de Fondation, tels que par ailleurs exprimés aux articles 1 et 3 du règlement intérieur de ladite Fondation. Ce dernier article précise, par ailleurs, que le Conseil de fondation « en assume la responsabilité »… or nous n’avons trouvé dans les PV du Conseil de fondation que des traces très partielles de débat sur le projet et la vision artistique développée ces dernières années.
- Dans le même ordre d‘idée, l’article 1 de ce même règlement précise que « …le plan de production des spectacles, […] l’organisation administrative et artistique » sont déterminés par le Conseil, ne serait-ce que pour l’approuver. Si ce ne fut pas le cas à l’évidence, que ce soit de fait ou d’intention, une application plus stricte de cet article semble nécessaire. Nécessité qui reste toutefois subordonnée au projet artistique. Cette remarque est également valable pour la question des signatures autorisées, dont les limites sont signalées dans l’article 5, sans toutefois percevoir nécessairement un retour d’information aux membres du Conseil de fondation.

Notre proposition vise donc à favoriser les éléments suivants :

- Permettre aux autorités de la Ville de Genève d'assurer leur rôle d’autorité de surveillance en toute légitimité, sans pour autant accéder à la gestion quotidienne de la Fondation et du GTG et provoquer des interférences qui peuvent être déplacées ou interprétées comme telles.

- Garantir à tout moment et en toute circonstance l'existence de canaux d'information directs entre les représentants du personnel (la vie quotidienne au GTG) et les membres du Conseil de fondation.

- Permettre une nomination politiquement légitimée de membres disposant de compétences en gestion artistique et en art lyrique, dans le cadre des institutions

- Préserver une place intéressante, voire stratégique au mécénat.

- Permettre au Conseil d’assurer ou de préserver son rôle d’autorité suprême en
matière d’organisation interne et de finance, dans le respect de ses statuts.

- Enfin, créer les conditions cadres d'un équilibre judicieux entre intérêts privés et intérêts publics, autour d'une vision commune des intérêts du Grand-Théâtre (VS intérêt statutaire ou social personnel), c’est-à-dire de l’un des fleurons des institutions genevoises.

(...)

3.2 L’organisation de la Direction du GTG : retrouver les conditions d’un espace de régulation

(...)

3.2.2 Une nécessité : un conseil de direction plus collégiale
Il semble nécessaire de permettre à la DG de déléguer une partie de ses activités à un conseil de direction, qui assumerait notamment :
- la direction financière
- la direction administrative
- la direction des ressources humaines
- la direction technique
Dans l’état actuel des choses, le but unique et souverain, outrepassant la vocation même de l’institution, est la programmation (la représentation des spectacles programmés et ce, dans
n’importe quelle condition), il apparaît donc très important de séparer la fonction statutairement ou tout au moins de permettre à un conseil de direction « rapprochée » d’effectuer au mieux les tâches de direction mentionnées ci-dessus, tout en référant au DG.
Nous proposons de regrouper les différentes directions sous forme d’un conseil élargi (4 membres) de direction, dont la « présidence » serait assumée par le DG, qui aurait également un pouvoir suffisant (pour se liguer à 2 ou à 3, par exemple) pour infléchir certaines décisions du DG (en cas de litige ou de perception de saison trop chargée, de srucharge du personnel, de problèmes de personnel : relations humaines, conflits de personnes, mise au concours de postes, promotions).
Ce Conseil permettrait aussi une organisation et une planification du travail cohérentes, s’interdisant de principe, tout dérapage, lié notamment au fait d’une seule personne à l’ensemble des manettes de l’institution. La question de la planification – déterminante – sera
menée plus avant.

3.2.3 Une véritable Direction Financière

(...)

Nous proposons de faire appel à une personne ayant fait des études de gestion (VS expert omptable, qui ne semble plus être un diplôme suffisant pour ce poste, très évolutif depuis une à deux décennies), ayant à la fois, comme mentionné dans le cahier des charges actuel, une compétence comptable ET financière (aujourd’hui non exploitée). Afin d’assurer une bonne gestion et un contrôle financier constants, il apparaît important que ce poste soit signé par la Ville, comme il l’est à l’heure actuelle. Nous proposons de nommer un directeur financier, qui, comme Bernadette Favre, assume la direction financière du GT et se tienne aux budgets prévus, tout en assumant les tâches de direction, planification, organisation, coordination et supervision des activités du service financier du GT (y compris la responsabilité de la billetterie), mais aussi la gestion prévisionnelle du GT à court et moyen terme (budgets des saisons à venir, suivi et actualisations budgétaires), c’est-à-dire en assumant aussi :
- L’établissement des comptes de la saison écoulée,
- La préparation du rapport de gestion,
- Le contrôle des résultats d’exploitation et des décomptes d’ouvrage,
- Le budget d’exploitation de la saison à venir,
- La planification financière à moyen terme et l’établissement des documents comptables nécessaires,
- La préparation et la signature des décisions d’engagement de dépenses et des documents annexes (adaptation du cadre des compétences dévolues au SG, dans le règlement intérieur de la Fondation).
- L’organisation d’un système unique et unifié de bons de commande et contrôle de son bon fonctionnement,
- Le suivi de la facturation à des tiers,
- La direction du service comptable et financier (y compris la billetterie).
- La gestion de la trésorerie du GT,
- Les relations avec les banques, les institutions sociales, l’administration fiscale, la TVA, etc.
- La gestion des stocks, le contrôle des débiteurs et les comptes transitoires, les provisions et les amortissements.
- Les contrats de sponsoring et le mécénat.
- Représentation au Conseil de fondation, sous forme de présence consultative.
- etc.
La nomination du Directeur financier est du ressort de la Ville de Genève, en accord avec le
Conseil de fondation. Il peut être au bénéfice d’un contrat de droit privé.

3.2.4 Renforcer la Direction administrative

3 commentaires:

Anonyme a dit…

"Je trouve inconvenant qu'un tel audit soit rendu public. Il y a des attaques personnelles d'une dureté incroyable"
(Antonio Soragni, ex-Secrétaire général, 20minutes.ch du 3 avril

Anonyme a dit…

Philippe Planchat, président de Sherwood :

"Lorsque nous avons bâti nos présentations respectives, nous étions assez d'accord sur les recommandations à adresser au Grand Théâtre. Mais lundi soir, à la lecture de la totalité du rapport, je me suis rendu compte que ce qui était écrit était en parfaite contradiction avec ce que nos entretiens ont fait remonter. L'audit de Créalyse ne prend aucune distance avec les personnes auditionnées et présente les rumeurs comme des faits. Je ne nie pas la crise, mais ce rapport est excessif parce qu'il confond les symptômes avec les causes. C'est une démarche scandaleuse parce qu'elle ne tient pas compte des principes déontologique de base.» C'est ainsi une crise dans la crise qui se profile aujourd'hui au Grand Théâtre. Et cela va compliquer un peu plus la tache de ceux qui doivent la résoudre."

Anonyme a dit…

Un employé du Grand Théâtre (un machiniste) a actionné un avocat pour pouvoir prendre connaissance du rapport d'audit de Crealye, retiré du site internet de la Ville et du site du département des affaires culturelles.